Nations Unies

CCPR/C/119/D/2555/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2555/2015 * , **

Communication p résentée par :

Sirozhiddin Allaberdiev (représenté par un conseil, Mukhtordzhon Makhkamov)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication:

18 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 janvier 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

21 mars 2017

Objet :

Torture ; détention arbitraire

Questions de procédure:

Défaut de fondement des griefs

Questions de fond :

Droit de ne pas être soumis à la torture ; droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; droit d’être jugé sans retard excessif ; droit d’obtenir la comparution des témoins et de les interroger ; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même

Article(s) du Pacte :

7, 9 (par. 1) et 14 (par. 3 b), c), e) et g))

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est Sirozhiddin Allaberdiev, de nationalité ouzbèke, né en 1976. Il se dit victime d’une violation par l’Ouzbékistan des droits qu’il tient des articles 7, 9 (par. 1) et 14 (par. 3 b), c), e) et g)) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Ouzbékistan le 28 décembre 1995. L’auteur est représenté par un conseil, Mukhtordzhon Makhkamov.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Entre le 3 et le 8 août 2012, l’auteur et quatre autres personnes (le frère de l’auteur, Yu., T. et Sh.) ont été placés illégalement en détention et torturés par des agents du Service des douanes de la région de Tachkent (« Service des douanes ») et du Service de sécurité nationale dans les locaux du Service des douanes et dans le centre de détention temporaire du Département de l’intérieur de la région de Tachkent (centre de détention temporaire). Le placement de l’auteur en détention durant cette période n’a pas été enregistré. L’auteur a été torturé pour lui faire avouer sa culpabilité dans une affaire de stupéfiants montée à l’instigation d’un ressortissant tadjik, A., et divulguer l’endroit où se trouvait le principal indice matériel, un sac en plastique contenant de la marijuana. L’auteur soutient qu’il s’agissait d’une provocation et que l’indice en question avait été placé là par A.

Recours à la torture et accès aux services d’un avocat

2.2Le 3 août 2012, l’auteur s’est rendu en voiture avec son frère au Service de sécurité nationale, à Bekabad, pour s’enquérir de Yu., arrêté dans le cadre de l’affaire de stupéfiants. Il a immédiatement été arrêté. Vers 21 ou 22 heures, des agents du Service de sécurité nationale l’ont conduit dans les locaux du Service des douanes, à Tachkent, où, au troisième étage, ils l’ont torturé pour lui extorquer des aveux. Il a été menotté, frappé avec une matraque, roué de coups de pied et soumis à des décharges électriques. Il a perdu connaissance plusieurs fois. Il a été torturé et maintenu dans les locaux du Service des douanes jusqu’au 4 août 2012.

2.3Le 3 août 2012, vers 23 heures, l’avocat privé de l’auteur a présenté à l’enquêteur son mandat de représentation en justice afin de pouvoir s’entretenir avec l’auteur, ce qu’il n’a pas été autorisé à faire au motif que l’auteur ne se trouvait pas dans les locaux du Service de sécurité nationale.

2.4Le 4 août 2012, entre 18 et 20 heures environ, l’auteur a été conduit au centre de détention temporaire. Là, entre le 4 août 2012, 20 heures, et le 8 août 2012 vers 13 ou 15 heures, il a été torturé, notamment frappé avec une matraque et roué de coups de pied, et soumis à des pressions psychologiques par des agents du Service des douanes et du Service de sécurité nationale. Il a perdu connaissance plusieurs fois.

2.5Le 8 août 2012, l’auteur a été transféré à l’unité d’enquête du Service de sécurité nationale, où il a été torturé à de nombreuses reprises par des agents opérationnels du Service et de l’unité, ainsi que par des criminels endurcis spécialement formés à cet effet. L’auteur a été forcé de se dévêtir dans une salle spéciale, menotté et frappé sur différentes parties du corps, notamment à la tête, aux jambes et aux reins, et il a eu des côtes cassées du côté gauche. Plusieurs fois, un agent du Service de sécurité nationale grand et costaud, de nationalité ouzbèke, lui a brûlé les poils. L’auteur a été laissé nu et menotté dans une pièce par un froid glacial, puis dans une pièce obscure où se trouvait un appareil produisant des ultrasons, pendant six à huit heures. Il dit être en mesure d’identifier ses tortionnaires. Il indique que des soins médicaux lui ont été dispensés mais qu’on ne lui a jamais demandé l’origine de ses blessures.

2.6Le 8 août 2012, l’auteur a été inculpé d’infractions à la législation sur les stupéfiants au titre des articles 25 et 276 (par. 1) du Code pénal et formellement arrêté. Son avocat a été invité à prendre part aux actes d’instruction. Vers 17 heures, l’auteur a été conduit dans le bureau de l’enquêteur mais n’a pas été autorisé à s’entretenir en privé avec son avocat malgré ses demandes en ce sens. L’enquêteur a interrogé l’auteur en qualité de témoin, de suspect et d’inculpé au titre des articles 25 et 276 du Code pénal. Même après cela, son avocat n’a pas pu communiquer avec lui.

2.7Le 20 novembre 2012, l’auteur a été transféré à l’unité d’enquête no 1 du Ministère de l’intérieur, où il est resté détenu jusqu’à ce que le dossier soit transmis au tribunal, en avril 2013. Il a été soumis à des pressions psychologiques de la part de codétenus, à la demande d’agents opérationnels du Service de sécurité nationale qui cherchaient à lui extorquer des aveux. À cause des tortures prolongées auxquelles il a été soumis, l’auteur a fait une tentative de suicide en essayant de se sectionner le pénis.

2.8Les lésions subies par l’auteur en détention n’ont pas été examinées par un médecin expert, en dépit de ses demandes. Il dit avoir deux côtes cassées et souffrir de violents maux de tête. Ses allégations de torture sont étayées par les plaintes que son avocat et lui-même ont déposées auprès de différentes autorités, ainsi que par la déclaration de son frère affirmant qu’il l’a vu et entendu être battu et traîné, inconscient, jusqu’à sa cellule du centre de détention temporaire.

