Nations Unies

CERD/C/NIC/CO/15-21

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

22 décembre 2023

Français

Original : espagnol

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Observations finales concernant le rapport du Nicaragua valant quinzième à vingt et unième rapports périodiques *

1.Le Comité a examiné le rapport du Nicaragua valant quinzième à vingt et unième rapports périodiques à sa 2897e séance, le 10 août 2022. À ses 2918e et 2919e séances, le 25 août 2022, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Malgré le retard, le Comité accueille avec satisfaction la soumission, le 13 mai 2019, du rapport de l’État partie valant quinzième à vingt et unième rapports périodiques.

3.Le Comité souligne que des efforts ont été déployés et des invitations et rappels envoyés à l’État partie pour que celui-ci soit présent lors de l’examen de ses rapports périodiques. En conséquence, il regrette profondément que l’État partie ne se soit pas présenté et qu’un dialogue ouvert et constructif sur l’application de la Convention n’ait pu avoir lieu. Il souligne que, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, la présence des représentants des États parties est attendue aux séances consacrées à l’examen du rapport. Il rappelle à l’État partie la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, qui rappelle qu’il importe que tous les États parties participent pleinement à l’échange de vues avec les organes conventionnels. Il estime que le dialogue est un élément clef de l’examen des rapports et une occasion unique pour lui et l’État partie d’avoir une discussion ouverte, constructive et détaillée sur les progrès accomplis et les difficultés rencontrées dans l’application de la Convention. Il rappelle à l’État partie que la ratification de la Convention entraîne un certain nombre d’obligations et d’engagements internationaux, raison pour laquelle il a décidé de procéder à l’examen du rapport en l’absence de délégation.

B.Aspects positifs

4.Le Comité se félicite de :

a)L’adoption, en 2012, de la loi sur la médecine traditionnelle ancestrale et de son règlement d’application ;

b)L’approbation du plan national 2022-2026 de développement humain et de lutte contre la pauvreté, et de la Stratégie et du Plan de développement de la côte caraïbe et de l’Alto Wangki Bocay ;

c)La création, en 2014, au sein du Ministère de la santé, de l’Institut de médecine naturelle et traditionnelle et des thérapies complémentaires ;

d)L’approbation du plan septennal pour l’éducation (2014-2021) et le lancement du système éducatif autonome régional.

5.Le Comité se félicite également de la ratification, par l’État partie, des traités internationaux suivants :

a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 25 février 2009 ;

b)Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le 25 février 2009 ;

c)La Convention de 1989 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux (no 169), le 25 août 2010 ;

d)La Convention de 2011 de l’OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques (no 189), le 10 janvier 2013.

C.Sujets de préoccupation et recommandations

Coopération en matière de droits de l’homme

6.Le Comité note avec une profonde préoccupation que, depuis avril 2018 et le début de la crise sociopolitique, l’État partie prend des mesures arbitraires et répressives pour restreindre les possibilités de participation et de dialogue au niveau national. Il note avec une inquiétude particulière qu’un grand nombre d’organisations de la société civile œuvrant pour la défense des droits de l’homme, y compris les droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine, ont cessé leurs activités. Il est également préoccupé par le manque de coopération et de dialogue de l’État partie avec les mécanismes régionaux et universels de protection des droits de l’homme.

7.Le Comité rappelle la recommandation du Comité des droits économiques, sociaux et culturels , et exhorte l’État partie à rétablir les possibilités de participation et de dialogue de manière transparente et constructive avec tous les acteurs au niveau national, y compris les représentants de la société civile, les représentants et chefs des peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les défenseurs des droits de l’homme. Il recommande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour que les organisations de la société civile, en particulier celles qui œuvrent pour la défense des droits de l’homme, puissent exercer leurs fonctions de manière effective, sans restrictions arbitraires et disproportionnées et sans crainte de représailles. Il l’exhorte en outre à rétablir le dialogue et la coopération au niveau international avec les mécanismes régionaux et universels de protection des droits de l’homme, en particulier avec les organes conventionnels.

