Nations Unies

CRC/C/80/D/14/2017

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

14 août 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 14/2017 * , **

Communication présentée par :

A. D. (représenté par un conseil, Albert Parés Casanova)

Au nom de :

A. D.

État partie :

Espagne

Date de la communication :

17 mars 2017

Date de la présente décision :

1er février 2019

Objet :

Détermination de l’âge d’un présumé enfant non accompagné

Question ( s ) de procédure :

Non-épuisement des recours internes, abus du droit de présenter des communications

Article(s) de la Convention :

3, 8, 12, 18 (par. 2), 20 (par. 1), 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif :

7 c), e) et f)

1.1L’auteur de la communication est A. D., de nationalité guinéenne, qui affirme être né le 2 février 2003. Il se dit victime d’une violation de l’article 3, lu seul et conjointement avec les articles 8, 18 (par. 2), 20 (par. 1), 27 et 29 de la Convention. Le Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 28 mars 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteur dans son pays d’origine et de le placer dans un centre de protection des mineurs en attendant que le Comité ait examiné sa communication.

1.3Le 19 octobre 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie, qui souhaitait que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond et que les mesures provisoires accordées soient levées.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 1er mars 2017, la police nationale espagnole a intercepté l’embarcation à bord de laquelle l’auteur tentait de se rendre illégalement en Espagne. Le jour même de son arrivée, l’auteur, qui n’avait pas de documents d’identité sur lui, a déclaré être mineur.

2.2Le 2 mars 2017, le parquet des mineurs de l’Audiencia provincial d’Almería a ordonné la réalisation d’examens médicaux en vue de déterminer l’âge de l’auteur. Une radiographie de la main gauche de l’intéressé a ainsi été effectuée le jour même. à la suite de cette radiographie, il a été conclu que l’âge osseux de l’auteur était « supérieur à 18 ans, selon l’Atlas de Greulich et Pyle (il n’existe pas d’écart-type pour ce groupe d’âge) ».

2.3Se fondant sur le résultat de la radiographie réalisée le 2 mars, le parquet des mineurs a conclu que l’auteur était majeur.

2.4Le 2 mars, le tribunal d’instruction no 5 d’Almería a ordonné le placement de l’auteur dans un centre de détention pour étrangers pour une durée maximale de soixante jours en attendant son renvoi. L’auteur a été transféré dans le centre de détention pour étrangers de Barcelone le même jour. Lors de son admission, il a réaffirmé être mineur. Le service de police du centre a alors envoyé une télécopie à la section des mineurs du parquet de la province de Barcelone pour l’informer de la situation. L’auteur affirme qu’il n’y a pas eu de réponse.

2.5L’auteur indique qu’il ne possède aucun document d’identité car sa mère est morte en mer et son père a été assassiné dans son pays d’origine.

2.6L’auteur soutient que les décisions du parquet relatives à la détermination de l’âge ne peuvent pas être contestées en justice, comme l’a confirmé le Tribunal constitutionnel dans son arrêt 172/2013, et qu’il a par conséquent épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que, dans le cadre de la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis, il n’a pas été tenu compte de son intérêt supérieur en tant qu’enfant, en violation de l’article 3 de la Convention. Ainsi que le Comité l’a constaté, il n’existe pas dans l’État partie de protocole uniforme à l’échelon national pour la protection des enfants non accompagnés. Les méthodes employées pour déterminer l’âge de ces enfants varient en effet d’une Communauté autonome à l’autre.

