Nations Unies

CAT/C/67/D/828/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

2 septembre 2019

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article22 de la Convention, concernant la communication no828/2017*,**

Communication présentée par :

B. K. (représenté par un conseil, Ange Sankieme Lusanga)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

5 juin 2017 (lettre initiale)

Références :

Décision prise en vertu de l’article 115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 22 juin 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

24 juillet 2019

Objet :

Renvoi vers la République démocratique duCongo

Questions de procédure :

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond :

Risque de torture

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est B. K., un citoyen de la République démocratique du Congo né le 28 septembre 1993. Il a déposé une demande d’asile en Suisse, mais sa requête a été rejetée le 23 mai 2017. Au moment de la soumission de sa requête, il faisait l’objet d’une décision de renvoi vers la République démocratique du Congo et considérait qu’un tel renvoi constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil, Ange Sankieme Lusanga.

1.2Le 22 juin 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas donner suite à la demande de mesures provisoires du requérant.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant était un défenseur des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Il y visitait des prisons pour ensuite établir des rapports sur la situation des droits des prisonniers. Il participait également à des conférences, dont une en février 2017 au cours de laquelle il a pris position pour défendre le général Benoît Faustin Munene, opposant au régime du Président de l’époque, Joseph Kabila, et accusé de coup d’État et poursuivi pour haute trahison. Le père du requérant, proche du général Munene et membre de son mouvement, l’Armée de résistance populaire, a été arrêté en République démocratique du Congo le 10mai 2017.

2.2Le 24avril 2017, le requérant a quitté la République démocratique du Congo par avion à destination d’Istanbul, en Turquie, muni de son passeport et d’un visa portugais contrefait. Il a rejoint la Suisse le lendemain, où l’entrée lui a été refusée à cause de son visa contrefait. Il a alors déposé une demande d’asile. Le requérant a été assigné à résidence dans la zone de transit international de l’aéroport de Genève.

2.3Le 12mai 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté sa demande, après audition. Le 23mai 2017, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision du Secrétariat d’État et exigé le renvoi du requérant en République démocratique du Congo. Le Secrétariat d’État ainsi que le Tribunal ont considéré que ses déclarations n’étaient pas vraisemblables et que les documents produits n’avaient aucune valeur probante. Il en irait de même d’une lettre du général Munene et d’un article interne écrit par un membre de son mouvement politique − l’Armée de résistance populaire −, qui auraient été rédigés par complaisance pour les besoins de la cause.

2.4Enfin, le requérant a produit une lettre datée du 25mai 2017 et signée par le général Munene. Adressée aux autorités suisses et à la Cour européenne des droits de l’homme, celle-ci confirme que le requérant a été victime d’une « tentative d’arrestation arbitraire » par les autorités de son pays d’origine, pour avoir défendu la cause du général lors d’une conférence sur les droits de l’homme en République démocratique du Congo. La lettre confirme également que le père du requérant a été arrêté le 10mai 2017, accusé d’être l’un des principaux agents recruteurs des jeunes de Bandundu afin de renverser le régime au pouvoir. De plus, la lettre confirme la fuite du requérant, qui était recherché par la Direction des renseignements généraux et des services spéciaux de la police, et conclut que son retour en République démocratique du Congo l’exposerait à des persécutions et à des traitements inhumains de la part du régime.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant allègue que son renvoi en République démocratique du Congo violerait l’article3 de la Convention, car il y risquerait des traitements inhumains et dégradants.

3.2En République démocratique du Congo, les défenseurs des droits de l’homme sont persécutés, arrêtés et même tués, et la situation politique est actuellement tendue à cause de l’échec des négociations politiques entre le pouvoir et l’opposition. Ces faits sont étayés par plusieurs rapports et diverses sources traitant des droits de l’homme, qui dénoncent les violations massives et graves par les services de sécurité congolais des droits des défenseurs des droits de l’homme.