Examen des plaintes de l’auteur et procédure pénale intentée contre lui

2.9L’enquête préliminaire a duré du 8 août 2012 au 8 janvier 2013.

2.10Le 9 août 2012, l’avocat a demandé au chef du Service de sécurité nationale de vérifier la légalité de l’arrestation et de la détention de l’auteur dans les locaux du Service des douanes et dans le centre de détention temporaire, de lui communiquer des extraits du registre consignant les admissions et les visites et d’établir l’identité des codétenus. Le 13 août 2012, l’avocat a demandé au chef du Service de sécurité nationale de lui communiquer un extrait similaire du registre du Département de l’intérieur de Bekabad et du centre de détention temporaire, ainsi que les procès-verbaux des interrogatoires des codétenus de l’auteur ainsi que des fouilles à corps et des arrestations. Le 10 août 2012, l’avocat a demandé à l’enquêteur principal du Service de sécurité nationale de la région de Tachkent l’enquêteur) de libérer l’auteur sous caution, demande qui a été rejetée le 12 août 2012.

2.11Le 10 août 2012, le tribunal de district de Kibraisk a ordonné le placement en détention de l’auteur. Le 13 août 2012, l’avocat a fait appel de cette décision, faisant valoir que le placement en détention de l’auteur était illégal et que celui-ci avait été torturé du 3 au 8 août 2012. Le point de savoir si cet appel a été examiné n’est pas clair.

2.12L’auteur a rencontré son avocat dans les locaux du tribunal de district le 10 et le 13 août 2012 ainsi que lors de sa confrontation avec M. Yu, le 11 septembre 2012. L’avocat a déposé plusieurs requêtes auprès de l’enquêteur, lui demandant de pouvoir s’entretenir en privé avec l’auteur, sans résultat. Aucun entretien privé n’a eu lieu entre le 8 août et le 20 novembre 2012.

2.13Le 7 novembre 2012, le tribunal de district de Kibraisk a prolongé la détention de l’auteur jusqu’au 8 janvier 2013. Le 27 novembre 2012, l’auteur a fait appel de cette décision, faisant valoir l’illégalité de sa détention. Le point de savoir si cet appel a été examiné n’est pas clair. L’auteur affirme que sa détention n’a pas été officiellement prolongée au-delà du 8 janvier 2013 et que, entre le 8 janvier et le 6 juin 2013, il a été maintenu en détention sans ordonnance de mise en détention provisoire.

2.14Le 13 décembre 2012, l’avocat a demandé à l’enquêteur de vérifier la légalité de l’arrestation et de la détention de l’auteur, mais cette demande est restée sans suite. Il a également déposé une requête auprès de l’enquêteur, faisant valoir que les aveux de l’auteur avaient été obtenus par la torture et demandant un complément d’enquête et la possibilité d’interroger le témoin T. pour confirmer l’innocence de l’auteur. Ces demandes sont restées sans réponse. L’auteur a toutefois constaté ultérieurement que le dossier contenait une décision de l’enquêteur, datée du 14 décembre 2012, rejetant la requête au motif que les éléments à charge avaient été obtenus auprès de différentes sources, notamment auprès de témoins et dans le cadre de confrontations.

2.15Le 4 janvier 2013, l’auteur a été inculpé au titre des articles 28 (par. 2), 246 (par. 2) et 273 (par. 5) du Code pénal. Le 4 mars 2013, le Procureur de la région de Tachkent a approuvé l’acte d’accusation.

2.16Le 4 janvier 2013, l’enquêteur a abandonné les poursuites intentées contre A., l’identité de celui-ci et le lieu où il se trouvait n’ayant pas été établis.

2.17Les 4 et 5 janvier 2013, l’enquêteur a modifié l’acte d’accusation visant l’auteur et a établi un procès-verbal d’interrogatoire, en l’absence de l’avocat de l’auteur mais en présence d’un autre avocat inconnu de l’auteur. L’auteur a refusé de signer l’acte d’accusation et le procès-verbal d’interrogatoire en l’absence de son avocat et a sollicité l’assistance de ce dernier. L’enquêteur a rejeté cette demande et a consigné le refus de l’auteur de signer les documents.

2.18Le 7 janvier 2013, l’avocat a déposé une requête auprès de l’enquêteur, demandant à ce que les blessures de l’auteur soient examinées par un médecin. Le même jour, l’enquêteur a informé oralement l’avocat de l’auteur que son client avait été inculpé le 4 janvier 2013, en présence d’un autre avocat, et que l’enquête préliminaire était close. La demande d’examen médical soumise par l’avocat a été rejetée pour ces motifs.

2.19 À une date non précisée, le dossier a été transmis au tribunal municipal de Bekabad. D’après le procès-verbal d’audience, la première audience, qui devait se tenir le 25 mars 2013, a été reportée au 28 mars 2013, puis une nouvelle fois au 19 avril 2013, au motif que l’inculpé et son avocat ne s’étaient pas présentés. L’auteur affirme qu’en réalité, le dossier a été transmis au tribunal le 11 ou le 12 avril 2013, et que son avocat et lui-même n’ont été informés de la tenue de l’audience que le 19 avril 2013.

2.20Le 29 avril 2013, l’avocat a soumis une nouvelle demande d’examen médical, qui a été ignorée par le tribunal. Le même jour, il a demandé au tribunal de déclarer certains documents irrecevables et d’assigner à comparaître en qualité de témoins les personnes qui avaient signé et approuvé les documents en question, à savoir les agents du centre de détention temporaire, les policiers et les agents du Service des douanes et du Département de l’intérieur de Bekabad qui étaient en fonctions le 3 août 2012 au soir. Le tribunal a rejeté cette demande au motif que l’enquête n’avait pas établi la qualité de témoins de ces personnes. L’avocat a demandé au tribunal d’annexer au dossier les plaintes et requêtes qu’il avait déposées concernant des fautes des agents du Service des douanes, de la police et du Service de sécurité nationale. Le juge a promis d’examiner ces requêtes et de les annexer au dossier. Or ceci n’est pas reflété dans le procès-verbal d’audience. Les plaintes dénonçant l’inexactitude du procès-verbal, déposées ultérieurement par l’avocat, ont été rejetées.

