Nations Unies

CCPR/C/119/D/2253/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 avril 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2253/2013 * , **

Communication p résentée par :

A. P. J (représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

10 juin 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 juin 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

16 mars 2017

Objet :

Torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; expulsion vers la République islamique d’Iran ; liberté d’expression et égalité devant la loi

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement

Question(s) de fond :

Torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article(s) du Pacte :

7, 19 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est A. P. J., de nationalité iranienne, né le 23 octobre 1981. Il affirme qu’en l’expulsant vers la République islamique d’Iran, le Danemark commettrait une violation des articles 7, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte). Il est représenté par un conseil, Marianne Volund. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

1.2Le 12 juin 2013, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas présenter de demande de mesures provisoires.

1.3L’auteur a été expulsé vers la République islamique d’Iran le 10 juin 2013. Il a été conduit sous escorte jusqu’à l’aéroport de Téhéran. Après avoir reçu le passeport iranien périmé de l’auteur ainsi qu’une copie d’un document attestant sa nationalité, les autorités iraniennes ont accepté de le réadmettre sur le territoire national.

Exposé des faits

2.1L’auteur et ses parents, musulmans sunnites, appartiennent à la communauté kurde. Les parents de l’auteur ont fui la République islamique d’Iran pour se réfugier en Iraq, où l’auteur est né, au camp Al Tash, à Ramadi. Ils sont retournés en République islamique d’Iran lorsque l’auteur avait 11 ans. La famille a vécu à Sare Pole Zahab où l’auteur a été scolarisé pendant environ quatre ans. L’auteur dit qu’il ne sait ni lire ni écrire en farsi et en kurde. Il affirme qu’il n’appartient lui‑même à aucune organisation kurde, mais que son frère était un membre actif du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran.

2.2L’auteur affirme qu’en 2008, il a commencé à aider un ami, A. M., qui distribuait des médicaments introduits en contrebande en République islamique d’Iran depuis l’Iraq. L’auteur a été contacté par A. M. car sa famille possédait des terres dans un village proche de la frontière et était titulaire d’une carte qui lui permettait d’aller en ville sans être soumise à aucun contrôle. Il a aidé une quinzaine de fois à acheminer des médicaments. Les deux dernières fois, il s’est cependant aperçu que son ami transportait également des documents de nature politique du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran.

2.3Le 22 octobre 2008, les autorités iraniennes ont perquisitionné le domicile de l’auteur à sa recherche. Celui‑ci était absent, parti rendre visite à un ami qui habitait dans la même ville. Pour échapper à son arrestation, l’auteur s’est réfugié dans le garage de son cousin. Alors qu’il s’y trouvait, son frère est venu le voir et l’a informé que leur père avait été arrêté par les services de renseignement. Après avoir appris la nouvelle, l’auteur a décidé de quitter la République islamique d’Iran et s’est rendu en Turquie avec l’aide d’un passeur. Il affirme avoir soudoyé les autorités pour qu’elles tamponnent son passeport sans l’enregistrer dans le système informatique. Il dit qu’en route vers le Danemark, il a été arrêté en Grèce, en Allemagne et en Italie, où ses empreintes ont été prélevées. Il indique également que le passeur lui a dit de ne pas communiquer aux autorités danoises la véritable date de son départ de République islamique d’Iran, qui figure sur son passeport. Il affirme avoir suivi les instructions du passeur, parce qu’il craignait pour sa vie et que le passeur lui avait pris son passeport alors qu’ils se trouvaient tous deux en Turquie.

2.4L’auteur indique qu’après son départ, son père a été interrogé à deux ou trois reprises et a été conduit une fois au poste de police où on lui a demandé où se trouvait son fils. Il dit aussi que son frère l’a informé qu’après son départ, les autorités avaient cherché à le retrouver pendant environ un mois et qu’on lui a fait savoir que son ami A. M. avait été arrêté juste avant que les autorités perquisitionnent son domicile, en octobre 2008. Il affirme également que son frère lui a conseillé de ne pas rentrer chez lui, sous peine d’être arrêté.

2.5Le 9 mars 2009, l’auteur est arrivé au Danemark. Analphabète, il n’a pas été en mesure de présenter une demande d’asile par écrit. Des policiers l’ont interrogé le 9 mars, le 26 mai et le 11 juin 2009. Le 11 novembre 2009, il s’est entretenu avec des agents du service danois de l’immigration. Il fait valoir qu’alors qu’il se trouvait au Danemark, il a participé à plusieurs manifestations organisées devant l’ambassade de la République islamique d’Iran en opposition aux autorités iraniennes, en particulier en 2012 et en 2013, notamment à une grève de la faim en mai et juin 2012. Il indique que l’on trouve en accès libre sur YouTube, ainsi que sur un profil Facebook de groupe, des images où il apparaît brandissant des affiches hostiles au Gouvernement de la République islamique d’Iran. De plus, pendant la grève de la faim, il a critiqué le régime iranien dans un documentaire qui a été diffusé en République islamique d’Iran. Les critiques qu’il formulait ont été coupées au montage, et le documentaire est devenu un instrument de propagande en faveur du Gouvernement, mais il affirme que le réalisateur du documentaire est un partisan du régime et que, de ce fait, il est probable qu’il ait remis aux autorités iraniennes la version intégrale du documentaire, y compris la séquence où l’auteur, interviewé, critique le Gouvernement.

