Nations Unies

CRPD/C/28/D/59/2019

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

5 mai 2023

Original : français

Comité des droits des personnes handicapées

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, concernant la communication no 59/2019 * , **

Communication soumise par :

P. L., I. L., D. P. et A. T. (représentés par des conseils, Jérôme Triomphe et Jean Paillot)

Victime(s) présumée(s) :

V. L.

État partie :

France

Date de la communication :

24 avril 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 64 et 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3 mai 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

23 mars 2023

Objet :

Arrêt de l’alimentation et de l’hydratation entérales et des soins d’une personne en état pauci-relationnel ou végétatif

Questions de procédure :

Recevabilité − qualité pour agir ; recevabilité − autre procédure ; recevabilité − fondement des griefs

Questions de fond :

Discrimination fondée sur le handicap ; torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit à la santé

Article(s) de la Convention :

1er, 3, 4, 15, 16, 17, 25 et 26

Article (s) du Protocole facultatif :

2 (al. b), c) et e))

1.1Les auteurs de la communication sont P. L., I. L., D. P. et A. T., respectivement père, mère, frère et sœur de V. L., de nationalité française, né le 20 septembre 1976 et mort le 11 juillet 2019, après l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation entérales qui le maintenaient en vie. Ils affirment que l’État partie a violé les droits de V. L. au titre des articles 1er, 3, 4, 15, 16, 17, 25 et 26 de la Convention. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention est entré en vigueur pour l’État partie le 20 mars 2010. Les auteurs sont représentés par des conseils.

1.2Par notes verbales datées des 3 et 17 mai et 2 juillet 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial sur les communications, a demandé des mesures provisoires à l’État partie sur la base de l’article 4 du Protocole facultatif, consistant à prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l’alimentation et l’hydratation entérales de V. L. ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité. Le Comité note cependant que le 7 mai 2019, l’État partie l’a informé qu’il n’était pas en mesure de mettre en œuvre cette demande, étant donné que la décision d’arrêt de traitement avait été contrôlée et jugée conforme à la loi par de multiples décisions judiciaires internes, ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancéspar les parties

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1V. L. était tétraplégique et en état de conscience altérée à cause de lésions cérébrales importantes, depuis un accident de la circulation survenu le 29 septembre 2008. À la suite de cet accident, il a été hospitalisé au Centre hospitalier universitaire de Reims.

2.2 V. L. a été diagnostiqué successivement en état pauci-relationnel en 2009, en 2011 (dont une fois en état de conscience minimale plus) et en 2012, puis en état végétatif en 2014, en état pauci-relationnel en 2015 et en état végétatif après une deuxième expertise juridique. Les auteurs font valoir qu’il a été « systématiquement » diagnostiqué en état pauci-relationnel dans les centres spécialisés, alors qu’il a été diagnostiqué en état végétatif quand les conditions d’une bonne évaluation n’étaient pas remplies. Ils affirment que V. L. n’était pas en fin de vie, qu’il ne souffrait pas habituellement de comorbidités, qu’il respirait seul, qu’il avait retrouvé spontanément le réflexe de déglutition de la salive, qu’il était apte à une alimentation plaisir et qu’il avait une activité cérébrale. Il était alimenté et hydraté par sonde de gastrostomie.

2.3 Les stimulations sensorielles ont été arrêtées en octobre 2012 et n’ont jamais été reprises. L’arrêt de la kinésithérapie a provoqué des rétractions tendineuses qui rendaient toute mobilisation des membres douloureuse. V. L. n’a jamais été mis au fauteuil, malgré une proposition de le financer, de sorte qu’il était constamment dans son lit, ce qui est contraire aux bonnes pratiques médicales. Aucune stimulation d’aucune sorte ni aucune rééducation à la déglutition ne lui étaient faites, malgré le fait que des films et des expertises montraient que c’était possible. Il ne lui a jamais été offert d’alimentation plaisir pour améliorer sa déglutition, alors qu’il y était physiquement apte. V. L. était enfermé à clé dans sa chambre, où il faisait une chaleur « étouffante » l’été, et était surveillé au moyen d’une caméra et d’un écoute-bébé. Les heures de visite des auteurs étaient drastiquement limitées. V. L. ne voyait jamais personne d’autre que ses soignants et sa famille proche, sur la base d’une liste établie, selon les auteurs, arbitrairement par le centre hospitalier. Une fois, l’entrée d’un aumônier a été refusée.

2.4Le 8 avril 2013, à la suite d’une première procédure collégiale, le docteur F., du Centre hospitalier universitaire de Reims, a décidé d’arrêter l’alimentation de V. L., au motif que la poursuite des soins d’alimentation et d’hydratation apparaissait inutile, disproportionnée et avait comme seul effet le maintien artificiel de sa vie au sens de l’article L1110-5 du Code de la santé publique, et qu’elle ne respectait donc pas le droit de V. L. de refuser une obstination médicale déraisonnable. Le 10 avril 2013, la décision du docteur F. a été mise en application, sans que les auteurs en soient informés. Le 11 mai 2013, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, ayant été saisi par les auteurs, a enjoint à l’hôpital de rétablir l’alimentation et l’hydratation et les soins nécessaires, au motif que les parents n’avaient pas été informés de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale ni des raisons de la décision d’arrêt des soins, et que leurs souhaits n’avaient pas été considérés. L’alimentation et les soins infirmiers ont été repris. Le même jour, le docteur F. a annoncé aux auteurs, puis dans la presse qu’il reprendrait la même décision. V. L. a survécu à une période de trente et un jours sans alimentation et avec une hydratation réduite, ce qui, selon les auteurs, était incompatible avec sa prétendue volonté de mourir.

