Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/83/D/973/200113 avril 2005

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑troisième session14 mars‑1er avril 2005

CONSTATATIONS

Communication n o  973/2001

Présentée par:Mme Maryam Khalilova (non représentée par un conseil)

Au nom de:M. Validzhon Alievich Khalilov (fils de l’auteur)

État partie:Tadjikistan

Date de la communication:14 mai 2001 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 (anciens art. 86 et 91) du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 16 mai 2001 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:30 mars 2005

Objet: Condamnation à mort à l’issue d’une procédure irrégulière.

Questions de procédure: Absence de réponses de la part de l’État partie.

Questions de fond: Condamnation à la peine capitale à l’issue d’une procédure irrégulière et mauvais traitements pendant l’enquête préliminaire.

Articles du Pacte: 6, 7, 10, 14

Articles du Protocole facultatif: 2, 5 (par. 4)

Le 30 mars 2005, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 973/2001. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑troisième session

concernant la

Communication n o  973/2001 **

Présentée par:Mme Maryam Khalilova (non représentée par un conseil)

Au nom de:M. Validzhon Alievich Khalilov (fils de l’auteur)

État partie:Tadjikistan

Date de la communication:14 mai 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 973/2001, présentée au nom de M. Validzhon Alievich Khalilov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Mme Maryam Khalilova, de nationalité tadjike, née en 1954. Elle présente la communication au nom de son fils − Validzhon Alievich Khalilov, également de nationalité tadjike, né en 1973, qui, au moment où la communication a été présentée, était en attente d’exécution dans le quartier des condamnés à mort du centre de détention SIZO no 1, à Douchanbé, après avoir été condamné à mort par la Cour suprême du Tadjikistan le 8 novembre 2000. L’auteur affirme que son fils est victime de violations par le Tadjikistan des paragraphes 1 et 4 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 2, 3 g) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble également soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteur et de son fils, bien que cette disposition n’ait pas été directement invoquée par l’auteur. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 16 mai 2001, conformément à l’article 92 (ancien art. 86) de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a prié l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Khalilov tant que son affaire était en instance devant le Comité. Cette demande de mesures provisoires de protection a été renouvelée le 17 décembre 2002 et le 15 avril 2004. Aucune réponse n’a été reçue de l’État partie. Dans une lettre du 18 février 2005, l’auteur a informé le Comité que, le 10 février 2005, elle avait reçu une attestation signée d’un vice-président de la Cour suprême, indiquant que l’exécution de son fils avait eu lieu le 2 juillet 2001.

Exposé des faits

2.1En 1997, un dénommé Saidmukhtor Yorov a formé une bande armée dans le district de Gulliston, région de Lenin (Tadjikistan). En utilisant la force et les menaces, il a recruté des jeunes gens et les a obligés à commettre plusieurs crimes graves. L’auteur explique que son fils a été contraint sous la menace d’une arme de rejoindre la bande de Yorov. Lorsque son fils a compris en quoi consistaient les activités prétendument «anticonstitutionnelles» de la bande, il s’est échappé et s’est caché chez une tante, dans le district de Lokhur, pour éviter les représailles de la bande.

2.2En avril 1997, M. Khalilov s’est rendu dans sa ville d’origine (kolkhoze Khosilot), dans le district de Gulliston, pour assister au mariage de sa sœur. Après la cérémonie, M. Khalilov et son père se sont rendus à la mosquée pour prier. D’après l’auteur, son fils a été reconnu par des membres de la bande de Yorov qui se sont immédiatement emparés de lui et l’ont conduit devant Yorov. M. Khalilov a été obligé de réintégrer la bande.

2.3À la fin du mois de septembre 1997, l’armée gouvernementale a fait lâcher depuis des hélicoptères des tracts contenant un appel du Président à toutes les personnes que Yorov avait recrutées «par la force et les mensonges». Le Président a expliqué que les membres de la bande qui se rendraient sans violence seraient graciés. M. Khalilov s’est de nouveau enfui; la bande a alors menacé ses parents de les assassiner. Les membres de la bande ont repéré M. Khalilov alors qu’il se trouvait chez sa tante et l’on conduit à Yorov, qui l’a menacé de tuer tous les membres de sa famille s’il s’échappait de nouveau.