2.6Le 25 novembre 2009, le service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur. L’auteur a fait appel de cette décision auprès de la Commission de recours pour les réfugiés. Le 28 avril 2010, la Commission a débouté l’auteur de son recours. Elle a conclu que le fait que l’auteur ait menti sur la date à laquelle il avait quitté la République islamique d’Iran avait entamé sa crédibilité, et a relevé que l’auteur avait également communiqué des informations contradictoires concernant la date d’arrestation de son ami A. M.. Elle a en outre jugé peu convaincantes les déclarations de l’auteur au sujet de la contrebande de marchandises et de documents du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, estimant que l’auteur aurait dû être conscient du risque qu’il encourrait en introduisant clandestinement de tels tracts et que, malgré tout, il avait accepté de continuer à le faire, alors qu’ il avait clairement déclaré aux autorités danoises qu’il n’avait jamais été politiquement engagé. La Commission de recours pour les réfugiés a en outre estimé qu’il était « remarquable » que l’auteur ne se soit pas renseigné sur la situation de son ami A. M. depuis son arrestation, notamment qu’il n’ait pas cherché à savoir si celui‑ci avait été condamné, l’arrestation d’A. M. étant un élément fondamental de la demande d’asile présentée par l’auteur. La Commission a en outre fait observer que la situation générale des Kurdes en République islamique d’Iran ne saurait en elle‑même justifier une demande d’asile.

2.7En août 2010, l’auteur a demandé la réouverture de la procédure d’asile le concernant et, en août 2012, il a communiqué des renseignements complémentaires à la Commission de recours des réfugiés. Il a fait savoir qu’il n’avait pas été en mesure de bien expliquer sa situation dans le cadre de la procédure d’asile, puisqu’il avait été soumis à des pressions et s’était senti « mentalement mal à l’aise » au cours de ses entretiens avec les agents du service de l’immigration en raison des épreuves qu’il avait traversées en République islamique d’Iran et des menaces proférées contre lui par les contrebandiers pendant son voyage vers le Danemark. Il avait donc fini par se tromper sur les dates et sur certains détails dans son récit des faits. L’auteur a également transmis à la Commission de recours des réfugiés son assignation à comparaître devant la sixième Division du tribunal de district, le 19 novembre 2008, assignation qu’il avait reçue dans le cadre de la « procédure » intentée contre lui devant le tribunal. L’auteur a réaffirmé qu’il courrait un risque s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, d’autant plus qu’il avait participé à une grève de la faim organisée en mai 2012 pour protester contre le régime iranien et la situation des immigrés au Danemark et que des photos de cette manifestation avaient été largement diffusées sur Facebook. Il a également fait savoir que les autorités iraniennes avaient inscrit sur une liste noire les noms des personnes qui avaient participé à cette grève de la faim, et que les familles de ces personnes étaient victimes de harcèlement de la part du Ministère iranien du renseignement.

