Nations Unies

CCPR/C/119/D/2473/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 mai 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du paragraphe 4de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 2473/2014 * , **

Communication présentée par :

A. H. S. (représenté par un conseil, Tage Gottsche)

Au nom de :

A. H. S.

État partie :

Danemark

Date de la communication :

24 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 29 octobre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

28 mars 2017

Objet :

Non-refoulement ; arrestation et détention arbitraires

Questions de procédure :

Fondement des griefs

Questions de fond :

Torture ; arrestation et détention arbitraires

Article(s) du Pacte :

7 et 9

Article(s) du Protocole facultatif:

2

1.1L’auteur de la communication est A. H. S., apatride originaire de Gaza, né en 1982. Il réside au Danemark et risque une expulsion vers Gaza. L’auteur affirme que, s’il l’expulse, le Danemark violera les droits qu’il tient des articles 7 et 9 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 29 octobre 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas accueillir la demande de mesures provisoires formulée par l’auteur.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 2007 et 2008, l’auteur travaillait comme enseignant dans une université de la bande de Gaza. Le 30 juin 2008, il a été licencié par un membre du personnel affilié au Hamas au motif qu’il aurait dispensé des enseignements à des étudiants ayant des problèmes avec ce parti. L’auteur lui-même, tout en n’ayant jamais été affilié à aucun parti politique, était sympathisant du Fatah. En 2010, il a reçu une convocation lui intimant de se présenter à la section du Service de sécurité de la ville dans laquelle il résidait. Il ne s’y est pas rendu et a quitté son domicile pour quelques jours. À son retour, il a été agressé par des membres du Hamas et a dû être hospitalisé pour un traumatisme crânien. De l’hôpital, il a été conduit par le Hamas dans une prison où il a été détenu pendant deux semaines au cours desquelles il a été torturé, passé à tabac, suspendu et frappé sur les pieds. Il a été libéré sous la condition qu’il coopère et livre des renseignements au sujet du Fatah. Un mois plus tard environ, l’auteur s’est rendu en Égypte avec l’aide d’un passeur. Il est retourné chez lui deux mois après, à nouveau grâce à un passeur. En décembre 2011, il s’est de nouveau rendu en Égypte et le 10 décembre 2011, il s’est marié dans ce pays avec une ressortissante danoise d’origine palestinienne. En février 2012, il est retourné à Gaza afin d’obtenir un visa pour le Danemark. Il est arrivé au Danemark le 25 avril 2012. Le 2 octobre 2012, il s’est vu accorder un permis de séjour au titre du regroupement familial. Le 4 janvier 2013, l’auteur et son épouse se sont séparés. Le 25 janvier 2013, l’auteur a présenté une demande d’asile. Le 4 mars 2013, son permis de séjour a été révoqué.

2.2L’auteur justifiait sa demande d’asile en invoquant sa crainte d’être arrêté et torturé par des membres du Hamas parce qu’il avait fui et n’avait pas fourni les renseignements, comme il avait été convenu au moment de sa libération, ainsi que sa peur d’être assassiné par la famille de sa femme, haut placée dans le Hamas, en raison d’un conflit avec son ex‑beau-père. Le 6 décembre 2013, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande d’asile. Le 19 juin 2014, la Commission danoise de recours des réfugiés a confirmé cette décision, en estimant que les faits relatés par l’intéressé étaient contradictoires et non crédibles. Ainsi, la Commission a notamment indiqué que pendant les deux années qui avaient suivi son licenciement l’auteur n’avait pas été en conflit avec le Hamas, alors qu’il prétendait avoir été recherché par celui-ci en raison des conseils qu’il dispensait aux étudiants ; que l’auteur était entré et sorti de la zone de Gaza maintes fois ; que les informations concernant les sévices subis en détention ne pouvaient en elles-mêmes justifier de lui accorder l’asile ; et que les allégations d’agression de la part sa belle-famille n’étaient pas crédibles. La Commission a conclu que l’auteur n’avait pas établi qu’il courrait un risque personnel d’être soumis à des persécutions ou à des peines ou traitements inhumains qui justifierait l’octroi d’un permis de séjour.

2.3L’auteur a fait valoir pendant la procédure de recours que la situation des droits de l’homme dans la bande de Gaza justifiait en elle-même l’octroi d’une protection internationale. La Commission a estimé, au regard des faits de l’espèce, qu’il n’était pas nécessaire de prendre position de manière générale sur la situation à Gaza.

2.4L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles, étant donné que les décisions de la Commission de recours des réfugiés sont insusceptibles d’appel auprès des tribunaux danois.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que s’il était renvoyé à Gaza, il risquerait d’être agressé par des membres du Hamas et de voir sa vie menacée par la famille de son ex-femme, et que son renvoi constituerait donc une violation des articles 7 et 9 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 29 avril 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme tout d’abord que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que l’auteur n’a pas démontré que les griefs qu’il tire des articles 7 et 9 du Pacte sont à première vue fondés. L’intéressé n’a pas établi qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à d’autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé dans la zone de Gaza. Il n’a aucunement établi en quoi il risquait de subir un traitement contraire à l’article 9 du Pacte.

4.2L’État partie fait valoir que, pour le cas où la communication serait déclarée recevable, les faits tels que présentés par l’auteur ne font pas apparaître de violation des articles 7 et 9 du Pacte. Il cite la jurisprudence du Comité, d’où il ressort que le risque d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements doit être encouru personnellement et que l’auteur doit fournir des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable.

