Observations finales concernant le rapport initial de l’Iraq *

Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de l’Iraq (CAT/C/IRQ/1) à ses 1332e et 1335e séances, tenues les 29 et 30 juillet 2015 (voir CAT/C/SR.1332 et 1335). À ses 1349e et 1350e séances, tenues les 11 et 12 août 2015, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’Iraq et les renseignements qui y sont présentés. Il regrette néanmoins que les Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux (CAT/C/4/Rev.3) n’aient dans l’ensemble pas été suivies et que le rapport ne contienne pas suffisamment de statistiques et d’informations concrètes sur l’application des dispositions de la Convention.

Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et apprécie les réponses qui ont été apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction que, pendant la période écoulée depuis l’entrée en vigueur de la Convention pour l’État partie en 2011, celui-ci a adhéré à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 20 mars 2013.

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie des mesures législatives ci-après dans des domaines intéressant la Convention :

a)L’adoption de la loi no 28 (2012) relative à la lutte contre la traite des êtres humains;

b)L’adoption de la loi no 8 (2011) relative à la violence familiale au Kurdistan.

Le Comité prend acte des initiatives prises par l’État partie pour modifier ses politiques et ses procédures de manière à assurer une meilleure protection des droits de l’homme et à appliquer la Convention, en particulier, de l’adoption en 2011 d’un plan d’action national pour les droits de l’homme.

Le Comité accueille favorablement la création, en avril 2012, de la Haute Commission des droits de l’homme, qui est l’institution nationale des droits de l’homme de l’Iraq.

Le Comité rend hommage à l’État partie qui a accueilli des centaines de milliers de réfugiés et de demandeurs d’asile, principalement des Syriens fuyant le conflit armé dans leur pays.

Le Comité constate avec satisfaction qu’en 2010, l’État partie a adressé une invitation permanente aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Il note que certains d’entre eux se sont déjà rendus dans le pays et espère que d’autres y effectueront également une visite à l’avenir.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Interdiction absolue de la torture

Le Comité constate avec inquiétude que la législation de l’État partie ne comporte aucune disposition claire garantissant le caractère absolu et intangible de l’interdiction de la torture (art. 2, par. 2).

L’État partie devrait veiller à ce que le principe de l’interdiction absolue de la torture soit incorporé dans sa législation et garantir sa stricte application, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, lequel prévoit qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. À ce propos, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le paragraphe 5 de son observation générale n o  2 (2007) concernant l’application de l’article 2 par les États parties, dans lequel il précise notamment que ces «  circonstances exceptionnelles  » incluent «  toute menace d’acte terroriste ou de crime violent ainsi que le conflit armé, inte rnational ou non international  ». Le Comité indique en outre dans cette observation générale qu’il «  rejette […] l’invocation de motifs fondés sur la religion ou les traditions pour justifier une dérogation à cette interdiction  ».

Conflit armé, actes de terrorisme et violations de la Convention

Le Comité déplore les graves violations des droits de l’homme commises par l’organisation dite « État islamique d’Iraq et du Levant » (EIIL) et les groupes armés associés, qui sont assimilables à des crimes de guerre, à des crimes contre l’humanité et, le cas échéant, à un génocide, comme indiqué dans le rapport établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en application de la résolution S-22/1 du Conseil des droits de l’homme (voir A/HRC/28/18, par. 78).

Rappelant le principe de l’interdiction absolue de la torture consacré par la Convention et les obligations qui en découlent pour l’État partie, le Comité est vivement préoccupé par les renseignements contenus dans le rapport susmentionné selon lesquels de graves violations de la Convention auraient été commises par les forces de sécurité iraquiennes et les milices affiliées dans le cadre d’opérations militaires, notamment des actes de torture, des mauvais traitements, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires de prisonniers et de civils (ibid., par. 50 à 61) (art. 1er, 2, 12, 14 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’ouvrir sans délai des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les allégations d’actes de torture ou de mauvais traitements, y compris celles faisant état de disparitions forcées et d’exécutions sommaires, commis dans tout territoire sous sa juridiction;