2.4En décembre 1997, toutefois, M. Khalilov s’est échappé une fois encore et s’est caché chez une autre tante, dans la région de Hissar. Peu de temps après, il a appris que la bande avait été démantelée, que Yorov était poursuivi, et que les charges retenues contre lui étaient abandonnées. Il a quitté la région de Hissar en juin 1998 pour retourner dans le district de Lokhur, où les autorités l’ont arrêté en janvier 2000.

2.5Selon l’auteur, les enquêteurs ont frappé son fils pour le forcer à avouer sa participation à divers crimes non élucidés, à savoir des meurtres, des actes de violence, des vols simples et des vols qualifiés, et divers autres crimes qui se sont produits entre 1998 et 2000. Selon elle, les enquêteurs ont refusé d’interroger les voisins des tantes chez lesquelles son fils s’est caché entre décembre 1997 et janvier 2000, et qui auraient pu témoigner de son innocence.

2.6À une date non précisée, M. Khalilov a été transféré des services de la police de district de Lenin à ceux du district de Kaferingansky. Dans l’intervalle, on est allé chercher son père sur son lieu de travail pour le mettre en présence de son fils qui se trouvait aux mains du département de la police de district de Kaferingansky. Le père a remarqué que son fils avait été battu et a déclaré qu’il se plaindrait aux autorités compétentes. Les enquêteurs se sont alors mis à le battre devant son fils. Le fils de l’auteur a été menacé et a déclaré avoir dû s’avouer coupable de deux meurtres au cours d’une émission télévisée, sinon son père serait tué. M. Khalilov a avoué avoir commis les deux meurtres comme on le lui demandait. Les enquêteurs ont pourtant tué son père.

2.7Le 12 février, M. Khalilov est apparu de nouveau à la télévision nationale (émission «Iztirob»). Selon l’auteur, il avait été roué de coups et avait le nez cassé, mais les caméras ne montraient son visage que sous un certain angle où ses blessures n’apparaissaient pas.

2.8La Cour suprême a examiné le cas de M. Khalilov avec ceux de cinq autres coaccusés. Le fils de l’auteur a été reconnu coupable de crimes au titre des articles 104 2) (homicide), 181 3) (prise d’otages), 186 3) (banditisme), 195 3) (achat, vente, détention et transport illicites d’armes, de munitions, d’explosifs, etc.), 244 (vol) et 249 (vol avec violence) du Code pénal du Tadjikistan. Il a été condamné à mort le 8 novembre 2000. Selon l’auteur, aucune victime ou partie lésée n’a reconnu son fils au tribunal comme ayant participé aux actes criminels visés, alors que les témoins avaient déclaré pouvoir reconnaître le visage de chacun des participants à ces crimes. La Cour suprême aurait ignoré les dépositions en question et refusé de les prendre en compte ou des les mentionner dans sa décision.

2.9Le fils de l’auteur a déposé un recours en grâce présidentielle, mais sa demande a été rejetée le 23 mai 2001.

2.10Dans une lettre du 5 juin 2003, l’auteur réaffirme que son fils a été contraint de faire partie de la bande de Yorov mais qu’il n’a commis aucun crime. Il s’est échappé et, après la liquidation de la bande, c’est-à-dire lorsqu’il ne risquait plus de représailles, il «a repris une vie normale». Lorsque les crimes ont été commis, il se trouvait chez ses tantes. Après son arrestation en 2000, il a été accusé de crimes qui ont été commis par la bande et a par la suite été condamné à mort. L’auteur déclare que le jugement a été confirmé en cassation (sans préciser la date ni l’instance).

2.11L’auteur explique aussi qu’elle ne sait pas où son fils est détenu. Les responsables du centre de détention SIZO no 1 de Douchanbé auraient refusé d’accepter les colis qu’elle apportait, en lui disant que son fils avait été transféré, sans autres précisions.

