Nations Unies

CCPR/C/119/D/2146/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

12 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2146/2012 * , **

Communication présentée par :

Zhaslan Suleimenov (représenté par un conseil, Anara Ibraeva, du Bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

14 janvier 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 20 avril 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

21 mars 2017

Obj et:

Torture et mauvais traitements en détention

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture − droit à une enquête diligente et impartiale ; liberté de pensée, de conscience ou de religion ; conditions de détention

Article(s) du Pacte :

7, lu conjointement avec l’article 2, et 9, 10, 14 et 18

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est Zhaslan Suleimenov, de nationalité kazakhe, né en 1976. Il affirme que le Kazakhstan a violé les droits qu’il tient de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2, et des articles 9, 10, 14 et 18 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur dit qu’il est handicapé et se déplace en fauteuil roulant. Le 5 janvier 2009, accompagné par trois autres personnes, il s’est rendu dans la Fédération de Russie pour recevoir un traitement médical dans la ville de Piatigorsk. Le 8 janvier 2009, ses compagnons de voyage et lui ont été arrêtés près de Naltchik par des membres des forces de police spéciales. Ils ont été conduits au commissariat local, où ils ont passé la nuit. Le 9 janvier 2009, ils ont été transférés au Centre antiterroriste de Naltchik, où ils ont été interrogés sur le but de leur voyage. Puis ils ont été conduits dans un hôtel où ils ont été détenus de facto pendant un mois avant d’être expulsés vers le Kazakhstan.

2.2L’auteur a été conduit à plusieurs reprises à l’unité de police antiterroriste pour être interrogé et, deux semaines avant leur expulsion, ses compagnons et lui ont été interrogés dans l’hôtel. Ils ont été frappés et soumis à d’autres formes de mauvais traitements par des agents des services du renseignement russe qui cherchaient à leur faire avouer qu’ils avaient constitué un groupe terroriste. Aucune action pénale n’a cependant été intentée contre eux et les autorités russes ont décidé de les renvoyer au Kazakhstan pour violation des règles d’immigration.

2.3L’auteur affirme que, le 4 février 2009, ses compagnons et lui-même ont été conduits en bus à la frontière russo-kazakhe. Le 5 février 2009, ils ont été remis à plusieurs agents masqués du Comité de la sécurité nationale de la région d’Atyraou (Kazakhstan), qui se sont mis immédiatement à les frapper, à leur tordre les bras derrière le dos et à les menotter, à les insulter et à les menacer de longues peines d’emprisonnement. Les agents ont aussi tiré les bonnets de l’auteur et de ses compagnons sur leurs visages, les empêchant de respirer correctement, et les ont accusés d’être des « terroristes ».

2.4L’auteur affirme aussi que leur groupe a ensuite été transféré à Astana. Les autorités ont mis deux jours − du 5 au 7 février 2009 − pour les conduire d’Atyraou à Astana. Pendant le trajet, l’auteur se trouvait placé dans une voiture le dos contre la vitre froide et a été frappé sur ses jambes paralysées. On a mis un sac sur la tête des quatre membres du groupe, on les a privés de nourriture et ils n’ont pas été autorisés à aller aux toilettes. L’auteur dit également qu’il a eu des contusions sur les mains à cause des menottes trop serrées et qu’à cause du bonnet de laine qui lui recouvrait le visage et l’empêchait de respirer, il avait perdu plusieurs fois connaissance.

2.5Le 7 février 2009, l’auteur a été transféré au Comité de la sécurité nationale d’Astana. Il a été jeté par terre, roué de coups de pied et frappé, puis placé dans une cage de fer fermée appelée « le verre », où il a failli suffoquer. À cause des températures extrêmement basses, il a contracté des engelures. Les coups reçus sur sa jambe gauche ont provoqué une grave plaie ouverte qui n’était toujours pas cicatrisée au moment où l’auteur a soumis sa communication. Le fait d’être resté couché sur le sol froid lui a causé une inflammation pulmonaire. L’auteur a en outre développé une ostéomyélite à la cuisse gauche. Ses demandes de soins médicaux ont été ignorées par l’unité médicale du centre de détention provisoire et il n’a pas été autorisé à utiliser son fauteuil roulant.

2.6L’auteur affirme que, le 7 février 2009, on l’a interrogé jusqu’à minuit au Département d’enquête du Comité de la sécurité nationale d’Astana pour l’obliger à avouer qu’il avait constitué un groupe terroriste. Il a été reconduit le 8 février 2009 à 2 heures du matin au centre de détention provisoire du Comité de la sécurité nationale, où il est resté détenu pendant quatre jours sans que sa détention ait été sanctionnée par une décision judiciaire. Le 10 février 2009, le tribunal no 2 du district Almatinsk d’Astana a finalement autorisé sa détention.

2.7Le 21 janvier 2009, le frère de l’auteur, indépendamment de lui, a été arrêté pour possession d’explosifs et inculpé deux mois plus tard de constitution d’un groupe terroriste. Le 7 février 2009, une action pénale a été ouverte contre l’auteur et son frère au titre de l’article 233-2, partie 1, du Code pénal (« constitution ou direction d’un groupe terroriste et participation à ses activités »). Le 13 avril 2009, de nouveaux chefs d’accusation ont été portés contre eux au titre de l’article 233-1, partie 1 (« soutien au terrorisme ou appel à la commission d’un acte terroriste »). C’est seulement le 11 février 2009 que l’auteur a été transféré dans un centre d’enquête préliminaire d’Astana. Il a passé deux mois et demi en détention dans une cellule sans lumière ressemblant à un bunker, réservée aux condamnés à perpétuité, le but étant d’obtenir de lui des aveux.

