Nations Unies

CCPR/C/118/D/2107/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 décembre 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2107/2011*,**

Communication p résentée par :

Vyacheslav Berezhnoy (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

26 septembre 2009(date de la lettre initiale)

Réfé rences:

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 septembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

28 octobre 2016

Objet :

Détention illégale d’un mineur et procès inéquitable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Justice pour mineurs ; tuteur/tutelle ; procès équitable − assistance et représentation en justice, procès équitable − retard excessif, extorsion d’aveux

Article(s) du Pacte:

9 (par. 1, 2, 3 et 4), 10 (par. 2 b)), 14 (par. 1, 3 b), c) et g), 4 et 5) et 24

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Vyacheslav Berezhnoy, de nationalité russe, né en 1979. Il se dit victime de violations par la Fédération de Russie des droits qu’il tient des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 2 b) de l’article 10, des paragraphes 1, 3 b), c) et g), 4 et 5 de l’article 14, et de l’article 24 de cet instrument. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur fait valoir que, le 16 février 1995 à 4 heures du matin, il a été arrêté par la police et emmené dans un poste de police de la ville de Saratov. À ce stade de sa détention, il n’a été informé ni des motifs de son arrestation, ni de ses droits et n’a pas eu la possibilité de communiquer avec un avocat. Il affirme avoir subi, au poste de police, des « pressions physiques et psychologiques » pendant une dizaine d’heures et avoir été contraint d’avouer par écrit qu’il avait commis plusieurs vols et cambriolages. Après avoir rédigé ces aveux, il a été soumis à un interrogatoire en qualité de suspect et ce n’est qu’à ce stade que son placement en détention a été consigné sur un registre officiel, dans lequel il était indiqué que son arrestation avait eu lieu à 14 h 20.

2.2L’auteur fait aussi valoir que, pendant ces dix heures de détention illégale, il n’a pas eu la possibilité de communiquer avec un avocat, ni avec ses parents. Il a demandé aux enquêteurs de faire en sorte que sa mère soit présente pour l’aider à choisir un avocat qui serait chargé de l’assister et de le représenter, mais on lui a répondu qu’il n’avait droit à aucune visite. Pendant toute la durée de l’enquête, il n’a pas été assisté ni représenté par un conseil, alors même qu’il était mineur. Un avocat ne lui a été commis d’office que juste avant les audiences.

2.3L’auteur fait valoir en outre qu’il a ensuite été soumis à de nouveaux interrogatoires, à chaque fois en l’absence d’un avocat et de sa mère. Selon lui, cela constitue une violation de la procédure pénale nationale, qui prévoit que les suspects mineurs doivent bénéficier immédiatement et gratuitement de l’assistance d’un avocat. Il fait valoir que l’avocate commise d’office, Mme P. N., a étudié son dossier et signé les registres d’examen à peine quelques jours avant l’ouverture du procès, et qu’elle a antidaté et signé tous les procès‑verbaux des interrogatoires qu’il avait subis, sans jamais lui donner de conseils d’ordre juridique. L’avocate n’a été désignée que le 20 mars 1996 et n’a assisté à aucun des interrogatoires.

2.4L’auteur fait valoir qu’il n’a jamais été présenté à un juge pour que celui-ci examine les motifs de sa détention et que, le 28 février 1995, un procureur a ordonné son placement en détention provisoire. Le 10 mars 1995, le même procureur a ordonné que la détention provisoire soit prolongée de trois mois, une nouvelle fois sans qu’une décision de justice ait été rendue. Les deux ordonnances ont été prononcées en l’absence de l’auteur, bien qu’en application de la législation nationale, le procureur soit tenu d’entendre le mineur mis en cause lorsqu’il doit décider de sa mise en détention. L’auteur fait également valoir qu’aucune copie des ordonnances de mise en détention et de prolongation de la détention ne lui a été délivrée et que, par voie de conséquence, et n’ayant pas d’avocat, il n’a pas pu faire appel de ces décisions.

