Comité pour l’élimination de la discrimination raciale
Observations finales concernant le rapport du Brésil valant dix-huitième à vingtième rapports périodiques *
1.Le Comité a examiné le rapport du Brésil valant dix-huitième à vingtième rapports périodiques, à ses 2931e et 2932e séances, les 16 et 17 novembre 2022. À sa 2952e séance, le 1er décembre 2022, il a adopté les observations finales ci-après.
A.Introduction
2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport de l’État partie valant dix-huitième à vingtième rapports périodiques. Il se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie. Il remercie la délégation pour les informations qu’elle lui a fournies pendant l’examen du rapport et pour les renseignements qu’elle a communiqués par écrit après le dialogue.
B.Aspects positifs
3.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié l’instrument international suivant :
a)La Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance, en 2021 ;
4.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives et générales ci‑après :
a)La loi sur les migrations (loi no 13 445), en 2017 ;
b)La loi no 12 711 relative au système de quotas dans le réseau public d’enseignement supérieur et dans les instituts fédéraux, en 2012 ;
c)La loi sur les quotas dans la fonction publique (loi no 12 990), en 2014 ;
d)La loi sur l’égalité raciale (loi no 12 288), en 2010 ;
e)La politique nationale de santé globale en faveur de la population afro‑brésilienne.
C.Préoccupations et recommandations
Collecte de données démographiques ventilées
5.Le Comité prend note des renseignements que l’État partie a fournis concernant la collecte de données relatives à la composition raciale et ethnique de la population, données qui sont ventilées afin de faire ressortir la diversité de la situation sociale, économique, politique et civile. Néanmoins, il est préoccupé par les lacunes et insuffisances des mécanismes de coordination, d’intégration et de vérification des données recueillies aux niveaux fédéral, étatique et municipal, qui sont notamment dues aux coupes budgétaires auxquelles les organismes chargés de la collecte des données ont dû faire face. Il est également préoccupé par le fait que les méthodes actuelles de collecte des données ne reflètent pas précisément la situation des personnes victimes de discrimination croisée, notamment les Afro-Brésiliens, les autochtones et les Quilombolas qui ont un handicap ou qui s’identifient comme des personnes LGBTQI+ (art. 1er et 2).
6.Le Comité recommande à l’État partie de procéder à une évaluation approfondie de tous ses mécanismes de collecte de données démographiques aux niveaux fédéral, étatique et municipal et de remédier rapidement à toutes les lacunes ou insuffisances en matière de collecte, de vérification et d’intégration des données. Dans le cadre de cette évaluation, il devrait accorder une attention particulière aux données recueillies sur la situation des Afro-Brésiliens, des autochtones et des Quilombolas victimes de formes croisées de discrimination, notamment des personnes ayant un handicap ou s’identifiant comme des personnes LGBTQI+. L’État partie devrait également allouer des fonds suffisants à tous les organismes publics chargés de la collecte de données ventilées.
Application de la Convention au niveau national
7.Le Comité prend note des nombreuses lois antidiscrimination adoptées par l’État partie mais s’inquiète de ne pas avoir reçu de précisions sur leur portée et de ne pas savoir notamment si toutes les formes de discrimination raciale, y compris les discriminations directes, indirectes et croisées, sont couvertes. Le Comité note que la Chambre des députés a mis en place une commission d’experts juridiques, qui est chargée d’évaluer les lacunes et difficultés liées au cadre législatif sur la discrimination raciale, et qui a formulé des recommandations concrètes. Le Comité regrette néanmoins l’absence de renseignements sur les constatations et les recommandations de la Commission. En outre, le Comité accueille avec satisfaction la ratification de la Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance par l’État partie, mais regrette l’absence de renseignements sur les mesures que le Gouvernement a éventuellement adoptées pour donner effet aux obligations qu’impose cette Convention et pour déterminer ce qui doit être fait en vue de les respecter pleinement (art. 1er).
8. Le Comité recommande à l’État partie :
a) De veiller à appliquer de manière cohérente les dispositions de la Convention aux niveaux fédéral, étatique et local, de sorte que la législation antidiscrimination couvre toutes les formes de discrimination raciale, y compris les formes directes, indirectes et croisées de discrimination ;
b) D’accorder l’attention voulue aux recommandations formulées par la Commission d’experts juridiques concernant les lacunes et les difficultés liées au cadre législatif sur la discrimination raciale, et d’appliquer pleinement les recommandations relatives aux obligations mises à sa charge par la Convention ;
c) De redoubler d’efforts pour appliquer la Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance.
Cadre institutionnel
9.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas encore mis sur pied une institution nationale indépendante pour la promotion et la protection des droits de l’homme qui serait conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), dotée d’un mandat clair et chargée de garantir l’application effective de la Convention aux niveaux fédéral, étatique et municipal. Il note aussi avec inquiétude que, en l’absence d’une institution nationale des droits de l’homme, la responsabilité qui incombe à l’État partie de s’acquitter des obligations mises à sa charge par la Convention semble fragmentée entre plusieurs organes publics qui, pour beaucoup, ont été supprimés ou privés de leurs sources de financement ou de leurs moyens d’action ces dernières années. Cette situation a pour effet d’affaiblir la protection et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de restreindre l’espace de dialogue social entre le Gouvernement et les Afro‑Brésiliens, les autochtones et les Quilombolas (art. 1er).
10.Rappelant sa recommandation générale n o 17 (1993) sur la création d’organismes nationaux pour faciliter l’application de la Convention, et réaffirmant le rôle potentiel de tels organismes, le Comité recommande à l’État partie de créer une institution conforme aux Principes de Paris, dotée d’un mandat clair et chargée d’assurer l’application de la Convention et de surveiller le respect de ses dispositions dans l’ensemble de l’État partie et des territoires placés sous son contrôle. Il recommande également à l’État partie d’investir dans les capacités institutionnelles des organes chargés des droits de l’homme et de la justice raciale, et de créer un espace favorisant le dialogue social entre le Gouvernement et les Afro-Brésiliens, les autochtones et les Quilombolas.
Accès à la justice
11.Le Comité demeure préoccupé par le fait que les dispositions applicables au niveau national en matière de discrimination raciale et de crimes racistes n’ont été effectivement appliquées que dans un faible nombre d’affaires, ce qui contribue à perpétuer l’impunité des auteurs de nombreuses formes de racisme et de discrimination raciale. Il note avec préoccupation que l’État partie a fourni très peu de renseignements sur les mesures qu’il a prises pour lever les obstacles qui entravent l’accès à la justice, notamment l’accès limité à l’aide juridictionnelle, les longs retards dans les procès, les normes relatives à la charge de la preuve qui compromettent l’établissement des responsabilités, la défiance des victimes de discrimination raciale à l’égard des institutions publiques et des membres de l’administration judiciaire, et les forts taux d’acquittements et d’ordonnances de non-lieu qui découragent les victimes de chercher à obtenir justice (art. 6).
12.Le Comité rappelle que l’absence de plaintes et d’actions en justice relatives à des actes de discrimination raciale peut révéler l’absence d’une législation appropriée, une méconnaissance des voies de recours disponibles, un manque de confiance dans le système judiciaire, la crainte de représailles ou un manque de volonté de la part des autorités de poursuivre les auteurs de tels actes. Il recommande de nouveau à l’État partie d’améliorer ses programmes de sensibilisation et d’information concernant les crimes racistes à l’intention des membres de l’administration judiciaire, notamment les juges, les procureurs, les avocats et les agents des forces de l’ordre . Il recommande également à l’État partie d’agir immédiatement afin de repérer et d’éliminer effectivement tous les obstacles qui empêchent les victimes de crimes racistes d’accéder à la justice, et il lui recommande en particulier d’améliorer l’accès à l’aide juridictionnelle, d’entretenir activement, parmi les victimes de discrimination raciale, une culture de confiance à l’égard des institutions et des membres de l’administration judiciaire, de prendre des mesures visant à accélérer l’administration de la justice, de réviser les normes de preuve en vue de faciliter l’établissement des responsabilités pour les actes discriminatoires et de remédier aux taux élevés d’acquittements et d’ordonnances de non-lieu, qui découragent les victimes de discrimination raciale de chercher à obtenir justice.