Application de la Convention

8.Le Comité regrette de ne pas disposer d’informations sur l’incorporation de la Convention dans la liste figurant à l’article 46 de la Constitution, ni sur les cas dans lesquels la Convention a été invoquée et appliquée dans des décisions judiciaires.

9. Le Comité réitère sa recommandation précédente concernant l’inclusion de la Convention dans la liste des instruments internationaux visés à l’article 46 de la Constitution. Il recommande en outre à l’État partie de prendre des mesures appropriées, notamment de dispenser des formations, pour que les juges, les procureurs et les avocats connaissent les dispositions de la Convention et soient en mesure de les appliquer selon qu’il convient. Il lui demande de faire figurer dans son prochain rapport périodique des exemples concrets de cas dans lesquels la Convention a été appliquée par les tribunaux nationaux.

Collecte de données

10.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas effectué de recensement national de la population depuis 2005, ce qui signifie qu’il n’existe pas d’informations fiables et actualisées sur la composition démographique de la population. Il est aussi préoccupé par l’absence de données statistiques ventilées et d’indicateurs socioéconomiques permettant d’évaluer la réalisation des droits énoncés dans la Convention et leur exercice par les peuples autochtones, les personnes d’ascendance africaine et les autres groupes ethniques dans l’État partie.

11. Le Comité réitère sa recommandation précédente et demande instamment à l’État partie de recueillir et de communiquer des données statistiques fiables, actualisées et complètes sur la composition démographique de la population nicaraguayenne, et d’établir des indicateurs socioéconomiques ventilés par ethnie, genre, âge, région, zones urbaines et rurales, y compris les plus reculées, qui lui serviront à élaborer des politiques et programmes publics appropriés en faveur des groupes de population faisant l’objet de discrimination raciale et à évaluer l’application de la Convention en ce qui concerne les différents groupes qui composent la société. Il encourage l’État partie à procéder, avec la participation active des peuples autochtones, des personnes d’ascendance africaine et des autres groupes ethniques, à une révision des catégories utilisées pour l’ auto-identification afin de pouvoir recueillir des informations sur tous les groupes ethniques.

Cadre législatif

12.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas précisé s’il existait une loi interdisant la discrimination raciale au sens de la Convention et si les comportements décrits dans la Convention étaient inclus dans le Code pénal. S’il note que l’article 36 (par. 5) du Code pénal fait de la motivation raciste une circonstance aggravante, il s’inquiète de ce que l’article 427 de ce même Code, qui réprime la discrimination, ne fasse pas mention de la discrimination raciale (art. 1er, 2 et 4).

13. Le Comité recommande à l’État partie d’interdire la discrimination raciale telle qu’elle est définie dans la Convention et d’adopter une loi complète de lutte contre la discrimination qui interdise la discrimination raciale sous toutes ses formes, notamment indirectes, et couvre tous les droits et toutes les sphères de la vie publique, conformément à l’article premier (par. 1 et 2) de la Convention. Il lui recommande d’inclure dans le Code pénal les actes énoncés à l’article 4 de la Convention et le renvoie à ses recommandations générales n o 14 (1993) et n o 29 (2002) sur le paragraphe 1 de l’article premier de la Convention et n o 35 (2013) sur la lutte contre les discours de haine raciale .

Cadre institutionnel de la lutte contre la discrimination raciale

14.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur le fonctionnement et les activités de la Commission nationale pour l’élimination de la discrimination raciale et sur l’élaboration d’une politique nationale de lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Il est en outre préoccupé par le fait qu’en 2019, le Sous-Comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme a rétrogradé le Bureau du Défenseur des droits de l’homme du Nicaragua au statut « B », principalement en raison de questions liées à son manque d’indépendance et à sa passivité face aux allégations de violations des droits de l’homme (art. 2).

15. Le Comité réitère sa recommandation précédente et demande instamment à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de la Commission nationale pour l’élimination de la discrimination raciale, afin de lui permettre de formuler et d’appliquer une politique nationale de lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Il exhorte l’État partie à redoubler d’efforts pour faire en sorte que le Bureau du défenseur des droits de l’homme soit pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) et donne la suite voulue aux recommandations du Sous-Comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme.