2.5L’auteur fait valoir en outre que la seconde ordonnance relative à la détention a expiré le 18 mai 1995 et qu’il aurait donc dû être remis en liberté. Or, il n’a pas été libéré et a été au contraire maintenu illégalement en détention pendant plus de neuf mois, jusqu’à l’ouverture de son procès, le 5 mars 1996, devant le tribunal municipal de Krasnoarmeisk (région de Saratov). Il fait valoir qu’il n’a pas été informé de la date du procès, non plus qu’il n’a reçu copie de l’ordonnance d’ouverture des audiences, en violation de la loi. Il n’a appris que le procès allait s’ouvrir qu’au moment où on l’a conduit au tribunal et n’a donc pas eu la possibilité de préparer l’audience.

2.6L’auteur fait valoir que, pendant toute la durée du procès, il a été jugé « à charge », le juge donnant personnellement lecture des chefs d’inculpation à l’ouverture des audiences et l’interrogeant sur un ton accusateur, si bien qu’il était convaincu qu’il faisait face à deux accusateurs dans la salle d’audience : le procureur et le juge. Il n’a donc pas osé dénoncer la manière dont on l’avait contraint à rédiger des aveux et s’est contenté de confirmer ce qui lui était lu. Âgé d’à peine 16 ans au moment des audiences, il ne savait pas comment formuler ses objections. Le 25 mars 1996, il a été condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour plusieurs vols et cambriolages.

2.7L’auteur fait valoir que, en application de la législation nationale, le juge du fond peut, à sa discrétion, autoriser les condamnés à recevoir des visites pendant le délai de recours en annulation mais qu’en l’espèce, le juge a refusé d’autoriser ses parents à lui rendre visite, en dépit de la demande expresse qu’il avait présentée. Il n’a donc pas pu demander à ses parents de lui trouver un avocat ou de l’aider à former un recours et il a laissé passer le délai de recours en annulation.

2.8À des dates non précisées, l’auteur a saisi le tribunal régional de Saratov et la Cour suprême de la Fédération de Russie pour demander que le jugement rendu contre lui soit réexaminé au titre de la procédure de contrôle. L’affaire a été réexaminée et le jugement a été confirmé par ces deux instances, le 27 octobre 2007 et le 9 février 2009, respectivement. Les deux juridictions ont rejeté l’argument de l’auteur, selon qui les enquêteurs avaient employé des moyens illégaux pour lui extorquer des aveux, dès lors que, selon elles, l’auteur avait confirmé ses aveux en première instance, en présence d’une avocate et de sa représentante légale. La Cour suprême a également rejeté l’argument de l’auteur, qui affirmait avoir été détenu illégalement dans l’attente de son jugement, estimant que cet argument « ne saurait être retenu, puisque l’intéressé a fait l’objet d’un jugement de condamnation et que le temps qu’il a passé en détention provisoire a été déduit de la durée de sa peine ».

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que, en le détenant pendant dix heures sans mandat d’arrêt officiel, l’État partie a commis une violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Pendant ce temps, on l’a forcé à avouer des infractions qu’il n’avait pas commises.

3.2L’auteur soutient aussi qu’après son arrestation, il a été informé des motifs pour lesquels il avait été arrêté, mais n’a pas reçu copie de l’ordonnance de mise en détention, ni n’a été présenté dans les meilleurs délais à un juge et n’a pas pu contester la légalité de sa détention, en violation des droits qui lui sont reconnus par les paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 9 du Pacte.

3.3L’auteur fait valoir en outre que, en rendant une ordonnance de mise en détention sans l’avoir entendu, le procureur a violé les droits qu’il tenait du paragraphe 2 b) de l’article 10 du Pacte.

3.4L’auteur avance que, en le jugeant à charge, le juge a violé les droits qui lui sont reconnus par le paragraphe 1 de l’article14 du Pacte. Il affirme qu’il n’a pas disposé du temps ni des facilités nécessaires à la préparation de sa défenseavant l’audience, en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, parce qu’il n’a été informé ni de la date de l’audience, ni de son droit d’être représenté par un avocat et qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat commis d’office durant l’instruction.

