Nations Unies

CCPR/C/119/D/2934/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2934/2017 * , **

Communication présentée par :

M. B. (représenté par des conseils, Ian Bassett et David Hoskin)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Nouvelle-Zélande

Date de la communication :

19 décembre 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

28 mars 2017

Objet :

Équité des procédures pénales

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; présomption d’innocence ; droit de se défendre ; droit de faire appel d’une déclaration de culpabilité ; droit à la vie privée

Article(s) du Pacte :

14 (par. 1, 2, 3 et 5) et 17

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est M. B., de nationalité néo‑zélandaise. Il se dit victime d’une violation, par l’État partie, des droits qu’il tient des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l’article 14 et de l’article 17 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Nouvelle-Zélande le 26 août 1989. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Du 9 janvier au 11 août 2006, l’auteur était Directeur financier de la société Kerry NZ Limited. Il soutient avoir découvert, en avril ou mai 2006, que l’administrateur gérant de la société avait commis des malversations financières. Cela a conduit à un désaccord entre les deux hommes, qui sont donc convenus que l’auteur quitterait la société en août 2006. En juin ou juillet 2006, l’auteur a découvert d’autres irrégularités financières importantes dans les comptes de la société et en a informé l’actionnaire majoritaire. Après avoir quitté la société, l’auteur a été accusé d’avoir, pendant qu’il y travaillait encore, utilisé frauduleusement un logiciel de gestion de la paie pour augmenter de 6 % son salaire annuel, qui est ainsi passé de 165 000 dollars néo-zélandais (116 000 dollars des États-Unis) à 175 000 dollars néo-zélandais (123 000 dollars des États-Unis) et accroître son indemnité de congé annuel. Il a également été accusé d’avoir altéré les fichiers informatiques en juillet 2006, juste avant son départ, afin de dissimuler ses agissements.

2.2En octobre 2006, la société a demandé à l’auteur de lui rembourser les sommes qu’elle estimait lui avoir versées en trop ; celui-ci ayant refusé, elle a déposé plainte auprès de la police en mai 2007. Le 28 juillet 2008, la police a interrogé l’auteur, qui a été mis en examen le 6 août 2008 pour avoir frauduleusement utilisé un logiciel dans un but pécuniaire, en violation du paragraphe 1 a) de l’article 249 de la loi criminelle de 1961. L’auteur soutient qu’il avait de solides arguments de défense contre les accusations portées contre lui, l’administrateur délégué de la société ayant verbalement approuvé son augmentation de salaire. L’administrateur délégué a nié avoir autorisé cette augmentation, mais cela s’explique, selon l’auteur, par le fait qu’il n’avait pas obtenu l’approbation préalable de l’actionnaire majoritaire de la société et souhaitait se venger de la divulgation des irrégularités financières qu’il avait commises. L’auteur avance en outre qu’il n’a pas altéré les fichiers informatiques pour dissimuler ses actes et que c’est le fils de l’administrateur général qui les a modifiés. Il ajoute que le logiciel de gestion de la paie utilisé par la société n’était pas fiable et que les fichiers pouvaient être altérés sans que cela ne laisse de trace, en conséquence de quoi on ne pouvait pas avoir la certitude que c’était lui qui, en juillet 2006, avait modifié le montant de son salaire.

2.3L’auteur dit qu’il avait expressément demandé au conseil chargé de le représenter en première instance, par écrit, de présenter les moyens de défense susmentionnés, et notamment de faire valoir que l’administrateur général avait des raisons de mentir quant à l’augmentation de son salaire et que le logiciel de gestion de la paie n’était pas fiable. Il lui avait indiqué comment se mettre en rapport avec des témoins et recueillir les éléments de preuve pertinents. Or, pendant le procès devant le tribunal de district d’Auckland, le conseil de l’auteur n’a pas tiré argument des éléments de preuve disponibles ni suivi ses instructions. Le tribunal a donc conclu que les fichiers informatiques étaient fiables et, le 24 novembre 2010, l’auteur a été reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés. Il a été condamné à 200 heures de travail d’intérêt général et au versement d’une indemnité de 18 681 dollars néo-zélandais (13 130 dollars des États‑Unis).