2.8L’auteur a été accusé d’avoir préparé la commission d’actes terroristes en Fédération de Russie. Il aurait formé un jamaat(groupe religieux illégal), tenu plusieurs réunions chez lui avec ses connaissances et projeté des films sur l’exécution de soldats russes, sur des opérations militaires dans le Caucase et sur les violences qu’auraient commises les autorités contre la population pacifique de Tchétchénie. Les autorités ont aussi affirmé qu’il avait ordonné aux participants aux réunions de fabriquer des engins explosifs artisanaux. D’après l’enquête, une arme pneumatique et des munitions ont été achetées sur son ordre. L’auteur a pris la direction du groupe et a donné aux membres des cours de religion et d’idéologie, leur a inculqué des compétences en matière militaire et de renseignement et leur a appris à trouver de la littérature concernant des thèmes religieux, notamment sur Internet. Il a aussi été accusé d’avoir persuadé cinq de ses connaissances de se rendre dans la Fédération de Russie pour rejoindre les groupes armés illégaux dirigés par l’« Émir des moudjahidines du Caucase », d’avoir planifié leur voyage et de les avoir scindés en deux groupes qui se sont rendus dans la Fédération de Russie par deux itinéraires différents, de leur avoir acheté deux cartes SIM pour qu’ils échappent aux écoutes téléphoniques et de leur avoir interdit de téléphoner chez eux.

2.9L’auteur s’est plaint d’avoir été torturé lors de son premier interrogatoire, le 7 février 2009. Or, selon lui, ce n’est que neuf mois plus tard, par une lettre datée du 20 novembre 2009, que le Département d’enquête du Comité de la sécurité nationale d’Astana l’a informé de son refus d’engager des poursuites pénales à la suite de sa plainte pour torture, décision qui a été confirmée par le bureau du Procureur. À l’audience, l’auteur et sa tante se sont plaints à plusieurs reprises auprès du bureau du Procureur et du tribunal, affirmant que le dossier pénal avait été forgé de toutes pièces, que l’auteur avait été soumis à des mauvais traitements et que son arrestation et sa détention étaient illégales. L’auteur a aussi demandé plusieurs fois à être hospitalisé en raison de son mauvais état de santé, mais aucune de ses demandes n’a abouti.

2.10Le 30 novembre 2011, le tribunal no 2 du district Almatinsk d’Astana a condamné l’auteur et son frère à huit ans d’emprisonnement. Le 11 décembre 2009, l’auteur a fait appel auprès du tribunal municipal d’Astana et, le 23 décembre 2009, il a complété son appel. Le 12 février 2010, le tribunal municipal d’Astana a confirmé la décision rendue en première instance. Le 24 février 2010, la tante de l’auteur a formé un recours en cassation qui a été rejeté au motif qu’elle n’était pas le représentant légal de son neveu. L’auteur lui-même ne s’est pas pourvu en cassation. Ses requêtes au titre de la procédure de contrôle n’ont pas davantage abouti.

2.11L’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes. S’il n’a pas formé de recours en cassation, c’est qu’il n’a pas tout de suite reçu la décision du tribunal d’Astana en date du 12 février 2010. Conformément à l’article 420-1, paragraphe 3, du Code de procédure pénale, un recours en cassation peut être formé dans les quinze jours à compter de la date de réception de la décision de la juridiction d’appel. Or, juste après l’expiration de ce délai, l’auteur a été transféré, le 27 février 2010, dans une autre prison située dans une autre région du Kazakhstan et n’était matériellement pas en mesure de préparer et de former un recours en cassation. De plus, n’ayant pas de connaissances juridiques et ne bénéficiant pas d’une aide juridictionnelle suffisante de la part de ses avocats commis d’office, il n’était pas capable de préparer seul un tel recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a été torturé et maltraité par des membres des forces de l’ordre, en violation de l’article 7 du Pacte. Il dit qu’il a été détenu au secret et n’a pas été autorisé à recevoir la visite de sa famille. Il affirme en outre qu’il est aussi soumis à des mauvais traitements dans la prison où il se trouve actuellement détenu. Sa tante a déposé une plainte à ce sujet auprès du bureau du Procureur le 12 septembre 2011.

3.2L’auteur dénonce également une violation des droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte. Le tribunal a prolongé sa détention à plusieurs reprises, ignorant ses nombreuses demandes tendant à ce qu’on le transfère dans une maison d’arrêt étant donné son handicap, son mauvais état de santé et son besoin d’assistance spéciale. Le 2 avril 2009, le tribunal a prolongé sa détention de trois mois au motif qu’il n’était pas possible de clore la procédure dans les délais parce que les résultats de l’expertise judiciaire n’avaient pas été reçus. L’auteur a contesté cette décision mais le tribunal municipal d’Astana l’a confirmée le 29 avril 2009 sans se prononcer sur la question de la légalité de son arrestation. L’enquête préliminaire a été retardée par les autorités, ce qui fait qu’il a passé onze mois en détention provisoire, en violation de son droit à être jugé sans retard excessif.