3.5L’auteur soutient qu’il n’a pas été jugé dans les meilleurs délais mais a été maintenu en détention pendant plus d’un an alors même qu’il était mineur, en violation du paragraphe 3 c)de l’article 14 du Pacte. Il fait valoir qu’il a été interrogé en l’absence d’un avocat et qu’il n’a pas été informé qu’il n’était pas obligé de témoigner contre lui-même, en violation du paragraphe 3 g) de l’article 14.

3.6L’auteur affirme que les tribunaux n’ont pas tenu compte de son âge, en violation du paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte. Il soutient aussi que le droit de faire appel qu’il tient du paragraphe 5 de l’article 14a été violé puisqu’il n’a pas eu la possibilité de consulter un avocat après le prononcé du jugement et n’a donc pas pu former de recours en annulation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Les 25 juin et 17 août 2012, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il fait valoir que l’auteur a été arrêté vers 3 heures du matin, le 16 février 1995, parce qu’il était soupçonné de vols et de cambriolages, en particulier d’avoir participé au cambriolage du magasin « Garantia ». Plusieurs autres personnes ont été arrêtées. La police a ouvert une enquête judiciaire le même jour. Le rapport d’enquête contient les aveux de l’auteur concernant non seulement le cambriolage du magasin « Garantia » mais aussi d’autres infractions commises entre le 27 janvier et le 10 février 1995.

4.2Le 16 février 1995, l’auteur a été dûment informé de ses droits et des chefs d’inculpation retenus contre lui, comme l’attestent les documents pertinents sur lesquels il a apposé sa signature. Après le premier interrogatoire, l’auteur, soupçonné de plusieurs infractions réprimées au paragraphe 2 de l’article 144 du Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), a été placé officiellement en garde à vue.

4.3En application de l’article 393 du Code de procédure pénale de la RSFSR, un mineur ne peut être placé en détention que dans des circonstances exceptionnelles. Ainsi qu’il ressort du rapport de police, l’auteur et les autres mis en cause ont été placés en détention parce qu’à défaut, ils risquaient de commettre d’autres infractions ou de se soustraire à l’enquête. Les parents de l’auteur ont été informés de vive voix de son arrestation.

4.4Le 18 février 1995, l’auteur a été placé en détention avant jugement sur ordonnance du procureur interdistrict. Le paragraphe 2 de l’article 22 de la Constitution de la Fédération de Russie prévoit que la détention n’est permise que sur décision judiciaire. Toutefois, en 1995, cette disposition n’était pas encore entrée en vigueur et l’État partie appliquait encore les dispositions du Code de procédure pénale de la RSFSR. Selon l’article 91 de ce code, un tribunal, un enquêteur ou encore un procureur peut décider du placement en détention. L’intéressé doit recevoir copie de la décision de mise en détention. L’acte du procureur porte la signature de l’auteur et de son avocate, Mme P. N.

4.5Il ressort des documents pertinents que l’avocate, Mme P. N, était présente le 24 février 1995, lorsque l’auteur a été inculpé de plusieurs infractions et lorsqu’il a été interrogé par un enquêteur. Il en ressort en outre que l’avocate était également présente lors de l’interrogatoire du 27 mars 1995. Le 8 avril 1995, la mère de l’auteur, Mme B. O., a été désignée comme sa représentante légale, et informée de ses droits procéduraux.

4.6Le 11 avril 1995, l’auteur a été informé, en présence de Mme P. N. et de sa mère, des chefs d’inculpation finalement retenus contre lui. Il a reconnu une nouvelle fois sa culpabilité et ne s’est plaint d’aucun mauvais traitement. Les 13 et 14 avril 1995, il a été informé de la fin de l’enquête, et a eu du temps pour étudier les éléments du dossier pénal. Ainsi qu’il ressort des documents pertinents, l’auteur et son avocate ont étudié les éléments du dossier et l’auteur n’a fait aucun commentaire, ni formulé aucune plainte. De manière générale, rien dans les actes de procédure ne permet de confirmer les allégations de l’auteur, qui prétend avoir été maltraité au cours de l’enquête et n’avoir pas été autorisé à voir son avocate ou ses parents.