b) De continuer de conserver des renseignements détaillés sur les personnes ayant subi des traitements inhumains dans les zones qui ne sont pas sous contrôle du Gouvernement, sur le type de violation de la Convention dont elles ont été victimes, le préjudice causé et, si possible, l’identité des auteurs présumés afin de pouvoir s’acquitter pleinement de ses obligations au regard de la Convention une fois qu’il aura repris le contrôle effectif de ces zones, et de veiller à ce que les responsables soient poursuivis et aient à répondre de leurs actes;

c) De veiller à ce que les auteurs présumés et les complices d’actes de torture, y compris ceux qui occupent des postes de commandement, soient dûment poursuivis et jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes. Rappelant le principe consacré au paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention, selon lequel l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut être invoqué po ur justifier la torture , le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le paragraphe 26 de son observation générale n o 2, qui porte sur cette question;

d) D’offrir aux victimes des recours utiles et leur octroyer réparation, soit une indemnisation équitable et adéquate et les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, conformément à son observation générale n o  3 (2012) concernant l’application de l’article 14 de la Convention par les États parties.

Violences sexuelles liées au conflit

Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations indiquant que des combattants de l’EIIL violent les femmes qu’ils ont faites prisonnières et par le fait que ce groupe extrémiste a « institué un régime de violence sexuelle, d’esclavage, d’enlèvements et de traite des personnes » dont les victimes sont des femmes et des filles appartenant à des minorités religieuses ou ethniques (voir S/2015/203, par. 28 à 31). Il est également préoccupé par les informations faisant état de violences sexuelles commises par des membres de l’armée iraquienne et des milices des deux côtés du conflit. Il est aussi préoccupé par l’impunité dont jouissent manifestement les auteurs de tels actes (art. 1er, 2, 4 et 16).

L’État partie devrait prendre des mesures énergiques pour promouvoir la protection des femmes et mettre un terme à l’impunité dont bénéficient les auteurs de violences sexuelles commises dans le contexte du conflit armé, qu’il s’agisse d’agents de l’État ou d’acteurs non étatiques, mener immédiatement des enquêtes impartiales et approfondies, juger les auteurs présumés de ces actes et, s’ils sont reconnus coupables, les condamner à des peines proportionnelles à la gravité de leurs actes, et offrir une réparation adéquate aux victimes, notamment à celles qui fuient les régions contrôlées par l’EIIL, en particulier en veillant à ce que les femmes qui fuient ces violences puissent trouver refuge dans un foyer et bénéficient d’une prise en charge médicale et psychologique, d’une aide à la réadaptation et de services publics, et qu’elles puissent accéder à ces services sans être victimes de discrimination fondée sur le sexe ou un autre critère.

Garanties juridiques fondamentales

Le Comité prend note des garanties de procédure prévues dans l’article 123 du Code de procédure pénale (loi no 23 de 1971), principalement le droit de garder le silence et le droit d’être représenté par un conseil devant le juge d’instruction. Il regrette toutefois de ne pas avoir reçu de renseignements sur les mesures et les procédures mises en place pour assurer le respect dans la pratique de ces garanties juridiques fondamentales et d’autres garanties visant à prévenir la torture et les mauvais traitements. En effet, selon des informations, les détenus seraient souvent privés du droit de s’entretenir sans délai avec un conseil et d’être examinés par un médecin et du droit d’informer une personne de leur choix de leur détention. Le Comité est préoccupé par des allégations faisant état de manquements à l’obligation de tenir des registres précis, d’informer les personnes détenues de leurs droits de façon adéquate et de respecter le délai de vingt-quatre heures fixé pour la présentation de ces personnes devant un juge (art. 2).