3.3L’auteur affirme aussi être victime d’une violation de l’article 10 du Pacte. Il a été soumis à des mauvais traitements et ses demandes d’assistance médicale ont été systématiquement rejetées. Les conditions de détention ne sont pas adaptées aux besoins particuliers des personnes handicapées et son état de santé s’est encore détérioré.

3.4L’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 14 ont été violés. Il fait valoir que les juridictions n’ont pas respecté les principes d’impartialité et d’égalité des armes. De plus, lors de son arrestation, il a été traité comme un criminel par les agents du Comité de la sécurité nationale du Kazakhstan, en violation de son droit à la présomption d’innocence. Il a en outre été empêché de se défendre correctement. Son avocat ayant été incapable d’assurer effectivement sa défense, il a refusé ses services et demandé au tribunal de lui en désigner un autre.

3.5L’auteur fait en outre état d’une violation des droits qu’il tient de l’article 18. Il a été condamné pour constitution d’un groupe terroriste sur la base de textes religieux et d’autres documents trouvés en sa possession. Il affirme que ce sont des agents du Comité de la sécurité nationale qui les ont placés dans son appartement. De plus, lors de son transfert à Astana (Kazakhstan), les agents buvaient de l’alcool et mangeaient du porc et l’avaient invité à se joindre à eux. Ils tenaient des propos injurieux à son égard et à l’égard de sa religion.

Observation de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par note du 26 juin 2012 et du 8 novembre 2012, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il a contesté la recevabilité de la communication pour plusieurs raisons.

4.2Premièrement, l’État partie affirme qu’en raison du principe ratione temporis, le Comité ne devrait, de toute façon, pas pouvoir être saisi de l’affaire. Les obligations de l’État partie au titre du Protocole facultatif sont entrées en vigueur le 30 septembre 2009 ; or les faits allégués par l’auteur se sont produits avant cette date.

4.3Les allégations de l’auteur, qui affirme qu’il était toujours soumis à des actes de torture au moment où il a présenté sa communication et qu’il a été torturé par plusieurs policiers du Comité de la sécurité nationale de la région d’Atyraou, ont été examinées par l’État partie et n’ont pu être confirmées. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable.

4.4Deuxièmement, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Il a été placé en détention le 9 janvier 2009 à Naltchik, dans la Fédération de Russie. Il a été extradé vers le Kazakhstan, où il était recherché pour avoir commis plusieurs infractions, notamment pour avoir dirigé une organisation terroriste et commis des actes illégaux avec des armes. Il a été inculpé le 7 février 2009 et placé en détention provisoire. Le 2 avril 2009, sa détention a été prolongée jusqu’au 7 mai 2009. Le 13 avril 2009, l’auteur a été accusé de nouvelles infractions, notamment de propagande terroriste et d’appel public à commettre des actes terroristes. Le bureau du Procureur a finalement renvoyé l’affaire au tribunal le 30 juin 2009. Entre-temps, tous les chefs d’inculpation portés contre les autres défendeurs, C. H., A. B., G. R., B. E. et S. M., avaient été abandonnés en vertu du paragraphe 2 de l’article 65 du Code pénal après que les intéressés eurent coopéré à l’enquête.

4.5L’auteur n’a pas été soumis à des actes de torture ni à des pressions visant à le contraindre à faire des aveux. C. H., A. B., G. R., B. E. et S. M. ont témoigné de leur plein gré, en présence de leurs avocats, et les interrogatoires ont fait l’objet d’un enregistrement vidéo. Le 30 novembre 2009, l’auteur a été condamné à une peine de huit ans d’emprisonnement, à exécuter dans une prison à régime sévère.

4.6Les 23 juin, 14 juillet et 21 octobre 2009, l’auteur a saisi le bureau du Procureur pour violation de ses droits constitutionnels. Ses deux premières plaintes ne contenaient aucune allégation de mauvais traitements. Conformément à la loi, le bureau du Procureur a renvoyé toutes ces plaintes au tribunal. De plus, le 12 février 2010, l’auteur a été débouté de son appel par la chambre juridictionnelle des affaires pénales du tribunal régional d’Astana. Il n’a pas déposé de recours au titre de la procédure de contrôle auprès de la Cour suprême du Kazakhstan.

4.7L’État partie affirme en outre que la tante de l’auteur, S. M. M., a déposé une plainte auprès du bureau du Procureur général au nom de l’auteur. Les 7 décembre 2010 et 24 août 2011, le Procureur général a refusé d’engager une procédure de contrôle auprès de la Cour suprême. L’auteur n’a lui-même jamais soumis un tel recours.

4.8En ce qui concerne les allégations de l’auteur, qui se plaint de n’avoir pas reçu d’assistance médicale, l’État partie déclare que l’auteur a reçu une aide médicale chaque fois qu’il en a fait la demande. Mis à part le fait que l’auteur se sert d’un fauteuil roulant, son état de santé a été jugé « satisfaisant ». L’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que l’auteur a déposé 19plaintes auprès de divers organismes publics. Dans ces plaintes, l’auteur conteste différents aspects de la procédure pénale menée contre lui ainsi que le jugement du tribunal. Il ne s’est toutefois jamais plaint de ses conditions de détention.

4.9Actuellement, l’auteur est détenu dans la prison no 166/4, à Atbasar, où il a fait l’objet de deux sanctions disciplinaires pour différentes infractions au règlement de l’établissement.