2.8Le 27 mars 2013, la Commission de recours pour les réfugiés a rejeté la demande de réouverture de la procédure d’asile présentée par l’auteur, estimant que celui‑ci n’avait pas communiqué d’autres éléments d’information importants. Elle a considéré que l’assignation à comparaître soumise par l’auteur n’avait pas force probante puisqu’il l’avait reçue le 10 novembre 2008, après son départ de République islamique d’Iran. Elle a rappelé que lorsque les agents du service danois de l’immigration avaient demandé à l’auteur si les autorités iraniennes lui avaient délivré une assignation après qu’il eut quitté le pays, il avait répondu par la négative. Il n’avait pas non plus expliqué comment il était entré en possession de l’assignation, ni pourquoi il ne l’avait pas soumis plus tôt aux autorités de l’État partie, étant donné que le document date de 2008. La Commission a en outre considéré que les allégations de l’auteur concernant son état psychologique lors de son entretien avec les policiers danois n’étaient pas de nature à modifier l’appréciation de sa crédibilité, puisque les déclarations qu’il avait faites dans le cadre de la procédure d’asile étaient incohérentes et peu plausibles, et qu’elles présentaient des contradictions. S’agissant de la grève de la faim, la Commission de recours pour les réfugiés a considéré que l’auteur n’avait pas prouvé qu’il était probable qu’il serait persécuté s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, puisqu’il n’avait fourni aucune information sur d’éventuelles déclarations qu’il aurait faites à la presse, ni sur toute autre déclaration relative à une manifestation qui aurait été susceptible de lui faire courir un risque en cas de renvoi. Il n’avait pas non plus apporté la preuve que les familles des grévistes de la faim étaient victimes de harcèlement de la part du Ministère iranien du renseignement, ainsi qu’il l’affirmait.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que s’il était expulsé vers la République islamique d’Iran, il risquerait d’être victime de traitements inhumains et dégradants, en violation de l’article 7 du Pacte. Il affirme également que les autorités iraniennes ont connaissance des actions qu’il mène contre le Gouvernement iranien au Danemark, puisque des informations concernant ces actions, y compris la grève de la faim, circulent sur YouTube et sur Facebook. Dans l’éventualité où les autorités iraniennes n’auraient pas déjà pris connaissance de l’existence du compte Facebook de l’auteur, il est fort probable qu’elles parviendraient à y avoir accès si celui‑ci était renvoyé en République islamique d’Iran. De plus, on sait que les autorités iraniennes filment les manifestations qui se déroulent devant leurs ambassades et qu’elles surveillent Internet. L’auteur fait valoir qu’ayant participé à plusieurs manifestations organisées devant l’ambassade de la République islamique d’Iran au Danemark, il risquerait d’être victime de mauvais traitements ou de torture s’il était expulsé vers la République islamique d’Iran.

3.2L’auteur fait valoir en outre que, n’ayant pas de passeport valide, il serait d’autant plus susceptible d’être victime d’une violation de l’article 7 en cas de renvoi en République islamique d’Iran. Il affirme que les Iraniens qui rentrent en République islamique d’Iran sans passeport ni autre document de voyage valide sont arrêtés et traduits devant un tribunal spécial sis à l’aéroport de Téhéran. Le tribunal tient compte de leur profil, de la date à laquelle ils ont quitté le pays, du motif de leur départ clandestin, de leurs éventuels liens avec des organisations ou autres groupes, et de toutes autres circonstances. Étant donné que cette procédure s’applique aux personnes expulsées vers la République islamique d’Iran sans un passeport revêtu d’un visa de sortie, et compte tenu du profil de l’auteur (l’auteur est d’origine kurde et s’était livré à des activités illégales avant de quitter la République islamique d’Iran, puisqu’il avait introduit en contrebande des documents du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran dans le pays) et de sa participation à des actions politiques contre le Gouvernement iranien au Danemark, l’auteur déclare qu’il serait particulièrement exposé au risque d’être victime de persécution.

3.3L’auteur fait valoir en outre qu’en le renvoyant en République islamique d’Iran, l’État partie commettrait une violation de l’article 19 du Pacte, car il lui serait alors impossible de manifester son soutien aux partis politiques kurdes et d’exprimer librement ses opinions, ce qui constituerait une violation de son droit à la liberté d’expression. En outre, l’auteur craint que son droit de ne pas être victime de discrimination, qu’il tient de l’article 26 du Pacte, ne soit également violé, compte tenu de la situation des Kurdes dans son pays et parce qu’il a prêté son appui politique à des organisations kurdes.

Observations de l’État partie

4.1Le 12 décembre 2013, l’État partie a soumis ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Il fait valoir que les griefs formulés dans la communication sont sans fondement, l’auteur n’ayant pas démontré que son expulsion vers la République islamique d’Iran risquait de donner lieu à une violation du Pacte.

4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours pour les réfugiés, ainsi que la législation applicable aux procédures d’asile. La Commission détermine si le demandeur d’asile a des motifs de craindre d’être victime de persécutions le visant personnellement ou s’il courrait un risque en cas de renvoi dans son pays d’origine, en tenant compte de tous les éléments d’information qui lui sont soumis concernant les persécutions dont l’intéressé aurait été victime avant de quitter son pays d’origine (par. 1 de l’article 7 de la loi sur les étrangers), et si un étranger risque d’être condamné à mort ou d’être victime de torture ou de mauvais traitements en cas de renvoi dans son pays d’origine. La Commission considère que les conditions requises pour l’obtention d’un permis de séjour sont remplies lorsque des facteurs précis et particuliers rendent probable qu’en cas de renvoi, le demandeur d’asile courrait un risque réel d’être tué ou torturé, ou d’être victime de mauvais traitements (par. 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers).