Discrimination structurelle

16.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur les efforts qu’il déploie pour rétablir et revitaliser les droits économiques, sociaux et culturels des peuples premiers et des populations d’ascendance africaine, ainsi que pour éliminer la discrimination raciale, par la mise en œuvre de la Stratégie et du Plan de développement de la côte caraïbe et de l’Alto Wangki Bocay. Il constate toutefois avec préoccupation que, selon les informations disponibles, les peuples autochtones et les populations d’ascendance africaine continuent de subir une discrimination structurelle, qui se reflète dans les taux de pauvreté, les conditions de vie précaires et l’exclusion et la violence persistantes que connaissent actuellement ces peuples et communautés. Il fait à nouveau part de ses préoccupations face à l’absence de protection expresse et de reconnaissance juridique des peuples autochtones du Pacifique, du Centre et du Nord. En outre, il est gravement préoccupé par les informations selon lesquelles la protection et le respect des droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine régressent dans l’État partie (art. 2 et 5).

17.Le Comité exhorte l’État partie à adopter d’urgence les mesures nécessaires pour garantir la protection effective et le respect des droits des peuples autochtones et des populations d ’ ascendance africaine , en particulier dans la région de la côte atlantique. Il réitère sa recommandation précédente et invite instamment l’État partie à reconnaître les peuples autochtones du Pacifique, du centre et du nord du Nicaragua et à assurer leur protection juridique effective, notamment par l’adoption d’une loi spécifique. Il l’engage à poursuivre ses efforts pour promouvoir efficacement l’inclusion sociale et faire reculer la pauvreté et les inégalités dont souffrent les membres des peuples autochtones et les personnes d ’ ascendance africaine , notamment en adoptant des mesures spéciales ou des mesures d’action positive visant à éliminer la discrimination structurelle dont ils continuent de pâtir. Il le prie de lui fournir des informations sur les résultats concrets de la mise en œuvre de la Stratégie et du Plan de développement de la côte caraïbe et de l’Alto Wangki Bocay .

Accès aux territoires

18.Le Comité prend note des progrès réalisés en ce qui concerne la délimitation de 23 territoires autochtones, la délivrance de titres de propriété pour ces territoires et l’octroi de droits collectifs aux communautés autochtones, mais il constate avec préoccupation que, selon les informations qu’il a reçues, l’État partie n’a pas mené à bien la phase d’assainissement des territoires autochtones prévue par la loi no 445 sur le régime de propriété communale des peuples autochtones et des communautés ethniques des régions autonomes de la côte Atlantique du Nicaragua et des rivières Bocay, Coco, Indio et Maíz, ce qui a donné lieu à des attaques et à des invasions illégales de la part de colons et de personnes non autochtones dans les territoires autochtones, générant de graves conflits et des violences autour de l’accès aux terres et aux ressources naturelles. Le Comité regrette également de ne pas avoir pu obtenir d’informations sur la délimitation des terres et la délivrance de titres de priorité dans le territoire créole de Bluefields (art. 2 et 5).

19. Le Comité exhorte l’État partie :

a) À adopter les mesures nécessaires pour garantir la protection du droit des peuples autochtones de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de gérer leurs terres, territoires et ressources en toute sécurité, y compris au moyen d’un processus approprié d’« assainissement territorial », conformément aux dispositions de la loi n o 445 sur le régime de propriété communale des peuples autochtones et des communautés ethniques des régions autonomes de la côte Atlantique du Nicaragua et des rivières Bocay , Coco, Indio et Maíz  ;

b) À poursuivre ses efforts pour délimiter les territoires autochtones et délivrer des titres de propriété, en particulier dans le territoire créole de Bluefields ;

c) À garantir la reconnaissance légale et la protection juridique des droits collectifs des peuples autochtones sur leurs terres et territoires, conformément aux normes internationales.