2.21Le 6 juin 2013, le tribunal municipal de Bekabad a reconnu l’auteur coupable et l’a condamné à dix-sept ans d’emprisonnement au titre des articles 25, 28, 59, 246 (par. 2) et 273 (par. 5) du Code pénal. Le tribunal a considéré que, le 2 août 2012, l’auteur avait cherché à acheter 969,66 grammes de marihuana à A., qui l’avait transportée du Tadjikistan et cachée, et que M. Yu, en sortant la drogue de sa cachette à la demande de l’auteur, avait été pris sur le fait par des agents du Service des douanes et du Service de sécurité nationale. D’après la décision du tribunal, qui figure au dossier, « bien que l’auteur n’ait pas reconnu sa culpabilité pour se soustraire à des poursuites et que M. Yu ait déclaré avoir témoigné contre l’auteur parce qu’il avait été torturé pendant l’instruction, le tribunal considère que la culpabilité de l’auteur est étayée par les pièces du dossier et les dépositions des témoins ». L’auteur affirme que les audiences ont été retardées délibérément et sans justification. Seules six personnes ont été interrogées à l’audience, dont M. Yu (le coaccusé), le frère de l’auteur, M. T. et M. Sh. (témoins) et deux policiers.

2.22 Le 13 juin 2013, l’avocat a fait appel de la condamnation, faisant valoir notamment que l’auteur avait été placé en détention de façon arbitraire et torturé, et que les témoins n’avaient pas tous été interrogés, et contestant l’appréciation des éléments de preuve faite par le tribunal municipal de Bekabad. À une date non précisée, l’avocat a retiré son appel dans l’attente que les autorités statuent sur ses multiples plaintes concernant le recours à la torture et le fait que la détention n’avait pas été enregistrée. Faute de réponse des autorités, l’avocat, le 9 septembre 2013, a formé un pourvoi en cassation auprès du tribunal régional de Tachkent, faisant valoir que l’enquêteur ne l’avait pas autorisé à voir l’auteur entre le 8 août et le 20 novembre 2012 et avait ignoré ses plaintes dénonçant le recours à la torture. L’avocat a également demandé la comparution des témoins T. et Sh. pour pouvoir les interroger. Le 10 octobre 2013, le tribunal régional a rejeté le pourvoi en cassation, le déclarant non fondé, ainsi que la demande de comparution de nouveaux témoins, et a confirmé la décision du tribunal municipal de Bekabad.

2.23L’avocat a déposé trois demandes de réexamen des décisions du tribunal en date du 6 juin et du 10 octobre 2013. Ces demandes ont été rejetées, respectivement le 25 novembre 2013, le 22 février 2014 et le 9 avril 2014, au motif que le tribunal de première instance avait correctement qualifié l’infraction et imposé une peine conformément à la loi.

2.24L’auteur dit qu’il a épuisé tous les recours internes utiles disponibles et que la communication n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il affirme qu’il y a eu violation des droits qu’il tient du Pacte et demande à être jugé de nouveau, dans le respect de toutes les garanties prévues par le Pacte.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les coups violents et les mauvais traitements qu’il a subis pendant sa détention constituent des actes de torture, et donc une violation de l’article 7 du Pacte. À cause de ces actes de torture, il a été forcé de témoigner contre lui-même, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

3.2Invoquant le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, l’auteur affirme que la détention dont il a fait l’objet du 3 au 8 août 2012 était illégale et arbitraire car elle n’a pas été enregistrée. De plus, sa détention avant jugement était illégale pendant toute la période concernée puisque la loi ne prévoit pas ce type de détention pour les infractions dont il était initialement accusé. Une personne ne peut être placée en détention avant jugement pour de telles infractions, qui sont passibles de peines inférieures à trois ans d’emprisonnement, que lorsque certaines conditions énumérées à l’article 242 du Code de procédure pénale sont satisfaites, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

3.3L’auteur soutient en outre qu’il n’a pas été autorisé à rencontrer son avocat et n’a pas pu préparer sa défense, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

3.4L’auteur fait valoir que l’enquête préliminaire et la procédure judiciaire ont été excessivement prolongées, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

3.5Invoquant les dispositions du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, l’auteur fait valoir qu’il n’a obtenu la comparution et l’interrogatoire d’aucun témoin à décharge, alors que tous les témoins à charge ont été entendus par le tribunal. L’avocat avait notamment demandé la comparution et l’interrogatoire des témoins suivants : les témoins certificateurs, les agents du Service des douanes et du Service de sécurité nationale ayant établi les documents de procédure initiaux, les témoins ayant caché la drogue, l’expert ayant établi le rapport du 3 août 2012 et les agents du centre de détention temporaire, du Service des douanes et du Département de l’intérieur de Bekabad qui étaient en fonctions entre le 3 et le 8 août 2012. Ces témoins savaient que le dossier pénal visant l’auteur avait été fabriqué de toutes pièces mais avaient établi des documents de procédure, en violation du Code de procédure pénale.

Observations de l’État partie

4.1Le 16 avril 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication. L’État partie conteste l’allégation de l’auteur invoquant une violation de ses droits au cours de l’instruction et de la procédure.

4.2L’État partie affirme que, le 6 août 2012, le département d’enquête du Service de sécurité nationale de la région de Tachkent a intenté une action pénale contre M. Yu et consorts, soupçonnés de contrebande et de vente illicite de stupéfiants en grande quantité. L’enquête a permis de déterminer que l’auteur s’était entendu avec A., dont l’identité n’a pas pu être établie, et avec son parent M. Yu pour acheminer 969,66 grammes de marijuana du Tadjikistan en Ouzbékistan dans l’intention de la vendre. Le 3 août 2012, M. Yu a été pris sur le fait en train de sortir la marihuana de sa cachette, l’auteur ayant quant à lui pris la fuite. Le 8 août 2012, l’enquêteur a ordonné l’ouverture de poursuites contre l’auteur. Le même jour, l’auteur a été arrêté et placé dans l’unité d’enquête du Service de sécurité nationale.

