Présentée par:

Antonio Martínez Fernández (représenté par un conseil, M. José Javier Uriel Batuecas)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

31 juillet 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 97 (ancien article 91) du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 25 juillet 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 mars 2005

Objet:

Étendue du réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation dans le cadre du pourvoi en cassation en Espagne.

Questions de procédure:

Même question déjà examinée par une autre instance internationale de règlement − réserve de l’État partie.

Questions de fond:

Droit pour toute personne condamnée de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.

Articles du Pacte:

14 (par. 5)

Articles du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 a))

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑troisième session

concernant la

Communication n o  1104/2002**

Présentée par:

Antonio Martínez Fernández (représenté par un conseil, M. José Javier Uriel Batuecas)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

31 juillet 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 mars 2005,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1104/2002 présentée au nom de M. Antonio Martínez Fernández en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication datée du 31 juillet 2001 est Antonio Martínez Fernández, de nationalité espagnole. Il prétend être victime d’une violation par l’Espagne de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Javier Uriel Batuecas.

Exposé des faits

2.1L’auteur était adjudant dans l’armée espagnole. Le 26 mars 1999, il a été condamné par le deuxième tribunal militaire territorial pour désobéissance, à la peine de 10 mois d’emprisonnement avec suspension de l’emploi et du droit de vote. S’étant fracturé la main droite en octobre 1995, il a été mis en congé de maladie. En février 1996, il a été convoqué à trois reprises pour passer un examen médical auquel il ne s’est présenté que la troisième fois. Le 1er mars 1996, il a été déclaré médicalement apte au service et a été informé qu’il devait rejoindre immédiatement son unité militaire. Il ne l’a pas fait et a envoyé des documents attestant de son inaptitude temporaire au service. Il a été convoqué de nouveau à la fin mars 1996 mais n’a pas répondu non plus à cette convocation, se contentant d’envoyer un certificat d’incapacité temporaire.

2.2L’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la cinquième chambre de la Cour suprême, siégeant en chambre militaire, dans lequel il a invoqué l’article 14, paragraphe 5, du Pacte. Par décision en date du 29 décembre 1999, la cinquième chambre a rejeté le pourvoi. Conformément à l’article 325 du Code de procédure militaire, qui se réfère aux articles 741 et suivants du Code de procédure pénale, la chambre n’a examiné les motifs avancés dans le pourvoi que pour déterminer s’ils étaient recevables.

2.3.L’auteur a formé un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, alléguant d’une violation de son droit au double degré de juridiction. Il a affirmé que, selon la loi organique sur la procédure militaire, la cinquième chambre n’était pas habilitée à agir comme une véritable juridiction supérieure en ce sens qu’il ne lui appartenait pas de réévaluer tous les éléments de l’affaire. Il a invoqué également les constatations du Comité concernant l’affaire Gómez Vásquez. Par décision du 9 mai 2001, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours.

2.4Le 27 juillet 2001, l’auteur a présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, portant sur la même question que celle qui fait l’objet de la communication soumise au Comité. Mais le 12 septembre 2002, il a demandé le retrait de cette requête à la Cour européenne des droits de l’homme et l’a fait savoir au Comité. Le secrétariat de la Cour européenne des droits de l’homme a informé le Comité que, par décision du 3 décembre 2002, celle‑ci avait classé la requête de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.L’auteur dénonce une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation. Il signale qu’en raison des caractéristiques particulières du pourvoi en cassation, la chambre ne peut connaître de tous les éléments de l’affaire jugée en première instance mais doit se borner à analyser les motifs invoqués par l’auteur du pourvoi pour déterminer s’ils sont conformes au droit; la chambre ne peut connaître que des irrégularités dont le jugement pourrait être entaché, elle ne peut évaluer pleinement les «droits» (sic), et doit simplement examiner les motifs invoqués pour déterminer s’ils sont recevables. Selon l’auteur, il n’existe pas de double degré de juridiction au sens de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie fait valoir qu’il n’existe pas de preuve digne de foi que la demande de retrait de la requête présentée par l’auteur à la Cour européenne des droits de l’homme ait été acceptée par celle‑ci. Il ajoute que l’auteur a reconnu qu’il s’était adressé en même temps au Comité et à la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui va à l’encontre des dispositions de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif et rend la communication irrecevable. Même si la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme avait été achevée, elle aurait eu lieu en même temps que la procédure devant le Comité. L’État partie en conclut que même dans le cas où la requête devant la Cour européenne des droits de l’homme aurait été retirée, la réserve qu’il a formulée en adhérant au Protocole, réserve dont le sens a été clarifié par le Comité dans sa décision d’irrecevabilité concernant la communication no 1074/2002 (Ferragut c. Espagne, décision du 28 mars 2004), est applicable.

4.2En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie soutient que le paragraphe 5 de l’article 14 n’établit pas un droit à une deuxième instance comportant un réexamen complet de l’affaire, mais le droit à ce qu’une juridiction supérieure statue sur le bien‑fondé du jugement rendu en première instance, en examinant l’application des règles de droit qui fondent la déclaration de culpabilité et l’imposition de la peine dans le cas d’espèce. Le nouvel examen a pour objet de vérifier que la décision en première instance n’est pas manifestement arbitraire et qu’elle n’a pas constitué un déni de justice.

4.3L’État partie fait valoir que le pourvoi en cassation trouve son origine dans le système de cassation français et que, pour des raisons historiques et philosophiques, il a pris la forme d’un examen limité aux questions de droit, présentant des caractéristiques identiques dans plusieurs pays européens. L’État partie précise que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que les États parties conservent la faculté de décider des modalités d’exercice du droit à réexamen et peuvent en restreindre l’étendue à des questions de droit.