3.3Un éventuel renvoi présenterait donc un risque réel pour la vie du requérant. Dans ce genre de situation, l’État partie réalise en général des enquêtes complémentaires, notamment par l’intermédiaire de la représentation diplomatique suisse dans le pays d’origine du requérant. En l’espèce, rien n’a été fait en ce sens alors même qu’il aurait convenu d’essayer d’éclaircir la situation et de dissiper tout doute raisonnable sur l’implication directe du général Munene.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 29novembre 2017, l’État partie a soumis des observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il note que les autorités compétentes en matière d’asile ont dûment pris en considération les arguments du requérant, et que ladite requête ne contenait aucun élément nouveau susceptible d’infirmer les décisions des autorités compétentes.

4.2S’agissant des faits et de la procédure, l’État partie indique que les 24, 25 et 27 avril ainsi que le 3 mai 2017, le requérant a demandé à la Cour européenne des droits de l’homme d’appliquer des mesures provisoires. Cette demande ayant été rejetée, la Cour a invité le requérant à indiquer s’il souhaitait maintenir ses griefs et, dans l’affirmative, à remplir le formulaire de requête.

4.3Le 26 mai 2017, sur la base de la lettre du 25mai 2017 signée par le général Munene, le requérant a demandé le réexamen de son cas. Par une décision incidente du 31 mai 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a fixé au 15 juin 2017 le délai de versement d’une avance de frais de 600 francs suisses. Le 8 juin 2017, le requérant a formé un recours contre cette décision, déclaré irrecevable par le Tribunal administratif fédéral le 12 juin 2017 au motif que les décisions incidentes rendues par le Secrétariat d’État ne peuvent, sauf exception, être contestées que dans le cadre d’un recours contre la décision finale. L’État partie précise que le même jour, après entretien avec le représentant de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le requérant s’est déclaré disposé à bénéficier de l’aide au retour volontaire en République démocratique du Congo. Le 16juin 2017, le requérant est rentré en République démocratique du Congo, suite à son inscription au programme d’aide au retour volontaire.

4.4Faisant référence à un courrier électronique du conseil du requérant adressé au Comité en date du 19juin 2017, lequel indique que le requérant n’a pas donné signe de vie depuis trois jours et que ses proches ainsi que le général Munene craignent qu’il subisse actuellement de la torture dans un cachot, l’État partie affirme que par courrier électronique du 19juin 2017, le représentant de l’OIM qui suivait le cas du requérant a confirmé que ce dernier était bien arrivé à Kinshasa et qu’il n’avait rencontré aucun problème au cours de son transit à Bruxelles, où il avait été assisté par l’OIM. Il précisait qu’à l’arrivée du requérant à Kinshasa, le passeport de ce dernier avait été conservé par les autorités migratoires, en raison du faux visa Schengen qu’il contenait, ce qui était à prévoir. Les autorités lui avaient cependant laissé une copie des pages de son passeport indiquant son identité, qui lui permettraient de demander un nouveau passeport. Le représentant de l’OIM ajoutait que le requérant avait été transporté par un chauffeur dans un véhicule officiel de l’organisation. À sa demande, lerequérant n’avait pas été déposé à son domicile, mais avait appelé son frère qui l’avait rejoint dans un quartier commercial, d’où ils étaient repartis ensemble. Ce courrier, auquel étaient jointes des photos du requérant et du chauffeur de l’OIM, indiquait que le requérant avait donné au chauffeur un numéro de téléphone et l’avait informé qu’il se présenterait dans les jours suivants au bureau de l’OIM à Kinshasa, pour bénéficier de l’aide à la réintégration. Le représentant de l’OIM confirmait dans ce courrier qu’il n’y avait pas de traces concrètes « de sombre machination, ni de voitures noires, ni de policiers secrets venus le kidnapper ». Quant à la question du passeport, il précisait que les autorités migratoires de la République démocratique du Congo avaient exercé leur bon droit en retirant un passeport contenant des documents de contrefaçon − également identifiés comme tels par la Police suisse.