3.2L’auteur fait observer que les seules méthodes de détermination de l’âge actuellement utilisées en Espagne sont l’évaluation médicale et l’évaluation fondée sur les caractéristiques physiques. Il existe d’autres méthodes, comme l’évaluation fondée sur des critères psychosociaux et de développement ou l’évaluation fondée sur la documentation disponible, les connaissances et les informations locales, mais elles ne sont pas utilisées. L’auteur ajoute que l’examen le plus souvent pratiqué en Espagne est l’examen radiologique fondé sur l’Atlas de Greulich et Pyle, étude réalisée dans les années 1950 sur un échantillon de 6 879 enfants en bonne santé d’origine nord-américaine issus de la classe moyenne supérieure. Cette méthode permet d’obtenir une estimation de l’âge à partir de fourchettes de résultats. L’auteur affirme que cette méthode, comme d’autres méthodes fondées sur des études réalisées ultérieurement, est purement estimative et n’a pas été conçue pour déterminer l’âge chronologique d’un individu. Il appelle l’attention sur la nécessité de distinguer l’âge chronologique de l’âge osseux, notion statistique issue de l’expérience clinique qui peut être utile à des fins strictement médicales pour évaluer la maturation osseuse d’un individu et faire des projections quant à son développement, par exemple estimer sa taille à l’âge adulte. En revanche, l’âge chronologique est le temps vécu par la personne. L’âge osseux ne correspond pas nécessairement à l’âge chronologique, étant donné que des facteurs liés au statut social, notamment des facteurs génétiques, pathologiques, nutritionnels et hygiénico‑sanitaires, ainsi que des facteurs raciaux, ont une incidence sur la croissance et sur le développement des individus. Diverses études montrent que la situation socioéconomique joue un rôle déterminant dans le développement osseux.

3.3L’auteur affirme que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit prévaloir tout au long de la procédure de détermination de l’âge et que seuls devraient être pratiqués les tests médicaux nécessaires et conformes à l’éthique médicale. La marge d’erreur doit être systématiquement signalée dans les rapports médicaux. De plus, il faudrait confier la réalisation et l’interprétation des clichés radiographiques à du personnel médical spécialisé en radiodiagnostic et l’analyse globale des résultats à du personnel médical spécialisé en médecine légale, et non, comme c’est souvent le cas, aux services de radiologie. Enfin, la détermination de l’âge doit être fondée sur différents tests et sur des examens complémentaires. En outre, ainsi que le prévoit l’article 35 de la loi organique no 4/2000, il n’y a pas lieu d’engager une procédure de détermination de l’âge lorsque l’enfant est en possession de pièces d’identité.

3.4L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, lu conjointement avec les articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1), parce qu’aucun tuteur ou représentant n’a été désigné pour agir en son nom, désignation qui constitue une garantie de procédure fondamentale pour le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant non accompagné. L’auteur soutient qu’ayant été déclaré majeur sur la base d’éléments non fiables, il a été privé de la protection que devait lui assurer l’État partie. Il est donc en situation d’extrême vulnérabilité.

3.5L’auteur se dit victime d’une violation par l’État partie du droit à l’identité qu’il tient de l’article 8 de la Convention. Il fait observer que l’âge constitue un aspect fondamental de l’identité et que l’État partie a le devoir de ne pas porter atteinte à son identité, ainsi que de conserver et de récupérer les données qui la définissent, a fortiori dans le cas d’un individu qui, comme l’auteur, n’a pas de parents dans le pays d’accueil.

3.6L’auteur affirme que l’État partie a manqué à l’obligation de protection qui lui incombe en vertu de l’article 20 de la Convention en considérant qu’il était majeur alors qu’il n’y avait aucune preuve concluante à cet égard.

3.7Enfin, l’auteur se dit victime d’une violation des droits qu’il tient des articles 27 et 29 de la Convention au motif qu’il n’a pas bénéficié des conditions nécessaires à son développement du fait qu’aucun tuteur n’a été désigné pour veiller à ses intérêts.