Situation des femmes afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas
13.Le Comité observe qu’en ce qui concerne les disparités dans l’exercice des droits économiques et sociaux dans l’État partie, les femmes noires et autochtones souffrent simultanément du racisme structurel, de la pauvreté et des différents effets néfastes de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). Il prend note du fait que, même avant la pandémie de COVID-19, ces femmes représentaient la plus forte part de la population vivant dans la pauvreté, sachant qu’elles gagnaient seulement la moitié du revenu moyen par habitant de la population blanche. La vaste majorité des ménages monoparentaux sont dirigés par des femmes noires (art. 2 et 5).
14. Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que les mesures spéciales qu’il élabore permettent avant tout aux femmes noires et autochtones de mieux exercer leurs droits économiques et sociaux, dans le droit fil de l’objectif du Programme de développement durable à l’horizon 2030 selon lequel il convient d’aider en premier lieu les plus défavorisés .
Droit à la santé et effets de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19)
15.Le Comité prend note de l’adoption de la politique nationale de santé globale en faveur de la population afro-brésilienne mais regrette que, selon les renseignements portés à sa connaissance, les financements permettant d’appliquer les politiques soient insuffisants et qu’il n’existe pas de volonté marquée de résoudre les disparités historiques, héritées de l’esclavage et du colonialisme, qui existent dans le domaine de la santé entre les populations noires, blanches et autochtones. Le Comité s’inquiète des renseignements selon lesquels une politique viserait à geler les nouveaux financements en faveur des secteurs de la santé et de l’éducation. En outre, bien qu’ayant noté les mesures que l’État partie a prises pour faire face à la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) et pour distribuer en priorité les vaccins aux communautés autochtones, le Comité est profondément préoccupé par les renseignements selon lesquels le taux de mortalité lié à la COVID-19 parmi les Afro‑Brésiliens serait deux fois supérieur à celui enregistré dans la population blanche.
16.Le Comité est particulièrement préoccupé par :
a)Le fort taux de mortalité maternelle parmi les femmes afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas et la hausse disproportionnée du taux de mortalité maternelle chez ces femmes durant la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) ;
b)Les conditions restrictives dans lesquelles l’avortement est légalement autorisé et les renseignements selon lesquels, lorsque les femmes et les filles afro-brésiliennes, autochtones ou quilombolas cherchent à accéder à des contraceptifs et à des services d’avortements légaux, les médecins et autres membres du personnel médical qui dispensent ces soins les harcèleraient, leur feraient subir des violences et les traiteraient comme des criminelles ;
c)Le fait que les mesures de prévention des grossesses chez les adolescentes ont été efficaces chez les Brésiliennes blanches mais pas chez les Afro-Brésiliennes ;
d)Les renseignements selon lesquels les femmes afro-brésiliennes, notamment les femmes ayant un handicap et celles s’identifiant comme des personnes LGBTQI+, auraient été victimes de pratiques obstétriques humiliantes et violentes dans le cadre de soins de santé sexuelle et procréative ;
e)Les niveaux élevés de violence, en particulier de féminicides, dont sont victimes les femmes afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas, notamment celles qui s’identifient comme des personnes LGBTQI+, et les insuffisances repérées dans les mesures prises par l’État, notamment le plan national de lutte contre le féminicide ;
f)Les renseignements selon lesquels la violence à l’égard des Afro-Brésiliennes est tellement répandue qu’elle doit être envisagée comme une crise de santé publique. Le Comité est préoccupé par la souffrance morale et les traumatismes mentaux dont souffrent les femmes et les communautés afro-brésiliennes qui sont perpétuellement dans le deuil d’enfants assassinés, et qui affectent les familles constamment victimes de la violence de la police militarisée qui envahit leur maison et leur quartier sans donner de préavis ni présenter de mandat. Le Comité est également préoccupé par le fait que, malgré les graves conséquences de ces violences pour la santé mentale, l’État partie n’a fourni aucun renseignement clair sur les services de soutien psychosocial proposés aux personnes les plus touchées (art. 2 et 5).
17. Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’application pleine et effective de la politique nationale de santé globale en faveur de la population afro-brésilienne, notamment en allouant les fonds et en créant les structures institutionnelles nécessaires à l’application de cette politique. L’État partie devrait également consulter les femmes afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas afin de repérer et de corriger les politiques et services existants, qui n’ont pas permis d’éliminer les inégalités en matière de santé. L’État partie devrait également :
a) Élaborer et appliquer des mesures efficaces visant à protéger, dans des conditions d’égalité, les Afro-Brésiliens, les autochtones, les Quilombolas et les étrangers, dans le cadre de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) et des futures urgences de santé publique. Il conviendrait d’élaborer et d’appliquer ces mesures en concertation avec les communautés les plus touchées par la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) et, entre autres, de faire en sorte que tous les Afro ‑ Brésiliens, tous les autochtones, tous les Quilombolas et tous les étrangers reçoivent un schéma vaccinal complet et des doses de rappel, notamment au moyen de mesures ciblées permettant de lever les obstacles qui freinent leur vaccination ;
b) Prendre des mesures efficaces pour faire baisser les taux de mortalité maternelle parmi les femmes et les filles afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas ;
c) Garantir à toutes les femmes afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas l’accès à des méthodes légales d’interruption volontaire de grossesse dans des conditions dignes et sécurisées, et faire en sorte que ni elles ni les prestataires de soins médicaux qui s’occupent d’elles ne fassent l’objet de harcèlement et ne soient traités comme des criminels ;
d) Veiller à ce que les femmes et les filles afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas puissent accéder à des services de contraception et mieux cibler les mesures visant à réduire les grossesses chez les adolescentes, en étroite concertation avec les représentants des communautés afro-brésiliennes ;
e) Dispenser davantage de formations sur les droits de l’homme et la lutte contre le racisme aux professionnels de santé chargés de fournir des soins de santé sexuelle et procréative aux femmes afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas, y compris celles qui ont un handicap ou qui s’identifient comme des personnes LGBTQI+, tout en veillant à ce que les responsabilités soient établies dans les cas de violences obstétriques, quelle que soit leur forme, et en faisant en sorte que les victimes aient accès à des voies de recours ;
f) Prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et éliminer la violence à l’égard des Afro-Brésiliens, comme expliqué plus en détail ci-dessous. L’État devrait, en outre, fournir des services de santé mentale aux personnes les plus touchées par ces violences et revoir les mesures existantes en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes noires, notamment le plan national de lutte contre le féminicide.
Disparités en matière d’accès à l’éducation
18.Le Comité demeure préoccupé par les disparités dans les niveaux d’alphabétisation parmi les Afro-Brésiliens. Au vu du lien important entre éducation, alphabétisme et emploi, le Comité est également préoccupé par les renseignements selon lesquels, sur le nombre total de personnes qui ne bénéficient pas d’une éducation de base, c’est-à-dire qui n’ont pas terminé les cycles d’enseignement primaire et secondaire destinés aux élèves jusqu’à 17 ans, 71,7 % sont noires. Selon les renseignements fournis par l’État partie, ces disparités se sont accrues durant la pandémie de COVID-19, en partie parce que de nombreux enfants afro‑brésiliens et autochtones ne disposaient pas d’Internet pour suivre les cours dispensés en ligne. Le Comité salue le succès des initiatives qui visent à améliorer l’accès des Afro‑Brésiliens et des autochtones à l’enseignement supérieur, grâce à la promulgation, en 2012, de la loi no 12 711, une loi d’action positive qui a permis d’accroître nettement le nombre d’Afro-Brésiliens inscrits dans le supérieur. Le Comité prend note du fait que, dix ans après sa promulgation, la loi fait l’objet d’un examen. Toutefois, il est préoccupé par les renseignements selon lesquels le système de quotas aurait été moins à même de garantir l’accès à l’université aux Afro-Brésiliens et aux autochtones, notamment ceux victimes de formes croisées de discrimination, y compris ceux qui ont un handicap (art. 1er et 5).