4.7Le 27 avril 1995, le dossier pénal a été transmis au tribunal municipal de Krasnoarmeisk. L’auteur n’a présenté aucune réclamation concernant la possibilité d’examiner les pièces du dossier. Sur décision du tribunal en date du 5 mars 1996, la détention de l’auteur a été prolongée, en application de l’article 222 du Code de procédure pénale. Le 25 mars 1996, lorsqu’il a fixé la durée de la peine prononcée contre l’auteur, le tribunal a tenu compte du temps passé par celui-ci en détention provisoire. En outre, à la lecture des comptes rendus d’audience, il ressort que le tribunal n’a pas jugé l’auteur « à charge », comme celui-ci le prétend.

4.8En ce qui concerne les irrégularités de procédure qui auraient entaché le procès, l’État partie fait valoir que le juge est autorisé à poser des questions au cours des audiences. C’est en outre au tribunal qu’il appartient de décider de l’ordre dans lequel les témoins doivent être interrogés. Ainsi qu’il ressort des comptes rendus d’audience, l’auteur a une nouvelle fois reconnu sa culpabilité et a livré un récit circonstancié des faits dont il s’était rendu coupable. Il ne s’est pas plaint de mauvais traitements auprès du tribunal. Le 27 mars 1996, il a reçu copie du jugement rendu par le tribunal le 25 mars 1996. Ce document contenait des informations sur le droit de l’auteur d’introduire un recours en annulation. Malgré cela, l’auteur n’a formulé aucune plainte, ni aucun commentaire.

4.9L’État partie fait valoir aussi que, le 16 avril 2007, le jugement du 25 mars 1996 a été modifié pour être mis en conformité avec la législation qui venait d’être adoptée. Notamment, la qualification d’infractions « répétitives » a été supprimée, ainsi que l’un des faits de vol commis au magasin « Kluchevskoe ». Comme suite à ces modifications, l’auteur a vu sa peine réduite à trois ans et onze mois d’emprisonnement.

4.10L’État partie fait valoir en outre que l’auteur n’a pas formé de recours en annulation contre le jugement du 25 mars 1996 ; on ne saurait donc considérer qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles. S’il est vrai que l’auteur a introduit plusieurs recours devant la Cour suprême de la Fédération de Russie, il s’agissait de recours formés au titre de la procédure de contrôle, qui ont une portée limitée. L’État partie demande donc au Comité de déclarer la communication irrecevable.

4.11Enfin, compte tenu des informations ci-dessus, l’État partie soutient que les griefs de violation des droits que l’auteur, en tant que mineur, tenait de l’article 24 du Pacte, sont sans fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Le 30 août, et les 3 et 29 septembre 2012, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication. Il note que l’État partie ne nie pas que sa mère n’avait pas été autorisée à le voir avant le 8 avril 1995, soit après la fin de l’enquête. Il fait valoir qu’il avait demandé à voir sa mère pour la première fois le 16 février 1995.

5.2L’auteur affirme qu’on l’a torturé et maltraité au début de sa détention pour lui extorquer des aveux. Les policiers l’ont frappé au ventre, ainsi qu’à la tête avec un gros livre, et l’ont menacé de le placer dans une cellule avec des détenus accusés de viol et d’autres crimes violents. L’auteur s’est plaint de ce traitement pour la première fois en 2007, puis en 2008 auprès du Bureau du Procureur général, mais ses plaintes sont restées lettre morte.