3.8À titre de réparation, l’auteur propose : a) que l’État partie reconnaisse que son âge ne peut être établi sur la base des examens médicaux qu’il a subis ; b) qu’il soit fait en sorte que les décisions rendues par le parquet concernant la détermination de l’âge puissent être contestées devant les tribunaux ; c) que soit reconnu le droit de tout mineur d’être entendu par l’intermédiaire d’une personne ou d’une institution spécialisée dans les droits de l’enfant ; et d) que lui soient reconnus tous les droits attachés à sa qualité de mineur, notamment le droit à la protection de l’autorité publique compétente et le droit à un représentant légal, et qu’un permis de séjour et de travail lui soit accordé afin qu’il puisse développer pleinement sa personnalité et s’intégrer dans la société.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 26 mai 2017, l’État partie précise au sujet des faits que l’auteur est entré illégalement sur le territoire espagnol le 27 février 2017, date à laquelle les forces de sécurité espagnoles ont intercepté l’embarcation à bord de laquelle il voyageait. À son arrivée, l’auteur, qui n’avait sur lui aucune pièce d’identité, a spontanément décliné son nom, celui de ses parents et sa date de naissance, à savoir le 1er décembre 1998. C’est a posteriori qu’il a fait valoir qu’il était mineur, et c’est pour cette raison que, même si son apparence n’était pas celle d’un mineur, il a été procédé à une radiographie de sa main gauche conformément à l’Atlas de Greulich et Pyle et qu’un médecin a estimé son âge. Se fondant sur les résultats de ces examens, le parquet a, à titre provisoire, déclaré l’auteur majeur. Le 2 mars 2017, l’auteur a été placé dans le centre de détention pour étrangers de Barcelone. Le 17 mars 2017, il a adressé plusieurs demandes écrites à la police et au parquet de la province de Barcelone visant à ce que des examens complémentaires soient réalisés afin de prouver qu’il était mineur. Le tribunal d’instruction no 30 de Barcelone a ouvert une enquête préparatoire et a ordonné la réalisation de nouveaux examens pour déterminer l’âge de l’auteur. Ces examens, énumérés ci-après, ont été effectués le 24 mars 2017 : examen physique par un médecin légiste, examen dentaire, évaluation du développement pubertaire selon l’échelle de maturité de Tanner, examen osseux selon la méthode de Greulich et Pyle et orthopantomographie. Ces examens ayant tous abouti à la conclusion que l’auteur avait plus de 18 ans, le juge d’instruction a décidé le 29 mars 2017 de clore l’enquête préparatoire. L’État partie fait observer que l’auteur a déclaré à la médecin légiste qu’il était né le 2 février 2003 et qu’il avait donc 14 ans.

4.2L’État partie affirme que la communication est manifestement sans fondement et qu’elle est donc irrecevable au regard de l’article 7 f) du Protocole facultatif, étant donné que l’auteur n’a apporté aucune preuve médicale attestant qu’il est mineur.

4.3L’État partie affirme également que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 c) du Protocole facultatif parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et qu’elle est incompatible ratione personae avec la Convention. L’auteur n’a joint aucun document officiel original digne de foi ni aucune preuve médicale permettant d’établir qu’il est mineur. Il n’a pas non plus joint de photographie. De son côté, le parquet a fait procéder à six examens médicaux objectifs qui ont confirmé que l’auteur était majeur. Comme dans d’autres cas soumis au Comité, l’auteur est une personne présumée proche de l’âge de la majorité et qui semble être adulte ; en Espagne, il a passé, après avoir donné son consentement, des examens médicaux objectifs qui confirment qu’il est majeur ; il ne présente aucun document d’identité original comportant des données biométriques, ni aucun résultat d’examens médicaux qui démentent les résultats des examens effectués, alors qu’il est représenté par des avocats qui ont les moyens de le faire, et il ne précise pas quels examens médicaux il conviendrait d’effectuer. Enfin, l’État partie cite l’affaire M. E. B. c . Espagne, qui a été soumise au Comité et dans laquelle l’auteur affirmait être mineur alors qu’un examen radiologique avait établi qu’il avait 18 ans. Les enquêtes menées par la police espagnole dans le pays d’origine de l’auteur ont révélé que l’intéressé avait essayé d’utiliser une fausse identité et qu’en réalité il avait 20 ans. L’État partie appelle l’attention sur les mafias qui pratiquent la traite et qui profitent de l’immigration illégale, incitent des personnes en détresse à quitter leur pays pour l’Europe à la recherche d’une prospérité incertaine et illusoire, et leur recommandent souvent de ne pas emporter leurs pièces d’identité ou de les dissimuler et, si elles le peuvent, de prétendre qu’elles sont mineures.

4.4L’État partie affirme également que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 e) du Protocole facultatif car les recours internes n’ont pas été épuisés. Il fait valoir : a) que la détermination de l’âge peut être révisée si de nouveaux éléments de preuve objectifs (pièces d’identité avec données biométriques ou résultats d’examens médicaux objectifs) sont présentés, auquel cas le parquet peut demander de nouvelles investigations pour déterminer l’âge de l’intéressé ; b) qu’il est possible de demander soit la détermination judiciaire de l’âge ; et c) que la décision de renvoi peut également être contestée par voie administrative ou judiciaire.

4.5L’État partie indique qu’après avoir passé soixante jours − durée maximale autorisée − dans un centre de détention pour étrangers sans que la décision de renvoi ne soit exécutée, l’auteur a été remis en liberté et réside actuellement dans un centre d’accueil de la Fondation Cepaim à Teruel.