4.10À propos des allégations de l’auteur, qui prétend se sentir menacé s’il saisit le Comité, l’État partie dit que l’auteur a imaginé ce grief uniquement pour se soustraire à l’obligation d’épuisement des recours internes imposée par le Comité. L’auteur n’a donc pas épuisé tous les recours internes à sa disposition et sa communication devrait être déclarée irrecevable.

4.11Sur le fond, l’État partie dit que le bureau du Procureur a renvoyé au tribunal, comme l’exige la loi, les plaintes de l’auteur. Le tribunal les a examinées et a jugé qu’elles « n’étaient pas fondées ».

4.12Le 28 décembre 2009, la Cour suprême du Kazakhstan a adopté son instruction no 7, qui oblige les tribunaux à confier au procureur le soin de procéder à l’examen des plaintes faisant état de « méthodes d’enquête illicites ». Le jugement concernant l’auteur ayant été rendu avant l’adoption de cette instruction, celle-ci n’est pas applicable aux allégations de l’auteur.

4.13Comme indiqué précédemment, l’auteur se plaint également de n’avoir pas bénéficié d’une assistance médicale, ce qui, d’après lui, était toujours le cas au moment où il a soumis sa communication. Le jour où il a été écroué, le 27 février 2010, l’auteur a été enregistré comme handicapé. Le 27 mars 2010, il a été conduit à la Clinique centrale no 162/2 et a reçu les soins médicaux dont il avait besoin. Entre le 17 juin et le 9 septembre 2010, il a été hospitalisé à l’hôpital national no 156/15. Les médecins de l’hôpital ont envisagé une opération, mais il a finalement été décidé que celle-ci n’était pas nécessaire et serait « inefficace ».

4.14L’État partie dément en outre les allégations de torture et de mauvais traitements. La Constitution proscrit expressément la torture. Le Code pénal kazakh, en son article 141-1, interdit également la torture. Toute personne reconnue coupable d’acte de torture encourt de cinq à dix ans d’emprisonnement. De plus, le bureau du Procureur général a adopté une instruction, en date du 2 février 2010, qui crée une obligation d’enquêter sur les allégations de torture. Lorsqu’une plainte pour torture est jugée crédible, le bureau du Procureur est tenu d’engager des poursuites pénales. De ce fait, le nombre de plaintes pour torture a augmenté ces dernières années.

4.15Les autorités s’emploient aussi à améliorer les conditions de détention en construisant de nouveaux centres de détention conformes aux normes internationales. L’accès aux soins médicaux et aux services juridiques s’est par conséquent amélioré. L’auteur a bénéficié de tous les services médicaux dont il avait besoin et a pu rencontrer son avocat.

4.16En ce qui concerne le grief de l’auteur, qui prétend que ses plaintes pour torture n’ont pas fait l’objet d’une enquête sérieuse, l’État partie informe le Comité que l’auteur n’a pas déposé de plainte au cours de l’instruction pénale. Quant aux audiences, l’État partie indique que, le 1er octobre 2009, le tribunal a entendu la déposition de T. A., enquêteur du Comité de la sécurité nationale, qui a déclaré que l’auteur et les témoins n’avaient jamais été soumis à aucune sorte de pressions ou de mauvais traitements. Comme il ressort clairement du dossier de l’instruction, l’auteur et les témoins ont été interrogés en présence de leurs avocats respectifs.

4.17Les lois du Kazakhstan prévoient en outre l’indemnisation du préjudice moral et matériel causé par des actes illicites des organes des forces de l’ordre.

4.18Pour ce qui est des plaintes formulées par l’auteur au sujet de la durée de sa détention provisoire, l’État partie informe le Comité que le temps passé par l’auteur en détention était justifié par la nécessité de procéder à diverses expertises judiciaires. En outre, le 13 avril 2009, l’auteur a été inculpé de nouvelles infractions visées au paragraphe 1 de l’article 233-1 du Code pénal.

4.19L’État partie a examiné les minutes des audiences. Il confirme que l’auteur a demandé que la peine d’emprisonnement dont il faisait l’objet soit exécutée en maison d’arrêt, invoquant des problèmes de santé. Interrogée à la demande du tribunal, l’administration du centre de détention a indiqué que l’auteur avait reçu toute l’assistance médicale voulue. Les dossiers judiciaires indiquent en outre que, le 22 octobre 2009, l’auteur avait appelé une ambulance au centre de détention. Les médecins sollicités n’avaient pas jugé nécessaire de conduire l’intéressé à l’hôpital.

4.20De plus, il ressort des dossiers judiciaires que le responsable de l’unité médicale no 166/1 a déclaré, lorsqu’il a été interrogé en qualité de témoin, que l’auteur avait été examiné par plusieurs médecins lors de son admission au centre de détention. Outre son handicap, on avait constaté qu’il souffrait d’une gastrite. Les médecins ont aussi confirmé que l’auteur souffrait d’escarres, pour lesquelles un traitement lui a été prescrit.

4.21Le 18 février 2011, une commission médicale spéciale a rejeté la demande de remise en liberté de l’auteur. L’auteur faisait valoir qu’il ne pouvait pas obtenir en prison l’assistance médicale dont il avait besoin. La commission médicale a conclu que l’état de l’auteur était stable et qu’il avait reçu les soins médicaux nécessaires. En outre, l’auteur a été inculpé et condamné pour une infraction particulièrement grave. De plus, lorsqu’il purgeait sa peine, il a fait l’objet par deux fois de sanctions disciplinaires pour infraction au règlement carcéral.