Attaques visant des peuples autochtones ou des personnes d’ascendance africaine

20.Le Comité est profondément alarmé par les informations qu’il a reçues selon lesquelles des membres des peuples autochtones et des personnes d’ascendance africaine font l’objet d’actes de violence et d’atteintes à la vie et à l’intégrité physique sur leur territoire. Il est gravement préoccupé en particulier par les nombreuses attaques qui ont été perpétrées contre les peuples autochtones du territoire Mayangna Sauni As dans la région de la réserve de biosphère de Bosawás. Il regrette de ne pas disposer d’informations sur les enquêtes menées sur ces attaques et est vivement préoccupé par le fait que ces actes puissent rester impunis (art. 1er, 2, 5 et 6).

21. Le Comité recommande à l’État partie de prévenir de manière efficace et urgente les actes de violence et les atteintes à la vie visant des membres des peuples autochtones et des personnes d’ascendance africaine, en particulier dans les régions autonomes de la côte caraïbe. Il l’exhorte à adopter d’urgence les mesures nécessaires pour que tous les signalements d’atteintes à la vie et d’actes de violence visant des membres des peuples autochtones ou des personnes d’ascendance africaine donnent lieu à une enquête approfondie, impartiale et efficace, afin que les responsables soient poursuivis et dûment sanctionnés. Il le prie de faire figurer dans son prochain rapport des informations détaillées sur les enquêtes menées à la suite de ces signalements, en particulier sur les attaques qui ont eu lieu dans la région de la réserve de biosphère de Bosawás , et sur les résultats de ces enquêtes.

Consultation préalable

22.Le Comité note avec préoccupation qu’il n’existe pas de mécanisme efficace garantissant le droit des peuples autochtones d’être consultés de manière à pouvoir donner librement et en connaissance de cause leur consentement préalable au sujet de toute mesure législative ou administrative susceptible d’avoir des incidences sur l’exercice effectif de leurs droits. Il est également préoccupé par les allégations selon lesquelles des permis ont été délivrés pour l’exploitation de ressources naturelles ou pour des projets de développement dans des territoires autochtones sans consultation préalable ou à l’issue de consultations menées avec des personnes non habilitées à représenter les peuples concernés. Il note avec une vive préoccupation que le projet du Grand Canal Interocéanique, qui a des conséquences pour le territoire du peuple autochtone Rama et des communautés d’ascendance africaine Kriol ainsi que pour le territoire de la communauté noire créole autochtone de Bluefields, n’a pas fait l’objet d’une consultation en bonne et due forme avec les peuples et communautés concernés, ce qui a également été le cas du projet de port en eaux profondes de Bluefields, du projet de conservation des forêts et du carbone et du projet Bio-Clima (art. 2 et 5).

23. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre en place, en concertation avec les peuples autochtones et les populations d ’ ascendance africaine , un mécanisme national qui soit propre à garantir le droit de ces peuples et populations d ’ être consultés pour pouvoir donner, librement et en connaissance de cause, leur consentement préalable au sujet de toute mesure législative ou administrative susceptible d ’ avoir des incidences sur leurs droits, et qui tienne compte de la culture et des traditions de chaque peuple, notamment en ce qui concerne la prise de décisions ;

b) De faire en sorte que soit dûment respecté le droit des peuples autochtones d’être consultés pour pouvoir donner, librement et en connaissance de cause, leur consentement préalable concernant l’exécution de projets industriels ou énergétiques ou de projets de développement économique, d’infrastructures ou d’exploitation des ressources naturelles susceptibles d’avoir des incidences sur leurs territoires et leurs ressources naturelles, et de veiller à ce que de telles consultations soient menées systématiquement, en temps voulu et de manière transparente, et à ce que les peuples concernés soient dûment représentés.

Effets de l’exploitation des ressources naturelles

24.Le Comité est gravement préoccupé par les effets du développement de projets extractifs ou agro-industriels et de projets d’infrastructures sur les ressources naturelles présentes sur les terres et territoires des peuples autochtones et populations d’ascendance africaine, ces projets portant gravement atteinte aux moyens de subsistance et aux modes de vie de ces peuples et générant des crises alimentaires, des déplacements forcés et des problèmes de santé pour les communautés touchées (art. 2 et 5).