19. Le Comité recommande de nouveau à l’État partie :
a) D’adopter des mesures visant à lutter contre l’analphabétisme , notamment à éviter le décrochage scolaire et à permettre la réinscription des enfants qui ont décroché durant la pandémie de COVID-19 ;
b) D’aider les Afro-Brésiliens et les autochtones à accéder à Internet afin de leur permettre d’accéder à des possibilités d’apprentissage en ligne ;
c) De reconduire le système de quotas pour garantir aux Afro-Brésiliens et aux autochtones des places dans les établissements d’enseignement supérieur. L’État partie devrait également profiter du réexamen de la loi dix ans après sa promulgation pour renforcer le système de quotas, notamment en faisant en sorte que les Afro ‑ Brésiliens et les autochtones victimes de formes croisées de discrimination, y compris ceux qui ont un handicap, puissent accéder plus facilement à l’université.
Pauvreté, emploi et revenus
20.Le Comité est préoccupé par le fait que la plupart des communautés afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas continuent d’être beaucoup touchées par la pauvreté que le reste de la population. Il prend note avec préoccupation des renseignements selon lesquels, entre 2012 et 2019, la population noire aurait seulement gagné la moitié du revenu moyen par habitant perçu au sein de la population blanche. Il constate également avec préoccupation que les femmes afro-brésiliennes représentent la majorité des employés de maison (qui travaillent souvent dans des conditions précaires et peu réglementées assimilables à de l’exploitation) et la majorité des personnes effectuant des tâches domestiques non rémunérés. Le Comité est également préoccupé par les renseignements selon lesquels 65 % des ménages dirigés par une femme noire souffrent de l’insécurité alimentaire et de la famine en raison de la surreprésentation de ces femmes dans les emplois faiblement rémunérés et non rémunérés. Il prend également note du fait que la prévalence de la malnutrition chronique parmi les enfants autochtones de moins de 5 ans atteint 28,6 %.
21.Le Comité salue le fait que, selon les renseignements complémentaires fournis par l’État partie après le dialogue, le taux d’extrême pauvreté a diminué de 63 % entre 2004 et 2014 et que cette baisse s’est accentuée entre 2019 et 2020. Toutefois, il est préoccupé par le fait que ces données sont antérieures à la pandémie de COVID-19, qui a eu des effets particulièrement délétères sur la situation économique et sociale de nombreux Afro‑Brésiliens, autochtones et Quilombolas. Le Comité est également préoccupé par le fait que l’État partie a récemment revu à la baisse les ressources allouées aux programmes de transfert en espèces dont dépendent des millions d’habitants, notamment le programme Bolsa Família, et qu’il les a remplacés par des initiatives telles qu’Auxílio Brazil, qui reposent sur des dispositions et des critères d’éligibilité différents, ce qui entretient l’incertitude économique. Le Comité est, en outre, préoccupé par l’incohérence entre les renseignements fournis par le Gouvernement, qui affirme qu’Auxílio Brazil est conçu pour être plus efficace que le programme Bolsa Família, et des informations reçues qui indiquent le contraire.
22.Le Comité salue les mesures prises pour faciliter l’accès à des possibilités de travail décent, notamment la loi relative aux quotas dans la fonction publique, qui vise à favoriser l’accès des groupes raciaux sous-représentés aux emplois du secteur public. Toutefois, il est préoccupé par le fait que, depuis quelques années, ces mesures sont de moins en moins appliquées (art. 2 et 5).
23. Le Comité recommande à l’État partie :
a) De prendre toutes les mesures nécessaires pour éradiquer de manière efficace la pauvreté parmi les Afro-Brésiliens, les autochtones et les Quilombolas, notamment en veillant à mettre en place suffisamment de programmes de transfert d’espèces efficaces ;
b) De revoir le cadre réglementaire, notamment le salaire minimum, applicable aux employés de maison, dans le but de permettre aux femmes afro ‑ brésiliennes qui exercent ce type d’activité d’être mieux protégées sur le marché du travail ;
c) D’élaborer des programmes et des politiques qui reconnaissent le travail domestique et prévoient qu’il soit rémunéré ;
d) De prendre des mesures ciblées visant à soutenir les Afro-Brésiliens, les autochtones et les Quilombolas qui ont perdu leur emploi durant la pandémie de COVID-19, en vue de leur permettre de retrouver du travail ;
e) De prendre les mesures nécessaires pour mieux appliquer, dans les faits, la loi relative aux quotas dans la fonction publique et les mesures connexes qui visent à couvrir d’autres emplois des secteurs public et privé ;
f) D’investir dans d’autres programmes afin que davantage de femmes et d’hommes afro-brésiliens et autochtones puissent accéder à des formes de travail sûres et mieux rémunérées.
Discrimination et ségrégation dans le domaine du logement
24.Le Comité est préoccupé par le caractère généralisé de la discrimination et de la ségrégation sur le marché du logement au Brésil. Il note avec préoccupation que plus de 60 % des ménages dirigés par des femmes afro-brésiliennes vivent dans des favelas, c’est-à-dire dans des conditions de logement parfaitement inadéquates, insalubres et dangereuses. Le Comité est préoccupé par le taux élevé et croissant de personnes sans abri parmi les Afro‑Brésiliens dans l’État partie. Il prend note des mesures de lutte contre la discrimination et la ségrégation en matière de logement mais se dit préoccupé par le fait que, selon les rapports périodiques de l’État partie, ces mesures se sont révélées insuffisantes. Il est préoccupé par le fait que les programmes de logements de l’État partie prévoient des aides calculées en fonction de critères de revenus qui, de fait, excluent les niveaux de revenus des personnes vivant dans des favelas, et que ces programmes ne tiennent absolument pas compte du caractère déterminant des questions de racisme dans le choix d’un logement et d’un quartier pour les personnes noires et les autochtones (art. 3 et 5).
25.Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures efficaces nécessaires, en concertation avec les responsables noirs et autochtones, afin d’évaluer pleinement et de cibler les mécanismes complexes du racisme et de la discrimination fondée sur la classe sociale, mécanismes qui conduisent à une ségrégation raciale et forcent les personnes à vivre dans des logements de très mauvaise qualité, et de tenir compte à la fois d’indicateurs concernant les Afro-Brésiliens et des critères de revenus et d’emploi. En s’appuyant sur les enseignements tirés de cette évaluation, l’État devrait adopter des politiques efficaces visant à garantir aux Afro-Brésiliens l’accès à un large choix de logements sûrs et salubres. L’État partie devrait également procéder à une évaluation sur le sans-abrisme et utiliser les conclusions de cette évaluation pour élaborer des politiques efficaces visant à remédier au problème des sans-abri au Brésil.
Représentation politique
26.Le Comité est préoccupé par :
a)La très faible représentation des Afro-Brésiliens, des autochtones et des Quilombolas dans les institutions politiques de l’État partie, notamment dans les deux chambres du Congrès national, comparativement à la part qu’ils représentent dans la population globale ;
b)L’inefficacité des mesures que l’État partie a prises pour augmenter le nombre d’Afro-Brésiliens occupant des fonctions politiques et leur garantir une représentation politique proportionnelle à leur part dans la population globale ;
c)Le manque de renseignements concernant l’étendue des mesures visant à garantir la représentation politique des autochtones et des Quilombolas ;
d)Le faible niveau de représentation politique des femmes afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas ;
e)Les menaces, les discours de haine, y compris en ligne, le harcèlement et la violence à l’égard des femmes afro-brésiliennes, en particulier celles perçues comme des femmes LGBTQI+, qui cherchent à occuper ou qui occupent des fonctions politiques, et le fait que les responsabilités ne soient pas établies en cas de telles violations des droits de l’homme (art. 2 et 4 à 6).
27. Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures qui se révéleraient efficaces pour accroître sensiblement les niveaux de représentation politique des Afro-Brésiliens, des autochtones et des Quilombolas, et notamment :
a) De repérer et de lever tous les obstacles à la représentation politique de ces groupes dans les institutions concernées, y compris le Congrès national et les organes compétents aux niveaux de l’État et des municipalités ;
b) De procéder à un examen des mesures existantes, et d’élaborer et appliquer des propositions, en concertation avec les représentants des communautés afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas, en vue d’instaurer des mécanismes plus efficaces pour garantir des niveaux adaptés de représentation politique ;
c) De prendre immédiatement des mesures visant à prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes afro-brésiliennes qui cherchent à occuper ou occupent des fonctions politiques, y compris celles qui sont perçues comme des femmes LGBTQI+, et de faire en sorte que les responsables de ces violences répondent de leurs actes et que les victimes aient accès à des voies de recours.
Mesures spéciales
28.Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie concernant les mesures spéciales adoptées dans l’appareil législatif, le système judiciaire et les services publics mais demeure préoccupé par le manque de clarté concernant leur étendue, leur statut et leur efficacité (art. 2, 4 et 5).
29.Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures spéciales visant à éliminer les disparités importantes qui continuent d’exister entre, d’une part, les Brésiliens blancs et, d’autre part, les Afro-Brésiliens, les autochtones et les Quilombolas, dans l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et il lui recommande également d’intensifier le recours à ce type de mesures dans tous les organes publics et privés concernés. Le Comité rappelle que, selon sa recommandation générale n o 32 (2009) sur la signification et la portée des mesures spéciales dans la Convention, les autorités fédérales doivent concevoir un cadre pour l’application cohérente de mesures spéciales dans toutes les régions de l’État partie et que ces mesures doivent être conçues et appliquées après consultation des communautés touchées et avec leur participation active.
Discours et crimes de haine à caractère raciste
30.Le Comité est préoccupé par :
a)Le nombre croissant, dans l’État partie, de discours et crimes de haine à caractère raciste fondés sur des stéréotypes raciaux néfastes, souvent perpétués par les médias ;
b)La fréquence des discours de haine à caractère raciste prononcés par les autorités publiques, notamment par des membres haut placés de l’administration ;
c)L’absence de renseignements permettant de déterminer si le cadre législatif, notamment les dispositions du Code pénal qui érigent en infractions les « injures raciales », couvre toutes les formes de discours de haine à caractère raciste, comme l’exige l’article 4 de la Convention ;
d)Les incertitudes du cadre législatif concernant les mesures de lutte contre les discours de haine en ligne, et le manque de renseignements relatifs à l’application du droit pénal dans le cyberespace ;
e)L’absence de renseignements concernant les mesures que l’État partie a prises pour lutter contre les causes profondes des discours et crimes de haine à caractère raciste et pour prévenir de tels actes, notamment des mesures de lutte contre la dissémination fréquente de stéréotypes raciaux néfastes dans les médias ;
f)Le fait que, malgré l’augmentation des discours et crimes de haine à caractère raciste revêtant des formes diverses, les taux de poursuites et de déclarations de culpabilité demeurent extrêmement faibles (art. 4).
31. Rappelant sa recommandation générale n o 35 (2013) sur la lutte contre les discours de haine raciale, le Comité recommande à l’État partie :
a) De revoir le cadre législatif existant pour que toutes les formes de discours de haine à caractère raciste, telles que mentionnées à l’article 4 de la Convention, notamment les discours de haine à caractère raciste diffusés en ligne, soient couvertes par la législation antidiscrimination de l’État partie et érigées en infractions ;
b) De lever toute incertitude sur la reconnaissance juridique du cyberespace en tant que lieu où peuvent survenir des crimes et où s’appliquent les lois de l’État partie en matière de lutte contre la discrimination ;
c) De prendre des mesures visant à empêcher les autorités publiques, notamment les membres hauts placés du G ouvernement, de prononcer des discours de haine, et de faire en sorte qu’elles répondent pleinement de leurs actes ;
d) De prendre des mesures efficaces pour faciliter et encourager le signalement des discours de haine à caractère raciste, notamment ceux qui sont diffusés en ligne, et des crimes de haine à caractère raciste, en particulier en garantissant la disponibilité et l’accessibilité des mécanismes de signalement ;
e) De déterminer et de combattre de toute urgence les causes profondes à l’origine des très faibles taux de poursuites et de déclarations de culpabilité des auteurs de discours de haine à caractère raciste, notamment ceux diffusés en ligne, et des crimes de haine à caractère raciste, et de revoir les normes de charge de la preuve, de renforcer le système d’aide juridique aux victimes de discrimination, de former les policiers, les procureurs et les juges aux méthodes à suivre pour recenser et enregistrer les crimes et les discours de haine à caractère raciste, enquêter sur les faits et poursuivre en justice les responsables, de prendre des mesures pour que les groupes vulnérables face à la discrimination soient mieux représentés au sein des forces de l’ordre et de l’appareil judiciaire, et de prendre d’autres mesures visant à restaurer la confiance des victimes de discours et crimes de haine à caractère raciste envers les forces de l’ordre et le système judiciaire ;
f) De recueillir des données ventilées sur les plaintes, les poursuites et les déclarations de culpabilité relatives aux discours de haine à caractère raciste et les crimes de haine à motivation raciale, ainsi que sur les sanctions infligées pour de tels actes, et de faire figurer ces données dans le prochain rapport périodique.
Homicides à motivation raciale
32.Le Comité est préoccupé par les taux extrêmement élevés d’homicides et d’exécutions violentes d’Afro-Brésiliens, notamment d’enfants, perpétrés par des assaillants non identifiés. Il note avec une vive préoccupation que l’homicide demeure la première cause de décès parmi les hommes afro-brésiliens âgés de 15 à 29 ans. Le Comité se félicite que l’État partie soit conscient qu’il doit mener une action à grande échelle mais regrette de n’avoir reçu que peu de renseignements sur les mesures concrètes qu’il a prises, de manière proportionnée à l’ampleur du problème, pour prévenir les homicides et poursuivre en justice les auteurs de ces crimes. Le Comité constate avec inquiétude que l’application du plan Juventude Viva, que l’État partie décrit dans son rapport périodique comme la principale mesure que le Gouvernement brésilien a prise pour réduire le taux de mortalité élevé des jeunes hommes afro-brésiliens, a été suspendue à plusieurs reprises ces dernières années. Le Comité est également préoccupé par l’évolution à la hausse des ventes d’armes à des particuliers dans l’État partie et par l’absence de renseignements sur des mesures visant à réglementer la possession d’armes à feu par des particuliers et à en réduire le nombre (art. 2 et 4 à 6).
33. Le Comité recommande à l’État partie :
a) De garantir l’application continue et ininterrompue du plan Juventude Viva ou de mesures équivalentes ;
b) D’adopter des mesures à grande échelle visant à prévenir les homicides d’Afro-Brésiliens et à remédier au taux élevé d’homicides parmi cette population, et de faire en sorte que les auteurs de tels crimes répondent pleinement de leurs actes, et d’appliquer notamment un programme national de réduction des homicides qui repose sur une évaluation complète du problème et prévoit une consultation et la participation des communautés touchées, et recommande également de régler ce problème aux niveaux fédéral et national et de se fixer des objectifs concrets et mesurables ;
c) De garantir une réglementation plus efficace et complète concernant la possession d’armes à feu par des particuliers et de prendre des mesures visant à restreindre la vente d’armes à feu à des particuliers et la circulation d’armes à feu de manière générale.