4.22Conformément aux règles applicables, l’auteur a reçu sept visites de sa famille − trois visites de longue durée et quatre visites de courte durée. Il a en outre reçu huit colis contenant différents objets et articles. L’État partie fait valoir également que l’auteur est en mesure de pratiquer sa religion dans les limites des dispositions du paragraphe 5 de l’article 12 du Code d’exécution des peines. L’auteur n’a jamais déposé la moindre plainte concernant l’administration de la prison.

4.23Quant au droit de l’auteur d’être présent aux audiences d’appel, conformément aux paragraphes 2 et 3 de l’article 408 du Code de procédure pénale, le tribunal a le pouvoir de décider de demander ou non la présence de l’appelant. L’appelant comparaît devant le tribunal si le recours est formé par le ministère public. Le recours de l’auteur en date du 30 novembre 2009 a été examiné en présence de l’avocat de l’auteur.

4.24L’État partie fait valoir en outre que, depuis le 1er juillet 2012, les appelants ont aussi la possibilité de se pourvoir en cassation. Les recours ordinaires sont formés avant que le jugement devienne exécutoire, les recours en cassation après. Ces deux voies de recours doivent être épuisées avant qu’il soit possible de déposer une requête au titre de la procédure de contrôle auprès de la Cour suprême. Compte tenu de toutes les informations mentionnées plus haut, l’État partie affirme qu’il n’y a pas eu violation des articles du Pacte dans le cas de l’auteur.

Observations complémentaires

Observations de l’auteur

5.1Le 11 septembre 2012, le 28 mars 2013, les 20 janvier, 4 juin et 11 septembre 2014, et les 19 février, 20 mars, 12 juin et 1er décembre 2015, ainsi que les 15 janvier, 1er février, 11 avril et 6 janvier 2016, l’auteur a communiqué des renseignements complémentaires. Il fait valoir, notamment, que l’argument ratione temporis de l’État partie n’est pas pertinent en l’espèce puisque les violations des articles du Pacte se sont poursuivies après le 30 septembre 2009 et jusqu’à la date où il a soumis sa communication.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur explique que sa tante a saisi le bureau du Procureur d’un recours au titre de la procédure de contrôle, qui a été rejeté. Le frère et coaccusé de l’auteur, Z. K., a également déposé un tel recours, qui a été rejeté par la Cour suprême.

5.3En ce qui concerne les observations de l’État partie sur le fond, l’auteur dit que les autorités, au lieu de procéder à une enquête sur ses plaintes pour torture, les ont renvoyées au tribunal. Le tribunal n’a mené aucune enquête, se bornant à interroger trois membres des forces de l’ordre qui ont nié avoir commis un quelconque acte illicite. De plus, le 17 septembre 2009, lors d’une audience, le tribunal a refusé d’admettre l’une des plaintes écrites de l’auteur. Le juge a simplement déclaré que l’auteur devait adresser ses plaintes au service de sécurité interne du Comité de la sécurité nationale.

5.4L’auteur affirme que, contrairement à ce que prétend l’État partie, il a déposé sa première plainte pour torture lors de son interrogatoire initial le 7 février 2009. LeProcureur général adjoint a simplement répondu que les faits de torture n’avaient pas été confirmés. Les autorités de l’État partie ont ignoré de multiples plaintes concernant des coups, le manque de nourriture et l’absence d’accès à une assistance médicale. À six occasions différentes, les autorités ont refusé d’ouvrir une information judiciaire au sujet des plaintes de l’auteur.

5.5L’auteur affirme aussi qu’il est détenu de fait depuis le 9 janvier 2009 mais n’a été enregistré auprès des autorités médicales que le 27 février 2010 et n’a fait l’objet d’un diagnostic correct que le 5 avril 2010, ce qui prouve qu’il n’a pas reçu les soins médicaux nécessaires pendant plus d’un an. Alors qu’il souffre de problèmes de santé importants, on lui a prescrit des analgésiques. Si l’auteur ne s’est pas plaint auprès des médecins de la prison, c’est simplement parce qu’il ne pouvait pas se déplacer seul.

5.6Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie concernant le nombre croissant d’enquêtes pour faits de torture, l’auteur relève que la majorité de ces enquêtes ne débouchent pas sur des poursuites. Par exemple, en 2012, cinq affaires seulement sur les 28 qui ont été engagées ont été renvoyées à la justice.

5.7L’auteur affirme en outre qu’on lui a assigné quatre avocats différents à différentes étapes de la procédure pénale. Tous les quatre se sont avérés inutiles et n’ont pas correctement assuré sa défense. Par exemple, Z. H., la deuxième de ses avocats, a exigé 1 000 dollars des États-Unis pour ses services alors qu’elle était rémunérée par l’État. Au cours des dix mois qu’il a passé en détention provisoire, l’auteur n’a reçu que deux fois la visite de ses avocats.

5.8Les tribunaux n’ont pas examiné la demande de mise en liberté provisoire motivée par son état de santé que l’auteur a présentée. Celui-ci a fait plusieurs demandes en ce sens, dont les tribunaux n’ont pas tenu compte. Une fois seulement, le 8 septembre 2009, le tribunal a traité la requête et a répondu que l’auteur recevait dans le centre de détention tous les soins médicaux dont il avait besoin.