5.3L’auteur affirme aussi qu’il n’a pas été autorisé à choisir un avocat, alors qu’il avait demandé à voir sa mère précisément pour qu’elle l’aide dans cette démarche. Il fait valoir qu’il était alors âgé d’à peine 15 ans, qu’il ne comprenait pas nombre des questions qu’on lui posait, et qu’on lui demandait constamment d’avouer des infractions qu’il n’avait pas commises. En outre, de 3 heures du matin à 14 h 20 le 16 février 1995, il a été détenu illégalement et l’ordonnance de désignation de l’avocate, Mme P. N., n’avait pas été établie ; du reste, ce document était très probablement un faux, puisqu’il ne portait pas de numéro de référence et n’avait pas été signé par l’avocate. L’auteur affirme que celle-ci a signé tous les documents après la fin de l’enquête et ne l’a jamais représenté. Il fait valoir en outre que l’avocate a été désignée par l’enquêteur chargé de l’affaire, et qu’il n’a pas eu la possibilité de consulter sa mère pour choisir un autre avocat.

5.4L’auteur note que l’État partie ne nie pas le fait que sa détention a été ordonnée par le procureur et non par le tribunal. L’État partie affirme que l’auteur a été informé de ses droits, comme l’attestent les différents actes de procédure, et que les procès-verbaux des interrogatoires portent sa signature. L’auteur fait valoir que les signatures en question ne sont pas de sa main et que de nombreux actes ne portent ni date, ni heure. Il rejette l’argument de l’État partie, qui prétend qu’il avait la possibilité de contester la légalité de sa mise en détention s’il le souhaitait. D’une part, il ne bénéficiait pas des services d’un avocat pour ce faire et, d’autre part, il n’avait pas reçu copie de la décision, sans laquelle toute contestation était impossible. Il affirme que, en violation du paragraphe 2 b) de l’article 10 du Pacte, il n’a pas été jugé dans les meilleurs délais.

5.5L’auteur note aussi que l’État partie ne nie pas non plus qu’il a été détenu illégalement pendant plus de dix mois avant d’être jugé. La première ordonnance de mise en détention autorisait le maintien de l’auteur en détention pendant deux mois, jusqu’au 18 avril 1995. À compter de cette date et jusqu’à l’ouverture du procès, le 5 mars 1996, l’auteur a été détenu illégalement, aucune ordonnance ou décision relative à la détention n’ayant été rendue, ni par un procureur, ni par un tribunal.

5.6L’auteur fait valoir qu’il n’avait ni les moyens, ni la possibilité de former un recours en annulation après le prononcé du jugement. On l’a informé du début des audiences en le conduisant au tribunal. En outre, il n’a pu consulter ni l’avocate, ni ses parents, avant les audiences. L’État partie affirme qu’il ne ressort pas du dossier que l’auteur a demandé à introduire un recours en annulation, et que l’avocate n’a pas demandé à rencontrer l’auteur après le jugement. L’auteur affirme que, en raison de son âge, il ne savait pas comment introduire ou préparer un recours.

5.7Concernant la révision, le 16 avril 2007, du jugement rendu contre lui, l’auteur fait valoir que la nouvelle décision ne tenait pas compte des violations qu’il dit avoir subies. Il s’agissait d’une décision officielle visant à mettre le précédent jugement en conformité avec le nouveau Code de procédure pénale de la Fédération de Russie, et elle n’a réduit que d’un mois la peine qui lui avait été infligée.

Observations complémentaires des parties

Observations de l’État partie

6.1Le 28 mars 2013, l’État partie a réitéré ses observations précédentes. Il ajoute que le dossier pénal contient les aveux faits par l’auteur le 16 février 1995. L’auteur a alors été informé des droits garantis par l’article 51 de la Constitution de la Fédération de Russie, à savoir que nul n’est tenu de témoigner contre soi-même, son conjoint et ses proches parents. Les parents de l’auteur ont aussi été avisés de l’arrestation de l’auteur.