2.5 Par décision du 11 janvier 2014, le docteur F. a annoncé à la famille qu’il allait arrêter l’alimentation et l’hydratation de V. L. et qu’il le placerait sous sédation profonde et définitive. Le 16 janvier 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cette décision, estimant que les critères de l’obstination déraisonnable n’avaient pas été remplis. Le 14 février 2014, le Conseil d’État, ayant été saisi par R. L. − l’épouse de V. L. −, le demi-neveu de V. L. et l’hôpital, a ordonné une expertise judiciaire de la situation médicale de V. L. et demandé l’avis du Comité consultatif national d’éthique, du Conseil national de l’ordre des médecins, de l’Académie nationale de médecine et de Jean Léonetti, rapporteur de la « loi Léonetti ». Les experts ont considéré que V. L. était en état végétatif chronique, mais que cette circonstance ne justifiait pas en soi un arrêt de traitement. Dans son avis du 5 mai 2014, le Comité consultatif national d’éthique a jugé que la procédure collégiale était inappropriée dans le cas de personnes handicapées dont on voudrait arrêter l’alimentation entérale, et que la poursuite de la nutrition et de l’hydratation ne pouvait être considérée comme une obstination déraisonnable que du point de vue d’une volonté qu’aurait exprimée antérieurement la personne ou d’un état de souffrance chronique manifeste. Par arrêt du 24 juin 2014, le Conseil d’État a infirmé le jugement du tribunal administratif, estimant que la décision du docteur F. était conforme à la loi Léonetti.

2.6Le même jour, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué une mesure provisoire suspendant la décision du Conseil d’État. Par arrêt du 5 juin 2015, la Cour a conclu que les requérants n’avaient pas qualité pour invoquer, au nom et pour le compte de V. L., la violation des articles 2, 3 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales(Convention européenne des droits de l’homme). Toutefois, la Cour a examiné l’ensemble des questionsde fondsoulevéespar l’affaire sous l’angle de l’article2 de la Convention,dès lors qu’elles avaient été invoquées parles requérants en leur propre nom. La Cour a conclu que la mise en œuvre de la décision du Conseil d’État n’entraînerait pas de violation de cet article, estimant que les dispositions de la loi Leonetti, telles qu’elles avaient été interprétées par le Conseil d’État, constituaient un cadre législatif suffisamment clair, aux fins de l’article2 de la Convention, pour encadrer de façon précise la décision du médecin dans cette affaire.

2.7Le docteur F. ayant entre-temps démissionné, une nouvelle procédure collégiale a été ouverte par la docteure O., au cours de laquelle les auteurs on fait valoir que V. L. avait positivement évolué et qu’il était désormais capable de déglutir. Le 23juillet 2015, la docteure O. a annoncé la suspension de la procédure pour demander au Procureur de la République l’ouverture d’une mesure de tutelle de V. L. Par jugement du 10 mars 2016, le tribunal d’instance de Reims a désigné son épouse, R. L., comme sa tutrice, et l’Union départementale des associations familiales de la Marne comme subrogée tutrice. Selon les auteurs, R. L. et l’Union départementale n’ont jamais tenté d’obtenir qu’il soit correctement pris en charge, la première soutenant un arrêt de ses soins d’alimentation et d’hydratation. Les auteurs font valoir qu’étant les aidants familiaux et « protecteurs naturels » de V. L., ils ont été reconnus comme recevables lors des procédures nationales.

2.8Le 22septembre 2017, après le départ de la docteure O., le docteur R. a informé la famille qu’il allait engager une nouvelle procédure collégiale. Pendant cette procédure, 24médecins spécialisés lui ont écrit pour contester que les patients en état de conscience altérée, du seul fait de leur état, soient en situation d’obstination déraisonnable et pour souligner la nécessité de suivre les bonnes pratiques médicales. Le médecin habituel de V. L. a également estimé qu’il n’y avait plus lieu de cesser son alimentation. Cependant, le 9avril 2018, le docteur R. a décidé d’arrêter l’alimentation et l’hydratation de V. L. Reconnaissant que ces soins ne constituaient pas une obstination déraisonnable, il a justifié la décision en affirmant que V. L. souffrait constamment, ce que les auteurs démentent. Dans le cadre de leur recours devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, une intervention de 11 médecins spécialistes a plaidé en faveur d’une plus grande prise en compte des spécificités du cas de V. L. En outre, 70médecins et membres du personnel de santé ont publié une tribune dans Le Figaro pour dénoncer «uneeuthanasie » de V. L. Par ordonnance du 20avril 2018, le tribunal a ordonné une nouvelle expertise pour déterminer le tableau clinique de V. L. et ses capacités à être rééduqué à la déglutition. Toutefois, il n’a nommé parmi les experts aucun médecin spécialisé dans la prise en charge des patients en état de conscience altérée. L’expertise du 8septembre 2018 a constaté que l’état végétatif chronique de V. L. était comparable à celui constaté en 2014, et que la réponse à ses besoins primaires ne relevait pas d’une obstination déraisonnable. Les auteurs affirment que l’expertise n’a pas suivi la méthode d’évaluation de la conscience, ce qui est contraire aux bonnes pratiques médicales. Par jugement du 31janvier 2019, le tribunal a rejeté le recours des auteurs.

2.9Le 24 avril 2019, le Conseil d’État a confirmé le jugement du tribunaladministratif de Châlons-en-Champagne, estimant que V. L. était en état végétatif chronique irréversible, qu’il avait manifesté le désir de ne pas rester dans cette situation et qu’il se trouvait donc dans une situation d’obstination déraisonnable. Devant le Conseil d’État, le docteur R. a admis qu’il n’était pas certain de la souffrance de V. L., qu’il avait invoquée − ainsi que des infections urinaires − pour justifier sa décision du 9avril 2018. Il n’était pas non plus certain de la volonté de V. L., alors que la certitude de la volonté antérieurement exprimée représente l’une des conditions légales pour arrêter un soin constitutif d’obstination déraisonnable.