4.5Le 20 juin 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a radié du rôle la demande de réexamen du 26 mai 2017, au motif qu’elle était devenue sans objet suite au retour volontaire du requérant dans son pays. Le 22 juin 2017, le requérant a déposé un recours, faisant valoir qu’il avait été victime d’un vice de consentement dans la mesure où les agents en charge de la préparation de son départ, en particulier le représentant de l’OIM, lui avaient donné le choix entre son départ de Suisse abusivement qualifié de « volontaire », avec une aide au retour de 3 000 francs suisses, et sa mise en détention administrative en vue du refoulement.

4.6Le 4 juillet 2017, le Tribunal administratif fédéral a rejeté ce recours. Il a retenu que le Secrétariat d’État aux migrations s’était basé à la fois sur un retrait implicite de la demande de réexamen et le retour dans le pays d’origine. Selon le dossier, il apparaît que le requérant n’a été ni mis en détention en vue de son refoulement, ni accompagné à l’aéroport par des policiers afin d’être embarqué dans un avion sous contrainte physique. Le Tribunal a examiné la question de savoir si le Secrétariat d’État était fondé à classer la demande de réexamen du requérant et, dans l’affirmative, si ce classement avait un effet juridique sur la situation du requérant. II a considéré que le requérant avait perdu tout intérêt pratique et actuel à ce qu’il soit statué sur sa demande, puisqu’elle concernait le refus de l’asile. Le Tribunal a constaté que l’argument du requérant relatif à un vice de consentement l’ayant amené à accepter une aide au retour et, partant, un retour volontaire, était dénué de pertinence. En effet, l’annonce des mesures de contrainte auxquelles les demandeurs d’asile tenus de quitter la Suisse s’exposent, dans l’hypothèse où ils ne s’exécutent pas dans le délai imparti, est prévue par la loi et ne saurait donc être assimilée, comme le fait valoir le requérant, à une menace illégale ayant visé à l’inciter à consentir à un départ volontaire, alors qu’il était sous le coup d’une décision entrée en vigueur. Le requérant avait d’ailleurs déjà été avisé, par la décision du 12 mai 2017 du Secrétariat d’État aux migrations, qu’il s’exposait à une détention en vue de l’exécution du renvoi sous la contrainte s’il refusait d’obtempérer à la décision de renvoi, une fois celle-ci entrée en vigueur. Pour le reste, le Tribunal a souligné que le fait pour les autorités en charge de l’exécution du renvoi d’avoir encouragé le retour volontaire du requérant par l’octroi d’une aide au retour était conforme au droit.

4.7En conséquence, vu que le requérant a quitté la Suisse volontairement, l’État partie invite le Comité, à titre principal, à cesser l’examen de la requête et à la rayer du rôle.

4.8Sur le fond, l’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, l’existence dans l’État intéressé d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. S’appuyant sur l’observation générale no 1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, l’État partie affirme que le requérant devrait établir l’existence d’un risque « personnel, actuel et sérieux » d’être soumis à la torture en cas de retour dans son pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. D’autres motifs doivent permettre de qualifier le risque de torture de « sérieux ». Les éléments suivants doivent être pris en compte à cet égard : a) preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, dans le pays d’origine ; b) allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci ; c) activités politiques du requérant à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine ; d) preuves de la crédibilité du requérant ; et e) absence d’incohérences factuelles dans les affirmations du requérant.

4.9Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, l’État partie fait valoir que cela ne constitue pas en soi un motif suffisant de croire qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, aux fins de l’article 3 de la Convention, de « prévisible, réel et personnel ». L’État partie rappelle que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.10En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en République démocratique du Congo, le Secrétariat d’État aux migrations a constaté dans sa décision du 12 mai 2017 qu’à part les zones de conflit situées principalement dans l’est du pays − théâtre d’actions de différents groupes armés ainsi que d’opérations des forces armées gouvernementales contre des opposants −, ce pays n’était pas en guerre ou en proie à une guerre civile ou à des violences généralisées sur l’ensemble de son territoire, ce qui empêche de présumer d’emblée − indépendamment des circonstances de l’espèce −, à propos de tous les requérants provenant de cet État, l’existence d’une mise en danger concrète. En outre, la situation générale des droits de l’homme ne suffit pas, à elle seule, à rendre le renvoi du requérant incompatible avec l’article 3 de la Convention. Or, le requérant n’a pas pu rendre plausibles les allégations selon lesquelles il serait exposé à un traitement prohibé par ledit article en cas de renvoi en République démocratique du Congo.