L’État partie devrait s’assurer que toutes les personnes arrêtées bénéficient, en droit et dans la pratique, de l’ensemble des garanties juridiques fondamentales dès le début de la privation de liberté, dont le droit d’être assistées sans tarder d’un conseil et le droit d’être immédiatement examinées par un médecin indépendant, qu’elles aient droit à un examen médical réalisé à la demande des autorités ou non; le droit d’être informées dans une langue qu’elles comprennent des motifs de leur arrestation et de la nature des charges pesant contre elles; le droit d’être enregistrées dans le lieu de détention; le droit d’avertir rapidement un parent proche ou un tiers de leur arrestation; et le droit d’être présentées sans délai à un juge.

Allégations de torture et de mauvais traitements

Le Comité accueille favorablement le rejet catégorique par l’État partie de la torture sous toutes ses formes, quel qu’en soit l’auteur. Tout en prenant acte des assurances de la délégation, qui a affirmé que la torture n’était pas systématiquement pratiquée en Iraq, il demeure toutefois profondément préoccupé par des informations faisant état du recours systématique et généralisé à la torture et aux mauvais traitements, qui sont infligés aux suspects retenus en garde à vue dans les locaux de la police ainsi que dans des centres de détention provisoire relevant du Ministère de l’intérieur et du Ministère de la défense, principalement en vue d’obtenir des aveux ou des renseignements destinés à être utilisés dans une procédure pénale. Le Comité est également préoccupé par des allégations d’actes de torture et de mauvais traitements, notamment de viol et d’autres formes de sévices sexuels, subis par des détenues – principalement des musulmanes sunnites – qui sont souvent arrêtées sous prétexte qu’elles « couvrent » leur conjoint ou d’autres hommes de leur famille (art. 1er, 2, 4, 11 à 13, 15 et 16).

Le Comité exhorte l’État partie à :

a) Veiller à ce que tous les affaires et allégations de torture et de mauvais traitements fassent immédiatement l’objet d’une enquête efficace et impartiale et à ce que les auteurs soient traduits en justice et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes comme le requiert l’article 4 de la Convention;

b) Conserver des enregistrements vidéo de tous les interrogatoires et installer des dispositifs de vidéosurveillance dans tous les lieux de détention où les détenus peuvent se trouver, sauf dans les cas où cela risquerait d’entraîner une violation du droit de ces personnes au respect de la vie privée ou à la confidentialité des entretiens avec leur conseil ou un médecin. Ces enregistrements devraient être conservés en lieu sûr et être mis à la disposition des enquêteurs, des détenus et de leur conseil;

c) Réaffirmer sans ambiguïté le caractère absolu de l’interdiction de la torture et faire publiquement savoir que quiconque commet de tels actes, en est complice ou les autorise tacitement, sera tenu personnellement responsable devant la loi, fera l’objet de poursuites pénales et encourra les peines appropriées;

d) Abandonner la pratique illégale consistant à arrêter et inculper des femmes pour des infractions imputées à leur conjoint ou à d’autres hommes de leur famille et prendre des mesures disciplinaires ou intenter des poursuites pénales, selon ce qu’il convient, contre les fonctionnaires soupçonnés de ces abus d’autorité.

Détentions secrètes dans les affaires liées à la sécurité

Le Comité demeure préoccupé par des informations faisant état d’un scénario récurrent dans lequel des terroristes présumés et d’autres suspects représentant un risque élevé pour la sécurité, y compris des mineurs, sont arrêtés sans mandat, gardés au secret ou placés dans des centres de détention tenus secrets pour des périodes prolongées pendant lesquelles de graves tortures leur sont infligées pour leur arracher des aveux. Selon des informations reçues par le Comité, le centre de détention situé sur le site de l’ancienne base aérienne d’Al-Muthanna à l’ouest de Bagdad, qui a été découvert en 2011, serait encore ouvert et ses activités se poursuivraient en secret sous le contrôle des 54e et 56e brigades de l’armée (art. 2, 11, 12, 15 et 16).