4.3L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas démontré à première vue que sa communication était recevable quant aux griefs tirés de l’article 7 du Pacte, puisqu’il n’a pas apporté la preuve qu’il courait un risque ou qu’il était en danger depuis son expulsion vers la République islamique d’Iran ; les griefs tirés de cette disposition devraient donc être déclarés sans fondement. S’agissant des griefs tirés de l’article 19, l’État partie renvoie aux propos de l’auteur, qui a fait observer que les États parties avaient l’obligation de ne pas expulser les personnes qui risquaient d’être privées de leurs droits, y compris de leur droit à la liberté d’expression, à savoir notamment de la possibilité de soutenir les partis politiques kurdes et d’en relayer les idées. L’État partie signale qu’au‑delà de ces déclarations, l’auteur n’a pas précisé en quoi son droit à la liberté d’expression avait été ou serait violé du fait de son expulsion vers la République islamique d’Iran ; il estime par conséquent que ces griefs devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. S’agissant des griefs que l’auteur tire de l’article 26 du Pacte, l’État partie renvoie aux déclarations de l’auteur selon lesquelles son expulsion vers la République islamique d’Iran avait entraîné une violation de son droit de ne pas être victime de discrimination en tant que Kurde. Il fait observer que l’auteur n’est pas allé plus loin dans son explication et demande que ces déclarations soient déclarées irrecevables pour défaut de fondement.

4.4L’État partie relève en outre que le Comité n’est pas compétent pour examiner les griefs que l’auteur tire des articles 19 et 26, car cela supposerait l’application extraterritoriale du Pacte, puisque les violations visées ne seraient pas commises au Danemark, ni sur aucun autre territoire sous le contrôle effectif des autorités danoises, mais en République islamique d’Iran. L’État partie renvoie à plusieurs décisions dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que, compte tenu de leur importance fondamentale, les articles 2 (Droit à la vie) et 3 (Interdiction de la torture) de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) avaient une portée extraterritoriale. Il fait toutefois observer que la Cour a en outre déclaré qu’on ne saurait exiger de l’État contractant qui expulse qu’il renvoie l’étranger uniquement vers un pays où la mise en œuvre de tous les droits et de toutes les libertés énoncés dans la Convention est pleine et effective. L’État partie considère qu’un raisonnement similaire peut être appliqué en l’espèce et rappelle que, conformément à l’article premier du Protocole facultatif et à l’article 96 a) du règlement intérieur du Comité, celui‑ci est compétent pour examiner des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie qui prétendent être victimes d’une violation, par cet État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Bien que le Comité ait conclu dans un certain nombre d’affaires que l’expulsion d’une personne par un État partie vers un autre État entraînerait une violation prévisible du droit de l’intéressé à la vie ou de son droit de ne pas être torturé, tels qu’ils sont énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte, il n’a jamais examiné au fond aucune plainte concernant l’expulsion d’une personne craignant d’être victime d’une violation de dispositions autres que les articles 6 et 7 dans l’État de destination. L’extradition, la reconduite à la frontière, l’expulsion ou l’éloignement d’une personne qui craint qu’un autre État partie ne viole les droits qu’elle tient des articles 19 et 26 ne causerait pas le préjudice irréparable que le Comité a retenu comme critère dans sa jurisprudence. L’État partie demande donc que cette partie de la communication soit déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae conformément à l’article 96 d) du règlement intérieur du Comité, lu conjointement avec l’article 96 a) de ce même règlement et l’article 2 du Protocole facultatif.

4.5Concernant le fond de la communication, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas démontré que son renvoi en République islamique d’Iran constituait une violation des articles 7, 19 et 26 du Pacte. S’agissant de l’article 7, il signale que les obligations que lui impose cette disposition sont transposées au paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, en vertu duquel un permis est délivré aux étrangers qui risquent d’être condamnés à mort, torturés ou victimes de mauvais traitements dans leur pays d’origine. L’État partie rappelle que l’auteur a affirmé qu’il risquerait d’être victime d’une violation de l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé dans son pays, étant donné qu’il s’était livré à la contrebande de documents de nature politique du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran et de médicaments de l’Iraq vers la République islamique d’Iran et avait manifesté plusieurs fois contre le Gouvernement iranien alors qu’il se trouvait au Danemark ; il avait notamment participé à une grève de la faim dont les images avaient été largement diffusées sur Facebook, ainsi qu’au tournage d’un documentaire diffusé en République islamique d’Iran. L’auteur craignait en outre d’être renvoyé en République islamique d’Iran sans document de voyage en cours de validité.

4.6L’État partie signale que la Commission de recours pour les réfugiés a procédé à un examen complet et approfondi des preuves produites par l’auteur. Il estime que l’auteur tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir le réexamen des éléments de fait présentés à l’appui de sa demande d’asile. Il fait valoir que le Comité doit accorder un poids important aux conclusions de la Commission, celle‑ci étant mieux à même d’apprécier les faits de l’espèce. Il rappelle que la Commission a estimé que les déclarations contradictoires faites par l’auteur dans le cadre de la procédure d’asile, concernant en particulier la date à laquelle il avait quitté la République islamique d’Iran et la date de l’arrestation de son ami A. M., avaient entamé sa crédibilité. La Commission avait en outre tenu compte du fait que l’auteur avait déclaré qu’il ne se considérait pas comme politiquement engagé et qu’il avait quitté la République islamique d’Iran en présentant son passeport.