5.9L’État partie n’a pas non plus procédé à une enquête efficace et impartiale sur les plaintes déposées par l’auteur pour faits de torture. Le 1er octobre 2009, le tribunal a interrogé l’enquêteur principal du Comité de la sécurité nationale d’Astana, T. A., qui a déclaré que ni l’auteur et les autres défendeurs, ni les témoins n’avaient été soumis à la torture ou à d’autres formes de pressions quelles qu’elles soient. Comme l’exigent les normes internationales, l’État partie ne peut pas procéder de manière théorique lorsqu’il enquête sur des faits de torture mais doit, au contraire, s’efforcer par tous les moyens de mener une enquête approfondie et efficace.

5.10L’auteur a été inculpé le 7 février 2009. D’autres chefs d’inculpation ont été portés contre lui trois mois plus tard. La décision initiale du tribunal de le placer en détention provisoire et la décision ultérieure de prolonger sa détention étaient fondées uniquement sur la gravité des chefs d’inculpation. Le tribunal n’a pas considéré les autres circonstances de l’affaire, notamment l’état de santé de l’auteur.

5.11Pendant qu’il était emprisonné, l’auteur a été placé plusieurs fois à l’isolement par mesure disciplinaire. L’explication donnée par l’administration pénitentiaire était qu’il lui était interdit de rencontrer d’autres prisonniers car, dans le cas contraire, il diffuserait ses idées « terroristes ». Actuellement, l’auteur est détenu dans une unité d’isolement de la section médicale de la prison no 166/18.

5.12Les libertés religieuses de l’auteur ont été régulièrement violées par l’État partie. On l’a soumis à des menaces parce qu’il priait régulièrement et à des pressions pour qu’il dénonce sa religion. En prison, l’auteur est enregistré comme un prisonnier qui a commis des crimes motivés par la religion. Dans un complément à son appel en date du 23 décembre 2009, il s’est plaint d’atteintes à ses libertés religieuses.

5.13L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, en particulier qu’il n’a pas formé de recours en appel ni de recours en cassation, ni par la suite saisi la Cour suprême d’un recours au titre de la procédure de contrôle. Les dispositions de la loi établissant le recours en cassation sont entrées en vigueur le 1er juillet 2012. L’auteur a soumis sa communication au Comité le 14 janvier 2011. Il affirme cependant que sa tante a déposé un recours en cassation en son nom. Il ne pouvait personnellement pas former un tel recours parce qu’il avait quinze jours pour le faire et que la cour d’appel ne lui avait pas communiqué de copie de sa décision du 27 février 2010. À ce moment-là, il était en train d’être conduit au lieu de son incarcération et ne pouvait matériellement pas préparer de recours.

5.14En ce qui concerne la procédure de contrôle, l’auteur affirme que son frère et coaccusé, Z. K., a déposé un recours à ce titre auprès de la Cour suprême, qui l’a rejeté. D’une façon générale, la procédure de contrôle ne peut pas être considérée comme un recours interne utile. Après avoir déposé auprès du bureau du Procureur, au nom de son neveu, des recours au titre de la procédure de contrôle, la tante de l’auteur a reçu deux réponses, datées respectivement du 7 décembre 2010 et du 24 août 2011, dans lesquelles le bureau du Procureur lui refusait le droit de saisir la Cour suprême de tels recours.

5.15L’auteur dit aussi avoir été traité durement quand il était détenu dans le centre no 162/4. Par exemple, le 6 septembre 2011, à 5 heures du matin, E. S., l’un des gardiens, ainsi que deux soldats, ont fait irruption dans sa cellule et se sont mis à lui hurler dessus et à fouiller les lieux. N’ayant rien trouvé, E. S. a menacé de placer l’auteur à l’isolement. Le 8 septembre 2011, le directeur adjoint de la prison, A. M., ainsi que d’autres agents pénitentiaires, sont entrés dans la cellule de l’auteur, ont entrepris de l’insulter, l’ont accusé de « faire semblant d’être handicapé » et l’ont poussé de son lit comme s’il pouvait marcher ; ils l’ont cogné contre le mur et lui ont pris ses objets personnels, notamment une bouilloire électrique et un appareil de chauffage.

5.16L’auteur répète qu’on l’a torturé pour lui extorquer des aveux et qu’on a aussi torturé ses coaccusés pour qu’ils témoignent contre lui. Une fois leurs dépositions obtenues par la contrainte, ces derniers ont été entendus en seule qualité de témoins. Or même à ce titre, ils ont admis à l’audience qu’ils avaient subi des pressions visant à les contraindre à déposer contre l’auteur. G. R., l’un des témoins, a déclaré devant le tribunal que des membres des forces de l’ordre l’avaient pendu « la tête en bas, lui avaient administré des décharges électriques et lui avaient mis un tournevis dans l’oreille », de sorte qu’il avait été obligé de faire des aveux.

Observations de l’État partie

6.1Le 10 décembre 2013 et les 8 mai, 5 août et 31 décembre 2014, ainsi que les 28 janvier, 6 mai, 31 juillet et 29 décembre 2015 et les 12 janvier, 11 mars, 19 août et 25 novembre 2016, l’État partie a réitéré ses observations sur la recevabilité et sur le fond.

6.2L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Le frère et coaccusé de l’auteur a bien déposé un recours au titre de la procédure de contrôle mais l’auteur a été inculpé de nouvelles infractions qui ont modifié son dossier.

6.3L’État partie affirme en outre que, comme il l’a indiqué dans ses observations initiales, l’auteur a bénéficié de tous les soins médicaux nécessaires. Ses plaintes pour torture ont été examinées et il a été établi que ni l’auteur ni les témoins n’avaient été maltraités.