6.2Le dossier pénal ne contient aucune demande de l’auteur tendant à changer d’avocat. Le 8 avril 1995, la mère de l’auteur a été désignée comme sa représentante légale. Conformément à l’article 92 du Code de procédure pénale de la RSFSR, l’ordonnance de détention a été rendue sous la forme d’une décision motivée. Conformément à l’article 96 du Code de procédure pénale de la RSFSR, une telle décision peut être prise par un enquêteur, et approuvée par un procureur.

6.3L’État partie fait valoir que le dossier ne contient aucune plainte de l’auteur concernant sa détention, les conditions de celle-ci ou l’un quelconque des mauvais traitements qu’il aurait subis. De plus, à la suite de sa condamnation, l’auteur a été informé des procédures à suivre pour introduire un recours en annulation, mais aucun recours n’a été enregistré.

6.4L’État partie fait aussi observer que c’est le 18 décembre 2008 que l’auteur a pour la première fois fait valoir des griefs, dans le cadre d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle soumise à la Cour suprême de la Fédération de Russie. L’auteur a alors allégué avoir été victime de mauvais traitements en détention et de la violation de son droit à l’assistance d’un conseil, et avoir subi des pressions policières visant à lui faire avouer des infractions qu’il n’avait pas commises. Les 9 février et 29 mai 2009, la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté ces griefs. L’État partie fait observer que l’auteur a présenté ces griefs au Comité seize ans après sa condamnation initiale en 1995, à la suite d’une nouvelle condamnation pour une autre infraction.

6.5L’État partie affirme que les allégations de l’auteur concernant la falsification d’un certain nombre de documents, signatures et autres écritures sont inexactes. Le dossier contient tous les éléments de preuve nécessaires et a été constitué conformément aux dispositions légales en vigueur à l’époque.

6.6L’État partie fait valoir en outre que, dans l’énoncé des griefs dont il a saisi le Bureau du Procureur général les 9 août et 13 décembre 2007, l’auteur n’a fait état d’aucun acte de torture ou mauvais traitement subi en détention mais a contesté la légalité d’une condamnation différente, et sans relation avec la précédente, datant de 1998. L’auteur n’a rien mentionné qui ait un rapport avec le jugement prononcé contre lui en 1995.

Observations de l’auteur

7.1L’auteur a communiqué une lettre dans laquelle sa mère conteste avoir été promptement informée de l’arrestation de son fils. Il soutient que sa mère n’a été informée de cette arrestation qu’au bout de plusieurs jours, sans indiquer la date exacte. Il affirme que sa mère s’est rendue plusieurs fois au poste de police (sans précision de date), mais qu’une enquêtrice, Mme R. S., ne l’a pas autorisée à voir son fils. En outre, alors que sa mère voulait engager un avocat à titre privé, on lui a dit que son fils avait déjà un conseil.

7.2L’auteur soutient que sa mère, en qualité de représentante légale, n’a été autorisée à prendre part à la procédure pénale qu’à partir du 8 avril 1995, alors que l’enquête était presque terminée. Il ajoute que la signature confirmant qu’il avait étudié l’intégralité du dossier pénal le concernant et n’avait aucun commentaire à formuler était contrefaite. Les actes de procédure n’indiquent pas quand l’auteur a étudié le dossier, c’est l’État partie qui prétend lui avoir donné, les 13 et 14 avril 1995, du temps pour étudier les éléments y figurant.

7.3L’auteur fait valoir en outre que le caractère tardif de la saisine de la Cour suprême de la Fédération de Russie et de la soumission de ses griefs au Comité peut s’expliquer par le fait qu’il n’avait que 15 ans au moment du jugement et de sa condamnation en 1995, ainsi que par le fait qu’il n’a aucune formation juridique. Il n’a pu consulter le Code pénal et le Code de procédure pénale qu’en 2006, lorsque des « sections juridiques » ont été ouvertes dans les établissements pénitentiaires à l’intention des détenus.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie concernant la soumission tardive de la communication au Comité. Il note que l’auteur a saisi la Cour suprême de la Fédération de Russie au titre de la procédure de contrôle le 18 décembre 2008, avant de soumettre sa communication au Comité en 2009, et que, selon le droit interne de l’État partie, il n’existe aucun délai pour soumettre une demande au titre de cette procédure. Le Comité fait observer que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un simple retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication. Dans ces conditions, il estime en l’espèce que le retard ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication.