4.4Selon l’État partie, le pourvoi en cassation en Espagne, plus étendu que la cassation initiale française, est conforme aux exigences énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il fait observer que le droit au double degré de juridiction ne comporte pas le droit à une nouvelle appréciation des éléments de preuve, mais signifie que les juridictions de deuxième instance examinent les éléments de fait et de droit, et la décision judiciaire, laquelle est maintenue, sauf en cas de décision arbitraire ou de déni de justice. Il affirme que la déclaration de culpabilité de l’auteur et la peine à laquelle il a été condamné ont été réexaminées par la Cour suprême. Il rappelle la décision rendue dans l’affaire de l’auteur par la Cour constitutionnelle qui a dit: «L’auteur du recours […] n’a même pas indiqué, s’étant contenté d’invoquer le droit en question, quel aspect précis du jugement rendu en première instance n’avait pu être revu du fait de la nature juridique particulière du pourvoi en cassation, alors que tous les motifs qu’il a invoqués ont été examinés et qu’aucun d’eux n’a été rejeté parce qu’il n’était pas recevable selon la loi.».

4.5L’État partie affirme que les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez ne peuvent être généralisées, puisqu’elles ne concernent que le cas d’espèce pour lequel elles ont été adoptées. Il met également l’accent sur la contradiction manifeste qui existe en matière de protection internationale du droit à un double degré de juridiction, contradiction qui découle de l’interprétation différente que font la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme d’un même texte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

5.1En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’auteur a informé le Comité que la Cour européenne des droits de l’homme avait accusé réception de sa requête par une lettre datée du 21 septembre 2001 dans laquelle elle lui faisait savoir que sa demande pourrait être déclarée recevable, parce que ni l’article 6, paragraphe 1, ni l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme n’imposaient plusieurs degrés de juridiction et parce que l’Espagne n’avait pas ratifié le Protocole no 7 à la Convention. La Cour a informé en outre l’auteur que sa requête ne serait pas enregistrée officiellement tant qu’il n’aurait pas indiqué s’il souhaitait la maintenir ou non. L’auteur a joint à ses commentaires une lettre datée du 20 décembre 2002 par laquelle la Cour européenne l’informait qu’une chambre constituée de trois juges avait décidé de radier sa requête du rôle conformément à l’article 37, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

5.2En ce qui concerne le fond, l’auteur soutient que le fait que la Cour européenne des droits de l’homme ait donné une interprétation restrictive du contenu du droit au double degré de juridiction ne modifie en rien la jurisprudence du Comité concernant le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation.

5.3Selon l’auteur, la nature du pourvoi en cassation empêche un réexamen des faits. La cassation est une voie de recours juridictionnelle qui vise essentiellement à faire régner l’unité d’interprétation du droit sans constituer un jugement en deuxième instance dans la mesure où la Cour suprême n’est pas habilitée à réévaluer les éléments de preuve ou les faits sur lesquels le tribunal de première instance a fondé son jugement et que seules relèvent de sa compétence les irrégularités de fond ou de forme ou l’appréciation des éléments de preuve à titre exceptionnel. Le pourvoi ne peut être formé contre les motifs pour lesquels le jugement a été rendu; il a un caractère extraordinaire et porte strictement sur la forme. L’auteur affirme qu’il n’offre pas un moyen réel de réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation.

5.4D’après l’auteur, après l’adoption par le Comité de ses constatations dans l’affaire Gómez Vásquez, la deuxième chambre de la Cour suprême, siégeant en formation plénière le 13 septembre 2000, a évoqué la question de l’institution d’un appel avant la cassation. L’auteur a joint à ses commentaires une copie de la loi no 19/2003, entrée en vigueur à la fin de décembre 2003 en Espagne, loi qui, se référant aux constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez, généralise le principe de la deuxième juridiction en matière pénale et institue le droit de faire appel des décisions rendues par les Audiencias provinciales et l’Audiencia Nacional. L’auteur signale que la loi en question n’a pas été étendue au système de justice pénale militaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif lu conjointement avec la réserve qu’il a formulée à cette disposition, le Comité observe que la communication que l’auteur lui a soumise est datée du 31 juillet 2001, que l’auteur a présenté une requête pour violation du droit à l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure à la Cour européenne des droits de l’homme le 27 juillet 2001, que la Cour n’a pas enregistré officiellement cette requête, que l’auteur a demandé son retrait le 12 septembre 2002 et que la Cour européenne des droits de l’homme a fait droit à sa demande le 3 décembre 2002.

6.3Le Comité estime que la plainte de l’auteur n’est pas actuellement examinée et n’a pas déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme puisque celle‑ci n’a pas officiellement enregistré sa requête, que cette requête a été par la suite retirée par l’auteur et que la Cour a accepté ce retrait sans examiner le fond de la plainte déposée par l’auteur. Le Comité conclut que la communication n’est pas irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif et de la réserve formulée par l’État partie à cette disposition.

6.4Considérant que la plainte de l’auteur soulève des questions relevant de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte, le Comité estime qu’elle est recevable et décide de passer à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.Le Comité note que la principale question dans le cadre de la procédure pénale contre l’auteur était l’évaluation de sa capacité de s’acquitter de ses obligations militaires, ce qui implique une évaluation des faits. Le Comité prend note des commentaires formulées par l’État partie sur la nature du pourvoi en cassation en Espagne, en particulier du fait que la juridiction de deuxième instance se borne à examiner si les conclusions auxquelles est parvenu le tribunal de première instance sont arbitraires ou constituent un déni de justice. Comme l’a établi le Comité dans de précédents cas, un examen aussi limité par une juridiction supérieure n’est pas conforme aux exigences du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur est victime d’une violation de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte.

8.Par conséquent, le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile. La déclaration de culpabilité de l’auteur doit être réexaminée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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