4.7L’État partie fait valoir que la Commission de recours pour les réfugiés s’est prononcée par deux fois, le 28 avril 2010 et le 27 mars 2013, à l’issue d’un examen approfondi des griefs de l’auteur et des preuves que celui‑ci avait produites, et conformément à la législation nationale. Il considère que c’est à juste titre que la Commission a refusé toute force probante à l’assignation soumise par l’auteur aux fins de la réouverture de son dossier, celui‑ci n’ayant pas expliqué pourquoi il avait tant attendu avant de produire ce document dans le cadre de la procédure. En outre, l’auteur n’avait pas donné d’explication satisfaisante quant à la date de réception de l’assignation − le 10 novembre 2008, c’est‑à‑dire après qu’il eut quitté la République islamique d’Iran − et n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas mentionné cette assignation dans la déclaration qu’il avait faite devant la Commission lorsqu’on l’avait interrogé à ce sujet. L’État partie souligne en outre que l’auteur n’a pas démontré qu’il était probable qu’il serait persécuté en République islamique d’Iran du fait de sa participation à la grève de la faim organisée en mai 2012 au Danemark. Il fait valoir que rien ne prouve que l’auteur ait fait parler de lui dans la presse ou qu’il se soit spécialement fait remarquer, puisqu’il ne semble pas particulièrement visible sur aucune des photos de la grève de la faim que la Commission a pu obtenir.

4.8L’État partie signale en outre que la Commission de recours pour les réfugiés a tenu compte dans ses décisions de toutes les informations pertinentes. Il considère que l’auteur n’a pas présenté au Comité d’élément nouveau, ni de preuve supplémentaire de nature à démontrer la probabilité d’une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Il relève que l’auteur a déclaré au Comité qu’il avait été interviewé par le réalisateur d’un documentaire au sujet de sa participation à des manifestations d’opposition au Gouvernement iranien et à la grève de la faim organisée en mai 2012 et que le documentaire en cause avait été diffusé à la télévision iranienne ; il fait observer à ce sujet que l’auteur n’avait jamais évoqué cette interview dans le cadre de la procédure d’asile, qu’en dehors de ses déclarations, on ne dispose d’aucun élément permettant de corroborer ces informations, et que l’auteur n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il n’avait pas communiqué de telles informations aux autorités danoises. En conséquence, l’État partie fait valoir que ces éléments ne sauraient être considérés comme des faits établis.

4.9L’État partie conclut que l’auteur n’a pas démontré que sa participation à des manifestations et à une grève de la faim au Danemark attestait un intérêt politique profond, d’autant qu’il avait précédemment déclaré ne pas être engagé politiquement. Par conséquent, il considère que l’auteur ne s’est pas fait connaître en tant qu’opposant au Gouvernement iranien, et qu’il ne courrait donc aucun risque dans son pays d’origine. Il affirme une fois de plus que les allégations de violation des articles 19 et 26 du Pacte sont sans fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 6 février 2014, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il indique qu’à son arrivée à l’aéroport de Téhéran après avoir été expulsé du Danemark, le 10 juin 2013, il a d’abord été interrogé par des agents du bureau des passeports, puis par la police. On lui a demandé où il était, avec qui il avait eu des contacts, et s’il avait participé à des actions politiques alors qu’il se trouvait à l’étranger. Il affirme qu’on lui a précisément demandé s’il avait participé à la « Grève de la faim danoise » et s’il savait qui y avait participé. Il a tout nié. Il signale qu’avant d’être expulsé, il s’était blessé pour tenter d’échapper à l’expulsion et qu’à son arrivée en République islamique d’Iran, on l’a interrogé au sujet de ses blessures. Il affirme en outre qu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas cherché à faire prolonger la validité de son passeport avant l’expiration de celui‑ci, et que le fait d’être né en Iraq lui a causé « des ennuis » puisqu’il a été question de l’expulser vers l’Iraq. À la suite de cet interrogatoire, il a été détenu pendant trois jours, puis remis en liberté. La police a conservé son passeport et on lui a dit qu’il devrait retourner au bureau des passeports pour y être interrogé de nouveau et pour récupérer son passeport.