4.3L’État partie dément que l’auteur ait été détenu du 3 au 8 août 2012 et soumis à la torture alors qu’il se trouvait en détention avant jugement. L’auteur n’a été admis dans les locaux du Service de sécurité nationale que le 8 août 2012. Il ne s’est jamais plaint d’actes présumés de torture durant toute la période de sa détention avant jugement, que ce soit auprès de l’enquêteur ou de son avocat ; l’administration des lieux de détention n’a quant à elle consigné aucun fait de torture. Les requêtes de l’avocat en date des 13 août 2012 et 7 janvier 2013 ne sont pas parvenues au Service de sécurité nationale. L’auteur a été à plusieurs reprises informé de ses droits et responsabilités en tant que suspect et détenu et a contresigné les procès-verbaux correspondants. Son placement en détention avant jugement était conforme à la loi, notamment à l’article 221 (par. 1) du Code de procédure pénale. En vertu de l’article 242 (par. 2) du Code de procédure pénale, la détention avant jugement peut être envisagée pour les infractions intentionnelles passibles d’une peine inférieure à trois ans d’emprisonnement.

4.4Les requêtes de l’avocat datées du 9 août et du 13 décembre 2012, demandant à ce que la légalité de l’arrestation et de la détention de l’auteur soit examinée, ont été rejetées respectivement le 10 août et le 14 décembre 2012, au motif que le Service de sécurité nationale n’était pas compétent pour les examiner. Il a été conseillé à l’avocat de soumettre plutôt ses requêtes à la police ou au parquet. La décision de l’enquêteur en date du 14 décembre 2012 a été communiquée à l’avocat. Le 12 août 2012, l’enquêteur a signifié à l’avocat que sa demande de libération sous caution du 10 août 2012 avait été rejetée pour empêcher la commission de nouvelles infractions et toute entrave à la bonne administration de la justice.

4.5Pour ce qui est des entretiens privés entre l’auteur et son avocat qui n’auraient pas pu avoir lieu, il n’est pas possible qu’une demande de tels entretiens ait été reçue le 3 août 2012 à 23 heures puisque l’enquêteur avait quitté son bureau à 20 heures. Le 8 août 2012, l’auteur et son avocat se sont vus en privé pendant une heure dans les locaux du Service de sécurité nationale, avant le commencement des actes d’instruction. Une fois ceux-ci accomplis, l’auteur et son avocat ont pu à nouveau s’entretenir en privé. Ils ont apposé leur signature sur l’ordonnance de mise en examen de l’auteur en date du 8 août 2012. Interrogé en qualité de suspect, l’auteur a indiqué qu’il avait vu son avocat en privé, ce qui est consigné dans le procès-verbal d’interrogatoire qu’il a signé. Entre le 8 août et le 19 novembre 2012, il a rencontré plusieurs fois son avocat à la demande de celui-ci, sans aucune limitation quant à la durée des entretiens. Un interrogatoire de l’auteur a été mené pendant cette période en présence de son avocat, de même qu’une confrontation. L’avocat a aussi été informé de son droit de s’entretenir avec son client en privé, sans limitation quant au nombre ou à la durée des entretiens.

4.6L’avocat a été informé que l’acte d’accusation visant l’auteur serait complété par d’autres chefs le 4 janvier 2013. L’avocat a répondu qu’il était parti dix jours pour assister à des funérailles dans une autre région et accepterait que l’enquêteur désigne un autre avocat pour défendre l’auteur.

4.7L’État partie réfute le grief que l’auteur tire du paragraphe 3 e) de de l’article 14 du Pacte, faisant valoir que toutes les personnes susceptibles d’avoir eu connaissance des faits ont été interrogées en qualité de témoins. Le 17 décembre 2012, à la demande de l’avocat, l’enquêteur a interrogé le frère de l’auteur, M. Sh. et M. T. L’article 36 du Code de procédure pénale habilite l’enquêteur à déterminer les actes d’instruction à accomplir. L’enquêteur a également ordonné que le département opérationnel établisse l’identité des complices, y compris de A., contre lequel les poursuites pénales ont été interrompues pour complément d’enquête. Conformément à l’article 375 du Code de procédure pénale, l’enquêteur, ayant considéré que les éléments de preuve recueillis étaient suffisants pour établir un acte d’accusation, a informé l’accusé et son avocat que l’instruction était close, indiquant par-là que les éléments réunis suffisaient. Après avoir pris connaissance du dossier, l’auteur et son avocat n’ont pas demandé à interroger les agents du Service des douanes et du Service national de sécurité.

4.8La culpabilité de l’auteur est étayée par l’ensemble des éléments de preuve, notamment par les pièces relatives à la découverte des stupéfiants, les documents concernant la saisie et le poids des indices matériels, l’enregistrement d’une violation de la législation douanière, les indices matériels (969,66 g de marijuana), le rapport d’expert, les actes d’instruction, les dépositions des témoins, MM. Yu, T., Sh., Yus et autres, le plaidoyer de culpabilité du coaccusé, M. Yu, le procès-verbal du contre-interrogatoire, etc. L’enquête a permis d’établir que plusieurs appels avec le Tadjikistan ont été reçus et passés les 2 et 3 août 2012 sur le numéro de téléphone utilisé par l’auteur.

4.9L’État partie rejette également comme non étayée l’affirmation de l’auteur qui prétend que l’enquête préliminaire et la procédure judiciaire ont été excessivement prolongées. Les autorités compétentes n’ont été saisies d’aucune plainte à cet égard.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 15 juin 2015, l’auteur a réaffirmé l’intégralité de ses griefs et contesté les observations de l’État partie.

Arrestation et détention de l’auteur

5.2L’auteur apporte de nouvelles précisions sur sa détention du 3 au 8 août 2012. Le 3 août 2012, il a été arrêté avec son frère. Vers 20 h 40, son frère a été remis en liberté à condition qu’il apporte le lendemain le passeport de l’auteur. Le 4 août 2012, le frère de l’auteur, accompagné d’un avocat et de membres de la famille des détenus, s’est rendu au Service des douanes, comme le lui avait demandé un enquêteur. Un responsable a vérifié ses documents d’identité et l’a laissé entrer. Après quoi, il a été placé en détention. Le 4 août 2012, vers 16 ou 17 heures, des agents du Service national de sécurité ont conduit l’auteur, son frère, M. Yu, M. T. et M. Sh. au Département régional de l’intérieur de la région de Tachkent. Ceux-ci ont été placés au centre de détention temporaire. Le 8 août 2012, l’enquêteur a informé l’avocat que les détenus comparaîtraient devant lui avant la mi-journée.