25. Soulignant que la protection des droits de l’homme et l’élimination de la discrimination raciale sont essentielles à un développement économique durable, et rappelant le rôle que jouent aussi bien le secteur public que le secteur privé à cet égard, le Comité exhorte l’État partie :

a) À faire réaliser, dans le cadre du processus de consultation préalable et avant de délivrer des permis pour des projets de développement et d’exploitation des ressources naturelles dans les territoires autochtones, des études indépendantes et impartiales sur les effets sociaux, environnementaux et culturels que ces projets peuvent avoir sur les modes de vie et de subsistance traditionnels des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine ;

b) À définir, en concertation avec les peuples autochtones et les populations d’ascendance africaine dont les territoires et les ressources sont concernés, des mesures d’atténuation, d’indemnisation des dommages et des pertes subis et de participation aux bénéfices de ces activités.

Usage excessif de la force

26.Le Comité est préoccupé par les informations reçues concernant des cas dans lesquels il a été fait un usage excessif de la force contre des membres de peuples autochtones et des personnes d’ascendance africaine, y compris des cas où des personnes sont décédées alors qu’elles se trouvaient en détention (art. 2, 5 et 6).

27. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter des mesures pour prévenir l ’ usage excessif de la force, les mauvais traitements et l ’ abus d ’ autorité visant des membres de peuples autochtones et des personnes d ’ ascendance africaine, notamment de garantir le respect du principe de proportionnalité et de stricte nécessité dans le contexte de l ’ usage de la force et d’ organiser à l ’ intention des forces de l ’ ordre des activités de formation sur l ’ usage de la force et le maintien de l ’ ordre par des moyens conventionnels et sur la lutte contre la discrimination raciale, en particulier sur les dispositions de la Convention. Il lui recommande également d ’ enquêter sur toutes les allégations de recours excessif à la force, de mauvais traitements et d ’ abus de la part d’ agents de la force publique à l ’ encontre de membres de peuples autochtones et de personnes d ’ ascendance africaine et, le cas échéant, de poursuivre les auteurs des faits et de les sanctionner en tenant compte de la gravité des actes commis.

Accès à la justice et discrimination dans le système judiciaire

28.Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles l’accès des personnes autochtones ou d’ascendance africaine à la justice est considérablement entravé par le manque d’indépendance du système judiciaire et la persistance de pratiques discriminatoires. Il est préoccupé par les informations qu’il a reçues concernant des violations des garanties d’une procédure régulière et du droit des personnes autochtones ou d’ascendance africaine à une défense adéquate, ainsi que la pratique du profilage racial à l’égard de la population d’ascendance africaine de la côte caraïbe dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogues, profilage qui donne lieu à de fausses accusations, des détentions arbitraires et des perquisitions sans mandat (art. 5 et 6).

29. Sur la base de ses recommandations générales n o 31 (2005) sur la prévention de la discrimination raciale dans l ’ administration et le fonctionnement du système de justice pénale et n o 36 (2020) sur la prévention et l ’ élimination du recours au profilage racial par les représentants de la loi, le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De mettre fin à la discrimination raciale au sein de l’appareil judiciaire et du système pénitentiaire, notamment en formant les policiers, les procureurs, les avocats, les défenseurs, les juges et les professionnels de la justice et du système pénitentiaire pour qu’ils soient davantage conscients des effets néfastes de la discrimination raciale et pour garantir l’application effective de la Convention ;

b) De prendre les mesures nécessaires pour combattre la corruption et assurer la transparence du système judiciaire, afin de poursuivre la lutte contre la discrimination raciale et de garantir le respect des droits de l’homme ;

c) De garantir l’accès des peuples autochtones à la justice, en veillant au respect de leurs droits fondamentaux et des garanties d’une procédure régulière, et en garantissant l’accès, lorsque nécessaire, à des défenseurs qualifiés qui maîtrisent les langues autochtones et à des interprètes capables d’expliquer aux personnes concernées la teneur des procédures judiciaires ;

d) De veiller à ce que, dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants, les forces de l’ordre ne mènent pas d’actions contre des personnes d’ascendance africaine sur la seule base de la stigmatisation et du profilage racial.