2.10Les auteurs notent avoir adressé, en juin et juillet 2015, des lettres au Centre hospitalier universitaire de Reims demandant le transfert de V. L. Ils soulignent que diverses institutions médicales spécialisées avaient accepté de l’accueillir. De même, en août 2016, ils avaient saisi le juge des tutelles pour faire transférer V. L. dans une unité spécialisée conforme au Cahier des charges des structures hospitalières de soins des personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel, et pour contester les restrictions à la visite. Par ordonnances du 20 octobre 2016, le juge des tutelles a déclaré cette première requête irrecevable, seul le tuteur ayant qualité pour la déposer, et a ordonné un horaire de visite modifié permettant les visites d’un plus grand nombre de membres de la famille spécifiés. Par arrêt du 24 mars 2017, la cour d’appel de Reims a débouté la demande des auteurs de consultation du dossier et leur recours contre les ordonnances. Le 13 décembre 2017, la Cour de cassation a rejeté le recours des auteurs. Par ordonnance du 11 décembre 2017, le tribunal d’instance de Reims a rejeté une demande de modification des modalités de visite des parents. Par arrêt du 19 avril 2018, la cour d’appel de Reims a élargi leurs heures de visite quotidiennes de trois heures à quatre heures.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que les droits de V. L. au titre des articles 1er, 3, 4, 15, 16, 17, 25 et 26 de la Convention ont été violés.

3.2Les auteurs relèvent que le droit français, par voie de la circulaire no 2002-288, préconise « un projet de soins et un projet de vie » dans la prise en charge des personnes en état de conscience altérée, ainsi que la valorisation des possibilités relationnelles de communication et d’interaction. Parmi les bonnes pratiques médicales dans ce contexte figurent les soins infirmiers, les soins d’hygiène, les soins techniques − dont des stimulations sensorielles − et les soins paramédicaux − dont la kinésithérapie, les massages et la mise quotidienne au fauteuil. La stimulation et le développement de la sensorialité et de « l’émotionnalité » doivent être recherchés constamment. Une stimulation par la bouche par l’alimentation plaisir est également importante.

3.3Toutefois, selon les auteurs, le Centre hospitalier universitaire de Reims n’a pas respecté ces spécifications. Les décisions qui y ont été prises concernant V. L. l’ont été par des gériatres, alors que le médecin qui le suivait était généraliste. Aucune distinction n’a été faite entre les services pour les patients en état végétatif chronique ou en état pauci‑relationnel, et les soins palliatifs. Ainsi, la décision du 9 avril 2018 de transférer V. L. aux soins palliatifs dans le cadre de l’arrêt de son alimentation et de son hydratation n’a entraîné, en pratique, aucun changement de soins. En outre, aucun projet de vie n’a été construit par l’équipe médicale. Au contraire, V. L. n’a reçu que les soins infirmiers et des soins médicaux ponctuels, malgré l’ordonnance du 11 mai 2013 selon laquelle l’ensemble des soins devait être repris. D’après les auteurs, tout était fait pour le maintenir dépendant et pour justifier son euthanasie. Ils se réfèrent à des lettres de spécialistes dénonçant son « univers carcéral », sa privation de contacts, le manque de mise en fauteuil adapté le forçant à ne jamais quitter son lit, et le manque de tentatives d’alimentation.

3.4Les auteurs font valoir que le refus de dispenser des soins nécessaires à l’amélioration de l’état de sa santé portait atteinte aux droits de V. L. à la dignité, à la protection de l’intégrité physique, à la santé et à la réadaptation ainsi qu’à son droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou à la maltraitance. Selon eux, même dans l’attente de l’exécution d’une décision d’arrêt de traitement, il n’existe aucune raison de ne pas dispenser à un patient tous les soins légitimes auxquels il a droit sauf en cas de refus explicite de sa part, ce qui était impossible à vérifier en l’espèce. Ils demandent au Comité d’affirmer que les organes médicaux publics de l’État partie ont indûment arrêté tous les soins dus à V. L., puis refusé de les reprendre. Ils font valoir que les experts juridiques ont souligné l’anormalité de sa prise en charge et préconisé un transfert, étant donné qu’il n’était pas en situation d’obstination déraisonnable. Cependant, les offres faites par certaines des 138 unités spécialisées dans le handicap de V. L. pour le recevoir ont été refusées. Les décisions judiciaires d’irrecevabilité des demandes des auteurs à cet égard ont démontré leur objectif de mettre fin à sa vie.

3.5 Les auteurs soutiennent que la loi no 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, qui dispose que l’alimentation et l’hydratation artificielles constituent un traitement susceptible d’être non entrepris ou arrêté dans l’hypothèse où il relèverait d’une obstination déraisonnable, peut conduire à engager des arrêts d’alimentation et d’hydratation alors même que le soin reste approprié. Selon eux, le droit français distingue les traitements au sens de l’article L1110-5-1 du Code de la santé publique des soins, toujours dus sauf contre-indication médicale. Depuis sa modification par la loi no 2016-87, cet article dispose également que « [l]a nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article ». Selon les auteurs, la dimension invasive de l’alimentation entérale ne justifie pas qu’elle soit considérée comme un traitement, comme le prévoit pourtant le droit français. Comme l’a reconnu le docteur R. dans sa décision du 9 avril 2018, l’alimentation et l’hydratation de V. L. ne maintenaient pas uniquement sa vie, mais contribuaient également à son bien-être et à son entretien naturel. Les auteurs demandent au Comité d’affirmer qu’il est nécessaire de distinguer l’acte chirurgical de gastrostomie, qui peut constituer un traitement, de l’alimentation elle-même par sonde, qui ne peut constituer qu’un soin palliatif conformément à l’article 25 de la Convention.