L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que nul ne soit détenu dans un centre de détention secret quel qu’il soit, ces centres constituant en eux-mêmes une violation de la Convention et devant être fermés, et enquêter pour déterminer s’il en a d’autres, en révéler l’existence et indiquer sous la responsabilité de quelle autorité ils ont été mis en place. En outre, placer tous les centres de détention légaux sous l’autorité exclusive du Ministère de la justice;

b) Veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements formulées par des détenus de l’ancienne base aérienne d’Al-Muthanna fassent l’objet d’une enquête impartiale, que les résultats en soient rendus publics et que toute personne responsable de violations de la Convention ait à rendre des comptes;

c) Examiner la question du recours à la détention au secret en vue d’abolir cette pratique.

Conditions de détention

Le Comité note que la délégation a reconnu que les conditions de détention dans les prisons de l’État partie étaient difficiles, en particulier à cause du surpeuplement et du manque d’hygiène. Il prend acte de la déclaration faite par la délégation qui a indiqué que l’État partie réalisait actuellement des investissements en vue d’agrandir l’infrastructure pénitentiaire et prenait des mesures de prévention et d’hygiène pour lutter contre les maladies contagieuses telles que la gale (art. 11 et 16).

L’État partie devrait prendre les mesures voulues pour réduire le surpeuplement dans les établissements pénitentiaires et les autres centres de détention, notamment en appliquant des mesures non privatives de liberté.

Surveillance des lieux de détention

Le Comité note avec inquiétude que la Haute Commission des droits de l’homme ne peut pas se rendre dans les lieux de détention sans préavis en raison de l’absence de mécanisme de liaison entre l’institution nationale des droits de l’homme et les ministères concernés. Il est aussi préoccupé par le fait que la Haute Commission n’a pas accès aux centres de détention relevant du Ministère de l’intérieur et du Ministère de la défense (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait faire en sorte que la Haute Commission des droits de l’homme soit habilitée à se rendre dans tous les lieux de détention et puisse y effectuer des visites inopinées, conformément à son mandat. Le Comité invite l’État partie à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Décès en détention

Le Comité demeure préoccupé par des allégations de décès en détention résultant d’actes de torture. Il note que, bien qu’il ait demandé à plusieurs reprises à la délégation de l’État partie de lui fournir des renseignements sur les cas de décès en détention survenus pendant la période considérée, il n’a reçu aucune information sur ce point ni sur les enquêtes éventuelles qui auraient été ouvertes sur ces décès (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait prendre des mesures pour faire en sorte que tous les décès en détention fassent immédiatement l’objet d’une enquête impartiale effectuée par un organe indépendant et que les personnes déclarées responsables de décès en détention dus à des actes de torture, à des mauvais traitements ou à une négligence délibérée soient traduites en justice et, si elles sont condamnées, dûment sanctionnées.

Peine de mort

Le Comité est préoccupé par le nombre et la diversité d’infractions passibles de la peine de mort ainsi que par le taux élevé d’exécutions dans l’État partie. En outre, il constate avec inquiétude que les garanties internationales et constitutionnelles d’une procédure régulière et d’un procès équitable ne sont pas pleinement respectées et observées dans les affaires portant sur des infractions emportant la peine de mort (art. 2 et 16).

L’État partie devrait s’assurer que la peine capitale ne soit prononcée que pour les infractions les plus graves lorsqu’elle est imposée et que la procédure se déroule dans le respect des normes internationales. Il devrait envisager de prendre des mesures pour adopter un moratoire sur les exécutions avec effet immédiat et commuer les peines capitales en d’autres peines.