Loi sur l’autonomie et participation des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine à la vie politique

30.Le Comité est préoccupé par les informations reçues concernant les difficultés d’application du régime d’autonomie communale, territoriale et régionale, en particulier la loi no 28 portant statut d’autonomie des communautés de la côte caraïbe du Nicaragua. Il est également préoccupé par les informations indiquant que les autorités autochtones légitimement élues dans le cadre d’assemblées communautaires ou territoriales ne sont ni officiellement reconnues ni prises en considération par l’administration, et par l’imposition d’« autorités parallèles » qui portent atteinte à la réalisation des droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine de la côte caraïbe à l’autonomie et à la participation politique. Il note avec préoccupation que les réformes législatives nécessaires pour garantir la participation effective des organisations autochtones aux processus électoraux, conformément à l’arrêt rendu le 23 juin 2005 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Yatama vs. Nicaragua, n’ont toujours pas été menées. Enfin, il regrette de ne pas disposer de données sur la participation des membres des peuples autochtones et des personnes d’ascendance africaine à la vie politique, en particulier leur représentation aux fonctions publiques électives et aux postes de décision (art. 2 et 5).

31.Le Comité recommande à l’État partie de veiller au plein respect de la loi n o  28 portant statut d’autonomie des communautés de la côte caraïbe du Nicaragua, et d’adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir que les autorités communales légitimement constituées et désignées par les peuples autochtones ne sont pas supplantées, lorsque des décisions les concernant sont prises, par des autorités parallèles. Il lui recommande d’accélérer l’adoption de réformes législatives visant à garantir la participation effective des organisations de peuples autochtones aux processus électoraux, conformément à l’arrêt du 23 juin 2005 rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Yatama vs. Nicaragua. En outre, il l’exhorte à prendre les mesures nécessaires pour assurer la pleine participation des personnes autochtones ou d ’ ascendance africaine , en particulier des femmes, aux affaires publiques, tant aux postes de décision que dans les institutions représentatives.

Droit à la santé

32.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie dans son rapport périodique concernant les progrès réalisés en ce qui concerne l’articulation et les synergies entre les systèmes de santé traditionnels et les systèmes de santé conventionnels, mais il note avec préoccupation que des difficultés persistantes empêchent les membres des peuples autochtones et les personnes d’ascendance africaine de jouir pleinement de leur droit à la santé. Il est préoccupé par l’insuffisance des infrastructures, la pénurie de médicaments et les problèmes de qualité et de disponibilité des services de soins de santé dans les zones rurales et les régions reculées principalement habitées par des peuples autochtones. Il regrette de ne pas disposer d’informations sur les résultats de l’application des modèles de soins de santé interculturels dans les régions autonomes de la côte caraïbe (art. 5 (al. e) iv)).

33.Le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures nécessaires, notamment d’allouer les ressources nécessaires à l’application effective des modèles de soins de santé interculturels dans les régions autonomes de la côte caraïbe, à l’application dans la pratique de la loi n o  759 sur la médecine traditionnelle ancestrale et au bon fonctionnement de l’Institut de médecine naturelle et traditionnelle et des thérapies complémentaires du Ministère de la santé. Il lui recommande également de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’accessibilité, la disponibilité et la qualité des soins de santé, en prenant particulièrement en considération les besoins, les traditions et les particularités culturelles des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine.

Effets de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) et des ouragans Eta et Iota

34.Le Comité regrette de ne pas disposer d’informations fiables sur les effets de la pandémie de COVID-19 sur les peuples autochtones et les populations d’ascendance africaine. Il est préoccupé par les informations selon lesquelles ces peuples et populations ont peu accès à des informations officielles adéquates, aux services de santé, aux tests et à la vaccination. En outre, il regrette de ne pas disposer d’informations sur les mesures qui ont été prises pour contrer les effets dévastateurs des ouragans Iota et Eta sur la côte caraïbe (art. 2 et 5).