2.4L’auteur a interjeté appel du jugement du tribunal de district d’Auckland devant la Cour d’appel au motif que son conseil n’avait pas suivi ses instructions et ne l’avait pas bien défendu, et notamment qu’il n’avait pas tiré argument des éléments de preuve disponibles ni dûment contre-interrogé les témoins. Le conseil n’a pas contesté qu’il avait reçu pour instruction expresse de faire valoir la vengeance comme moyen de défense et de mettre en question la fiabilité des données contenues dans le logiciel de gestion de la paie de la société, mais a expliqué qu’il ne l’avait pas fait parce qu’il lui appartenait de décider de la stratégie de défense à adopter et qu’aucunélément de preuve documentaire ou autre ne venait étayer les arguments de son client. L’auteur a soumis à la Cour d’appel de nouveaux témoignages d’experts selon lesquels les données contenues dans le logiciel de gestion de la paie de la société n’étaient pas fiables, témoignages qui n’ont pas été contestés. La Cour a toutefois rejeté le recours formé par l’auteur, faisant observer que « force lui était de conclure que [celui-ci] essay[ait] de faire rejuger l’affaire au prétexte que [son] conseil avait commis des erreurs ». La Cour a dit de surcroît que, même si elle avait pu ajouter foi aux nouveaux éléments présentés par l’auteur, elle n’aurait pas statué autrement. L’auteur soutient que la Cour n’a pas donné suffisamment de temps à sa défense pour contre-interroger le conseil qui l’avait représenté en première instance ainsi que d’autres témoins en vue de déterminer l’ampleur et les conséquences du refus du premier de plaider comme il le lui avait demandé.

2.5L’auteur a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel devant la Cour suprême. Le 23 mai 2012, la Cour suprême a rejeté sa demande au motif qu’il n’avait pas démontré que « l’examen détaillé auquel la Cour d’appel avait soumis les nouveaux éléments de preuve ait été erroné ou incomplet ». Concernant l’allégation selon laquelle la Cour d’appel n’avait pas accordé à la défense suffisamment de temps pour contre-interroger les témoins, la Cour suprême a fait observer que la défense n’avait pas fait valoir que la procédure en appel ne serait pas équitable si elle disposait uniquement du temps alloué par le Président, ni que, par manque de temps, elle n’avait pas pu contre-interroger les témoins sur tel ou tel point et que, compte tenu de ses besoins, laCour d’appel lui avait finalement accordé davantage de temps aux fins du contre-interrogatoire initialement prévu. En conséquence, la Cour suprême a conclu que la procédure n’était entachée d’aucune erreur judiciaire.

2.6L’auteur a engagé une action civile pour négligence contre le conseil qui le représentait en première instance, action qui a abouti à un règlement confidentiel le 11 avril 2014.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que les droits qu’il tient des paragraphes 1 et 3 de l’article 14 du Pacte ont été violés car le conseil qui le représentait en première instance a été autorisé à ne faire aucun cas des instructions qu’il lui avait données. Il dit avoir enjoint à son conseil de faire valoir tels et tels éléments factuels essentiels pour sa cause, instructions qu’il n’a pas suivies au cours du procès. La Cour d’appel n’a rien trouvé à redire à cette situation, jugeant que le conseil était libre de refuser de suivre les instructions de son client et de ne pas faire valoir sa version des faits, ce qui a porté atteinte aux droits que l’auteur tient de l’article 14 du Pacte.