Usage excessif de la force par les agents des forces de l’ordre et les militaires
34.Le Comité constate avec une vive préoccupation que les agents des forces de l’ordre et les militaires continuent d’employer la force de manière excessive au Brésil. Il est gravement préoccupé par le fait que, selon l’édition 2022 de l’Annuaire brésilien de la sécurité publique, 84,1 % des victimes de violences policières en 2021 étaient afro‑brésiliennes. Le Comité est particulièrement préoccupé par :
a)Les nombreuses opérations de police ultramilitarisées organisées dans des favelas par les agents des forces de l’ordre intervenant au nom de divers services de sécurité de l’État, notamment la police militaire, la police civile et la police fédérale des autoroutes ;
b)Le fait que, au cours de ces opérations, les autorités tirent sans ménagement et aveuglément au fusil mitrailleur dans des zones densément peuplées, faisant des morts et des blessés parmi la population civile des favelas, surtout la population afro-brésilienne, y compris des femmes enceintes et des enfants ;
c)Les renseignements selon lesquels, au cours de ces opérations, les forces de l’ordre se livrent à d’autres brutalités et actes de violence graves, notamment des violences sexuelles, principalement sur des Afro-Brésiliens ;
d)Le fait que des opérations de ce type ont eu lieu durant la pandémie de COVID‑19 malgré des arrêts du Tribunal suprême fédéral ordonnant leur cessation ;
e)Les incohérences dans l’application des arrêts du Tribunal suprême fédéral, y compris ceux ordonnant aux agents des forces de l’ordre de porter des caméras d’intervention ;
f)Les dispositions légales et les pratiques qui permettent aux agents des forces de l’ordre d’échapper à la justice, notamment l’absence de véritables enquêtes indépendantes sur les cas d’usage excessif et meurtrier de la force, la présomption selon laquelle la force était justifiée et l’application du droit militaire à certains actes graves de ce type commis lors d’opérations de maintien de l’ordre pourtant menées dans un contexte civil ;
g)Les informations selon lesquelles l’adoption de certains projets de loi (notamment le projet de loi no 733/2022) élargirait la protection juridique accordée aux agents des forces de l’ordre qui font un usage excessif et meurtrier de la force ;
h)Le fait que les victimes et leur famille n’ont pas accès à la justice et à des voies de recours.
35.Le Comité prend note du fait que l’État partie n’a pas suffisamment reconnu la gravité et l’ampleur du problème, ni l’étendue des responsabilités qui lui incombent, au titre de la Convention et du droit international en général, pour prendre immédiatement des mesures globales visant à prévenir les graves violations des droits humains des Afro-Brésiliens, y mettre un terme et faire en sorte que leurs auteurs répondent de leurs actes. Cette situation perdure malgré les précédentes recommandations formulées à ce sujet par de nombreuses entités de l’Organisation des Nations Unies chargées des droits de l’homme, notamment le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Sous‑Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée (art. 2, 5 et 6).
36. Le Comité recommande à l’État partie de prendre immédiatement des mesures décisives permettant de mettre fin à l’usage excessif et meurtrier de la force par les forces de l’ordre et l’armée, notamment :
a) De démilitariser les activités de maintien de l’ordre au Brésil ;
b) De veiller à ce que les lignes directrices et les manuels utilisés pour former le personnel de police et de sécurité concerné établissent des protocoles de recours à la force conformes aux principes de proportionnalité, de nécessité et de légalité, et contiennent des instructions en ce qui concerne l’égalité raciale, et faire en sorte que les formations soient fréquentes et efficaces ;
c) De veiller à ce que les armes utilisées lors des opérations de maintien de l’ordre soient des armes à létalité réduite, en particulier lorsque les opérations en question sont menées dans des zones densément peuplées où vivent des civils, y compris des Afro-Brésiliens ;
d) De respecter pleinement et d’appliquer effectivement tous les arrêts du Tribunal suprême fédéral relatifs à l’usage excessif et meurtrier de la force ;
e) De renforcer les mécanismes indépendants chargés de contrôler les activités des forces de l’ordre sur le territoire national, de mettre au point des protocoles garantissant des enquêtes rapides, efficaces et indépendantes qui tiennent dûment compte des questions de discrimination raciale, et de veiller à les appliquer de manière rigoureuse dans tous les cas où l’usage excessif de la force par les services des forces de l’ordre aurait fait des morts ou des blessés chez les civils ;
f) De recenser et modifier les dispositions législatives et les pratiques qui permettent aux agents des forces de l’ordre qui font un usage excessif et meurtrier de la force contre des Afro-Brésiliens d’échapper à la justice, y compris les projets de loi qui, s’ils étaient adoptés, élargiraient la protection accordée aux intéressés, et cesser d’appliquer le droit militaire pour justifier l’usage excessif ou meurtrier de la force au cours d’opérations de maintien de l’ordre menées dans un contexte civil ;
g) D’offrir à toutes les victimes de brutalités policières et à leur famille des recours utiles garantissant la non-répétition de telles violations, de leur accorder une indemnisation et de leur présenter des excuses publiques ;
h) De consulter les représentants des communautés afro-brésiliennes au sujet de toutes les mesures de lutte contre la brutalité policière.
Justice pénale
37.Le Comité est également préoccupé par la surreprésentation des Afro-Brésiliens, en particulier des jeunes et des femmes, dans les prisons de l’État partie, parmi lesquels beaucoup sont en détention provisoire. Il prend note de certaines mesures que l’État partie a prises pour lutter contre la récidive et faire en sorte que le système de justice pénale respecte les normes applicables en matière de droits de l’homme, et retient notamment le projet « Race/Couleur dans le système pénitentiaire : respect et accès aux droits ». Le Comité prend néanmoins note avec préoccupation de la gravité du problème et du fait qu’aucune mesure efficace n’a été prise pour s’attaquer aux causes profondes des taux d’incarcération disproportionnés des Afro-Brésiliens, telles que l’excès de répression policière, le profilage racial, la discrimination raciale systémique exercée par les services des forces de l’ordre et d’autres institutions chargées de l’administration de la justice, et la criminalisation de la possession de drogues. De plus, le Comité est préoccupé par les renseignements révélant le caractère inacceptable des conditions de détention, notamment la surpopulation, les mauvais traitements et la violence (art. 2, 5 et 6).
38.Rappelant sa recommandation générale n o 31 (2005) sur la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale, le Comité recommande à l’État partie de procéder à un examen approfondi des lois, politiques et pratiques pertinentes afin de s’attaquer avec efficacité aux causes profondes de la surreprésentation des Afro-Brésiliens en prison, notamment l’excès de répression policière, le profilage racial et la discrimination raciale systémique exercée par les services des forces de l’ordre et d’autres institutions chargées de l’administration de la justice, et la criminalisation de la possession de drogues. En outre, le Comité invite l’État partie à prendre des mesures visant à garantir que les conditions de détention soient conformes aux normes internationales. En parallèle, l’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire drastiquement le nombre d’Afro ‑ Brésiliens en prison, sachant qu’ils y sont surreprésentés.
Profilage racial
39.Le Comité note avec préoccupation que les agents des forces de l’ordre continuent de pratiquer le profilage racial à l’égard des Afro-Brésiliens. Il est également préoccupé par les renseignements selon lesquels des personnes victimes de formes croisées de discrimination, notamment des Afro-Brésiliens ayant un handicap ou s’identifiant comme des personnes LGBTQI+, ont été particulièrement exposées au profilage racial. Le Comité est en outre préoccupé par les renseignements selon lesquels l’État partie a commencé à utiliser des systèmes de reconnaissance faciale dans le cadre de ses activités de maintien de l’ordre, ce qui a conduit à des arrestations injustifiées, en majorité d’Afro-Brésiliens (art. 2 et 4 à 6).