35. Compte tenu de la recommandation formulée par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels , le Comité invite instamment l’État partie à procéder, en coopération avec tous les acteurs concernés, notamment les représentants de la société civile, des peuples autochtones, des populations d’ascendance africaine et de la communauté scientifique, à une évaluation objective des effets de la pandémie de COVID-19 sur les peuples autochtones et les populations d’ascendance africaine, dans le but de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les risques d’infection et fournir des soins de santé de qualité à ce groupe de population. Il lui recommande en outre de prendre des mesures propres à répondre aux besoins des populations de la côte caraïbe qui ont été touchées par les ouragans Eta et Iota.

Droit à l’éducation

36.Le Comité est préoccupé par les taux élevés d’analphabétisme enregistrés dans les populations autochtones et d’ascendance africaine. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles le taux d’abandon scolaire est élevé chez les enfants autochtones et par le fait qu’il n’y a pas d’enseignement secondaire dans les communautés autochtones et qu’il n’existe pas d’enseignement bilingue interculturel de qualité (art. 5).

37.Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier ses efforts pour éliminer l’analphabétisme chez les populations autochtones et d ’ ascendance africaine . Il l’exhorte à prendre des mesures pour faire augmenter le taux de scolarisation et faire baisser le taux d’abandon scolaire chez les enfants autochtones et d ’ ascendance africaine dans l’enseignement primaire comme dans le secondaire. Il l’exhorte également à veiller à ce qu’un enseignement bilingue interculturel de qualité soit proposé et soit accessible à ces enfants, afin de promouvoir et de préserver leur identité culturelle et linguistique. Il l’engage à renforcer la mise en œuvre du sous-système d’éducation autonome régional et du plan septennal pour l ’ éducation (2014-2021) .

Situation des femmes autochtones et d’ascendance africaine

38.Le Comité note avec préoccupation qu’un grand nombre de femmes sont victimes de discrimination raciale en raison de leur statut d’autochtone ou de personne d’ascendance africaine, et qu’elles ont des difficultés à exercer leurs droits, en raison d’obstacles liés à la langue et à la culture et des contraintes économiques et parce qu’elles résident dans des endroits reculés, ce qui les désavantage par rapport au reste de la population (art. 2 et 5).

39.Le Comité recommande à l’État partie de lutter contre les formes multiples de discrimination auxquelles se heurtent les femmes autochtones et d ’ ascendance africaine , notamment en tenant compte des questions de genre dans toutes les politiques et stratégies de lutte contre la discrimination raciale. Il lui recommande également de prendre des mesures pour que ces femmes puissent exercer tous leurs droits, en particulier leur droit à l’éducation, à l’emploi et à la santé, en tenant compte des différences culturelles et linguistiques.

Situation des défenseurs des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine

40.Le Comité est vivement préoccupé par les informations qu’il a reçues selon lesquelles les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, y compris les dirigeants et les défenseurs des droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine, sont toujours victimes d’actes de violence, de menaces et d’atteintes à la vie. Il est également préoccupé par l’utilisation abusive des procédures pénales à l’encontre de défenseurs des droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine, comme Amaru Ruiz (art. 2, 5 et 6).

41. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De prendre des mesures pour mettre immédiatement fin à la persécution des défenseurs des droits de l’homme, notamment des dirigeants et des défenseurs des droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine, et pour prévenir tous les actes de violence, les menaces et les atteintes à leur vie et à leur intégrité physique ;

b) De mener des enquêtes approfondies, impartiales et efficaces sur toutes les allégations d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique et à la liberté, ainsi que sur tout acte de violence, toute menace, tout harcèlement et toute intimidation ou diffamation visant des dirigeants autochtones et des défenseurs et défenseuses des droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine ;

c) De concevoir et d’adopter, en consultation avec les peuples autochtones et les communautés d ’ ascendance africaine concernés, une législation, des mesures spéciales et des stratégies de protection efficaces, en tenant compte des potentielles différences culturelles et régionales et différences de genre ;

d) D’adopter les mesures nécessaires pour prévenir l’utilisation arbitraire du droit pénal à l’encontre des défenseurs des droits des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine.