3.6Les auteurs affirment que dans le cadre de la procédure collégiale, la décision revient à un seul médecin et que ce processus n’est pas adapté à la situation des personnes qui ne sont ni malades ni en fin de vie. Cela va à l’encontre de l’avis émis le 5 mai 2014 par le Comité consultatif national d’éthique, selon lequel la décision ne devrait pas relever d’une seule personne. De plus, les autorités françaises ont toujours refusé la possibilité d’une médiation. Les auteurs demandent au Comité d’affirmer que le processus décisionnel n’est pas adapté à la situation des personnes handicapées, en ce qu’il devrait prévoir une décision collégiale, médico-familiale, en s’appuyant si nécessaire sur une médiation.

3.7Les auteurs contestent ce qu’ils décrivent comme « l’euthanasie » de V. L. Ils font valoir que le raisonnement du Conseil d’État dans son arrêt du 24 avril 2019 a conduit à le « supprimer » du seul fait de son handicap, alors qu’il ne pouvait pas manifester sa volonté. Sa volonté de cesser tout traitement était seulement présumée. Or, l’obstination déraisonnable qu’il y aurait à maintenir un traitement ne peut pas résulter seulement d’un handicap. Les médecins s’occupant de personnes en état végétatif chronique ou en état pauci‑relationnel ont admis la nécessité d’une comorbidité qui ne soit pas passagère pour justifier l’arrêt de traitement. En outre, de multiples experts ont reconnu que l’alimentation et l’hydratation entérales ne constituaient pas un traitement relevant de l’obstination déraisonnable. Les auteurs demandent au Comité d’affirmer que, dans le cas d’un patient en état de conscience altérée, un diagnostic de l’évaluation de la conscience doit être effectué sur la base de normes scientifiques indiscutables permettant de réaliser une étude comportementale pendant une période suffisamment longue par une équipe pluridisciplinaire. Les auteurs notent que de tels examens n’ont pas été effectués dans le cas présent. Ils demandent également au Comité : a) d’affirmer qu’un état végétatif chronique ne suffit pas à constituer la base médicale pouvant justifier un arrêt de traitement sans comorbidité d’une certaine importance ; b) de confirmer qu’une personne dans un tel état doit être soignée de la même façon qu’une personne en état pauci-relationnel ; c) de réclamer que des preuves « sérieuses » de la volonté de la personne handicapée soient apportées ; d) de constater que le Conseil d’État admet la possibilité de cesser un traitement vital pour la seule raison d’un handicap et du fait que la personne voudrait ne pas se trouver dans cette situation ; et e) de réclamer que l’État partie adopte un dispositif qui empêche de faire mourir une personne handicapée et incapable d’exprimer sa volonté, lorsque la seule justification médicale est son handicap lui-même.

3.8Les auteurs font valoir que la communication est recevable au titre de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif. Ils soutiennent que dans son arrêt du 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a statué sur le fond de la deuxième procédure collégiale et non sur les décisions suivantes, qui ont été prises par des médecins différents et qui étaient fondées sur des motifs différents. En outre, les griefs de la présente communication sont différents de ceux analysés par la Cour, car les auteurs n’invoquent pas, devant le Comité, le droit à la vie, le droit à un procès équitable ou le droit à un recours effectif. L’objet de la présente communication est de faire constater : a) que les manquements aux obligations de soins et les mauvais traitements résultant de l’absence de prise en charge adaptée ont empêché une évolution favorable de V. L. depuis 2013 ; b) que l’alimentation et l’hydratation entérales ne peuvent, en tant que telles, constituer un traitement susceptible d’être arrêté en vue de faire mourir le patient ; c) qu’une décision prise par un seul médecin ne peut pas s’appliquer à une personne handicapée dont on souhaite arrêter l’alimentation et l’hydratation ; et d) que les juridictions françaises ont admis une euthanasie déguisée sur la base de l’état de handicap de V. L. et de sa volonté présumée et insuffisamment prouvée.

Observations de l’État partie sur la demande de mesures provisoires du Comité

4.Dans ses observations du 7 mai 2019, l’État partie fait valoir qu’il est tenu d’examiner des demandes de mesures provisoires des organes conventionnels relatifs aux droits humains diligemment et qu’en principe, il entend donner suite à de telles demandes. Cependant, au vu des articles 4 et 5 du Protocole facultatif, de telles mesures sont dépourvues de caractère contraignant. En l’espèce, le corps médical a dû veiller à assurer un droit au traitement et aux soins les plus appropriés mais aussi un droit de ne pas subir d’obstination déraisonnable. Étant donné que V. L. était hors d’état d’exprimer sa volonté, le corps médical a suivi une procédure collégiale. La décision d’arrêt de traitement a fait l’objet de contrôles judiciaires, qui ont jugé à plusieurs reprises qu’elle était conforme à la loi. De même, dans son arrêt du 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’homme n’a trouvé aucune violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans ces conditions, la remise en cause de la décision par une nouvelle suspension qui priverait V. L. de son droit de ne pas subir d’obstination déraisonnable n’est pas envisageable. L’État partie n’est conséquemment pas en mesure de mettre en œuvre la demande de mesures provisoires.

Commentaires des auteurs sur la demande de mesures provisoires du Comité

5.1Dans leurs commentaires du 12 mai 2019, les auteurs notent que le 10 mai 2019, ils ont reçu une lettre du docteur R. qui les a informés qu’il mettrait fin au traitement de V. L. dans la semaine du 20 mai 2019.