5.2En octobre 2013, comme on le lui avait demandé, l’auteur s’est présenté au bureau des passeports de Téhéran, où on lui a fait remplir un questionnaire comportant des questions semblables à celles qu’on lui avait posées à son arrivée. On lui a également demandé d’indiquer par quel moyen il avait quitté la République islamique d’Iran et de donner des informations sur les personnes qui l’y avaient aidé. Il a été placé en détention pendant quarante‑huit heures, son passeport ne lui a pas été restitué et on l’a informé que les autorités examinaient sa situation et qu’il ne pouvait donc pas quitter le pays. On lui a demandé de ne pas s’éloigner de la région de Kermanshah. L’auteur affirme en outre que des agents des services de renseignement étaient présents au cours des interrogatoires. Après avoir été interrogé, il est retourné chez ses grands‑parents, dans le village de Pabli, où il se cache à l’heure actuelle en attendant de trouver un moyen de quitter le pays, car il craint que les autorités ne découvrent qu’il a critiqué le Gouvernement au cours de l’interview qu’il a accordée au réalisateur.

5.3L’auteur fait valoir en outre que d’autres demandeurs d’asile iraniens interviewés dans le documentaire se sont vu accorder le statut de réfugié au Danemark au motif qu’ils avaient participé au tournage.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 24 juin 2014, l’État partie a soumis des observations complémentaires au Comité. Il renvoie aux allégations de l’auteur selon lesquelles l’interview qu’il a accordée au réalisateur lui ferait courir davantage de risques en République islamique d’Iran. Il relève que l’auteur fait valoir que dans une affaire semblable, la Commission de recours pour les réfugiés avait décidé d’accorder le statut de réfugié à un autre demandeur d’asile qui avait lui aussi été interviewé dans le cadre du tournage du même documentaire. L’État partie signale toutefois que la situation de l’autre demandeur d’asile était bien différente. Par exemple, ce demandeur d’asile était engagé politiquement en République islamique d’Iran et au Danemark, contrairement à l’auteur. La Commission avait donc estimé qu’il était établi que le demandeur d’asile avait participé, au Danemark, à différentes activités dans le cadre desquelles il avait plus ou moins critiqué le régime iranien. De plus, la majorité des membres de la Commission avaient tenu compte du fait que le demandeur d’asile avait été interviewé pour les besoins du documentaire en cause et avaient estimé qu’il était établi que le documentaire avait été diffusé à la télévision iranienne, passant pour un instrument de propagande en faveur du Gouvernement iranien. La Commission avait donc considéré que le demandeur d’asile avait démontré qu’il était probable qu’il courrait un risque s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, puisqu’il était possible que le documentaire ait été visionné par les autorités iraniennes. Compte tenu de ces éléments et du fait que le demandeur d’asile avait quitté la République islamique d’Iran illégalement, la Commission avait conclu que l’intéressé risquerait d’être persécuté en cas de renvoi en République islamique d’Iran.

6.2L’État partie rappelle en outre que la Commission de recours pour les réfugiés se prononce sur le fondement d’une appréciation spécifique et individuelle des motifs de la demande d’asile, de sa connaissance de la situation générale dans le pays considéré et des faits propres à l’espèce. Il soutient dès lors que rien ne permet de remettre en question l’appréciation faite par la Commission dans ses décisions du 28 avril 2010 et du 27 mars 2013, dans lesquelles elle a estimé que l’auteur n’avait pas démontré qu’il y avait de sérieux motifs de croire que sa vie était en péril ou qu’il risquait d’être torturé ou victime de mauvais traitements en République islamique d’Iran. En outre, l’État partie relève qu’il ne ressort pas des informations communiquées par le conseil de l’auteur que celui‑ci a été torturé ou a subi de mauvais traitements depuis son renvoi en République islamique d’Iran.

6.3En conséquence, l’État partie réaffirme qu’étant manifestement dénuée de fondement, la communication devrait être déclarée irrecevable. Il réaffirme également que les griefs que l’auteur tire des articles 19 et 26 sont irrecevables ratione loci et ratione materiae. Il considère en outre que si la communication était jugée recevable, le Comité devrait la déclarer sans fondement, l’auteur n’ayant pas démontré qu’il y avait de sérieux motifs de croire que son renvoi en République islamique d’Iran constituait une violation des articles 7, 19 et 26 du Pacte.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

7.1Le 5 août 2014, le conseil de l’auteur a soumis des commentaires supplémentaires sur les observations de l’État partie. Il a signalé que dans l’affaire dans laquelle la Commission de recours pour les réfugiés avait accordé le statut de réfugié à un demandeur d’asile qui avait été interviewé pour les besoins du documentaire précité, la Commission avait rejeté la première demande du demandeur d’asile car elle n’avait pas estimé qu’il avait été établi que celui‑ci était politiquement engagé lorsqu’il était en République islamique d’Iran. La Commission avait également rejeté deux demandes de réouverture de la procédure présentées par le même demandeur d’asile le 10 octobre 2008 et le 1er mars 2012 ; ce n’est qu’à la troisième demande de réouverture présentée par le demandeur d’asile au motif de son engagement politique au Danemark qu’elle avait accordé à celui‑ci le statut de réfugié. Le conseil signale que la troisième demande ne contenait aucune information supplémentaire sur les actions politiques menées par le demandeur d’asile en République islamique d’Iran et qu’à l’audience tenue le 18 novembre 2013, l’intéressé avait uniquement été interrogé sur son engagement politique au Danemark. Le conseil considère donc que la Commission s’est prononcée en tenant compte des actions politiques que le demandeur d’asile avait menées au Danemark, et non de son engagement politique en République islamique d’Iran, contrairement à ce que l’État partie déclare dans ses observations. Il fait valoir en outre qu’il ressort clairement de la décision rendue par la Commission dans l’affaire précitée que le demandeur d’asile s’est vu accorder le statut de réfugié principalement au motif qu’il avait été interviewé pour les besoins du documentaire, et non à raison des autres activités qu’il avait menées au Danemark, notamment de son rôle de porte‑parole des grévistes de la faim.