4.6L’État partie affirme que la situation de l’auteur a été réexaminée conformément à l’article 6 du Protocole facultatif et qu’il est ressorti de ce réexamen : a) que divers examens objectifs − une radiographie de la main gauche et un examen physique − pratiqués par des médecins spécialisés sous le contrôle du parquet et des autorités judiciaires ont établi que l’auteur était majeur ; b) qu’aucune preuve documentaire attestant que l’auteur avait moins de 18 ans n’a été apportée ; et c) qu’il n’a pas été démontré que l’auteur courrait le risque de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé dans son pays d’origine, où il a des attaches personnelles et familiales, ni que son renvoi constituerait une circonstance exceptionnelle.

4.7L’État partie donne des renseignements sur l’application d’un protocole particulier pour les personnes non accompagnées présumées mineures, dans le cadre duquel tout immigrant en situation irrégulière qui affirme être un mineur non accompagné et dont l’apparence physique est manifestement celle d’un mineur est immédiatement confié aux autorités de protection des mineurs et inscrit au registre des mineurs non accompagnés. Si, bien qu’il se dise mineur, l’intéressé a une apparence physique qui fait douter de son âge, des examens médicaux sont immédiatement pratiqués, avec son consentement préalable et éclairé, pour déterminer son âge selon les critères reconnus par la communauté médico-légale. Les résultats de ces examens − interprétés dans le sens le plus favorable à l’immigrant − sont utilisés pour déterminer si les mesures de protection spécialement prévues pour les mineurs doivent s’appliquer.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 11 juillet 2017, l’auteur confirme qu’à son arrivée en Espagne il a décliné spontanément son nom, celui de ses parents et sa date de naissance. Il affirme être arrivé par la mer dans un état physique et mental déplorable. Il ajoute que l’État partie n’a produit aucun registre ni document portant mention de la date de naissance qu’il aurait déclarée. L’auteur souligne en outre que les mineurs qui arrivent en Espagne par bateau ne connaissent pas les lois applicables ni les droits dont jouissent les mineurs dans ce pays. Ils sont au contraire convaincus que s’ils se disent mineurs ils seront renvoyés plus rapidement ; c’est pourquoi ils prétendent parfois être majeurs. L’État partie a prêté foi à la première déclaration de l’auteur concernant son âge et non à la deuxième, sans donner la moindre justification à ce sujet.

5.2L’auteur fait observer que l’État partie persiste à fonder la détermination de son âge sur son apparence physique, ce qui témoigne d’un manque de professionnalisme et de rigueur dans la défense des droits des mineurs étrangers ainsi que d’un manquement au principe de la présomption de minorité, pourtant inscrit dans la législation espagnole. L’auteur note que les services de protection des mineurs ont l’obligation de prendre en charge le mineur tant qu’il n’est pas déclaré majeur, c’est-à-dire dont il n’a pas été établi, sur la base d’éléments dignes de foi et par décision administrative définitive, qu’il est majeur.

5.3L’auteur insiste sur le manque de fiabilité des résultats des examens médicaux pratiqués, qui selon lui ne peuvent pas être considérés comme objectifs ni être l’unique critère à retenir pour déterminer son âge. L’auteur affirme que son droit d’être présumé mineur, conformément à l’observation générale no 6 du Comité, n’a pas été respecté. Les enfants étrangers non accompagnés doivent être confiés aux services de protection des mineurs avant même que soit lancée une procédure visant à déterminer leur âge.

5.4L’auteur fait observer que, étant considéré comme une personne majeure, il a été assisté par un avocat commis d’office dans le cadre de la procédure de renvoi engagée contre lui, mais à aucun moment il n’a eu la possibilité, due à tout mineur, de désigner librement un représentant pour défendre ses intérêts, ce qui constitue une violation de l’article 12 de la Convention.

5.5L’auteur indique qu’il n’a pas contesté la décision du parquet concernant la détermination de son âge car ce type de décisions n’est pas susceptible de recours. Il est possible de contester d’autres actes administratifs ayant une incidence indirecte sur la détermination de l’âge, mais il n’existe pas de voie de recours contre les décisions du parquet en la matière.

5.6L’auteur indique que, à en juger par les nombreuses communications soumises au Comité par diverses organisations espagnoles, on peut considérer qu’il existe dans l’État partie des violations systématiques au sens de l’article 13 du Protocole facultatif.