2.12Le 18 février 2005, l’auteur a fait savoir au Comité qu’elle avait reçu une lettre du Vice‑Président de la Cour suprême, datée du 2 février 2005, qui indiquait que son fils avait été exécuté le 2 juillet 2001.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits reconnus à son fils au paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés parce qu’il a été roué de coups par les enquêteurs. Bien que l’auteur n’invoque pas cet article expressément, cette partie de la communication peut également soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, à l’égard de M. Khalilov.

3.2Même si l’auteur n’invoque pas expressément cette disposition, le fait qu’elle déclare que, pour accentuer la pression exercée sur son fils, les enquêteurs ont conduit son mari au centre de détention et l’ont battu à mort devant son fils, semble également soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, à l’égard de son fils.

3.3L’auteur affirme que les faits présentés constituent une violation du droit de son fils à la présomption d’innocence au titre du paragraphe 2 de l’article 14. Elle rappelle que son fils est apparu à la télévision nationale pendant l’enquête − c’est‑à‑dire avant toute détermination de sa culpabilité par un tribunal − et qu’il a été contraint d’avouer publiquement avoir commis plusieurs crimes graves.

3.4L’auteur affirme en outre que son fils a été victime d’une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, parce qu’il a été contraint de s’avouer coupable.

3.5Sans étayer son allégation, l’auteur affirme que le droit conféré à M. Khalilov par le paragraphe 5 de l’article 14 de faire réexaminer sa condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi, a également été violé.

3.6L’auteur affirme que les droits reconnus à son fils par les paragraphes 1 et 4 de l’article 6, en liaison avec l’article 14, ont été violés parce que son fils a été condamné à mort à l’issue d’un procès irrégulier au cours duquel les garanties de procédure n’ont pas été respectées.

3.7Enfin, et même si l’auteur n’a pas soulevé cette question expressément, la communication semble aussi soulever des questions au titre de l’article 7, à son propre égard, parce que les autorités tadjikes auraient constamment refusé de lui révéler le sort de son fils et l’endroit où il se trouvait.

Inobservation par l’État partie de la demande d’adoption de mesures provisoires adressée par le Comité en application de l’article 92 de son règlement intérieur

4.1Le Comité note que l’État partie a exécuté le fils de l’auteur bien que le Comité des droits de l’homme ait été saisi d’une communication au titre du Protocole facultatif et qu’il ait adressé une demande d’adoption de mesures provisoires de protection à l’État partie. Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, un État partie reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (Préambule et article premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et l’empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.

4.2Indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, l’auteur déclare que son fils s’est vu dénier ses droits au titre des articles 6, 10 et 14 du Pacte. Elle soulève également des questions qui pourraient relever de l’article 7 même si elle n’a pas invoqué expressément cette disposition. Ayant été notifié de la communication, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution de la victime présumée avant que le Comité ait mené l’examen à bonne fin et qu’il ait pu formuler ses constatations et les communiquer. Il est particulièrement inexcusable pour l’État partie d’avoir agi ainsi après que le Comité lui eut demandé, en application de l’article 92 (ancien art. 86) du règlement intérieur, de s’abstenir de le faire.

4.3Le Comité se déclare par ailleurs extrêmement préoccupé par le fait que l’État partie n’a donné aucune explication pour justifier sa décision, bien qu’il lui ait adressé plusieurs demandes à cet égard.

4.4Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 (ancien art. 86) du règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréparable, comme en l’espèce l’exécution du fils de l’auteur, sape la protection des droits consacrés dans le Pacte qu’assure le Protocole facultatif.