5.2Les auteurs affirment quel’État partie est tenu de respecter la demande de mesures provisoires du Comité en vertu de sa ratification de la Convention et du Protocole facultatif. L’État partie ne peut pas invoquer son droit interne pour justifier le non-respect de la demande. De plus, il est tenu par son engagement public à collaborer activement avec les organes conventionnels relatifs aux droits humains. Les auteurs invoquent la position des organes conventionnels sur le non-respect de telles demandes. En outre, les dispositions respectives sur les mesures provisoires du Comité et de la Cour européenne des droits de l’homme contiennent des termes similaires, de sorte qu’elles ont la même nature juridique.

5.3Selon les auteurs, l’intention de l’État partie de fournir ses observations sur la recevabilité et le fond après le décès de V. L. priverait la procédure de toute portée effective, celui-ci prétendant avec mauvaise foi qu’il y aurait plus de dommages à le laisser vivre qu’à le faire mourir. Le refus de respecter la demande du Comité constitue donc une violation des engagements internationaux de l’État partie.

5.4 Le 24 avril 2019, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté une requête des auteurs de suspendre la décision du 9 avril 2018 du docteur R. d’arrêter la nutrition et l’hydratation de V. L. Par ordonnance du 15 mai 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande des auteurs concernant le refus de l’État partie de donner suite à la demande du Comité. Le 17 mai 2019, le tribunal de grande instance de Paris, ayant été saisi par les auteurs, s’est déclaré incompétent, au motif que la décision d’arrêt des soins ne constituait pas une voie de fait relevant de la compétence du juge judiciaire. Par arrêt du 20 mai 2019, la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement du tribunal et ordonné à l’État partie de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter la demande du Comité. Le même jour, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté une nouvelle demande de mesures provisoires des auteurs. Par arrêt du 28 juin 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel, au motif d’une mauvaise application des critères de définition de la voie de fait.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

6.1Dans ses observations du 4 juillet 2019, l’État partie rappelle les faits et les procédures entamées devant les juridictions françaises et la Cour européenne des droits de l’homme. Il note que les auteurs de la présente communication ne sont pas les représentants légaux de V. L., dont la tutrice est R. L.

6.2L’État partie soutient que la présente communication est irrecevable au titre de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif, au motif qu’elle a trait à une question que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà examinée. Il fait observer que, par son arrêt du 5 juin 2015, la Cour a conclu qu’il n’y aurait pas de violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme en cas de mise en œuvre de la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014. La Cour a noté qu’elle était pleinement consciente de l’importance des problèmes soulevés par l’affaire de V. L. Elle a considéré que c’était en premier lieu aux autorités internes qu’il appartenait de vérifier la conformité de la décision d’arrêt des traitements au droit interne et à la Convention européenne des droits de l’homme, et d’établir les souhaits du patient. Elle a conclu que l’affaire avait fait l’objet d’un examen approfondi où tous les points de vue avaient pu s’exprimer et où tous les aspects avaient été mûrement pesés, au vu tant d’une expertise médicale détaillée que d’observations générales des plus hautes instances médicales et éthiques.

6.3Selon l’État partie, la présente communication est adressée par les mêmes parties, au sujet de la même situation factuelle et de la même cause juridique que la requête soumise à la Cour européenne des droits de l’homme. Le fait que le Conseil d’État a été amené à se prononcer de nouveau le 24 avril 2019, et qu’il est arrivé à la même conclusion que dans son arrêt du 24 juin 2014, ne constitue pas une évolution des circonstances factuelles, parce que c’est uniquement en raison d’un changement de médecin qu’une nouvelle décision a dû être prise le 9 avril 2018. En outre, si les auteurs ne mentionnent pas expressément le droit à la vie, il n’est pas douteux que la présente communication a pour but unique de faire obstacle à la décision d’arrêt de la nutrition et de l’hydratation de V. L. L’État partie se réfère, à cet égard, aux demandes des auteurs adressées au Comité concernant la reconnaissance de la prétendue « euthanasie » de V. L. L’État partie note que, dans ses décisions des 30 avril et 20 mai 2019, la Cour européenne des droits de l’homme a refusé d’émettre une demande de mesures provisoires parce qu’elle avait déjà statué sur l’objet des nouvelles requêtes, qui n’invoquaient pourtant pas le droit à la vie.

6.4L’État partie soutient également que la présente communication est irrecevable au titre de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif, au motif qu’elle est manifestement mal fondée. Selon l’État partie, les auteurs ne démontrent pas en quoi la législation française et son application par les juridictions auraient violé les articles 3, 4, 15, 16, 17, 25 ou 26 de la Convention. En outre, le grief tiré de l’article premier de la Convention ne peut pas faire l’objet d’une plainte. D’après l’État partie, le droit de ne pas subir des traitements s’ils procèdent d’une obstination déraisonnable bénéficie à tout patient. Nul ne saurait en être privé au motif de son handicap ou de son incapacité à exprimer sa volonté. Les auteurs contestent donc à tort la législation française concernant l’accès aux soins des personnes handicapées. De plus, le médecin doit se prononcer en considérant les circonstances propres à chaque cas singulier, dont la volonté du patient. L’État partie fait valoir que les procédures suivies ont été particulièrement méticuleuses. En outre, les auteurs n’ont pas établi qu’elles avaient été arbitraires ou avaient constitué un déni de justice.

Intervention d’une tierce partie

7.1Dans son intervention du 15 juillet 2019, R. L. fait valoir que la présente communication est irrecevable au titre de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif. Elle affirme que les demandes des auteurs devant la Cour européenne des droits de l’homme et devant le Comité étaient les mêmes. Elle note que la Cour n’a décelé aucunrisque que les droits de V. L. soient privés d’une protection effective et qu’elle a examiné l’ensemble des questions de fond sous l’angle de l’article2 de la Convention européenne des droits de l’homme. D’après R. L., V. L. n’était pas une personne handicapée, en l’absence de toute interaction avec quelque barrière que ce soit.