5.7L’auteur fait remarquer que le protocole-cadre concernant les procédures applicables aux mineurs étrangers non accompagnés a été contesté devant le Tribunal suprême, nombre de ses articles étant réputés inconstitutionnels. Plus particulièrement, le protocole permet, dans le cas où l’enfant est muni d’un passeport, de considérer que ce document n’est pas valable si l’enfant a l’apparence physique d’un adulte. L’auteur indique que le Tribunal suprême a conclu au contraire que tout immigrant dont le passeport ou une pièce d’identité équivalente confirme qu’il est mineur ne peut pas être considéré comme un étranger sans papiers ni être soumis à des tests complémentaires visant à déterminer son âge.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans ses observations du 19 février 2018, l’État partie indique que l’auteur n’a apporté aucune preuve attestant que ses facultés mentales étaient altérées lorsqu’il est arrivé en Espagne. La date de naissance qu’il a déclarée à son arrivée est consignée dans les documents présentés, notamment dans la demande de placement dans un centre de détention pour étrangers émanant de la police nationale, ainsi que dans la fiche individuelle d’admission au centre de détention pour étrangers de Barcelone.

6.2L’État partie répète ses arguments en faveur de l’irrecevabilité de la communication et fait valoir que, pour qu’une communication présentée en vertu du Protocole facultatif soit déclarée recevable, il faut au minimum apporter la preuve que l’auteur est un enfant.

6.3L’État partie indique que, bien que la détermination provisoire de l’âge par le procureur ne soit pas susceptible de recours devant les tribunaux, le procureur lui-même peut ordonner qu’il soit procédé à de nouvelles investigations si de nouveaux éléments de preuve objectifs sont présentés. Il est également possible de saisir le juge civil compétent du lieu de la détention pour qu’il réexamine toute décision de la Communauté autonome qui ne reconnaît pas à l’auteur la qualité de mineur. La décision de renvoi et tout éventuel refus de l’asile peuvent en outre être contestés devant la juridiction contentieuse administrative. Enfin, une action gracieuse peut être engagée devant les tribunaux civils aux fins de détermination de l’âge, en application de la loi no 15/2015 du 2 juillet relative à la juridiction gracieuse. Selon le Tribunal constitutionnel les décisions du parquet concernant la détermination de l’âge sont « éminemment provisoires », ce qui signifie qu’il est possible de saisir un tribunal pour obtenir une décision définitive.

6.4L’État partie soutient que les griefs de l’auteur sont généraux et semblent reposer sur l’idée que tout examen médical visant à déterminer l’âge d’un individu qui aboutit à la conclusion que l’intéressé est adulte implique une violation de la Convention. Il affirme que, dans son observation générale no 6, le Comité établit le principe de la présomption de minorité en cas d’incertitude sur l’âge, mais que ce principe ne s’applique pas lorsqu’il est manifeste qu’il s’agit d’un adulte. L’article 35 de la loi no 4/2000 prévoit la prise en charge immédiate, conformément à la loi sur la protection des mineurs, de tout « étranger sans papiers dont la qualité de mineur ne peut être établie avec certitude ». Autrement dit, la qualité de mineur est présumée, même en l’absence de documents pour l’attester, dès lors que l’intéressé a l’apparence d’un mineur. Toutefois, lorsqu’un individu sans papiers a clairement l’apparence d’un adulte, les autorités peuvent légalement le considérer comme tel sans avoir à procéder à un examen quel qu’il soit. Or, en l’espèce, les autorités ont donné à l’auteur la possibilité, moyennant son consentement préalable et éclairé, de passer des examens médicaux objectifs visant à déterminer son âge. L’État partie ajoute que l’auteur critique la validité des examens dont il a fait l’objet sans toutefois indiquer quels autres examens auraient dû être réalisés.

6.5L’État partie soutient que, étant donné que les seuls éléments disponibles étaient les déclarations de l’auteur et qu’aucune preuve digne de foi attestant qu’il était mineur n’avait été fournie, il ne convenait pas de garder l’auteur dans un centre pour mineurs, car sa présence pouvait représenter un grave danger pour les mineurs du centre.