Impunité des auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements

Le Comité est préoccupé par des informations indiquant que les plaintes pour actes de torture et pour mauvais traitements donnent rarement lieu à une enquête, ce qui favoriserait un climat d’impunité. Compte tenu de ces informations, il juge préoccupant que, malgré les questions qui lui ont été adressées, l’État partie ne lui ait pas fourni de renseignements précis sur le nombre de plaintes pour torture ou mauvais traitements, ni sur les enquêtes et les poursuites correspondantes ouvertes pendant la période considérée. Il n’a pas non plus fourni de renseignements sur les condamnations et les sanctions pénales ou disciplinaires imposées aux auteurs de ces infractions et il ne lui a pas non plus précisé si les auteurs présumés des actes en question avaient été démis de leurs fonctions jusqu’à ce que les résultats des enquêtes menées sur ces plaintes soient connus. En l’absence de ces informations, le Comité se voit dans l’impossibilité d’apprécier les actes de l’État partie à la lumière des dispositions de l’article 12 de la Convention (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité demande instamment à l’État partie de :

a) Veiller à ce que toutes les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements donnent immédiatement lieu à une enquête impartiale menée par un organe indépendant, à ce qu’il n’y ait pas de lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs dudit organe et les auteurs présumés des faits, et que ces derniers soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, qu’ils se voient imposer des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

b) Veiller à ce que les autorités ouvrent une enquête de leur propre initiative chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés;

c) Veiller à ce que les auteurs présumés d’actes de torture et de mauvais traitements soient immédiatement suspendus pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque qu’ils soient en mesure de commettre de nouveau les actes dont ils sont soupçonnés, d’exercer des représailles contre la victime présumée ou de faire obstruction à l’enquête au cas où ils seraient maintenus dans leurs fonctions.

Aveux obtenus sous la contrainte

Le Comité prend note des garanties juridiques prévues dans la législation iraquienne établissant l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture ou les mauvais traitements, mais constate avec inquiétude que, dans la pratique, la charge de la preuve en la matière pèse indûment sur le défendeur. À ce propos, des informations montrent qu’il est rare que les défendeurs disposent des rapports médicaux qui leur permettraient d’étayer leur plainte, puisqu’on ne les autorise pas à voir un médecin pendant la garde à vue dans les locaux de la police. Le Comité demeure préoccupé par l’incapacité manifeste des autorités à mener des enquêtes sur ces allégations et par le manque d’information sur les décisions qui auraient été prises par des tribunaux iraquiens de déclarer irrecevables des aveux obtenus sous la torture. Enfin, il n’a reçu aucune information sur les sanctions infligées à des juges pour manquement à l’obligation d’engager des poursuites dans les affaires de torture (art. 15).

L’État partie doit adopter des mesures efficaces pour s’assurer que, dans la pratique, les aveux ou déclarations obtenus par la contrainte soient déclarés irrecevables, sauf dans les cas où ils sont invoqués contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite. Le Comité invite donc l’État partie à veiller à ce que, lorsqu’il est allégué que des aveux ont été faits sous la torture, la charge de la preuve incombe aux autorités de poursuite et aux tribunaux. L’État partie devrait aussi veiller à ce qu’une formation à la détection des aveux obtenus par la torture et aux méthodes d’enquête sur ce type d’affaire soit dispensée aux agents de la force publique, aux juges et aux avocats. Les autorités compétentes devraient imposer des sanctions aux juges qui ne prennent pas les mesures qui s’imposent lorsque des allégations de torture sont faites au cours d’une procédure judiciaire.

Système judiciaire

Le Comité est préoccupé par les informations faisant état du manque d’indépendance, d’impartialité et de formation adéquate de l’appareil judiciaire, qui constitue une entrave à la pleine jouissance des droits de l’homme, dont le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est également préoccupé par des informations faisant état de pratiques judiciaires critiquables mises en œuvre en application de la loi antiterroriste de 2005 et du Code de procédure pénale, comme les arrestations sans mandat, les détentions provisoires prolongées, le placement en détention de suspects pour une durée indéterminée et les condamnations reposant sur le témoignage d’informateurs secrets (art. 2 et 11).