7.2 R. L.note qu’elle était la tutrice de V. L. Elle soutient que le juge des tutelles de Reims l’a désignée en tant que telle en considérant « la véracité des propos rapportés de V. L. » et qu’elle était à même de défendre sa parole. Elle note que la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu l’importance de son récit sur ce que V. L. lui avait dit sur son souhait de ne pas être maintenu artificiellement dans un état de grande dépendance. En outre, elle fait valoir que la présente communication s’apparente à un abus de droit, car elle ne sert qu’à retarder la mise en œuvre de la décision d’arrêt de traitement.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et sur l’intervention d’une tierce partie

8.1Dans leurs commentaires des 20 et 30 septembre 2019, les auteurs notent que le 3 juillet 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir à la suite de l’annonce du docteur R., faite la veille, qu’il allait arrêter l’alimentation et l’hydratation de V. L. Ce dernier est mort le 11 juillet 2019 au terme de « souffrances ignobles », le docteur R. n’ayant pas été capable d’assurer une sédation profonde et continue. Les auteurs invoquent une violation de la Convention et du Protocole facultatif, l’État partie ayant privé la présente communication de son but et de son objet.

8.2Les auteurs contestent que la présente communication soit irrecevable au titre de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif, sur neuf motifs. Premièrement, V. L. a fait l’objet de quatre procédures collégiales, dans des contextes médicaux différents et à des époques différentes. Les décisions ont été prises par des médecins différents et pour des raisons différentes. Deuxièmement, étant donné l’indépendance des médecins, les changements de médecin ont nécessité des décisions médicales propres au nouveau médecin, décisions ayant pour corollaire une plénitude de contrôle judiciaire. Troisièmement, de nouvelles questions ont été posées au Comité, la Cour européenne des droits de l’homme n’ayant pas statué sur la conformité de la loi Léonetti avec la Convention et le principe de non-discrimination, ou sur la question de l’incapacité à exprimer sa volonté d’une personne handicapée et dont l’entourage prétend qu’elle souhaite arrêter le traitement. Quatrièmement, d’après les auteurs, la Cour s’est abstenue de juger si l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation respectait la Convention européenne des droits de l’homme, vu qu’elle a accordé une marge d’appréciation aux États dans le domaine de la fin de vie. Cinquièmement, l’arrêt de la Cour précède la présente communication de quatre ans et il est fondé sur des dispositions générales de la Convention européenne des droits de l’homme, et non sur les dispositions spécifiques de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Sixièmement, l’arrêt de la Cour cite erronément une décision précédente, à savoir l’affaire Glass c. Royaume-Uni. Septièmement, ni le Conseil d’État ni la Cour n’ont obligé le médecin à mettre fin à la vie de V. L., la décision médicale ne pouvant pas bénéficier d’une autorité médicale ou judiciaire de la chose jugée. Huitièmement, les auteurs réfutent la pertinence du refus de la Cour, le 30 avril 2019, d’accorder une nouvelle demande de mesures provisoires. Neuvièmement, la Cour n’a pas examiné le grief selon lequel V. L. avait subi un traitement inhumain et dégradant en étant privé de ses soins, pas plus que les conditions de sa mort ou son enfermement.

8.3 Les auteurs contestent également l’irrecevabilité de la communication tirée de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif. Premièrement, ils réitèrent leurs revendications concernant le traitement de V. L. au Centre hospitalier universitaire de Reims et notent que le parquet de l’État partie n’a rien fait pour faire appel de la décision de nommer R. L. comme sa tutrice ou pour « empêcher ces atteintes et maltraitances ». Deuxièmement, les auteurs notent avoir affirmé dans la soumission initiale que l’arrêt d’alimentation et d’hydratation d’une personne handicapée devrait bénéficier des dispositions spécifiques concernant les personnes handicapées. Troisièmement, ils notent avoir soutenu que le processus décisionnel ne tenait pas compte de la consolidation de l’état de V. L. et de sa qualité de handicapé non souffrant, et qu’il aurait dû être basé sur un consensus. Quatrièmement, les auteurs réitèrent que la législation en France permet l’arrêt des traitements qui vise à mettre fin à une vie, et affirment que l’arrêt de soins d’une personne handicapée sans comorbidités n’est pas compatible avec la Convention. Ils soulignent qu’il s’agit de l’intention de provoquer la mort d’un homme handicapé qui n’était ni malade ni en fin de vie. Cinquièmement, ils réitèrent que selon l’expertise du 8 septembre 2018, l’alimentation et l’hydratation entérales de V. L. ne constituaient pas un traitement relevant d’une obstination déraisonnable. Selon les auteurs, l’État partie ne peut pas prétendre qu’il n’autorise pas l’euthanasie. En outre, la définition législative de l’obstination déraisonnable est exclusivement médicale, mais dans son arrêt du 24 avril 2019, le Conseil d’État y a ajouté l’élément non médical de la volonté du patient.

8.4Les auteurs notent que, depuis la mort de V. L., R. L. n’est plus sa tutrice et ne dispose plus d’aucun pouvoir pour le représenter. Ils font valoir qu’en 2013, elle a définitivement quitté Reims et a délaissé V. L., les auteurs le prenant alors en charge. Ils contestent l’argument de R. L. selon lequel V. L. n’était pas une personne handicapée.