5.3Entre le 3 et le 8 août 2012, l’avocat et les familles des détenus ont contacté tous les jours le Service national de sécurité et le Département régional de l’intérieur de la région de Tachkent, qui ont nié la détention de leurs proches. Au cours de cette période, les membres des familles des détenus ont envoyé à ceux-ci des colis de nourriture.

5.4Plusieurs documents prouvent que l’auteur a été détenu du 3 au 8 août 2012, notamment les dépositions de l’auteur, de son frère, de M. T. et de M. Sh., les nombreuses demandes et requêtes qu’eux-mêmes et l’avocat ont déposées, le procès-verbal de l’arrestation de M. Yu et le rapport d’expert du 3 août 2012, le rapport d’un agent du Service des douanes et le procès-verbal d’interrogatoire de l’auteur en tant qu’inculpé. Les familles et les avocats des détenus peuvent témoigner qu’ils ont attendu leurs proches près du bâtiment du Service des douanes les 3 et 4 août 2012, et près du bâtiment du Département régional de l’intérieur de la région de Tachkent entre le 4 et le 8 août 2012.

5.5 L’auteur fait valoir que l’affirmation de l’État partie selon laquelle il a fui le lieu de l’infraction le 3 août 2012 avant d’être arrêté et incarcéré au centre de détention temporaire prouve qu’il a été détenu illégalement du 3 au 8 août 2012. L’auteur conteste la légalité de son arrestation et de sa détention. Puisque l’État partie nie qu’il ait été arrêté avant le 8 août 2012, il n’est pas possible de dire qu’il a été arrêté au titre de l’article 221 (par. 1) du Code de procédure pénale, c’est-à-dire au motif qu’il a été pris sur le fait ou immédiatement après les faits, le 3 août 2012. Son placement en détention était contraire à l’article 242 (par. 2) du Code de procédure pénale puisque ne répondant à aucun des motifs justifiant une détention avant jugement pour des infractions intentionnelles passibles d’une peine inférieure à trois ans d’emprisonnement. Ainsi, l’identité de l’auteur a été établie, il réside en permanence en Ouzbékistan, il n’a pas de casier judiciaire, n’est ni toxicomane ni alcoolique, est apprécié de ses voisins, est père de quatre enfants mineurs et a deux personnes handicapées à charge.

5.6Les plaintes déposées par l’auteur et son avocat concernant l’illégalité de la détention de l’auteur entre le 3 et le 8 août 2012 sont restées sans réponse alors que le Code pénal réprime la privation de liberté forcée illégale.

Recours à la torture

5.7L’auteur soutient que l’État partie interprète de façon erronée sa plainte pour torture en prenant comme début de la période considérée la date du 8 août 2012. Il réaffirme qu’il a été torturé dans les locaux du Service des douanes les 3 et 4 août 2012 et dans le centre de détention temporaire du 4 au 8 août 2012. Il a également été torturé après le 8 août 2012, alors qu’il se trouvait en détention avant jugement dans l’unité d’enquête du Service national de sécurité et dans l’unité d’enquête no 1.

5.8On a torturé l’auteur pour lui extorquer des aveux. Il est en mesure de reconnaître les agents des centres de détention et les criminels endurcis qui l’ont torturé. Leur identité peut également être établie moyennant la vérification des registres pertinents des centres de détention. L’auteur a rendu compte en détail, chaque fois qu’il était interrogé, des actes de torture qui lui ont été infligés. Les dépositions de son frère et de M. T. ainsi que sa confrontation avec M. Yu corroborent ses déclarations. L’auteur et son avocat ont déposé auprès de différentes autorités un certain nombre de plaintes faisant état du recours à la torture, mais sans résultat. Plusieurs d’entre elles n’ont pas été annexées au dossier. La réponse des autorités affirmant qu’elles ont étudié le dossier implique qu’elles ont pris connaissance de l’ensemble des plaintes. À l’audience, l’avocat a de nouveau soumis les plaintes qui ne figuraient pas au dossier, y compris la demande d’examen médical. D’après les sources médicales, les lésions aux côtes qui se traduisent par des fêlures et des fractures durent toute la vie et peuvent être décelées au moyen d’une simple radio. Depuis sa tentative de suicide, l’auteur a une grande cicatrice sur le pénis. Un médecin peut confirmer que la cicatrice n’a pas été traitée. L’auteur affirme qu’un examen médical peut encore être effectué et se dit prêt à déposer une nouvelle demande à cet effet.

Accès aux services d’un avocat

5.9L’auteur réaffirme son grief selon lequel il n’a pas pu s’entretenir en privé avec son avocat. Le 3 août 2012, l’avocat a reçu un mandat l’autorisant à représenter l’auteur en justice, qu’il a remis à l’enquêteur. Or l’avocat et l’auteur n’ont eu un premier entretien que le 8 août 2012, et il n’a duré qu’entre dix et vingt minutes. Mais il ne s’agissait pas d’un entretien privé puisque des agents étaient postés devant la porte, que la pièce était équipée de caméras vidéo et que la conversation était enregistrée. La rencontre suivante a eu lieu au tribunal le 10 août 2012, jour où il était statué sur la détention de l’auteur. L’avocat n’a pas été autorisé à approcher l’auteur avant le début de l’audience. Une autre rencontre a eu lieu dans des conditions analogues à la cour d’appel le 7 novembre 2012. Ensuite, et jusqu’à la fin novembre 2012, l’avocat n’a jamais eu la possibilité de rencontrer l’auteur. L’enquêteur a autorisé l’avocat à voir l’auteur à la fin du mois de novembre 2012 ; deux ou trois rencontres seulement ont eu lieu.