6.4L’État partie indique que, le 23 septembre 2011, le Département contre la criminalité économique et la corruption a été saisi d’une plainte de l’auteur. Celui-ci prétendait que, le 8 septembre 2011, le directeur adjoint de la prison no 162/4 de la région de Pavlodar, A. M., et l’un des agents, K. A., étaient entrés dans sa cellule et l’avaient fouillée, et que, au cours de l’opération, ils avaient « maltraité l’auteur moralement et physiquement ». K. A. a été interrogé au sujet de cet incident présumé. Il a confirmé que la cellule de l’auteur avait bien été fouillée et que des « objets interdits » avaient été découverts ; aucune forme de pression, physique ou autre, n’avait été exercée contre l’auteur. Les autorités ont donc refusé d’ouvrir une enquête pénale.

6.5Le 11 mai 2014, l’auteur a reçu la visite d’un représentant du bureau du Procureur et de représentants du mécanisme national de prévention. L’auteur, qui était alors détenu dans la prison no 166/18, a été examiné et il a été établi qu’il recevait des soins médicaux appropriés. Le 21 avril 2014, l’auteur était devenu agressif et avait refusé de retourner dans sa cellule. L’infirmière chargée de s’occuper de lui, P. U., avait porté plainte contre lui pour insulte. L’administration de la prison no 166/18 a donné des explications d’où il ressort que l’auteur n’a jamais subi de pression ni été menacé physiquement ou maltraité.

6.6En août 2014, l’auteur a fait une demande de libération anticipée. Le 26 septembre 2014, le tribunal pénal de la région d’Akmola a rejeté cette demande.

6.7L’État partie affirme également que l’auteur non seulement a été examiné par les autorités pénitentiaires mais a aussi subi des examens dans des cliniques privées, en juin et en septembre 2014. À plusieurs occasions, comme par exemple du 2 au 13 avril 2013, du 8 au 14 mai 2014 et le 15 décembre 2015, il a refusé de subir un examen médical ou de recevoir un traitement.

6.8L’auteur ayant commis des infractions liées à ses convictions religieuses, les membres du Comité de la sécurité nationale ont eu avec lui deux conversations à « caractère prophylactique ». Ces conversations ont eu lieu en présence de l’administration pénitentiaire et les allégations faisant état de « pressions » exercées à l’égard de l’auteur ne sont pas fondées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie, selon qui l’auteur n’a pas déposé de recours en cassation ni saisi la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle. Il relève que la tante de l’auteur a formé deux recours au titre de la procédure de contrôle au nom de son neveu, qui ont été rejetés par le bureau du Procureur respectivement le 7 décembre 2010 et le 24 août 2011. En outre, il considère que le dépôt auprès du président d’un tribunal d’une demande au titre de la procédure de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires, subordonné au pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il y a des chances raisonnables qu’une telle demande assurerait un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Or l’État partie n’a pas montré que les demandes au titre de la procédure de contrôle adressées au Président de la Cour suprême étaient accueillies dans des affaires concernant la torture et le droit à un procès équitable et, si tel était le cas, n’a pas indiqué dans combien d’affaires elles avaient abouti. Pour ce qui est du recours en cassation, le Comité note que la procédure n’est entrée en vigueur que le 1er juillet 2012, c’est-à-dire après que l’auteur eut saisi le Comité. En conséquence, il conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4Le Comité prend en outre note de l’argument de l’État partie qui affirme que les griefs de l’auteur sont irrecevables ratione temporis. Il rappelle qu’il n’a pas compétence ratione temporis pour examiner des violations alléguées du Pacte qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, sauf si ces violations perdurent après cette date ou continuent de produire des effets qui, en soi, constituent une violation du Pacte ou perpétuent une violation commise antérieurement. À cet égard, il note que toutes les violations alléguées au titre de l’article 9 se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Il est donc dans l’impossibilité ratione temporis d’examiner cette partie de la communication.

7.5En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le Comité note que l’auteur affirme que les violations qu’il a dénoncées dans sa lettre initiale persistent. À cet égard, le Comité relève que, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, l’auteur s’était plaint d’avoir été continuellement victime de torture et que les autorités n’avaient jamais répondu comme il convenait à ses plaintes. En outre, le bureau du Procureur général, le 7 décembre 2010 et le 24 août 2011 (c’est-à-dire après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie), a refusé de saisir la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle ou de vérifier d’une autre manière les plaintes pour torture formulées par l’auteur. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il n’est pas empêché ratione temporis d’examiner les griefs tirés de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

7.6Le Comité a pris note des griefs que l’auteur tire des articles 14 et 18 du Pacte (voir plus haut, par. 3.4 et 3.5). En l’absence d’autres informations utiles dans le dossier, il considère cependant que les allégations de l’auteur n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses autres griefs soulevant des questions au regard de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et de l’article 10 du Pacte. Il déclare que ces griefs sont recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend tout d’abord en considération les allégations de l’auteur, qui affirme avoir été à plusieurs reprises torturé et soumis à d’autres mauvais traitements. Il relève que l’auteur a fait état d’actes de torture pendant son premier interrogatoire officiel, le 7 février 2009, et tout au long du procès. Il relève également que l’auteur et sa tante ont présenté au bureau du Procureur et aux tribunaux des éléments spécifiques prouvant que des actes de torture lui avaient été infligés par les membres des forces de l’ordre, notamment des blessures aux jambes, mais que les plaintes soumises pour torture n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes sérieuses. Il considère que, dans les circonstances de l’espèce, et en particulier eu égard au fait que l’État partie n’est pas en mesure d’expliquer les marques visibles de mauvais traitements qui ont été constatées à plusieurs reprises, il convient d’accorder le poids voulu aux allégations de l’auteur.