8.4En ce qui concerne l’obligation énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la présente communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, car l’auteur n’a pas exercé le recours en annulation qui lui était ouvert après le jugement de 1995 et a uniquement saisi la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle le 18 décembre 2008. Il relève que, les 9 février et 29 mai 2009, la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté les recours de l’auteur. Il prend en outre note des griefs de l’auteur, qui affirme qu’il s’est vu refuser le droit de consulter ses parents au sujet du recours en annulation et n’a pas eu la possibilité de choisir un autre avocat en remplacement de Mme P. N., désignée par la personne chargée de l’enquête. Tenant compte de l’âge de l’auteur et de sa vulnérabilité à l’époque, et prenant note des griefs de l’auteur concernant l’absence d’accès aux dossiers des audiences et l’impossibilité de se faire représenter en justice ou de consulter ses parents, le Comité ne peut conclure que l’auteur a disposé des moyens nécessaires à l’exercice du recours qui lui était ouvert. Dans ces circonstances, il considère que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la présente communication.

8.5Le Comité a pris note des griefs que l’auteur tire des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte en rapport avec l’attitude accusatoire du juge. Cependant, en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, il estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. Il déclare en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les autres griefs qu’il tire des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9, du paragraphe 2 b) de l’article 10 et des paragraphes 3 b) et c), 4 et 5 de l’article 14, ainsi que de l’article 24 du Pacte. Il déclare en conséquence la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité rappelle que, aux termes du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale « sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Il rappelle également que « [s]i le sens exact à donner à l’expression “dans le plus court délai” peut varier selon les circonstances objectives, le laps de temps ne devrait pas dépasser quelques jours à partir du moment de l’arrestation. De l’avis du Comité, quarante-huit heures suffisent généralement à transférer l’individu et à préparer l’audition judiciaire ; tout délai supérieur à quarante-huit heures doit rester absolument exceptionnel et être justifié par les circonstances ». Un délai particulièrement strict, de vingt-quatre heures par exemple, devrait être appliqué dans le cas des mineurs. Le Comité note que, d’après les allégations de l’auteur, qui n’ont pas été contestées, celui-ci a été arrêté le 16 février 1995, a été placé officiellement en détention provisoire sur décision d’un procureur le 18 février 1995 mais n’a pas été présenté à un juge avant de nombreux mois, le jour de l’ouverture du procès. Le Comité rappelle qu’il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que le contrôle de la détention soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions traitées et qu’un procureur ne peut pas être considéré comme une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Par conséquent, le Comité conclut que les faits susmentionnés font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