6.6En ce qui concerne l’allégation de non-respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’État partie fait observer que l’auteur a omis de signaler que les autorités espagnoles l’ont secouru quand il se trouvait à bord d’une embarcation de fortune, qu’il a reçu des soins à son arrivée sur le territoire espagnol et a bénéficié gratuitement des services d’un avocat et d’un interprète, que lorsqu’il a déclaré être mineur l’information a été immédiatement communiquée au parquet, autorité chargée de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’à l’heure actuelle il est libre et bénéficie d’une aide sociale. Par conséquent, d’après l’État partie, l’on ne peut guère considérer que l’auteur n’a pas bénéficié d’une représentation légale adéquate ou qu’il a été privé de protection, et ce, même dans l’hypothèse où il serait mineur, ce qui n’est pas le cas.

6.7Pour ce qui est des allégations de l’auteur relatives à son droit à l’identité, l’État partie note que c’est le représentant de l’auteur qui a porté atteinte à ce droit puisqu’à ce jour il n’a produit aucun document d’identité officiel établi au nom de l’auteur. Pourtant les autorités espagnoles ont consigné l’identité déclarée par l’auteur lorsqu’il a été secouru en haute mer et qu’il est entré illégalement sur le territoire espagnol.

6.8Enfin, l’État partie affirme que l’auteur a été pris en charge par les services publics jusqu’au terme de la période maximale autorisée pour sa détention administrative, puis a été remis en liberté et a commencé à bénéficier d’un ensemble de services d’assistance et de santé. Il n’a donc pas été porté atteinte à son droit au développement.

6.9Pour ce qui est des mesures de réparation demandées, l’État partie note qu’il est paradoxal que l’auteur, qui prétend avoir 14 ans, demande un permis de travail alors que les enfants espagnols de cet âge ne sont pas autorisés à travailler, au nom de la protection du droit des enfants à l’éducation. Cela montre que le représentant de l’auteur se doute que ce dernier est majeur et qu’il a l’intention de rester en Espagne pour exercer un emploi rémunéré.

Intervention de tiers

7.1Le 3 mai 2018, le Défenseur des droits (France) a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge. Il souligne que les procédures de détermination de l’âge doivent être assorties des garanties nécessaires pour assurer le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans un rapport de 2017, le Conseil de l’Europe a indiqué que les garanties procédurales reconnues par les instruments internationaux et européens ne sont pas uniformément respectées dans l’ensemble des États membres.

7.2Une procédure de détermination de l’âge ne devrait être engagée qu’en cas de doute sérieux quant à l’âge d’un individu, qui doit être vérifié sur la base des documents ou des déclarations de l’intéressé. Ce type de procédure ne devrait pas se fonder uniquement sur l’apparence physique ; elle devrait également prendre en considération la maturité psychologique et s’inscrire dans une approche pluridisciplinaire. Si le doute persiste à l’issue de la procédure, il devrait bénéficier à la personne concernée.

7.3Il n’existe pas de règles ni d’accords communs concernant la détermination de l’âge dans les États européens. Plusieurs États recourent à des examens médicaux et non médicaux. Les examens médicaux comprennent la radiographie du poignet gauche (23 États), le panoramique dentaire (17 États), la radiographie de la clavicule (15 États), l’examen dentaire (14 États), ou des estimations fondées sur l’apparence physique (12 États). Bien qu’elle soit couramment pratiquée, la détermination de l’âge osseux n’est pas fiable et porte atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de l’enfant. Elle n’a aucune valeur médicale, comme l’a confirmé le Royal College of radiologists de Londres. Dans une résolution du 12 septembre 2013 sur la situation des mineurs non accompagnés dans l’Union européenne, le Parlement européen a lui aussi condamné le caractère inadapté et invasif des techniques médicales utilisées pour la détermination de l’âge basées sur l’âge osseux, car elles peuvent occasionner des traumatismes, présentent de grandes marges d’erreur et sont parfois pratiquées sans le consentement de l’enfant.