4.11Pour ce qui est des allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et de l’existence de preuves indépendantes à ce sujet, l’État partie souligne que les États parties à la Convention ont l’obligation de tenir compte de telles allégations pour évaluer le risque pour le requérant concerné d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. L’État partie rappelle toutefois que le requérant n’allègue aucunement avoir subi de torture ou de mauvais traitements dans son pays d’origine.

4.12En ce qui concerne les activités politiques du requérant dans son pays d’origine, celui-ci a fait valoir qu’il était un défenseur des droits de l’homme en République démocratique du Congo et qu’il était recherché par le régime en place, pour avoir réclamé le retour du général Munene dans le cadre du dialogue national et pris sa défense au cours d’une conférence, en février2017. Les autorités suisses ont toutefois constaté que ses déclarations n’étaient pas crédibles. Dans sa requête présentée devant le Comité, le requérant n’a pas apporté d’éléments permettant de remettre en cause les constatations du Secrétariat d’État aux migrations et du Tribunal administratif fédéral.

4.13En ce qui concerne la crédibilité du requérant et la cohérence des faits rapportés, il ressort notamment des décisions des autorités nationales en matière d’asile que les déclarations du requérant ne permettent nullement de conclure qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo. Le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral ont considéré que les déclarations du requérant selon lesquelles il aurait suivi une formation dans le domaine des droits de l’homme, dispensée par le Centre international des formations en droits humains et développement à Kinshasa en 2015, étaient vraisemblables. Ils ont toutefois retenu que cette formation ne saurait à elle seule exposer le requérant à des risques en cas de retour. En effet, 940personnes auraient suivi une telle formation pour la seule année2015.

4.14De même, ni le Secrétariat d’État aux migrations ni le Tribunal administratif fédéral n’ont remis en cause les déclarations du requérant relatives à son activité bénévole consistant à visiter des prisons et à rédiger des rapports sur les conditions de détention. Ils ont toutefois constaté que, sans préjuger de leur vraisemblance, les menaces proférées à l’encontre du requérant lors de ses visites de prisons n’étaient pas d’une intensité suffisante pour constituer de sérieux préjudices, le requérant ayant lui-même reconnu que ces menaces étaient acceptables et n’étaient pas à l’origine de sa fuite.

4.15En revanche, les autorités suisses ont constaté que les allégations du requérant selon lesquelles sa participation à une conférence dénonçant la violation des droits de l’homme, au cours de laquelle il aurait évoqué la situation du général Munene, constituerait l’événement à l’origine directe de sa fuite du pays, n’étaient pas crédibles. Au sujet de cette conférence et de la surveillance dont il aurait été l’objet, le requérant n’a donné que des informations inconsistantes, ne dépassant pas le cadre des généralités. Il a fourni une description des faits impersonnelle et stéréotypée, dépourvue de détails significatifs qui auraient constitué des signes d’une expérience réellement vécue. En effet, invité à nommer les intervenants ayant pris la parole lors de cette conférence, le requérant n’a pu donner que le nom du coordonnateur du Centre international des formations en droits humains et développement. Il n’a été à même de se souvenir ni du nom de la personne mandatée par le Ministère de la justice, ni de celui de la personne travaillant pour une organisation non gouvernementale internationale, ni même du nom de cette organisation non gouvernementale. Les autorités compétentes en matière d’asile ont constaté, à juste titre, que ces déclarations entachaient la crédibilité du requérant quant aux problèmes prétendument rencontrés par la suite. En effet, si cet événement était réellement à l’origine de ses problèmes, le requérant aurait dû être en mesure de donner plus d’indications sur les personnes présentes.