D.Autres recommandations

Ratification d’autres traités

42. Compte tenu du caractère indissociable de tous les droits de l’homme, le Comité engage l’État partie à envisager de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions intéressent directement les communautés qui peuvent faire l’objet de discrimination raciale, comme la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Le Comité recommande en outre à l’État partie d’envisager de ratifier la Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance.

Amendement à l’article 8 de la Convention

43. Le Comité recommande à l’État partie de ratifier l’amendement à l’article 8 (par. 6) de la Convention, adopté le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des États parties à la Convention et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 .

Déclaration visée à l’article 14 de la Convention

44. Le Comité engage l’État partie à faire la déclaration facultative visée à l’article 14 de la Convention, par laquelle les États parties reconnaissent la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers.

Suite donnée à la Déclaration et au Programme d’action de Durban

45. À la lumière de sa recommandation générale n o 33 (2009) sur le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, en tenant compte du document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, quand il applique la Convention. Le Comité lui demande d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements précis sur les plans d’action qu’il aura adoptés et les autres mesures qu’il aura prises pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.

Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine

46. À la lumière de la résolution 68/237 de l’Assemblée générale proclamant la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine pour 2015-2024 et de la résolution 69/16 sur le programme d’activités de la Décennie, le Comité recommande à l’État partie d’élaborer et d’appliquer un programme adapté de mesures et de politiques en collaboration avec les personnes d’ascendance africaine et les organisations qui les représentent. Le Comité lui demande d’inclure dans son prochain rapport des renseignements précis sur les mesures concrètes qu’il aura adoptées dans ce cadre, compte tenu de sa recommandation générale n o 34 (2011) sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine.

Consultations avec la société civile

47. Le Comité recommande à l’État partie d’organiser des consultations et d’élargir le dialogue avec les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine de la protection des droits de l’homme, en particulier celles qui luttent contre la discrimination raciale, dans le cadre de l’élaboration du prochain rapport périodique et du suivi des présentes observations finales.

Diffusion d’informations

48. Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission et de diffuser les observations finales du Comité qui s’y rapportent auprès de tous les organes de l’État chargés de l’application de la Convention dans les langues officielles et les autres langues couramment utilisées, selon qu’il conviendra.

Document de base commun

49. Le Comité engage l’État partie à mettre à jour son document de base commun, qui date du 2 juin 2007, conformément aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles concernant le document de base commun, adoptées à la cinquième réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme tenue en juin 2006 . À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité exhorte l’État partie à respecter la limite de 42 400 mots fixée pour ce document.

Suite donnée aux présentes observations finales

50. Conformément à l’article 9 (par. 1) de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur, le Comité demande à l’État partie de fournir, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 19 a) (Accès aux territoires), 23 a) (Consultation préalable) et 41 a) (Situation des défenseurs des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine).

Paragraphes d’importance particulière

51. Le Comité souhaite appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations figurant dans les paragraphes 21 (Attaques visant des peuples autochtones ou des personnes d’ascendance africaine), 27 (Usage excessif de la force) et 31 (Loi sur l’autonomie et participation des peuples autochtones et des populations d’ascendance africaine à la vie politique) et lui demande de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour y donner suite.

Élaboration du prochain rapport périodique

52. Le Comité recommande à l’État partie de soumettre son rapport valant vingt ‑ deuxième à vingt-huitième rapports périodiques, d’ici au 17 mars 2025, en tenant compte des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention qu’il a adoptées à sa soixante et onzième session et en traitant de tous les points soulevés dans les présentes observations finales. À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité exhorte l’État partie à respecter la limite de 21 200 mots fixée pour les rapports périodiques.