40. Rappelant sa recommandation générale n o 36 (2020) sur la prévention et l’élimination du recours au profilage racial par les représentants de la loi, le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour lutter contre le profilage racial, et notamment :
a)D’engager rapidement des enquêtes approfondies et impartiales concernant toutes les allégations de profilage racial, de faire en sorte que les responsables rendent compte de leurs actes et de fournir aux victimes des voies de recours, notamment des garanties de non-répétition ;
b) De revoir toutes les politiques, lois et réglementations afin que le profilage racial ne soit plus permis ni pratiqué ;
c) D’évaluer les effets des systèmes de reconnaissance faciale sur les droits de l’homme, afin de garantir qu’ils ne creusent pas davantage les inégalités ni n’entraînent des discriminations ;
d) D’instaurer des mécanismes globaux de collecte des données afin de suivre tous les cas de profilage racial et de fournir des renseignements sur leur issue.
Liberté de réunion pacifique
41.Le Comité est préoccupé par le fait que les agents des forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force à l’égard des Afro-Brésiliens et d’autres personnes durant des manifestations pacifiques contre le racisme, notamment un événement au cours duquel des personnes auraient partiellement perdu la vue suite à des blessures résultant de l’utilisation de balles souples (art. 2, 5 et 6).
42.Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les Afro-Brésiliens puissent pleinement exercer leur droit de réunion pacifique. L’État partie devrait strictement respecter les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité dans le cadre du maintien de l’ordre durant les rassemblements et engager rapidement des enquêtes sur toutes les plaintes pour usage excessif de la force par des agents des forces de l’ordre durant les manifestations, en veillant à ce que les responsables rendent pleinement compte de leurs actes et en offrant des voies de recours aux victimes.
Persécution des personnes pratiquant des religions afro-brésiliennes
43.Le Comité est profondément préoccupé par :
a)Le nombre élevé et croissant de cas d’intolérance et de discrimination religieuses, qui résultent d’une représentation discriminatoire, dans les médias, des religions afro-brésiliennes, notamment de celles qui se pratiquent dans les terreiros :
b)Le caractère inadapté des mesures de protection contre diverses formes d’attaques perpétrées par des particuliers pour des motifs religieux, notamment la discrimination, la violence et la profanation de lieux de culte ;
c)Les formes institutionnalisées d’intolérance et de discrimination, notamment les violentes attaques perpétrées par des agents des forces de l’ordre, l’incrimination des religions, les croyants étant poursuivis pour charlatanisme et pratique de la médecine traditionnelle, et le manque de prise en compte des religions afro-brésiliennes dans le système de justice ;
d)Le fait que des femmes qui pratiquent des religions afro-brésiliennes se voient retirer la garde de leurs enfants pour des motifs religieux ;
e)Le fait que les responsabilités n’ont pas été établies en ce concerne les attaques et les actes de discrimination visant des personnes qui pratiquent des religions afro‑brésiliennes (art. 2 et 4 à 6).
44. Le Comité recommande à l’État partie :
a)De lutter contre les représentations discriminatoires des religions afro ‑ brésiliennes et de promouvoir la pluralité religieuse ;
b) De revoir les mesures législatives et stratégiques existantes, en concertation avec les représentants des religions afro-brésiliennes, en vue de faire respecter la pluralité religieuse et la liberté de religion ;
c) De prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux pratiques qui consistent à ne pas confier la garde des enfants à leur mère à raison de leur confession religieuse ;
d) De sensibiliser la population aux mécanismes de communication et d’information, tels que le canal de signalement Disque 100, de renforcer les capacités du Bureau du Défenseur public fédéral et du Bureau du procureur fédéral, afin de lutter contre la violence et la discrimination fondées sur l’intolérance religieuse, et de remédier au traitement réservé, dans le système judiciaire, aux adeptes des religions afro-brésiliennes ;
e) De faire en sorte que tous les auteurs d’actes relevant de l’intolérance religieuse, y compris les acteurs privés ou publics, rendent pleinement compte de la violation des droits humains de personnes adeptes de religions afro-brésiliennes, et d’offrir des recours utiles aux victimes, notamment en les indemnisant, en reconstruisant les sites religieux détruits et en leur apportant un soutien psychosocial.
Défenseurs et défenseuses des droits humains
45.Le Comité est préoccupé par les renseignements selon lesquels des personnes afro‑brésiliennes, autochtones et quilombolas, notamment des femmes, qui défendent les droits humains ont été victimes de menaces, d’actes de harcèlement et d’attaques violentes voire dans certains cas tuées. Il prend note avec préoccupation du fait que la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains a classé le Brésil comme le deuxième pays le plus dangereux au monde pour les défenseurs et défenseuses des droits humains entre 2015 et 2019. Il est préoccupé par l’absence d’une législation visant à protéger les défenseurs et défenseuses des droits humains, par l’insuffisance des ressources budgétaires allouées au programme national de protection des défenseurs des droits de l’homme, des spécialistes de la communication et des défenseurs de l’environnement et par le fait que le programme n’a pas permis de protéger correctement les défenseurs et défenseuses des droits humains menacés. Le Comité est également préoccupé par des utilisations abusives de la loi de lutte contre le terrorisme par des personnes qui cherchent à criminaliser les défenseurs et défenseuses des droits humains, par le fait que des projets de loi visant à étendre le cadre juridique de lutte contre le terrorisme présenteraient un risque potentiel d’abus, et par l’impunité généralisée des personnes ayant menacé, harcelé, attaqué violemment et tué des défenseurs et défenseuses des droits humains appartenant à des communautés afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas (art. 5 et 6).
46.Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir toutes les formes de menaces, de harcèlement, d’attaques violentes et de meurtres dont sont victimes les défenseurs et défenseuses des droits humains qui appartiennent à des communautés afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas, pour enquêter sur ces actes et pour punir leurs auteurs en conséquence. L’État partie devrait promulguer des lois visant à protéger les défenseurs et défenseuses des droits humains, allouer des fonds supplémentaires au programme national de protection des défenseurs des droits de l’homme, des spécialistes de la communication et des défenseurs de l’environnement, et consulter les groupes concernés afin de déterminer comment le programme pourrait effectivement répondre aux besoins des défenseurs et défenseuses des droits humains qui appartiennent à des communautés afro-brésiliennes, autochtones et quilombolas. L’État partie devrait également prendre des mesures globales et effectives afin que les lois de lutte contre le terrorisme n’incriminent pas les activités des défenseurs et défenseuses des droits humains, remédier à l’impunité des personnes qui ont menacé, harcelé, agressé ou tué des défenseurs et défenseuses en menant rapidement des enquêtes criminelles approfondies, et offrir des voies de recours aux victimes.
Développement, environnement, et entreprises et droits de l’homme
47.Le Comité est préoccupé par les renseignements selon lesquels de multiples acteurs, notamment des entreprises, exerçant des activités légales ou illégales d’extraction minière, de déforestation et d’exploitation forestière envahiraient de plus en plus, selon diverses méthodes et de manière répétée, des terres autochtones et quilombolas. Il est profondément préoccupé par le fait que ces activités se déroulent sans le consentement libre, éclairé et préalable des communautés autochtones et quilombolas. Il craint que la destruction environnementale causée par ces invasions et par l’extraction de ressources naturelles n’expose les communautés autochtones et quilombolas à d’importants risques sanitaires, notamment des empoisonnements au mercure et des expositions à des maladies infectieuses, et qu’elle ne porte atteinte au droit d’accès de tous à un environnement propre, sain et durable. Le Comité est préoccupé par les renseignements concernant l’adoption de réglementations nationales régressives en matière d’environnement et par l’abandon du plan d’action pour la prévention et le contrôle de la déforestation en Amazonie. Il regrette l’absence de renseignements concernant l’adoption d’un plan national relatif aux entreprises et aux droits de l’homme auquel participeraient les représentants des communautés touchées (art. 5).