8.3Quant à l’obligation de l’État partie de procéder à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de torture formulées par l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort qu’une enquête pénale suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 7 du Pacte. Le Comité tient à insister sur deux épisodes tirés des nombreuses allégations de l’auteur. Premièrement, l’auteur s’est plaint qu’on l’ait torturé lors de son interrogatoire initial le 7 février 2009 afin de lui extorquer des aveux. Le Comité prend note des allégations de l’auteur affirmant qu’il a été battu et n’a pas été autorisé à utiliser son fauteuil roulant. L’auteur dit qu’il a immédiatement porté plainte. D’après les copies de leurs réponses en date du 20 mars 2009, les autorités ont simplement rejeté les allégations de l’auteur sans donner la moindre explication ni mener d’enquête officielle. Le 10 avril 2009, le bureau du Procureur a adressé une lettre similaire rejetant les allégations de l’auteur, là encore sans la moindre explication. En outre, le 23 avril 2009, la requête de l’auteur demandant à ce que ses allégations de torture fassent l’objet d’une enquête a été rejetée par le Département des enquêtes du Comité de la sécurité nationale qui, lui non plus, n’a pas fourni de précision ni avancé de raison pour justifier ce rejet. Enfin, par lettre du 20 novembre 2009, le Département des enquêtes du Comité d’Astana a rejeté la requête de l’auteur qui demandait qu’une enquête soit menée sur ses plaintes pour torture.

8.4Deuxièmement, ainsi que l’a admis l’État partie, plusieurs des plaintes de l’auteur ont été renvoyées au tribunal, par exemple celles datées du 25 septembre 2009 et du 21 octobre 2009. Le Comité rappelle que, dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, l’État doit faire procéder à une enquête diligente et impartiale. Or, au lieu de mener une enquête diligente et impartiale sur les plaintes pour torture formulées par l’auteur, le tribunal s’est borné à interroger l’un des enquêteurs, qui a nié avoir commis le moindre acte illicite à l’égard de l’auteur. Le Comité note que les documents versés au dossier ne permettent pas de conclure qu’une enquête diligente et impartiale a été menée sur les allégations de torture, malgré un certain nombre de dépositions vérifiables de l’auteur lui-même et de sa tante. En l’absence de toute autre information pertinente, et dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis à l’auteur par l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

8.5Enfin, le Comité doit déterminer si la manière dont l’auteur a été traité en détention et le fait qu’il n’aurait pas reçu l’assistance médicale dont il avait besoin constituent une violation des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 10. L’auteur s’est plaint aussi de ce que le bâtiment du tribunal, les centres de détention et les prisons ne sont pas accessibles aux personnes handicapées, et de s’être vu refuser à plusieurs reprises un traitement médical.

8.6L’État partie a contesté ces allégations, déclarant que l’auteur avait reçu des soins médicaux lorsqu’il en avait demandé et que les centres de détention et les prisons étaient dotés du personnel, des équipements et des installations nécessaires pour s’occuper des personnes handicapées. Il ressort des dossiers que l’auteur a besoin d’une attention médicale spéciale étant donné son état de personne handicapée. En outre, l’auteur avait besoin d’une assistance pour accéder aux toilettes et aux douches et d’un traitement pour ses problèmes de santé chroniques, tels que les escarres.

8.7À cet égard, le Comité fait observer que l’État partie est tenu de respecter certaines normes minima en matière de détention, et notamment d’offrir aux détenus malades l’accès à des soins médicaux et à un traitement, conformément à la règle 24 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). Aux dires de l’auteur, les centres de détention provisoire, ainsi que les prisons et les services médicaux dans lesquels il a été détenu après son procès, n’étaient pas adaptés aux personnes handicapées qui ne peuvent se déplacer qu’en fauteuil roulant. Le Comité prend note aussi des allégations de l’auteur, qui affirme avoir été laissé seul dans sa cellule sans réelle possibilité d’activité, ce qui avait provoqué l’apparition sur son corps de nombreuses escarres. L’auteur ne pouvait pas se déplacer seul et n’a pas bénéficié d’une assistance permanente même pour ses besoins les plus élémentaires. Le Comité relève en outre que l’auteur n’a pas pu obtenir de traitement médical adapté à son état, bien qu’il ait été examiné à plusieurs reprises par des médecins spécialistes de l’administration pénitentiaire, et qu’il ne recevait toujours pas les soins spécialisés et les médicaments dont il avait besoin. Compte tenu des éléments dont il dispose, le Comité conclut que la détention de l’auteur dans les conditions décrites constitue une violation du droit d’être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, qui est garanti au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Cela suppose qu’il assure une réparation intégrale aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. L’État partie est donc tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour : a) procéder à une enquête prompte et impartiale sur les allégations de torture et de mauvais traitements formulées par l’auteur ; b) accorder à l’auteur une indemnisation adéquate ; c) dispenser à l’auteur les soins médicaux et l’assistance dont il a besoin eu égard à son handicap et à son état de santé, en permettant notamment à des médecins et à des infirmiers privés de l’examiner et de l’assister. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles du pays.