L’État partie devrait veiller à ce que l’appareil judiciaire soit pleinement indépendant, impartial et bien formé, conformément aux Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire et aux normes internationales pertinentes. En particulier, il devrait réformer et renforcer l’appareil judiciaire pour régler efficacement les questions liées à l’impunité, aux voies de recours ouvertes aux victimes et aux garanties d’une procédure régulière, conformément à la Convention et aux engagements qu’il a pris pendant l’Examen périodique universel, en novembre 2014 (voir A/HRC/28/14, par. 127.145 et 127.222, et A/HRC/28/14/Add.1).

Violence sexiste

Le Comité note avec une vive préoccupation que la violence sexiste – notamment les viols, la violence intrafamiliale et les crimes commis au nom de l’honneur – reste généralisée dans l’État partie. Il salue la promulgation de la loi no 8 (2011) relative à la violence intrafamiliale au Kurdistan, mais constate avec préoccupation que l’État partie n’a toujours pas adopté de loi générale visant à combattre la violence contre les femmes, notamment le viol conjugal et les crimes dits d’honneur. Il prend note des explications fournies par la délégation qui a indiqué que les dispositions du Code pénal prévoyant des peines plus légères pour les crimes « d’honneur » et accordant l’impunité aux auteurs de viol qui épousent leur victime, qui demeurent en vigueur, n’étaient plus appliquées, bien que des sources non gouvernementales affirment le contraire. Il relève avec préoccupation qu’il n’y a qu’au Kurdistan que des organisations non gouvernementales locales ont été autorisées à gérer des refuges accueillant des femmes fuyant la violence et que les organisations qui souhaitaient administrer des foyers dans d’autres régions du pays ont été harcelées et attaquées par des agents de l’État et des acteurs non étatiques (art. 1er, 2, 4 et 16).

L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que tous les cas de violence à l’égard des femmes fassent l’objet d’enquêtes approfondies, à ce que leurs auteurs soient traduits en justice et à ce que les victimes obtiennent réparation, notamment une indemnisation équitable et suffisante;

b) Fournir une meilleure protection et des soins appropriés aux victimes, notamment leur donner accès à des refuges, à des foyers gérés par l’État et par des entités privées, à des documents d’identité sans qu’elles soient tenues d’obtenir l’autorisation préalable d’un homme de leur famille, à des soins médicaux et à un accompagnement psychosocial;

c) Renforcer la coopération avec les organisations non gouvernementales qui s’emploient à protéger les femmes et les filles de la violence dans toutes les régions du pays et faire en sorte que ces organisations soient protégées contre toutes les formes de harcèlement et de violence;

d) Adopter une législation complète visant à combattre la violence intrafamiliale et sexiste, dont une loi autorisant la création de foyers gérés par des entités privées;

e) Abroger les dispositions exonératoires et les circonstances atténuantes prévues dans le Code pénal pour le viol et les crimes «  d’honneur  » (art. 128, 130, 131 et 149), et agir sans délai pour mettre fin à l’impunité des auteurs de viol et de violence sexiste;

f) Prévoir, à l’intention des membres des forces de l’ordre et de la magistrature, des cours de formation obligatoires sur l’instruction des affaires de violence sexiste, faciliter l’accès des victimes à la justice et mener des campagnes de sensibilisation afin de modifier les comportements négatifs à l’égard des femmes.

Violences infligées à des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, réelle ou supposée

Le Comité est préoccupé par des informations fiables faisant état d’agressions, parfois mortelles, visant des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, réelle ou supposée. D’après les informations dont dispose le Comité, ces agressions sont courantes et restent impunies. Le Comité note avec satisfaction la création par l’État partie d’une commission gouvernementale chargée des droits des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transgenres, mais il regrette l’absence d’informations sur ce qu’elle fait concrètement. Il est également préoccupé par le rapport de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq sur la situation des droits de l’homme en Iraq, publié en octobre 2012 (p. 15 et 16), et d’autres rapports indiquant que des jeunes Iraquiens adeptes de la mouvance « emo » (une sous-culture en vogue chez certains jeunes) ont été tués pour cette simple raison (art. 2, 4, 14 et 16).