5.10À partir de la fin novembre 2012, l’avocat a appelé l’enquêteur tous les jours pour s’enquérir des actes d’instruction concernant l’auteur. L’enquêteur a promis de le tenir informé. Le 5 janvier 2013, l’avocat a demandé à l’enquêteur s’il avait l’intention de procéder à des actes d’instruction et l’a informé qu’il serait occupé dans l’après-midi. L’enquêteur a répondu qu’il était question de prolonger la détention de l’auteur de deux mois supplémentaires. Le 6 janvier 2013, l’avocat a été informé par l’avocat de M. Yu que les chefs d’accusation portés contre M. Yu et l’auteur avaient été modifiés, que l’instruction était close et qu’il était possible d’examiner le dossier. Le même jour, l’auteur a dit à son avocat que l’enquêteur l’avait informé que l’avocat devait se rendre à des funérailles et ne pouvait donc pas assister aux actes d’instruction. L’enquêteur n’a pas autorisé l’auteur à contacter son avocat pour vérifier cette information. L’auteur a refusé de prendre part aux actes d’instruction et n’a signé aucun document.

Procédure pénale contre l’auteur

5.11L’auteur dit que sa condamnation repose sur des éléments de preuve irrecevables et que la déclaration de culpabilité le concernant constitue une violation de la loi. Il conteste l’appréciation des preuves effectuée par les juridictions nationales. Il a été arrêté et mis en détention à la suite d’une provocation des autorités, qui ont placé la drogue pour tendre un piège. L’auteur et les quatre autres détenus ont été torturés pour qu’ils avouent l’endroit où se trouvait la drogue. Il n’existe pas d’autre élément prouvant la culpabilité de l’auteur que le plaidoyer de culpabilité de M. Yu et les aveux de l’auteur obtenus par la torture. Le tribunal n’a pas pris en compte les dépositions du coaccusé, M. Yu, du témoin M. T. et des témoins certificateurs, qui n’ont pas évoqué l’implication de l’auteur dans la commission de l’infraction. Les témoins certificateurs n’ont pas été cités à comparaître alors qu’ils habitaient Bekabad et se trouvaient dans la ville à ce moment-là. On leur a strictement interdit de témoigner à l’audience. M. Yu a plaidé coupable après avoir été brutalement torturé. Dans ses dépositions initiales, il avait nié l’implication de l’auteur. Il avait eu l’intention de soumettre à l’enquêteur une requête écrite expliquant qu’il avait fait un faux témoignage contre l’auteur mais n’était pas allé au bout de sa démarche de crainte d’être torturé. L’auteur a contribué à élever M. Yu et il a épousé sa sœur. À l’audience, M. Yu a supplié la famille de l’auteur de lui pardonner d’avoir témoigné contre lui. Par ailleurs, le procès‑verbal de l’arrestation de M. Yu et la constatation d’une infraction à la législation douanière ne devraient pas être considérés comme des éléments de preuve valables contre l’auteur puisque le nom de celui-ci n’y est pas mentionné. Le parent de l’auteur originaire du Tadjikistan a été interrogé à de nombreuses reprises en raison des échanges téléphoniques qu’il a eus avec l’auteur mais son implication dans l’affaire n’a pas été confirmée.

5.12L’auteur réaffirme son grief concernant la longueur excessive de la procédure. Il ajoute qu’aucun acte d’instruction auquel il aurait participé n’a été accompli pendant qu’il se trouvait en détention dans l’unité d’enquête du Service national de sécurité. Alors que la phase d’enquête préliminaire est venue à son terme le 8 janvier 2013, aucune mesure n’a été prise avant le 20 mai 2013. Au cours de cette période, les demandes et requêtes que l’auteur et son avocat ont déposées et qui ont été visées par l’enquêteur au moment de leur remise ont disparu du dossier.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1En date du 4 janvier 2016, l’État partie a fait observer que les griefs de l’auteur devaient être rejetés pour défaut de fondement. L’État partie rappelle les faits de l’espèce, en particulier que l’auteur et M. Yu ont été arrêtés le 8 août 2012 et que leur placement en détention a été autorisé par une décision du tribunal de district de Kibraisk en date du 10 août 2012. La procédure judiciaire a duré du 19 avril au 6 juin 2013, ce qui est conforme aux dispositions de l’article 405 (par. 2) du Code de procédure pénale selon lequel la procédure ne doit pas durer plus de deux mois. Le tribunal de première instance a interrogé les coaccusés, le frère de l’auteur et MM. T., Yus, Sh. et S., qui étaient liés à l’infraction. Il a examiné les éléments de preuve écrits versés au dossier durant la phase de l’enquête préliminaire ; les parties n’ont formulé aucune remarque ou observation à cet égard. Le tribunal a examiné toutes les requêtes de l’avocat, comme celles qui demandaient que M. Yu fasse l’objet d’un examen médical, que d’autres témoins comparaissent à l’audience, notamment les témoins certificateurs, et que les plaintes pour faute visant des agents du Service des douanes, de la police et du Service national de sécurité soient annexées au dossier. Après examen, le tribunal a décidé que ces requêtes n’étaient pas pertinentes en l’espèce et les a rejetées, en vertu de l’article 438 du Code de procédure pénale.

6.2Le 10 octobre 2013, le tribunal régional de Tachkent a confirmé la déclaration de culpabilité de l’auteur. D’après le dossier et le verdict de culpabilité, l’auteur a été reconnu coupable sur la base des dépositions des témoins interrogés lors de l’instruction et de la procédure judiciaire, du rapport d’enquête, du compte rendu des circonstances établi lors de l’opération secrète et d’un plan connexe, du rapport d’examen des éléments de preuve matériels, et du poids de ces éléments, du rapport d’expert no 69 du 3 août 2013, du procès-verbal des contre-interrogatoires et d’autres éléments de preuve écrits. À l’audience, l’accusé, M. Yu, a déclaré qu’il avait témoigné contre l’auteur sous la pression exercée par les forces de l’ordre durant l’instruction et que l’auteur n’était pas impliqué dans l’affaire. Le tribunal de première instance a soigneusement examiné la déposition faite par M. Yu à l’audience. Il a pris note du fait que M. Yu avait déposé en présence de son avocat lorsqu’il avait été interrogé en qualité de suspect et d’inculpé et lorsqu’il avait été confronté à l’auteur, et que ni lui ni son avocat ne s’étaient plaints d’avoir subi des pressions de la part des agents des forces de l’ordre. Les plaintes de l’auteur ont aussi été soigneusement examinées et il a été conclu qu’elles ne correspondaient pas à la réalité et que l’auteur les avait déposées pour se soustraire à des poursuites pénales.