9.3Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui n’ont pas été contestées, indiquant qu’il a été détenu de façon illégale depuis le 18 mai 1995 jusqu’à l’ouverture des audiences judiciaires, le 5 mars 1996. Le Comité note aussi que l’État partie n’a fourni aucun renseignement sur le lieu où se trouvait l’auteur durant cette période. Il rappelle que, selon le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte et sa jurisprudence constante, quiconque se trouve privé de sa liberté a le droit d’introduire un recours devant le tribunal afin que celui‑ci statue sur la légalité de sa détention. S’il n’y a pas de fondement juridique au maintien de la détention, le juge doit ordonner la remise en liberté. Dans le cas d’espèce, outre qu’il n’a pas été présenté à un juge pour que celui-ci prenne la décision initiale de placement en détention, l’auteur n’a pas été autorisé à introduire un recours devant un tribunal pour contester sa détention, en violation directe des dispositions du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte. Le Comité conclut donc que la détention illégale de l’auteur a violé les droits que celui-ci tient du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion, il décide de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur tire des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 17 (1989) sur les droits de l’enfant, son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable ainsi que sa jurisprudence, et réaffirme que les mineurs prévenus ont le droit d’être jugés sans retard selon une procédure équitable. Le paragraphe 2 b) de l’article 10 renforce dans le cas des mineurs l’obligation faite au paragraphe 3 de l’article 9 de juger rapidement les prévenus. Le Comité note que l’auteur a été arrêté le 16 février 1995 et que son cas n’a pas été décidé avant le 25 mars 1996. Il note aussi que, selon l’État partie, l’enquête pénale a pris fin et les éléments du dossier pénal ont été transmis au tribunal municipal de Krasnoarmeisk le 27 avril 1995, près d’un an avant la décision finale. En l’absence de toute explication pertinente de l’État partie concernant ce manquement important à l’obligation de décider du cas d’un mineur privé de liberté, le Comité considère que les droits à ce qu’il soit statué rapidement sur son sort, garantis à l’auteur par le paragraphe 2 b) de l’article 10, ont été violés. Ayant constaté une telle violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 b) de l’article 10 du Pacte et en se fondant sur les mêmes motifs, le Comité constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis à l’auteur par le paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9.5En ce qui concerne le droit d’être assisté par un conseil, le Comité note que l’auteur affirme avoir demandé à voir sa mère afin que celle-ci l’aide à choisir un avocat. Il note aussi que la mère de l’auteur qui, compte tenu de l’âge de son fils, aurait pu aider celui-ci à trouver un avocat, a été désignée comme sa représentante légale le 8 avril 1995 seulement, alors que l’enquête était presque terminée. Il rappelle que, en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, l’accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et pouvoir communiquer avec le conseil de son choix. Cette disposition est un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Le Comité estime que l’auteur, compte tenu de son âge à l’époque et de sa vulnérabilité, n’a pas pu disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense ou communiquer avec le conseil de son choix, et qu’il y a donc eu violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

9.6Ayant conclu, dans le cas d’espèce, à une violation des alinéas b) et c) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur tire du paragraphe 5 de l’article 14.

9.7En ce qui concerne les allégations de l’auteur relatives à la violation des droits qu’il tient du paragraphe 4 de l’article 14, le Comité rappelle l’article 24 du Pacte et réaffirme que, dans une procédure pénale, les mineurs ont besoin d’une protection spéciale. Il a déjà souligné qu’il importe que les jeunes prévenus bénéficient d’une aide appropriée dans la procédure pénale, notamment par l’intermédiaire de leurs parents ou représentants légaux. Le Comité prend note de l’observation de l’État partie indiquant que les parents de l’auteur avaient été informés « de vive voix » lors de la mise en détention de l’auteur, mais il relève que la mère de l’auteur n’a été désignée comme sa représentante légale que le 8 avril 1995, soit près de deux mois après son arrestation. Il estime qu’en l’espèce, étant donné que l’âge qu’avait l’auteur à l’époque mettait celui-ci en situation de vulnérabilité, la possibilité donnée à un parent, un tuteur légal ou un représentant légal de lui venir en aide sans entrave aurait pu contribuer de manière déterminante à protéger ses droits tout au long de la procédure pénale. Les droits en question comprennent, sans y être limités, le droit à l’assistance d’un avocat de son choix, le droit à être jugé aussi rapidement que possible, et le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense. Considérant que les renseignements fournis par les parties montrent que l’État partie a manqué à son obligation d’adopter des mesures spéciales de protection de l’auteur en raison de son âge, le Comité constate que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 4 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 24, du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits garantis à l’auteur par les paragraphes 3 et 4 de l’article 9, le paragraphe 2 b) de l’article 10 et le paragraphe 3 b) et c) de l’article 14, et par le paragraphe 4 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile aux personnes dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres,d’accorder à Vyacheslav Berezhnoyune indemnisation adéquate, couvrant le remboursement des amendes imposées par le tribunal, des frais de justice et autres frais connexes qu’il a dû assumer. Il est également tenu deprendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’égard de délinquants mineurs.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que leComité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiqueset à les diffuser largement sur son territoire.