8.5Selon les auteurs, la volonté d’une personne quant à un arrêt de traitement n’a de valeur que lorsqu’elle est posée après la survenue du handicap, eu égard à l’expérience médicale des différences entre la volonté exprimée dans une situation envisagée et celle qui l’est dans une situation vécue. En l’espèce, la volonté de V. L. après son accident n’est pas connue. Il n’a pas laissé d’écrit. Le rapport de sa volonté repose sur des propos généraux rapportés par l’un de ses frères et sur les dires de R. L., qui a exprimé des propos prêtés à V. L. mais qui, selon les auteurs, sont différents sur le fond, incohérents et contradictoires. D’après les auteurs, cela montre uniquement l’interprétation de sa volonté par R. L. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a simplement accepté l’analyse du Conseil d’État concernant la volonté de V. L., tandis que le docteur R. avait admis qu’il n’était pas certain de sa souffrance. Les auteurs renvoient à une vidéo datée du 19 mai 2019 qui montre V. L. pleurant, réagissant, selon eux, à la nouvelle que son alimentation et son hydratation allaient être arrêtées.

Observations de l’État partie sur le fond

9.1Dans ses observations du 4 novembre 2019, l’État partie soutient que la présente communication ne fait apparaître aucune violation de la Convention. Les allégations des auteurs ont trait essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve concernant le processus décisionnel. Or, le Comité n’est pas un organe de dernier ressort compétent pour réexaminer des constatations de fait ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les procédures ont été arbitraires ou ont constitué un déni de justice. En l’espèce, cet argument ne peut pas être retenu, étant donné que l’ensemble des instances nationales ont permis un débat transparent, contradictoire, étayé par des analyses scientifiques et tenant pleinement compte de l’argumentation des parties. Premièrement, les auteurs allèguent la violation de la Convention au motif que des soins auraient été refusés à V. L. et que ces manquements constitueraient une maltraitance, des mauvais traitements et un maintien dans un état de dépendance. Les autres objets de la présente communication ne sont fondés sur aucun article cité de la Convention et sont donc manifestement mal fondés.

9.2 Deuxièmement, les allégations générales des auteurs ne peuvent pas s’appuyer sur les articles 15, 16, 17, 25 et 26 de la Convention. Au contraire, la décision de l’arrêt de traitement de V. L. a contribué au respect de son droit de ne pas subir le maintien d’un traitement qui procédait d’une obstination déraisonnable. D’après l’État partie, V. L. n’a pas été victime d’exploitation, de violence ou de maltraitance, et sa dignité a toujours été préservée. L’ensemble des circonstances particulières et ses besoins spécifiques ont été pris en compte dans le respect des articles 25 et 26 de la Convention, comme l’ont vérifié les juridictions nationales. Il lui a été prodigué 87 séances d’orthophonie et de kinésithérapie jusqu’en octobre 2012, et toute possibilité de rééducation de la déglutition a été exclue. Dans la mesure où il a été pris en charge dans une unité adéquate réservée aux patients en état pauci‑relationnel, il n’existe pas de problématique structurelle dans ce service.

9.3Troisièmement, les demandes des auteurs visent à faire reconnaître que l’État partie aurait décidé d’euthanasier une personne handicapée en raison de son état. L’État partie réitère que les auteurs contestent à tort la législation concernant l’accès aux soins, que le médecin responsable doit considérer les circonstances de chaque cas, et que la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la loi Léonetti du 22 avril 2005 était suffisamment claire et précise.

9.4Quatrièmement, l’État partie affirme qu’en conformité avec les dispositions légales, la volonté de V. L. a été recherchée autant que possible, sur la base de consultations avec sa famille et ses proches. D’après l’État partie, les dispositions légales pertinentes présentent toutes les garanties nécessaires à la recherche de la solution la plus adaptée à chaque situation.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

10.1Dans leurs commentaires du 25 janvier 2020, les auteurs font valoir que la procédure suivie pendant l’expertise judiciaire a été corrompue par des manquements aux bonnes pratiques médicales, des violations du principe du contradictoire et des manquements au droit à un procès équitable. L’État partie ne répond pas à l’argument selon lequel les juridictions françaises ont jugé que le traitement de V. L. relevait d’une obstination déraisonnable alors que les experts judiciaires contestaient cela. Les auteurs réitèrent que V. L. a été victime d’une violation du principe de non-discrimination, puisque son alimentation et son hydratation ont été arrêtées au motif de son handicap et de l’interprétation qui a été faite de sa volonté sans la moindre preuve, alors qu’il n’avait pas de comorbidités et qu’il n’était pas en fin de vie.

10.2Les auteurs affirment que l’État partie a soumis V. L. à la torture, parce qu’il lui a intentionnellement fait infliger des souffrances aiguës pour un motif discriminatoire. Le pourvoi en cassation de l’État partie contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris daté du 20 mai 2019 montre qu’il a voulu mettre fin à la vie de V. L. En l’absence de toute indication médicale, l’arrêt du traitement était une violence infligée intentionnellement qui a provoqué des douleurs terribles. La sédation ne constituait pas un moyen suffisant de pallier ces douleurs, le neveu de V. L. ayant témoigné de sa souffrance. Sa dignité n’a ainsi pas été assurée.

10.3Concernant leurs revendications au titre des articles 25 et 26 de la Convention, les auteurs réaffirment que V. L. n’a pas pu jouir du meilleur état de santé possible, certains de ses soins ayant été arrêtés sans raison légitime dès octobre 2012, le docteur F. estimant qu’il ne pouvait plus évoluer favorablement. Cela l’a conduit à être maintenu dans un état de dépendance, alors qu’il aurait pu évoluer favorablement. Par ailleurs, selon les experts judiciaires, une rééducation à la déglutition dès 2012 aurait permis à V. L. de recouvrer partiellement ses compétences. Les auteurs réitèrent qu’il aurait dû être transféré dans une unité de soins spécialisés, mais qu’il se trouvait dans une unité de soins palliatifs gérée par un gériatre où les normes relatives à la prise en charge des personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel n’étaient pas respectées de manière structurelle. Les demandes de transfert effectuées par les auteurs ont été déclarées irrecevables.