48. Le Comité recommande à l’État partie :
a)De prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les terres des communautés autochtones et quilombolas, notamment des actions décisives visant à mettre fin aux activités illégales d’exploitation forestière, de déforestation et d’extraction minière ;
b) De respecter strictement le principe de consentement libre, éclairé et préalable, tel que consacré par l’article 16 de la Convention de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux (n o 169) de l’Organisation internationale du Travail, dans tous les projets qui touchent les communautés autochtones et quilombolas et leurs terres ;
c) De protéger et de promouvoir le droit à un environnement propre, sain et durable, notamment en veillant à prévenir la destruction environnementale consécutive aux activités d’extraction menées sur des terres autochtones et quilombolas, et à en atténuer les effets ;
d) De mettre un terme à l’adoption de mesures régressives dans les cadres juridiques et stratégiques régissant l’environnement et la déforestation ;
e) D’élaborer et d’appliquer de manière effective un plan national relatif aux entreprises et aux droits de l’homme, en faisant participer les membres de la société civile, en particulier les organisations représentant les groupes les plus touchés.
Communautés autochtones et quilombolas
49.Le Comité est préoccupé par :
a)La violence à l’égard des autochtones et des quilombolas, violence qui peut aller jusqu’au meurtre et qui s’inscrit souvent dans un contexte de défense, par les intéressés, de leurs terres ou de leurs droits humains ;
b)La violence endémique, notamment les menaces, le harcèlement, les violences sexuelles et les féminicides, dont les femmes autochtones et quilombolas sont victimes ;
c)L’impunité généralisée des auteurs de violences graves à l’égard des communautés autochtones et quilombolas ;
d)L’affaiblissement institutionnel marqué de la Fondation nationale de l’Indien ces dernières années, notamment en raison de coupes budgétaires ;
e)Les lois et politiques nationales qui ne reflètent pas la diversité des communautés autochtones et quilombolas (art. 5 et 6).
50. Le Comité recommande à l’État partie :
a)De prendre des mesures pour prévenir et traiter les causes profondes de la violence à l’égard des autochtones et des Quilombolas, y compris des femmes, en concertation avec les intéressé(e)s ;
b) De mener rapidement de véritables enquêtes sur toutes les violences commises à l’égard des autochtones et des Quilombolas, y compris les défenseurs et défenseuses des droits humains et les femmes, et de faire en sorte que les responsables soient amenés à répondre de leurs actes et que les victimes aient accès à des voies de recours ;
c) D’élaborer, en concertation avec les représentants de ces communautés, des politiques et des lois qui reflètent pleinement les besoins des autochtones et des Quilombolas dans l’État partie ;
d) De faire en sorte que la Fondation nationale de l’Indien puisse effectivement remplir son mandat, notamment en la dotant de fonds suffisants.
Protection juridique des terres autochtones et quilombolas
51.Le Comité est préoccupé par le fait que, bien que l’État partie ait fait part, en 2004, de son ambition d’achever le processus de délimitation des terres autochtones et quilombolas d’ici à 2007, aucun progrès n’a été réalisé et aucune délimitation n’a été entreprise depuis 2016. Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie, durant le dialogue, concernant les effets de la pandémie de COVID-19 sur le processus, mais demeure néanmoins préoccupé, d’autant plus que l’entreprise de délimitation n’avait pas progressé depuis plusieurs années lorsque la pandémie a émergé et que des renseignements suggèrent que le budget qui y est alloué a fait l’objet d’un veto présidentiel en 2022. Le Comité est profondément préoccupé par l’application et l’institutionnalisation de la thèse des « marqueurs temporels », au nom de laquelle seules les terres occupées par des autochtones à l’époque de l’adoption de la Constitution de 1988 seraient prises en compte dans le cadre des travaux de délimitation. Le Comité est également préoccupé par des renseignements selon lesquels, alors que le processus de délimitation des terres autochtones et quilombolas est à l’arrêt, l’appareil judiciaire utilise le mécanisme de suspension des décisions pour raisons de sécurité, en vue d’autoriser des projets sur les terres autochtones, sans le consentement libre, éclairé et préalable des personnes concernées. De plus, le Comité est préoccupé par des renseignements concernant des propositions législatives élaborées sans concertation avec les communautés autochtones et quilombolas, telles que le projet de loi 191/2020, qui favoriseraient l’exploitation économique des ressources naturelles des terres autochtones et l’affaiblissement des cadres réglementaires en matière d’environnement.
52.Le Comité est préoccupé par l’absence de mesures efficaces visant à protéger les droits des communautés munduruku et yanomami qui auraient été victimes de graves violations de leurs droits humains, ce qui a incité la Commission interaméricaine des droits de l’homme à formuler des mesures de précaution. Le Comité est également préoccupé par le fait que la Commission interaméricaine des droits de l’homme a transmis à la Cour interaméricaine des droits de l’homme l’affaire relative aux communautés quilombolas d’Alcântara. Cette affaire concerne la violation de la propriété collective de 152 communautés qui ne disposaient pas de titres de propriété, l’installation d’une base spatiale sans consultation ni consentement préalables, l’expropriation des habitants de leurs terres et territoires et l’absence de recours judiciaire dans cette situation (art. 5 et 6).
53.Rappelant ses précédentes observations finales et sa recommandation générale n o 23 (1997) sur les droits des populations autochtones, le Comité recommande à l’État partie de reprendre et d’accélérer le processus de délimitation des terres autochtones et quilombolas, et de veiller notamment à allouer des ressources budgétaires suffisantes à ce projet. Il l’exhorte à rejeter la thèse des « marqueurs temporels » et à mettre un terme à son application et à son institutionnalisation. L’État partie devrait également rejeter et suspendre l’utilisation du mécanisme de suspension pour raisons de sécurité et appliquer rigoureusement le principe du consentement libre, éclairé et préalable, conformément à l’article 16 de la Convention de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux (n o 169) de l’Organisation internationale du Travail, dans le cadre des procédures judiciaires relatives à tous les projets concernant les terres autochtones et quilombolas. L’État partie devrait également mettre fin à l’adoption de mesures régressives dans le cadre juridique national qui visent à protéger les terres autochtones et quilombolas et corriger les éventuelles mesures régressives adoptées. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour pleinement protéger les droits fonciers des communautés munduruku , yanomami et alcântara , en veillant notamment à respecter pleinement les mesures de précaution applicables formulées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme. L’État partie devrait prévoir des voies de recours, notamment des garanties de non-répétition, pour toutes les violations des droits de l’homme résultant de l’absence d’une protection juridique efficace des terres autochtones et quilombolas.
Migrants, réfugiés et demandeurs d’asile
54.Le Comité est préoccupé par la publication, en 2020, d’un large corpus de règles administratives visant à restreindre l’entrée dans le pays, sans exception possible pour les personnes en quête d’une protection internationale. Le Comité est préoccupé par le fait que les procédures de fermeture des voies de migration sûres et régulières et l’absence d’exceptions possibles pour les personnes en quête d’une protection internationale exposent les migrants à la traite des êtres humains, et il regrette que l’État partie n’ait fourni aucun renseignement concernant l’intégration des questions de genre et de race dans le troisième plan national de lutte contre la traite des personnes ni sur les modalités d’application effective du plan. Le Comité est également préoccupé par les renseignements selon lesquels les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, en particulier ceux originaires de la République bolivarienne du Venezuela, ont été victimes de discrimination et de xénophobie, notamment en matière d’accès aux services de protection sociale et au marché du travail (art. 2 et 5).
55.Le Comité recommande à l’État partie de supprimer toutes les mesures administratives qui ont été adoptées en 2020 en vue de restreindre l’accès au Brésil, et de prendre des mesures visant à garantir les droits des personnes qui seraient entrées sur le territoire de l’État partie durant cette période, en application des dispositions de la loi de 2017 sur les migrations. Il exhorte l’État partie à faire en sorte que toutes les mesures de lutte contre la traite des êtres humains, y compris le troisième plan national de lutte contre la traite des personnes, tiennent parfaitement compte des questions de genre et de race et soient pleinement et effectivement appliquées. Il recommande également à l’État partie de prévenir et de combattre toutes formes de discrimination et de xénophobie à l’égard des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Roms
56.Le Comité regrette que l’État partie n’ait communiqué aucun renseignement concernant la collecte de données sur la situation des Roms. Il demeure préoccupé par les maigres progrès réalisés concernant l’accès universel des Roms aux documents d’état civil, notamment à l’enregistrement des naissances (art. 5).