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour prévenir la violence fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, réelle ou supposée, des personnes, et faire en sorte que tous les actes de violence fassent immédiatement l’objet d’enquêtes efficaces et impartiales, que les auteurs soient poursuivis et traduits en justice et que les victimes obtiennent réparation.

Refugiés, non-refoulement

Le Comité note que la délégation a affirmé que le principe de non-refoulement était appliqué dans la pratique, mais il reste préoccupé par les informations faisant état de l’incohérence des politiques menées aux frontières. À cet égard, il constate avec préoccupation que la législation existante ne protège pas adéquatement les réfugiés. Il note également que la délégation lui a assuré que les autorités iraquiennes n’avaient pas essayé d’expulser les anciens occupants du camp d’Ashraf, qui sont maintenant installés à titre provisoire dans le camp de transit temporaire de Hurriya. Enfin, il regrette que l’État partie n’ait pas donné d’informations sur le nombre de personnes refoulées, extradées ou expulsées pendant la période à l’examen et sur le nombre de cas dans lesquels il n’a pas expulsé des personnes qui risquaient d’être torturées dans le pays de renvoi (art. 3).

Le Comité recommande à l’État partie :

a) De renforcer son cadre législatif en adoptant une loi complète sur l’asile qui soit compatible avec les normes internationales et conforme à l’article 3 de la Convention;

b) De veiller à ce que des garanties de procédure contre le refoulement soient en place et à ce qu’un recours effectif contre les décisions de renvoi dans les procédures d’expulsion soit ouvert, notamment à ce qu’un organe judiciaire indépendant puisse réexaminer ces décisions;

c) De respecter scrupuleusement le Mémorandum d’accord signé le 25 décembre 2011 avec l’Organisation des Nations Unies, qui prévoit expressément que le principe de non-refoulement s’applique aux anciens occupants du Camp d’Ashraf.

Le Comité encourage l’État partie à envisager de ratifier la Convention relative au statut des réfugiés et le Protocole relatif au statut des réfugiés, la Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie.

Définition et incrimination de la torture

Le Comité note les renseignements fournis par la délégation sur la teneur et l’état d’avancement du projet de loi sur la torture, mais il constate avec préoccupation que la législation nationale ne contient pas encore de définition complète de la torture établie conformément à l’article premier de la Convention et faisant figurer la discrimination au nombre des motifs de la torture. Il est en outre inquiet du manque de clarté quant aux peines réprimant cette infraction (art. 1er et 4).

L’État partie devrait adopter une définition de la torture pleinement conforme à l’article premier de la Convention et veiller à ce que les infractions relevant de cette définition soient passibles de peines appropriées qui tiennent compte de leur gravité, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o  2, dans laquelle il est précisé que, si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l’impunité (par. 9).

Compétence universelle

Le Comité note avec préoccupation que la torture et les crimes connexes ne sont pas mentionnés dans la liste des infractions figurant au paragraphe 42 du rapport initial de l’État partie pour lesquelles les tribunaux sont habilités à exercer la compétence universelle (art. 5 et 8).

En vertu du paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention, l’État partie devrait prendre les mesures législatives et autres qui s’imposent pour établir sa compétence aux fins de connaître d’actes de torture et d’autres infractions connexes lorsque leur auteur présumé se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et qu’il ne l’extrade pas.

Traite

Le Comité salue l’adoption de la loi no 28 (2012) relative à la lutte contre la traite des personnes, mais relève avec préoccupation l’augmentation dans l’État partie de la traite interne et transfrontière des femmes et des enfants, qui est due à la détérioration de la situation en matière de sécurité. Il est également préoccupé par les allégations, auxquelles l’État partie n’a pas réagi, selon lesquelles des trafiquants payent la caution de femmes incarcérées pour les contraindre à se prostituer dans le cadre de la servitude pour dettes. Il regrette que l’État partie n’ait pas donné d’informations sur le nombre de poursuites engagées contre des trafiquants présumés et de condamnations rendues dans des affaires de traite ni sur les peines prononcées (art. 2, 12 et 16).