4.3L’État partie dresse une description détaillée de la procédure d’asile prévue par la loi danoise sur les étrangers, ainsi que du processus décisionnel et du fonctionnement de la Commission danoise de recours des réfugiés. Il note qu’en l’espèce, la Commission a conclu que les déclarations de l’auteur au sujet de son conflit avec le Hamas, lié à ce qui s’est passé lorsqu’il était employé par l’université, ont été inventées pour l’occasion, de même que ses allégations concernant le conflit qui l’opposerait à la famille de son ex‑femme. L’État partie fait observer que sur plusieurs points déterminants les déclarations de l’intéressé sont contradictoires, vagues, incohérentes et confuses et paraissent peu plausibles. L’auteur semble être une personne très discrète, ni lui ni sa famille n’ont jamais mené d’activités politiques, et il n’a pas expliqué de façon cohérente et logique les raisons pour lesquelles il aurait été persécuté par le Hamas. L’État partie fait observer en outre que l’auteur n’a pas fourni de motif crédible de conflit avec la famille de son ex-femme.

4.4L’État partie affirme que l’auteur n’a pas indiqué en quoi la situation générale à Gaza serait telle que son renvoi constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il n’a pas non plus renvoyé à des informations de référence concrètes. L’État partie conteste l’allégation de l’auteur selon laquelle la Commission de recours des réfugiés aurait refusé d’examiner la situation à Gaza. Il affirme que la Commission dispose à cet effet d’un ensemble complet de renseignements de référence, actualisés en permanence, sur la situation dans les différents pays d’origine des demandeurs d’asile. Ayant analysé la situation dans la zone de Gaza, l’État partie partage la conclusion de la Commission de recours des réfugiés, selon laquelle cette situation ne peut à elle seule justifier la délivrance d’un permis de séjour.

4.5L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas expliqué en quoi son renvoi serait constitutif d’une violation de l’article 9 du Pacte.

4.6L’État partie affirme en outre que l’auteur n’a fourni au Comité aucune nouvelle précision sur sa situation et que sa communication n’est que l’expression de son désaccord avec l’évaluation de sa crédibilité par la Commission de recours des réfugiés. L’auteur n’a pas mis en évidence la moindre irrégularité dans le processus de prise de décisions, ni un quelconque facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. L’État partie conclut que l’auteur tente en fait d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir un réexamen des faits présentés dans sa demande d’asile.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 27 août 2015, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2L’auteur soutient qu’il a établi que les griefs qu’il tire des articles 7 et 9 du Pacte sont à première vue fondés en raison d’une part de sa crainte d’être persécuté par le Hamas, liée aux persécutions et à la détention qu’il a déjà subies et d’autre part de l’existence d’un conflit avec son ex-beau-père qui a des parents haut placés dans le Hamas. Il réitère également son allégation concernant l’absence d’évaluation par l’État partie de la situation générale à Gaza, laquelle s’est considérablement détériorée depuis que l’intéressé se trouve au Danemark.

Observations complémentaires de l’État partie

6.En date du 1er septembre 2015, l’État partie, renvoyant à ses observations du 29 avril 2014, a indiqué qu’il n’avait pas d’observations complémentaires à formuler.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de la déclaration de l’auteur qui affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité considère que les conditions requises au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

7.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication sur le fondement de l’article 2 du Protocole facultatif, au motif que l’auteur n’aurait pas établi que les griefs qu’il tire des articles 7 et 9 du Pacte sont à première vue fondés. Le Comité prend note des déclarations de l’auteur qui affirme avoir établi que ses griefs étaient à première vue fondés en raison de sa crainte d’être persécuté par le Hamas, liée aux persécutions et à la détention qu’il a déjà subies, et du conflit existant entre lui et son ex‑beau-père.

7.5Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31(2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte dans lequel il se réfère à l’obligation « des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte ». Le Comité a établi qu’un tel risque devait être personnel et que les motifs pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable devaient être graves. Le Comité rappelle aussi sa jurisprudence d’où il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’appréciation de la situation effectuée par l’État partie et que c’est en général aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves afin de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était clairement arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou représentait un déni de justice.

7.6Le Comité note que la Commission danoise de recours des réfugiés a procédé à un examen approfondi de la demande de l’auteur et pris en considération sa situation personnelle et familiale. Elle a constaté que ni l’auteur ni sa famille n’avaient jamais mené d’activités politiques, que l’auteur n’avait pas donné de motif crédible expliquant le conflit avec la famille de son ex-femme, que ses déclarations étaient contradictoires et vagues sur plusieurs points déterminants et qu’il n’avait pas exposé de façon cohérente et logique les raisons pour lesquelles il aurait été persécuté par le Hamas. Sur la base d’entretiens individuels, la Commission a conclu que les déclarations de l’auteur au sujet de son conflit avec le Hamas, lié à ce qui s’était passé lorsqu’il était employé par l’université, avaient été inventées, que ses allégations d’agression possible de la part sa belle-famille n’étaient pas crédibles et que l’auteur ne courrait pas de risque réel et personnel d’être persécuté par le Hamas s’il était renvoyé à Gaza. Le Comité prend note également de l’affirmation de l’État partie qui dit avoir examiné la situation générale à Gaza à partir d’informations de référence sur le pays actualisées en permanence et que rien n’indique que l’auteur serait exposé à un risque s’il y était renvoyé. L’auteur n’a pas expliqué en quoi la décision de la Commission de recours des réfugiés avait un caractère manifestement déraisonnable ou arbitraire. Dès lors, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief selon lequel son renvoi forcé constituerait une violation de l’article 7 du Pacte et déclare ce grief irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Il estime, pour le même motif, que le grief tiré par l’auteur de l’article 9 du Pacte est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.