Délibérations

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire des articles 7, 9 et 14 du Pacte devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. À cet égard, il relève l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur ne s’est jamais plaint devant les autorités nationales de la longueur de l’enquête préliminaire ni de celle du procès. Compte tenu de la durée totale de la procédure et des explications fournies par les parties et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité considère que le grief que l’auteur tire du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif

7.4En ce qui concerne les autres griefs de l’auteur, tirés des articles 7, 9 (par. 1) et 14 (par. 3 b), e) et g)) du Pacte, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. En l’absence d’objection de l’État partie à ce sujet, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

7.5Le Comité considère que l’auteur a par ailleurs fourni des informations détaillées et a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses autres griefs au titre de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 3 b), c), e) et g) de l’article 14 du Pacte, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note du grief que l’auteur tire de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, à savoir qu’il a été torturé par des agents des forces de l’ordre, pendant qu’il se trouvait en détention entre août et novembre 2012, dans le but de le forcer à témoigner contre lui-même. Le Comité note que l’auteur décrit en détail les différents types de torture auxquels il a été soumis et qu’il produit des copies des plaintes que son avocat et lui‑même ont déposées auprès de diverses autorités au sujet de ces violations. Il prend note de la déclaration faite par l’auteur devant le tribunal municipal de Bekabad, disant qu’il serait en mesure d’identifier ses tortionnaires. Il prend note également de la déclaration faite par le frère de l’auteur devant le tribunal municipal, affirmant qu’il avait vu l’auteur, inconscient, dans le centre de détention temporaire. Le Comité relève aussi que l’État partie réfute ces allégations, principalement parce qu’il nie que l’auteur ait été détenu avant le 8 août 2012, et qu’il affirme que l’auteur ne s’est pas plaint d’avoir été torturé auprès de l’enquêteur ou par l’intermédiaire de son avocat au cours de la période de détention qui a suivi. Le Comité note, d’autre part, que l’État partie n’a pas nié que l’enquêteur ait été saisi d’une plainte de l’avocat, en date du 13 décembre 2013, qui dénonçait le fait que l’auteur avait été forcé de faire des aveux sous la torture et qui a été rejetée le lendemain au motif que les éléments de preuve à charge avaient été obtenus auprès de différentes sources. Le Comité prend note en outre de l’observation de l’État partie affirmant que les plaintes de l’auteur ont été soigneusement examinées par le tribunal mais rejetées parce qu’elles « ne correspondaient pas à la réalité », et que l’auteur les avait déposées « pour se soustraire à des poursuites pénales ». Le Comité relève par ailleurs que les éléments dont il est saisi montrent qu’aucune enquête indépendante n’a été menée par les autorités de l’État partie et que les requêtes de l’avocat demandant à ce que les lésions de l’auteur soient examinées par un médecin sont restées sans suite pendant l’instruction et le procès.

8.3 Le Comité rappelle que, quand une plainte pour mauvais traitements, contraires à l’article 7 du Pacte, a été déposée, l’État partie concerné doit faire procéder à une enquête rapide et impartiale. Le Comité rappelle en outre que l’État partie est responsable de la sécurité de toutes les personnes placées en détention et qu’en cas d’allégations de torture et de mauvais traitements, il incombe à l’État partie d’apporter des preuves réfutant les allégations de l’auteur. En l’absence d’explications complètes de l’État partie indiquant que ses autorités avaient examiné avec diligence, en toute indépendance et de manière satisfaisante les allégations de torture formulées par l’auteur, que ce soit dans le cadre de la procédure pénale interne ou dans celui de l’examen de la présente communication, le Comité doit accorder le poids voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.4Le Comité a examiné les griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, se plaignant d’avoir été privé de liberté du 3 au 8 août 2012 par des agents des forces de l’ordre sans qu’aucun chef d’accusation ne soit formulé et dénonçant le caractère illégal de sa détention avant jugement. Au sujet du premier grief, le Comité note que l’avocat a déposé, sans succès, plusieurs plaintes contestant la légalité de la détention de l’auteur. Le Comité prend note de la description détaillée qu’a faite l’auteur de sa détention entre le 3 et le 8 août 2012, particulièrement du fait que les familles et les avocats des détenus ont attendu ces derniers à l’extérieur des locaux de détention et leur ont fait parvenir de la nourriture. Il prend note également des déclarations faites par le frère de l’auteur et par MM. T. et Sh. devant le tribunal municipal de Bekabad, indiquant qu’ils avaient été détenus pendant cette période. Le Comité note que l’État partie nie que l’auteur ait été détenu avant le 8 août 2012 en dépit des dépositions de témoins affirmant le contraire, et soutient que l’auteur a d’abord été interrogé en qualité de témoin et n’a été inculpé et arrêté que le 8 août 2012. Le Comité rappelle qu’il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans que l’intéressé soit officiellement arrêté selon la législation nationale. Il relève en particulier que l’État partie n’a fourni aucune explication pertinente ni aucun élément réfutant les observations de l’auteur.