7.2Le conseil de l’auteur réaffirme en outre que l’on pourrait également considérer que l’auteur était engagé politiquement à la fois en République islamique d’Iran et au Danemark, puisqu’il s’est livré à la contrebande de documents du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran de l’Iraq vers la République islamique d’Iran, et a participé, au Danemark, à des manifestations et à une grève de la faim organisée en opposition au régime iranien, au cours de laquelle des photos de lui ont été prises, lesquelles ont ensuite été publiées sur son compte Facebook. En outre, comme les autres grévistes de la faim, l’auteur a été interviewé pour les besoins du documentaire précité ; au cours de l’interview, il a donné son nom et critiqué le Gouvernement iranien. Le conseil rappelle également qu’après avoir été interviewé, l’auteur a appris que le documentaire devait servir d’instrument de propagande en faveur du régime, qu’il avait été diffusé à la télévision iranienne et que les séquences où l’on pouvait entendre les participants à la grève de la faim critiquer le Gouvernement avaient été coupées au montage. Selon le conseil, l’auteur craint que le réalisateur ait remis aux autorités la version intégrale du documentaire, étant donné qu’il soutient le Gouvernement iranien. Le conseil rappelle en outre que la Commission de recours pour les réfugiés a considéré, dans le cas d’autres demandeurs d’asile, que leur participation au tournage du documentaire leur faisait courir un risque et a accordé le statut de réfugié à au moins deux d’entre eux. De plus, le conseil signale que le fait que l’auteur n’ait pas été torturé ou soumis à de mauvais traitements depuis son renvoi en République islamique d’Iran ne signifie pas qu’il ne le sera pas à l’avenir.

7.3Le conseil signale en outre qu’il n’a pas pu communiquer avec l’auteur depuis février 2014. Avant que le contact ne soit perdu, l’auteur l’avait informé qu’il avait été interrogé à deux reprises par les autorités iraniennes, que son passeport ne lui avait pas été restitué et qu’il n’était pas autorisé à quitter la région de Kermansheh. Le conseil affirme que cela pourrait signifier que les autorités iraniennes continuent d’enquêter sur l’auteur. Il estime de ce fait qu’il existe encore un risque qu’elles découvrent l’interview précitée. Il signale en outre qu’en février 2014, l’auteur se cachait encore chez ses grands‑parents dans le village de Pabli, mais dit ignorer s’il s’y trouve encore, s’il a quitté le pays ou s’il a été arrêté.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif,que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie à ce sujet, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

8.4Le Comité relève en outre que, s’agissant des allégations de l’auteur selon lesquelles son renvoi en République islamique d’Iran emporterait une violation des droits qu’il tient des articles 19 et 26 du Pacte, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs en cause sont dénués de fondement. Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles son renvoi en République islamique d’Iran emporterait une violation du droit à la liberté d’expression qu’il tient de l’article 19 du Pacte, puisqu’il ne pourrait pas manifester son soutien aux partis politiques kurdes, ni exprimer librement ses opinions. Il note également que selon l’auteur, son renvoi en République islamique d’Iran entraînerait une violation du droit de ne pas subir de discrimination qu’il tient de l’article 26 du Pacte, compte tenu de la situation des Kurdes dans ce pays et parce qu’il a prêté son appui politique à des organisations kurdes. Il relève que l’auteur n’a fourni aucune information ni aucune preuve supplémentaire qui permettrait de démontrer en quoi son renvoi en République islamique d’Iran avait entraîné ou entraînerait une violation par l’État partie des droits qui lui sont reconnus par les articles 19 et 26 du Pacte et qu’il en résulterait pour lui un préjudice irréparable au sens des articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, l’État partie conclut que, dans les circonstances de l’espèce, les allégations de l’auteur au titre des articles 19 et 26 du Pacte sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et sont donc irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que le grief que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte n’est pas étayé. Il note aussi que, selon l’auteur, son renvoi en République islamique d’Iran violerait les droits qui lui sont reconnus à l’article 7 du Pacte. L’auteur fait valoir à cet égard qu’il courrait encore un risque de torture ou de mauvais traitements à cause des activités illégales auxquelles il s’était livré avant de quitter la République islamique d’Iran, comme l’introduction clandestine de tracts du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran provenant d’Iraq, à cause de sa participation à plusieurs actes de protestation contre le régime iranien qu’il avait posés alors qu’il était au Danemark, dont une grève de la faim et une interview, reprise dans un documentaire, dans laquelle il critiquait les autorités iraniennes et parce que sa demande d’asile a été rejetée et qu’on l’a renvoyé en République islamique d’Iran sans passeport ni aucun autre document de voyage en cours de validité. Étant donné ce qui précède, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations au titre de l’article 7 du Pacte aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31(2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans lequel il renvoie à l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a en outre estimé que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Partant, tous les faits et circonstances pertinents devaient être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