57.Le Comité recommande de nouveau à l’État partie de lever tous les obstacles et d’éliminer toutes formes de discrimination en matière d’enregistrement des naissances et de faire en sorte que les Roms bénéficient de l’accès universel aux documents d’état civil. Il recommande également à l’État partie de prendre des mesures pour recueillir des données complètes sur la situation des Roms, en vue d’élaborer des lois, des politiques et des programmes visant à protéger les droits humains de ces personnes et d’en contrôler les effets.
Mesures visant à combattre les préjugés raciaux, à mieux comprendre les injustices historiques et à remédier aux séquelles qu’elles ont laissées
58.Le Comité est conscient que, au Brésil, le racisme survient de manière structurelle et croisée, à divers niveaux de toutes les institutions de la vie économique, sociale, culturelle et politique, et qu’il est un héritage de la formation de l’État brésilien, né de l’assujettissement des autochtones et d’environ 5 millions d’esclaves africains. Le Comité se félicite que l’État partie soit conscient de son passé colonialiste et esclavagiste, mais se dit préoccupé par l’absence de renseignements concernant d’éventuelles initiatives à large échelle qui permettraient de remédier aux erreurs du passé, qui continuent d’alimenter plusieurs formes de racisme et de discrimination raciale dans l’État partie et qui empêchent tous les Brésiliens d’exercer pleinement tous leurs droits humains et libertés fondamentales dans des conditions d’égalité.
59.Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur l’article 7 de la Convention, qui invite les États à adopter des mesures visant à promouvoir la bonne entente et la tolérance entre les groupes racialisés de la population, en particulier grâce à des programmes éducatifs et culturels et des campagnes d’information du public. Le Comité est préoccupé par le fait que la loi no 10 639/2003 relative à l’étude de l’histoire africaine et afro-brésilienne n’a pas été pleinement appliquée, en particulier ces dernières années. Le Comité est également préoccupé par l’hostilité que la Fondation culturelle Palmares, l’une des principales institutions chargées de la préservation des valeurs culturelles, sociales et historiques dans la société afro-brésilienne, a manifestée à l’égard des valeurs qu’elle est censée défendre (art. 2 et 7).
60. Rappelant l’importance de l’éducation pour combattre les préjugés qui conduisent à la discrimination raciale et pour favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre tous les groupes de la société, comme le prévoit l’article 7 de la Convention, et l’importance de la lutte contre le racisme structurel qui est latent dans toutes les institutions de la société, le Comité recommande à l’État partie :
a)D’élaborer et d’appliquer, en concertation avec les Afro-Brésiliens et les autochtones, des directives visant à combattre le racisme institutionnel dans toutes les institutions publiques ;
b) D’imposer à tous les fonctionnaires des formations sur les relations entre les groupes et la lutte contre le racisme institutionnel dans l’administration publique, et de définir des indicateurs permettant d’évaluer dans quelle mesure les fonctionnaires appliquent ces directives ;
c) De faire en sorte que la Fondation culturelle Palmares remplisse fidèlement son mandat et qu’elle définisse et applique des indicateurs visant à évaluer les programmes au regard de sa mission, de prévoir une procédure d’évaluation publique des travaux de la Fondation par les membres de la communauté qu’elle sert et d’appliquer périodiquement ces indicateurs afin d’évaluer les progrès réalisés et de faire évoluer les choses dans le bon sens ;
d) De prendre toutes les mesures nécessaires pour financer de manière efficace et d’appliquer strictement les programmes prévus par la loi n o 10 639/2003 relative à l’étude de l’histoire africaine et afro-brésilienne, de définir des indicateurs, en concertation avec l’ensemble de la communauté, permettant d’évaluer l’efficacité des programmes et d’appliquer périodiquement ces indicateurs afin d’évaluer les progrès réalisés et d’insuffler des changements positifs ;
e) D’engager un dialogue avec les représentants des communautés afro ‑ brésiliennes, autochtones et quilombolas en vue de la création d’une commission nationale destinée à étudier et à élaborer des propositions de réparations pour les injustices historiques.
Autres recommandations
Ratification d’autres instruments
61. Compte tenu du caractère indissociable de tous les droits de l’homme, le Comité engage l’État partie à envisager de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions intéressent directement les communautés qui peuvent faire l’objet de discrimination raciale, comme la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.
Amendement à l’article 8 de la Convention
62. Le Comité recommande à l’État partie d’accepter l’amendement à l’article 8 (par. 6) de la Convention, adopté le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des États parties à la Convention et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 .
Déclaration visée à l’article 14 de la Convention
63. Le Comité engage l’État partie à faire la déclaration facultative visée à l’article 14 de la Convention, par laquelle les États parties reconnaissent la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers.
Suite donnée à la Déclaration et au Programme d’action de Durban
64. À la lumière de sa recommandation générale n o 33 (2009) sur le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, en tenant compte du document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, quand il applique la Convention. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements précis sur les plans d’action qu’il aura adoptés et les autres mesures qu’il aura prises pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.
Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine
65. À la lumière de la résolution 68/237 de l’Assemblée générale proclamant la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine pour 2015-2024 et de la résolution 69/16 sur le programme d’activités de la Décennie, le Comité recommande à l’État partie d’élaborer et d’appliquer un programme adapté de mesures et de politiques en collaboration avec des organisations et des personnes d’ascendance africaine. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport des renseignements précis sur les mesures concrètes qu’il aura adoptées dans ce cadre, compte tenu de sa recommandation générale n o 34 (2011) sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine.
Consultations avec la société civile
66. Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre et d’élargir le dialogue avec les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine de la protection des droits de l’homme, en particulier celles qui luttent contre la discrimination raciale et notamment les organisations représentatives des groupes les plus exposés à la discrimination raciale, dans le cadre de l’élaboration du prochain rapport périodique et du suivi des présentes observations finales.
Diffusion de l’information
67. Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission, de diffuser les observations finales du Comité qui s’y rapportent auprès de tous les organes de l’État chargés d’application de la Convention aux niveaux fédéral, étatique et local, et de les publier sur le site Web du Ministère des affaires étrangères dans les langues officielles et les autres langues couramment utilisées, selon qu’il conviendra.
Suite donnée aux présentes observations finales
68. Conformément à l’article 9 (par. 1) de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur, le Comité demande à l’État partie de fournir, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant dans les paragraphes 17 a) (droit à la santé et effets de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19)), 19 c) (disparités en matière d’accès à l’éducation), 23 a) (pauvreté, emploi et revenus) et 36 a) à d) (usage excessif de la force par les forces de l’ordre et l’armée).
Paragraphes d’importance particulière
69. Le Comité souhaite appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations figurant dans les paragraphes 17 b), c), e) et f) (droit à la santé et effets de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19)), 23 (pauvreté, emploi et revenus) , 27 c) (représentation politique), 33 (homicides à motivation raciale), 46 (défenseurs et défenseuses des droits humains), 48 (développement, environnement, entreprises et droits de l’homme), 50 (communautés autochtones et quilombolas), 53 (protection juridique des terres autochtones et quilombolas) et 60 e) (mesures visant à combattre les préjugés raciaux, à mieux comprendre les injustices historiques et à remédier aux séquelles qu’elles ont laissées) et lui demande de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour y donner suite.
Élaboration du prochain rapport périodique
70. Le Comité recommande à l’État partie de soumettre son rapport valant vingtième à vingt-deuxième rapports périodiques, d’ici à 2026, en tenant compte des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session et en traitant de tous les points soulevés dans les présentes observations finales . À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité exhorte l’État partie à respecter la limite de 21 200 mots fixée pour les rapports périodiques.