8.5Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que sa détention était illégale pendant toute la période concernée puisqu’elle est contraire à la législation pénale, le Comité prend note de l’explication de l’État partie indiquant que l’auteur a été, dans un premier temps, arrêté au titre de l’article 221 (par. 1) du Code de procédure pénale en qualité de suspect pris immédiatement après la commission d’une infraction et que, conformément à l’article 242 (par. 2) du Code de procédure pénale, la détention avant jugement peut être imposée pour des infractions passibles de peines inférieures à trois ans d’emprisonnement si certains critères sont satisfaits, à savoir si l’accusé a essayé de se soustraire aux enquêtes et à la justice, si l’identité du suspect n’a pas pu être établie, si l’accusé a déjà violé une mesure de contrainte qui lui a été imposée, si le suspect arrêté ou l’accusé n’a pas de résidence permanente en Ouzbékistan ou si l’infraction a été commise pendant que l’accusé exécutait une peine d’emprisonnement. Le Comité relève toutefois que l’État partie n’a donné aucune explication sur la question de savoir en quoi la détention de l’auteur satisfaisait à ces critères. D’autre part, le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que, du 8 janvier au 6 juin 2013, il se trouvait en détention sans ordonnance de mise en détention avant jugement, et que l’État partie n’a fourni ni explication à cet égard ni copie d’une ordonnance prolongeant sa détention ou ordonnant sa remise en liberté. Le Comité considère que, dans ces circonstances et en l’absence d’informations ou d’explications pertinentes de l’État partie, les faits tels qu’ils sont présentés constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

8.6S’agissant du grief de l’auteur qui se plaint de n’avoir pas pu consulter librement un avocat, ce qui a fait obstacle à la préparation de sa défense, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur qui prétend que l’enquêteur ne l’a pas autorisé à voir son avocat en privé jusqu’au 21 novembre 2012, c’est-à-dire pendant plus de trois mois après son arrestation le 3 août 2012 et son premier interrogatoire le 8 août 2012. En outre, l’auteur affirme que son avocat a été empêché de le représenter les 4 et 5 janvier 2013 alors que les chefs d’accusation portés contre lui avaient été modifiés à ce moment-là. Le Comité prend note de l’observation de l’État partie qui déclare que l’auteur et son avocat ont eu amplement l’occasion de se voir en privé, en particulier le 8 août 2012. Cependant, le Comité observe que l’État partie ne nie pas que les conditions dans lesquelles la rencontre du 8 août s’est tenue, c’est-à-dire en présence d’agents et avec un dispositif d’enregistrement de la conversation, empêchaient toute confidentialité. De plus, l’État partie n’a pas précisé les dates, la durée ni les conditions d’autres entretiens privés. Le Comité prend note aussi de l’observation de l’État partie selon laquelle l’avocat n’était pas disponible pour représenter l’auteur le 4 janvier 2013 et ne s’est pas opposé à la désignation d’un autre avocat, ce que l’auteur conteste. Le Comité prend note de l’observation de l’auteur indiquant que son avocat, qui a contacté tous les jours l’enquêteur, et en particulier le 5 janvier 2013, n’a pas été informé de la modification des chefs d’accusation et que l’auteur n’a pas été autorisé à s’entretenir avec lui au sujet de cet acte de procédure avant le 6 janvier 2013. Il relève en outre que l’État partie n’a pas expliqué en quoi une telle restriction des contacts de l’auteur avec son avocat était nécessaire. Il prend note enfin du fait que trois nouveaux chefs ont été ajoutés à l’acte d’accusation, et que l’auteur a été interrogé au sujet des nouveaux chefs d’accusation et qu’il a refusé de signer le procès-verbal d’interrogatoire et le nouvel acte d’accusation en l’absence de l’avocat qu’il avait personnellement engagé et auquel il faisait confiance. Dans ces circonstances et compte tenu des éléments dont il est saisi, le Comité considère que les faits tels qu’ils sont présentés font apparaître une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

8.7Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas été autorisé à obtenir la comparution et l’interrogatoire de plusieurs témoins qui auraient pu confirmer son innocence, dont celle de A., qui était à l’instigation de l’affaire, et des témoins certificateurs, qui étaient pourtant disponibles, alors que tous les témoins à charge ont été entendus par le tribunal. En particulier, le tribunal municipal de Bekabad a rejeté la requête de l’avocat demandant la comparution d’autres témoins au motif que ceux-ci n’avaient pas été identifiés en tant que tels par l’enquête.

8.8Le Comité rappelle que le paragraphe 3 e) de l’article 14 garantit le droit de l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. En tant qu’application du principe de l’égalité des armes, cette garantie est importante car elle permet à l’accusé et à son conseil de conduire effectivement la défense et garantit donc à l’accusé les mêmes moyens juridiques qu’à l’accusation pour obliger les témoins à être présents et pour interroger tous les témoins à charge ou les soumettre à un contre-interrogatoire. Elle ne confère pas cependant un droit illimité d’obtenir la comparution de tout témoin demandée par l’accusé ou son conseil, mais garantit seulement le droit de faire comparaître les témoins utiles pour la défense et d’avoir une possibilité adéquate d’interroger les témoins à charge et de les soumettre à un contre-interrogatoire à un stade ou un autre de la procédure.

8.9Le Comité prend note des observations de l’État partie qui affirme que tous les témoins au fait des événements ont été interrogés, que deux témoins supplémentaires ont été interrogés à la demande de l’avocat, qu’il n’était pas possible d’établir l’identité de A. et l’endroit où il se trouvait, que ni l’auteur ni son avocat n’ont demandé à ce que des agents du Service des douanes et du Service national de sécurité soient interrogés après examen du dossier, et que, en tout état de cause, l’enquêteur et le tribunal municipal de Bekabad n’ont pas jugé nécessaire ou pertinent d’interroger d’autres témoins. Le Comité relève cependant que la majorité des témoins dont l’interrogatoire avait été demandé par l’auteur et son avocat n’ont pas été interrogés devant le tribunal municipal de Bekabad et le tribunal régional de Tachkent et que l’État partie n’a donné aucune explication à ce sujet. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 3 b), e) et g) de l’article 14 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il doit notamment accorder pleine réparation aux personnes dont les droits au titre du Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu : a) d’annuler la condamnation de l’auteur et les conséquences qu’elle a eues, notamment en mettant fin immédiatement à l’incarcération de l’auteur, en prenant les mesures appropriées pour le libérer sur le champ et, au besoin, en menant un nouveau procès qui réponde aux principes d’une procédure équitable et de la présomption d’innocence ainsi qu’à d’autres garanties de procédure ; et b) de mener une enquête approfondie et diligente sur les allégations de l’auteur concernant des actes de torture, de poursuivre les responsables de ces actes et de les sanctionner par des peines proportionnées à la gravité du crime et d’offrir une indemnisation adéquate et des mesures de réparation appropriées. Il est également tenu de prendre toutes les mesures voulues pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle de l’État et à les diffuser largement.