9.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse à laquelle a procédé l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il appartient d’examiner les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce afin de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou qu’elle a constitué un déni de justice.

9.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’État partie n’a pas tenu compte du fait qu’il risquait d’être torturé ou d’être victime de mauvais traitements du fait de son expulsion vers la République islamique d’Iran puisqu’il est Kurde et s’était livré à des activités illégales avant de quitter la République islamique d’Iran (introduction illégale de documents du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran en République islamique d’Iran) et parce qu’il avait mené des actions politiques contre le Gouvernement iranien alors qu’il se trouvait au Danemark, en particulier parce qu’il avait participé à des manifestations et à une grève de la faim organisée en mai 2012. Le Comité note en outre que selon l’État partie, la Commission de recours pour les réfugiés a procédé à un examen complet et approfondi des preuves produites par l’auteur, qu’elle a jugé celui‑ci peu crédible, étant donné qu’il avait fait des déclarations contradictoires au sujet de son départ de République islamique d’Iran, et qu’elle a estimé que les activités que l’auteur avait menées alors qu’il se trouvait au Danemark ne lui feraient pas courir de risque en cas de renvoi, puisque l’auteur n’avait pas démontré qu’il avait fait parler de lui dans la presse ou qu’il s’était spécialement fait remarquer, et ne semblait pas particulièrement visible sur aucune des photos de la grève de la faim que les autorités nationales avaient pu obtenir. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel il doit accorder un poids important aux conclusions des autorités nationales, plus précisément de la Commission de recours pour les réfugiés, laquelle est mieux à même d’apprécier les faits de l’espèce. Le Comité fait observer que l’auteur n’a pas signalé d’irrégularité dans les procédures suivies par le service danois de l’immigration ou par la Commission de recours pour les réfugiés. Il n’a pas davantage présenté d’élément permettant de démontrer que la décision de le renvoyer en Iran avait été manifestement déraisonnable ou arbitraire.

9.5Le Comité prend note en outre des allégations de l’auteur selon lesquelles l’interview qu’il a accordée au réalisateur du documentaire, interview au cours de laquelle il a critiqué les autorités iraniennes, lui fait courir un risque d’autant plus grand que le réalisateur soutient le Gouvernement iranien et qu’il est donc susceptible d’avoir remis aux autorités la version intégrale de son documentaire, dans laquelle l’auteur donne son nom et exprime des opinions hostiles au Gouvernement. Le Comité note également que selon l’auteur, la Commission de recours pour les réfugiés a accordé le statut de réfugié à d’autres demandeurs d’asile qui étaient également apparus dans le documentaire et qu’elle avait estimé que leur apparition était un élément essentiel dont elle devait tenir compte au moment de se prononcer dans les affaires en cause. À ce propos, le Comité relève que, d’après l’État partie, l’auteur n’avait jamais évoqué cette interview au cours de la procédure d’asile ; l’État partie fait valoir qu’en dehors des déclarations de l’auteur, on ne dispose d’aucun élément permettant de corroborer ces informations et que l’auteur n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il n’avait pas communiqué de telles informations aux autorités nationales. Le Comité relève également qu’avant de se prononcer sur le cas d’autres demandeurs d’asile ayant participé au tournage du documentaire, la Commission de recours pour les réfugiés avait procédé à un examen approfondi de la situation personnelle des intéressés, qui n’était pas la même que celle de l’auteur. Le Comité considère donc que si l’auteur conteste les constatations de fait de la Commission, il n’a pas démontré qu’elles avaient été arbitraires ou manifestement entachées d’erreur, ou qu’elles avaient représenté un déni de justice.

9.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne peut conclure que les informations dont il est saisi montrent que l’auteur aurait couru un risque personnel et réel de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte du fait de son renvoi en République islamique d’Iran.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’expulsion de l’auteur vers la République islamique d’Iran n’a pas violé les droits qui lui sont garantis par l’article 7 du Pacte.