7.4La méthode de Greulich et Pyle est inadaptée et inapplicable aux migrants, qui sont en majorité des adolescents venant d’Afrique subsaharienne, d’Asie ou d’Europe de l’Est qui fuient leur pays d’origine, où leur situation socioéconomique est souvent précaire. Plusieurs études démontrent que le développement osseux varie en fonction de l’origine ethnique et de la situation socioéconomique de l’individu, raison pour laquelle la méthode n’est pas adéquate pour déterminer l’âge de personnes non européennes. Cette méthode présente d’importantes marges d’erreur, en particulier chez les individus âgés de 15 à 18 ans. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, les associations européennes de pédiatres sont catégoriques sur un point : la maturité de la dentition et du squelette ne permet pas de déterminer l’âge exact d’un enfant, mais uniquement d’en donner une estimation, avec une marge d’erreur importante de deux à trois ans. L’interprétation des données peut en outre varier d’un pays à l’autre, voire d’un spécialiste à l’autre. Le Comité a également engagé les États à ne pas utiliser les méthodes de détermination de l’âge osseux.

7.5Le Défenseur des droits recommande par conséquent : a) que la détermination de l’âge s’inscrive dans une approche pluridisciplinaire et qu’il ne soit procédé à des examens médicaux qu’en dernier ressort, lorsqu’il existe des motifs sérieux de douter de l’âge d’une personne ; b) que l’enfant soit informé et qu’il ait la possibilité de donner son consentement préalable ; c) que l’intéressé soit présumé mineur pendant la procédure de détermination de l’âge et que des mesures de protection soient prises, par exemple la désignation d’un représentant légal chargé de l’assister tout au long de la procédure ; d) que tout examen soit effectué dans le strict respect des droits de l’enfant, notamment de sa dignité et de son intégrité physique ; e) que le droit de l’enfant à être entendu soit respecté ; f) que si le doute persiste à l’issue de la procédure, il bénéficie à l’intéressé ; g) qu’une demande de protection ne puisse pas être rejetée au seul motif que l’intéressé refuse de se soumettre à des examens médicaux ; et h) qu’il existe un recours utile permettant de contester les décisions fondées sur une procédure de détermination de l’âge.

7.6Le Défenseur des droits rappelle que la détention d’enfants migrants, même de courte durée ou à des fins de détermination de l’âge, est interdite par le droit international et que les États devraient recourir à des mesures autres que la détention. Les États devraient interdire la privation de liberté des enfants ou leur placement en détention dans des centres pour adultes. Les services de protection de l’enfance devraient être immédiatement avisés afin qu’ils puissent évaluer les besoins de protection de l’enfant.

Commentaires des parties sur l’intervention de tiers

8.Dans ses commentaires du 1er août 2018, l’auteur soutient que l’intervention confirme que la méthode utilisée pour déterminer son âge n’était pas appropriée compte tenu de la marge d’erreur importante qu’elle présente, en particulier pour son groupe d’âge. C’est également la position des instituts espagnols de médecine légale, qui ont élaboré des recommandations sur les méthodes d’évaluation médico-légale de l’âge des mineurs étrangers non accompagnés.

9.1Dans ses observations du 3 août 2018, l’État partie indique qu’aucune des communications mettant en cause l’Espagne soumises au Comité ne concerne des personnes privées de liberté. Les auteurs de ces communications peuvent vivre dans des centres ouverts tant que les autorités administratives ou judiciaires n’ont pas statué sur leur cas. En outre, ce ne sont pas des demandeurs d’asile, mais des migrants économiques.

9.2La méthode de Greulich et Pyle n’est pas la seule technique utilisée en Espagne. Dans d’autres communications examinées par le Comité, les auteurs ont passé jusqu’à cinq examens médicaux de détermination de l’âge. En outre, les examens médicaux ne sont pratiqués que dans les cas où l’apparence de l’intéressé n’est pas celle d’un enfant. Le Tribunal suprême a conclu que lorsqu’une personne est munie d’un passeport ou d’un document similaire, il n’y a pas lieu de la soumettre à des examens de détermination de l’âge. Il a toutefois fait observer que, s’il existe un motif raisonnable de mettre en doute la validité des documents susmentionnés ou si ces documents ont été déclarés non valables par les autorités compétentes, l’enfant est considéré comme n’ayant pas de papiers et peut être soumis aux examens médicaux en cas de doute sur son âge. L’État partie ajoute que, selon cette interprétation, on ne peut considérer qu’un mineur non accompagné a des papiers que s’il est muni d’un passeport ou d’une pièce d’identité similaire, ce qui n’est le cas dans aucune des communications dont est saisi le Comité. Par conséquent, les auteurs de ces communications doivent être considérés comme étant sans papiers. En outre, aucun n’avait l’apparence physique d’un mineur, raison pour laquelle ils ont été soumis à des examens de détermination de l’âge. Dans certains cas, l’auteur avait dit initialement qu’il était majeur pour affirmer ensuite qu’il était mineur. Dans d’autres, les autorités espagnoles avaient reconnu à l’auteur la qualité de mineur, en conséquence de quoi le Comité avait classé l’affaire. Dans un autre cas, également classé, les autorités du pays d’origine de l’auteur avaient confirmé que celui-ci était adulte. Ces exemples attestent la fiabilité des examens médicaux pratiqués.