4.16En outre, concernant les déclarations du requérant relatives à sa présence lors des visites des agents de l’Agence nationale de renseignements à son domicile familial, aux dates de ces visites ainsi qu’aux convocations et/ou au mandat d’amener qui auraient été déposés, celles-ci étaient laconiques, confuses, voire contradictoires et n’étaient étayées par aucune preuve. Qui plus est, l’allégation − rapportée seulement au stade du recours devant le Tribunal administratif fédéral − selon laquelle le père du requérant, proche du général Munene, aurait été arrêté se limite à une simple affirmation ne reposant sur aucun indice objectif, concret et sérieux. Cette allégation contredit de plus les propos du requérant tenus lors de ses auditions. En effet, le requérant y avait allégué que son père aurait également fui car il aurait reçu des mandats d’arrêt « à cause de commerçants de mauvaise foi ».

4.17De plus, le requérant n’a nullement établi, par un faisceau d’indices concrets, précis et concordants, l’existence entre le général Munene et lui de liens étroits permettant d’admettre que les autorités de leur pays d’origine le considèrent comme suffisamment proche de celui-ci pour s’y intéresser. En effet, contrairement aux affirmations du requérant devant le Tribunal administratif fédéral, celui-ci n’a pas déclaré − ni a fortiori établi − être un proche parent ou ami du général Munene, ayant simplement indiqué être « proche du même village de Bandundu et de la même ethnie ».

4.18Quant aux moyens de preuve, qui pour certains ne concernent pas le requérant, l’État partie note qu’ils attestent la participation du requérant à la formation donnée par le Centre international des formations en droits humains et développement, mais ne sont pas de nature à démontrer la réalité des préjudices allégués à l’appui de la demande d’asile et à fonder sa crainte de persécutions. La lettre du général Munene et l’article écrit par un membre de l’Armée de résistance populaire − non publié − n’ont pas de valeur probante, d’une part, car ils ne mentionnent pas les problèmes que le requérant dit avoir rencontrés et, d’autre part, car il est aisé d’obtenir de tels documents, qui semblent avoir été rédigés par complaisance pour les besoins de la cause.

4.19Étant donné l’incohérence du récit du requérant et l’absence de preuves tangibles, le recours à des mesures d’instruction complémentaires, notamment une demande auprès de la représentation suisse en République démocratique du Congo, ne se justifiait pas. Dans sa requête, le requérant n’explique pas les incohérences constatées et répète les faits tels qu’ils ont été examinés par les autorités suisses. Il produit les moyens de preuve déjà produits devant les autorités nationales et examinés par elles. L’État partie souligne également que le requérant est retourné dans son pays d’origine, suite à son inscription au programme d’aide au retour volontaire, après le dépôt de la présente requête.

4.20Enfin, le requérant n’établit pas non plus de manière crédible qu’il a subi des traitements contraires à la Convention depuis son retour en République démocratique du Congo. Les dernières nouvelles dont dispose l’État partie au sujet de la situation du requérant dans son pays d’origine sont celles contenues en annexe à un courrier électronique daté du 21 juin 2017, dans lequel le conseil du requérant affirmait que ce dernier avait « donné signe de vie depuis la République démocratique du Congo ». Il y exposait à nouveau que le requérant aurait été contraint de quitter la Suisse sous la pression du représentant de l’OIM et de la police de Genève, et qu’à son arrivée à Kinshasa, il se serait fait confisquer son passeport et aurait été menacé à l’aéroport. Il aurait ensuite été emmené, puis mis en détention, où il aurait été torturé et interrogé sur ses liens avec le général Munene. Alors « qu’il pleurait dans sa langue maternelle », une personne l’aurait aidé à s’enfuir. Il vivrait maintenant dans la clandestinité, avec la famille du général Munene. Aucun autre élément n’est produit à l’appui de ces déclarations.