3.2 L’auteur soutient également que les droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ont été enfreints car il a été jugé avec un retard excessif. Il fait observer que trois ans et six mois se sont écoulés entre le moment où la plainte le concernant a été déposée auprès de la police (mai 2007) et le prononcé de la déclaration de culpabilité (le 24 novembre 2010), alors qu’il était pourtant mis en cause dans une affaire simple dans laquelle seuls quatre témoins à charge ont été entendus et que la présentation des moyens des parties n’avait duré que cinq jours. Il fait également observer qu’à compter de sa mise en examen, en août 2008, la procédure a duré plus de deux ans et deux mois. Il souligne qu’il n’était en rien responsable de la lenteur de la procédure, mais que le droit néo-zélandais ne lui offre aucune voie de recours pour la dénoncer car elle est considérée comme acceptable.

3.3L’auteur soutient en outre que les droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 14 ont été enfreints car les juridictions d’appel n’ont pas dûment examiné les éléments de preuve sur lesquels reposait sa déclaration de culpabilité. Selon lui, il n’a pas été contesté en appel que les données enregistrées dans le logiciel de gestion de la paie n’étaient pas fiables ; par conséquent, la Cour d’appel n’aurait pas dû se fonder sur ces données pour se prononcer sur ce qui s’était passé lorsque son salaire avait été augmenté en juillet 2006. Il avance que, faute de preuves informatiques fiables, c’était simplement sa parole contre celle de l’administrateur délégué de la société.

3.4L’auteur affirme que les droits qu’il tient du paragraphe 5 de l’article 14 ont été violés parce que la législation néo-zélandaise dans son ensemble est déficiente s’agissant du droit de former un recours au pénal, les juridictions d’appel n’attachant pas suffisamment d’importance à la question de savoir si le conseil a suivi les instructions de son client. Il fait valoir qu’en se souciant davantage de savoir si une erreur judiciaire avait été commise que de s’assurer que son procès avait été équitable, les juridictions d’appel ont porté atteinte à son droit à un recours.

3.5L’auteur soutient que les droits qu’il tient de l’article 17 ont été enfreints car le non‑respect de ses instructions par le conseil qui le représentait en première instance a porté atteinte à son droit au libre arbitre.

Délibérations du Comité

4.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3Le Comité relève que l’auteur n’a pas fait valoir devant les tribunaux nationaux l’argument selon lequel la lenteur de la procédure engagée contre lui a entraîné une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. Il relève que l’auteur soutient qu’il ne dispose d’aucun recours utile en Nouvelle-Zélande. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que, même s’il n’existe pas d’obligation d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs de communications doivent faire preuve de diligence pour exercer les recours disponibles et de simples doutes ou supputations quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas l’auteur d’une communication de l’épuiser. Le Comité constate qu’en l’espèce, l’auteur n’a présenté aucun argument à l’appui de la thèse selon laquelle le droit néo-zélandais ne lui assure aucun recours utile contre la lenteur de la procédure engagée contre lui. Dans ces circonstances, et en l’absence d’autres informations dans le dossier, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.4Le Comité constate que l’auteur soutient que l’État partie a porté atteinte aux droits qu’il tient des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l’article 14 et de l’article 17 du Pacte au motif que : a) son conseil n’a pas suivi ses instructions au cours du procès ; b) les juridictions d’appel ont refusé de lui offrir un recours contre cette faute professionnelle ; c) les juridictions d’appel n’ont pas dûment examiné les éléments de preuve sur lesquels repose la déclaration de culpabilité ; d) la législation néo-zélandaise dans son ensemble est déficiente s’agissant du droit de former un recours au pénal, les juridictions d’appel n’attachant pas suffisamment d’importance à la question de savoir si le conseil chargé de défendre l’accusé en première instance a suivi les instructions données par son client ; e) en s’inquiétant davantage de savoir si une erreur judiciaire avait été commise que de déterminer si son procès avait été équitable, les juridictions d’appel ont porté atteinte à son droit à un recours. Le Comité est d’avis que ces allégations ont essentiellement trait à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les juridictions néo-zélandaises et à leur application de la législation nationale. Rappelant sa jurisprudence constante, il souligne qu’il n’est pas un organe de dernier ressort compétent pour réexaminer des constatations de fait ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les procédures engagées devant les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que les mesures prises par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont constitué un déni de justice. Partant, les griefs de l’auteur sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 et de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.