Absence de réponse de la part de l’État partie

5.Par des notes verbales du 16 mai 2001, du 17 décembre 2002 et du 15 avril 2004, l’État partie a été prié de présenter au Comité des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité note qu’il ne les a toujours pas reçues. Il regrette que l’État partie ne lui ait adressé aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et compte tenu des éléments de fait dont il dispose, que les recours internes ont été épuisés. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.3Le Comité a noté l’allégation de l’auteur selon laquelle les droits reconnus à son fils au titre du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte ont été violés. Toutefois, il ressort de la communication de l’auteur que M. Khalilov avait présenté une demande de grâce présidentielle à une date non spécifiée et que cette demande a été rejetée, par décret présidentiel, le 23 mai 2001. Dans ces circonstances, le Comité constate que l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette allégation aux fins de la recevabilité, et décide en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité considère que les autres allégations de l’auteur ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, au sens où elles semblent soulever des questions au titre des articles 6, 7, 10 et 14 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de l’ensemble des éléments d’information que lui ont fournis les parties, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité a pris note des allégations de l’auteur qui affirme que pendant sa détention son fils a été maltraité et frappé par les enquêteurs qui voulaient le forcer à s’avouer coupable et que, pour mettre encore plus de pression sur lui, ils avaient battu et torturé son père devant lui, à la suite de quoi ce dernier était décédé dans les locaux de la police. L’auteur a en outre identifié par leur nom certaines des personnes qui seraient responsables des brutalités infligées à son fils et qui auraient brûlé les mains de son mari au fer. En l’absence de toute information émanant de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées. Le Comité considère que les faits dont il est saisi l’autorisent à conclure que le fils de l’auteur a été soumis à la torture et à des traitements cruels et inhumains, en violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

7.3Comme les actes mentionnés plus haut ont été infligés par les enquêteurs à M. Khalilov pour l’obliger à s’avouer coupable de plusieurs crimes, le Comité considère en outre que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.4Le Comité a pris note de la plainte formulée par l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 14, selon laquelle le droit de son fils à la présomption d’innocence a été violé par les enquêteurs. Elle affirme que son fils a été contraint de passer des aveux à deux reprises au moins au cours de l’enquête, à la télévision nationale. En l’absence de toute information émanant de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu à ces allégations. Le Comité rappelle son Observation générale no 13 et sa jurisprudence, selon lesquelles «c’est un devoir pour toutes les autorités publiques de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès». En l’espèce, le Comité conclut que les autorités chargées de l’enquête n’ont pas respecté leurs obligations au titre du paragraphe 2 de l’article 14.

7.5L’auteur a affirmé que le droit de son fils de faire réexaminer sa condamnation à mort par une juridiction supérieure conformément à la loi a été violé. Il ressort des documents dont le Comité est saisi que, le 8 novembre 2000, le fils de l’auteur a été condamné à mort en première instance par la Cour suprême. Le texte de l’arrêt mentionne qu’il s’agit d’un jugement définitif qui ne peut faire l’objet d’aucun autre recours en cassation. Le Comité rappelle que, si les États parties n’ont pas l’obligation de se doter d’un système qui octroie automatiquement le droit d’interjeter appel, ils sont tenus, en vertu du paragraphe 5 de l’article 14, de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. Faute d’explication de l’État partie à cet égard, le Comité est d’avis que l’absence de possibilité de faire appel devant une juridiction supérieure des jugements rendus par la Cour suprême en première instance ne satisfait pas aux prescriptions énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 et que, par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.

7.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte formulée par l’auteur, le Comité rappelle que la condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, la condamnation à mort a été prononcée et exécutée en violation du droit à un procès équitable, consacré à l’article 14 du Pacte et, partant, également en violation de l’article 6.

7.7Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur selon laquelle les autorités tadjikes, notamment la Cour suprême, n’ont jamais répondu à ses demandes d’informations et ont systématiquement refusé de donner des précisions sur la situation de son fils ni sur l’endroit où il se trouvait. Le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont l’auteur, mère d’un prisonnier condamné à mort, a souffert et souffre encore parce qu’elle ne connaît toujours pas les circonstances ayant entouré l’exécution de son fils, ni l’emplacement de sa tombe. Le secret total entourant la date de l’exécution ainsi que le lieu de l’ensevelissement ont un effet d’intimidation ou de punition pour les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance morale. Le Comité considère que le fait que les autorités n’aient pas notifié l’auteur de l’exécution de son fils constitue un traitement inhumain à l’égard de l’auteur, contraire à l’article 7 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation à l’égard des droits de M. Khalilov du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 2, 3 g) et 5 de l’article 14 du Pacte, ainsi qu’une violation de l’article 7 à l’égard de l’auteur.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation, consistant notamment à l’informer du lieu où son fils a été enterré, et à l’indemniser pour la peine et les affres dans lesquelles elle vit. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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