4.21En conséquence, le requérant n’a pas rendu crédibles ses allégations selon lesquelles il existe pour lui un risque concret et sérieux d’être victime, dans son pays d’origine, de traitements contraires à la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.Le 12 juin 2018, le conseil du requérant a transmis des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il fait valoir qu’il a « appris de sources sécuritaires » de la République démocratique du Congo que le requérant et son père étaient détenus dans un lieu secret, à cause des activités du requérant en matière de défense des droits de l’homme et de la proximité de son père avec le général Munene, qui vit toujours en exil et est recherché en République démocratique du Congo. Il en ressort que l’État partie, « en renvoyant de manière déguisée l’auteur de la communication », a soumis toute sa famille à la torture et aux autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une requête, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe5a) de l’article22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité s’est assuré, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, que le requérant a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles.

6.3Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel, en le renvoyant en République démocratique du Congo, l’État partie l’a soumis à la torture et aux autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité note également que le requérant déclare être un défenseur des droits de l’homme et l’une des personnes proches du général Munene.

6.4Le Comité note toutefois que les autorités suisses n’ont pas remis en question la formation du requérant dans le domaine des droits de l’homme, ou son activité bénévole consistant à visiter des prisons et à rédiger des rapports sur les conditions de détention. Elles ont en revanche fait valoir que les allégations du requérant selon lesquelles sa participation à une conférence dénonçant la violation des droits de l’homme, au cours de laquelle il aurait évoqué la situation du général Munene, constituerait l’événement à l’origine directe de sa fuite du pays, n’étaient pas crédibles. Le Comité observe que le requérant n’a produit aucune preuve en soutien de ses allégations. Les autorités suisses ont également conclu que le requérant n’avait pas démontré qu’il entretenait des rapports étroits avec le général Munene.

6.5Le Comité prend note de l’information soumise par l’État partie sur l’inscription du requérant au programme d’aide au retour volontaire, ainsi que des déclarations du représentant de l’OIM sur le retour effectif du requérant en République démocratique du Congo. Le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante en soi pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé.

6.6Enfin, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel, vu que le requérant a quitté la Suisse volontairement, avec une aide au retour de 3 000 francs suisses, sa plainte devant le Comité devrait être rayée du rôle. Le Comité prend également note des allégations du requérant selon lesquelles, avant son retour, il risquait d’être soumis à la torture et, suite à son retour, il avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements. Toutefois, le Comité note que le requérant a formulé ses allégations sur la base de déclarations d’ordre général et n’a pas fourni d’élément de preuve à cet égard. Le Comité note également que le requérant et son conseil n’ont produit aucune preuve relative à la prétendue situation actuelle du requérant, et n’ont pas expliqué les raisons pour lesquelles ils seraient dans l’impossibilité de le faire. Dans ce contexte, le Comité note que le dossier ne contient aucune information quant au système de suivi des retours volontaires mis en place par l’État partie en matière de respect des obligations conventionnelles, aux fonctions et attributions de l’OIM pour le suivi des retours qu’elle assiste, ou à la confirmation par l’organisation des informations fournies par le requérant. Le Comité note par ailleurs que le requérant n’a pas précisé s’il avait essayé de contester les conditions de sa prétendue détention auprès des autorités compétentes, ou de se renseigner sur les voies de recours disponibles à cet égard. Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, dont le paragraphe 38 stipule que c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. De l’avis du Comité, le requérant ne s’est pas acquitté de cette charge de la preuve.

6.7Le Comité conclut donc que le requérant n’a pas clairement et suffisamment établi l’existence d’un risque personnel, actuel, prévisible et réel de torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo, et que la requête est irrecevable faute d’être suffisamment étayée, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention et à l’article 113 b) de son règlement intérieur.

6.8En conséquence, le Comité décide :

a)Que la requête est irrecevable au regard de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.