9.3L’État partie réaffirme que le placement dans des centres de protection des mineurs de personnes déclarées adultes au moyen d’examens médicaux pourrait mettre en danger les enfants de ces centres.

9.4Lorsqu’une personne a l’apparence d’un mineur ou qu’elle est munie d’un passeport ou d’un document d’identité biométrique, elle n’est pas soumise à des examens visant à déterminer son âge. Enfin, le Défenseur des droits français ne précise pas quelles méthodes de détermination de l’âge devraient être utilisées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

10.2Le Comité note que l’objet de la présente communication consiste à vérifier si, dans le cadre de la procédure qui a été appliquée pour déterminer son âge, l’auteur a bénéficié des garanties nécessaires à la protection des droits qu’il tient de la Convention.

10.3Toutefois, avant de se prononcer quant au fond, le Comité doit déterminer s’il existe dans le dossier des éléments attestant que l’auteur, jeune sans papiers qui affirme qu’il était mineur au moment des faits, ne peut pas être présumé tel. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, à son arrivée en Espagne, l’auteur a spontanément décliné son nom, celui de ses parents et sa date de naissance − le 1er décembre 1998 − comme l’attestent deux documents officiels (voir supra, par. 6.1). D’après ces déclarations, l’auteur avait atteint l’âge de la majorité avant d’arriver en Espagne. Dans ses commentaires du 11 juillet 2017 (voir supra, par. 5.1), l’auteur semble reconnaître qu’il a indiqué à son arrivée qu’il était né le 1er décembre 1998, tout en affirmant qu’il était alors psychologiquement très éprouvé en raison de son voyage. Le Comité note toutefois que l’auteur n’a fourni aucun élément convaincant expliquant en quoi les conditions difficiles de son voyage en mer l’auraient conduit à indiquer une date de naissance erronée à son arrivée. Le Comité fait en outre observer que les autres informations que l’auteur a données à ce moment-là − notamment le nom de ses parents − étaient correctes et qu’il n’a pas non plus apporté de preuve montrant qu’il était à son arrivée dans une confusion mentale telle qu’il en aurait oublié sa date de naissance et se serait trompé de cinq ans dans sa déclaration.

10.4Le Comité estime que les États parties doivent accorder le bénéfice du doute aux jeunes gens qui, sans être en mesure de présenter des documents d’identité, affirment être mineurs, les présumer tels et les traiter comme tels tant qu’il ne peut être établi avec certitude, sur la base d’éléments de preuve dignes de foi, qu’ils sont majeurs. Le Comité note toutefois qu’en l’espèce il y a des incohérences voire des contradictions dans l’âge que l’auteur a déclaré aux autorités espagnoles et au Comité et que l’auteur n’a donné aucune explication raisonnable à ce sujet. Il note en particulier que, dans sa lettre initiale, l’auteur a omis de signaler qu’à son arrivée il avait déclaré à la police espagnole qu’il était majeur. L’auteur n’a pas non plus expliqué pour quelle raison il avait confirmé que sa date de naissance était le 1er décembre 1998 sur sa fiche d’admission au centre de détention pour étrangers de Barcelone, qu’il a signée le 2 mars 2017 (voir supra, par. 6.1) alors que dans sa lettre initiale il avait affirmé avoir déclaré qu’il était mineur à son arrivée dans le centre.

10.5À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que le caractère incohérent des déclarations de l’auteur concernant son âge et l’absence de justifications à ce sujet sont suffisants pour conclure que l’auteur ne peut pas être présumé mineur.

10.6En conséquence, le Comité conclut que la communication est incompatible avec les dispositions de la Convention, qui protège les droits des enfants, et qu’elle est irrecevable au regard de l’article 7 c) du Protocole facultatif.

11.Le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 c) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et, pour information, à l’État partie.