10.4Les auteurs réaffirment que l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de V. L. était discriminatoire, la seule raison médicale étant qu’il était handicapé, et que l’article L1110-5 du Code de la santé publique ne considère pas la volonté de la personne impliquée comme un élément permettant de déterminer l’obstination déraisonnable. Ils critiquent le fait qu’il a été tenu compte de la « subjectivité de son entourage » plutôt que de la question objective de l’existence d’une comorbidité. Ils contestent que la législation française présente les conditions nécessaires pour s’assurer de la volonté de la personne, les tribunaux s’étant contentés du témoignage d’une personne pouvant avoir un intérêt à sa mort. Enfin, les autorités n’ont jamais favorisé une solution consensuelle basée sur la médiation.

B.Délibérations du Comité

11.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

11.2 Le Comité note que la présente communication a été soumise au nom de V. L. par sa mère, son père, sa sœur et son frère, et qu’il n’est pas contesté que V. L. n’était pas en mesure de se prononcer sur son consentement à la soumission de la communication à cause de son état de conscience altérée ou végétatif. Le Comité doit donc déterminer si les auteurs ont la qualité pour agir au nom de V. L. auprès du Comité. Pour pouvoir agir au nom de V. L., il ne suffit pas que les auteurs puissent, d’un point de vue formel, agir en tant que ses représentants légaux en vertu du droit national applicable. À la lumière de l’article 12 de la Convention, il est plutôt nécessaire qu’ils expriment sa volonté et ses préférences sur le fond. À cet égard, le Comité rappelle que pour de nombreuses personnes handicapées, l’aptitude à planifier est une forme d’accompagnement importante, car elle leur permet d’indiquer leur volonté et leurs préférences pour le cas où elles ne seraient plus en mesure de les faire connaître. En l’espèce, le Comité note que la communication est étroitement liée à la question de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de V. L., alors que les procédures internes ont conclu qu’un tel arrêt était conforme à sa volonté. Le Comité note également que la position présentée dans la présente communication est antagonique à celle d’autres familiers directs de V. L., notamment son épouse. Par conséquent, le Comité doit déterminer si les auteurs représentent effectivement la volonté de V. L.

11.3Le Comité note que la détermination de la volonté de V. L. était l’un des aspects centraux des procédures internes, et que le Conseil d’État a considéré cette question dans ses arrêts des 24 juin 2014 et 24 avril 2019. Ainsi, dans son premier arrêt, le Conseil d’État a considéré qu’il résultait de l’instruction menée,

en particulier du témoignage de [R. L.], qu’elle-même et son mari, tous deux infirmiers, avaient souvent évoqué leurs expériences professionnelles respectives auprès de patients en réanimation ou de personnes polyhandicapées et qu’à ces occasions, [V. L.] avait clairement et à plusieurs reprises exprimé le souhait de ne pas être maintenu artificiellement en vie dans l’hypothèse où il se trouverait dans un état de grande dépendance; que la teneur de ces propos, datés et rapportés de façon précise par [R. L.], a été confirmée par l’un des frères de [V. L.] ; que si ces propos n’ont pas été tenus en présence des parents de [V. L.], ces derniers n’allèguent pas que leur fils n’aurait pu les tenir ou aurait fait part de souhaits contraires; que plusieurs des frères et sœurs de [V. L.] ont indiqué que ces propos correspondaient à la personnalité, à l’histoire et aux opinions personnelles de leur frère; qu’ainsi, le [docteur F.], en indiquant, dans les motifs de la décision contestée, sa certitude que [V. L.] ne voulait pas avant son accident vivre dans de telles conditions, ne peut être regardé comme ayant procédé à une interprétation inexacte des souhaits manifestés par le patient avant son accident.

11.4Le Comité note en outre que dans son arrêt du 24 avril 2019, le Conseil d’État a relevé que le docteur R.,

en indiquant dans sa décision motivée avoir recueilli « des témoignages concordants retraçant [l]a probable volonté de [V. L.] de ne pas être [artificiellement] maintenu en vie » dans une « situation de grande dépendance physique », lesquels, s’ils sont pour partie présentés sans indication nominative des sources, sont corroborés par les autres pièces du dossier produites par les parties en défense, n’a ni commis d’erreur de droit au regard des dispositions du Code de la santé publique en cause, ni inexactement interprété la volonté manifestée par [V. L.] avant son accident.

11.5Le Comité note que les auteurs contestent la cohérence des affirmations de R. L., évoquent l’absence de déclaration écrite, et soutiennent que le médecin aurait dû déterminer quelle était la volonté de V. L. après la survenue de son accident, ce qui était impossible. Or,le Comité considère que les analyses précitées du Conseil d’État de la volonté de V. L. étaient détaillées et approfondies. Les auteurs n’ont pas effectivement contesté que la volonté de V. L. avait été recherchée autant que possible, conformément aux dispositions légales concernant la procédure collégiale. Ils n’ont pas non plus identifié d’éléments factuels qui auraient pu être pris en compte mais auraient été ignorés. La conclusion de ces analyses était que V. L. n’aurait pas souhaité se retrouver dans l’état dans lequel l’alimentation et l’hydratation entérales le maintenaient. Au vu de ce qui précède et des éléments contenus dans le dossier, le Comité n’est pas convaincu que la présente communication ait été soumise en représentation de la volonté présumée de V. L. Par conséquent, le Comité estime que les auteurs n’ont pas la qualité pour agir au nom de V. L. conformément à l’article premier du Protocole facultatif.

C.Conclusions

12.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.