L’État partie devrait :

a) Redoubler d’efforts pour prévenir et combattre la traite des êtres humains, notamment en mettant effectivement en œuvre la loi de 2012 relative à la lutte contre la traite, et en offrant aux victimes une protection, y compris des refuges et un accompagnement psychosocial;

b) Mener sans délai des enquêtes impartiales sur les affaires de traite, faire en sorte que les individus reconnus coupables de ces infractions soient condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes et veiller à ce que toutes les victimes obti ennent réparation;

c) Faire en sorte que les victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle forcée ne soient pas poursuivies pour des infractions liées à la prostitution;

d) Veiller à ce que des données soient systématiquement collectées sur les flux de personnes que les trafiquants font entrer dans le pays ou transiter par celui-ci.

Formation

Le Comité prend note des programmes de formation aux droits de l’homme destinés aux membres des forces de l’ordre, au personnel pénitentiaire et aux magistrats, mais reste préoccupé par le manque d’informations sur les effets de cette formation. Il regrette également que les membres des forces de l’ordre, les juges, les procureurs, les médecins légistes et le personnel médical qui sont en contact avec des détenus ne reçoivent pas de formation spéciale sur les moyens de déceler et de consigner par écrit les séquelles physiques et psychologiques de la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 10).

L’État partie devrait :

a) Développer plus avant les programmes de formation obligatoires afin que tous les agents publics, en particulier les membres des forces de l’ordre, les militaires, le personnel pénitentiaire et le personnel médical employé dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques, connaissent bien les dispositions de la Convention et sachent qu’aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les auteurs de violations seront poursuivis;

b) Concevoir et appliquer une méthode pour évaluer l’efficacité des programmes de formation pour ce qui est de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements et d’assurer que des enquêtes et des poursuites soient ouvertes lorsque de tels actes sont commis;

c) Veiller à ce que tous les personnels concernés, notamment les membres du corps médical, soient spécifiquement formés à détecter les signes de torture et de mauvais traitements, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

Réparation et réadaptation

Le Comité note que l’État partie a affirmé que sa législation offrait des voies de recours civiles permettant d’obtenir réparation en cas de torture ou de mauvais traitements, mais regrette que la délégation n’ait pas fourni d’informations sur les mesures de réparation et d’indemnisation que les tribunaux ou d’autres organes publics ont ordonnées et dont des victimes de torture ou leur famille ont effectivement bénéficié depuis l’entrée en vigueur de la Convention dans l’État partie (art. 14).

L’État partie devrait prendre immédiatement des mesures d’ordre juridique et autre pour garantir que toutes les victimes de torture et de mauvais traitements soient identifiées, qu’elles obtiennent réparation et bénéficient d’une indemnisation équitable et adéquate, y compris des moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible. L

e Comité appelle son attention sur son observation générale n o  3 concernant l’application de l’article 14 par les États parties, qui explique le contenu et la portée de l’obligation incombant aux États parties en vertu dudit article de fournir une réparation complète aux victimes de la torture.

Procédure de suivi

Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 15 août 2016, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 11, 12 a), 13, 14 et 16 a).

Questions diverses

Le Comité encourage l’État partie à envisager de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, par laquelle il reconnaîtrait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction.

Le Comité recommande à l’État partie d’envisager d’adhérer au Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de devenir partie au Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues appropriées, au moyen des sites Internet officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité invite l’État partie à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera son deuxième, au plus tard le 15 août 2019. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter, le 15 août 2016 au plus tard, d’établir son rapport selon la procédure facultative, qui consiste pour le Comité à adresser à l’État partie une liste de points établie avant la soumission du rapport périodique. Les réponses de l’État partie à la liste de points constitueront son deuxième rapport périodique au titre de l’article 19 de la Convention.