Nations Unies

CRC/C/80/D/4/2016

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

15 mai 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité des droits de l’enfant autitre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation decommunications, concernant la communication no 4/2016 * , **

Communication présentée par :

D. D. (représenté par un conseil, Carsten Gericke, et par l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces)

Au nom de :

D. D.

État partie :

Espagne

Date de la communication:

26 novembre 2015

Date de la présente décision :

1er février 2019

Objet :

Expulsion sommaire d’un enfant non accompagné de l’Espagne vers le Maroc

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité ratione loci, ratione personae et ratione materiae et non-épuisement des recours internes

Article(s) d e la Convention :

3, 20 et 37

Article(s) du Protocole facultatif :

5 et 7 e)

1.1L’auteur de la communication est D. D., de nationalité malienne, né le 10 mars 1999. Il se considère victime de violations des articles 3, 20 et 37 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 9 juin 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé de rejeter la demande présentée par l’État partie, qui souhaitait que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 2013, l’auteur a quitté son village du Mali en raison du conflit armé. En février 2014, il est arrivé au Maroc. Pendant près d’un an, il a vécu dans les campements informels de migrants situés sur le mont Gourougou, à proximité de l’enclave espagnole de Melilla.

2.2Pendant cette période, l’auteur dormait parfois en plein air dans la forêt, mendiait dans les villages marocains, et n’avait accès ni à l’eau potable ni aux services de santé et d’éducation. Il affirme avoir subi des violences au cours des descentes effectuées par les forces de sécurité marocaines, qui allaient souvent jeter des pierres sur les occupants des campements et détruire leurs effets personnels et leurs moyens de subsistance.

2.3L’auteur a tenté plusieurs fois de franchir le poste frontière qui sépare Melilla du territoire marocain. Le 18 mars 2014, alors qu’il essayait de gagner la première clôture de démarcation, des membres des forces de sécurité marocaines lui ont assené plusieurs coups de matraque, ce qui lui a fait perdre ses incisives. Après cette agression, l’auteur a parcouru 20 kilomètres pour rejoindre le campement.

2.4Le 2 décembre 2014, l’auteur et un groupe de personnes d’origine subsaharienne ont quitté le mont Gourougou avec le projet de rallier Melilla. L’auteur est parvenu en haut de la troisième clôture de démarcation, d’où il a vu que des personnes qui avaient réussi à franchir la frontière se faisaient expulser sommairement par la Guardia Civil espagnole et étaient remises aux forces marocaines. Par peur d’être lui‑même expulsé et, peut-être, de subir des mauvais traitements et des violences de la part des autorités marocaines, l’auteur est demeuré plusieurs heures en haut de la clôture. Pendant ce laps de temps, il n’a reçu aucune assistance. Il n’a pu ni boire ni manger. Il n’a pas non plus pu communiquer avec les membres de la Guardia Civil, car il ne parlait pas l’espagnol et aucun interprète n’était présent. Il a fini par descendre de la clôture à l’aide d’une échelle fournie par la Guardia Civil. Dès que ses pieds ont touché le sol, il a été arrêté et menotté par la Guardia Civil, remis aux forces marocaines et expulsé sommairement vers le Maroc. À aucun moment les autorités n’ont tenté d’établir son identité. L’auteur n’a pas eu la possibilité d’exposer sa situation personnelle, notamment de donner son âge, ni de s’opposer à son expulsion immédiate ou de demander protection en tant qu’enfant non accompagné. Il n’a pas bénéficié des services d’un avocat, d’un interprète ou d’un médecin. Une fois que les forces de sécurité marocaines l’ont libéré, il est retourné sur le mont Gourougou, où il a continué de vivre dans des conditions précaires, dans la crainte permanente de la violence et des descentes des forces de sécurité marocaines.

2.5L’auteur affirme qu’il ne disposait d’aucun recours interne effectif pour faire suspendre son expulsion du territoire espagnol vers le Maroc, qui a eu lieu le 2 décembre 2014. Il dit avoir fait l’objet d’une expulsion sommaire et ne pas s’être vu notifier son expulsion par une décision officielle qu’il aurait pu contester devant les autorités compétentes.

2.6Le 30 décembre 2014 ou vers cette date, l’auteur est entré sur le territoire espagnol par l’enclave de Melilla et a séjourné au centre d’accueil temporaire de migrants (CETI). En février 2015, il a été transféré de l’enclave de Melilla vers l’Espagne métropolitaine. À la fin juillet 2015, avec l’aide de l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces et grâce à la délivrance à son attention, par le consulat du Mali à Madrid, d’une carte consulaire mentionnant sa date de naissance (10 mars 1999), l’auteur a obtenu une protection en tant qu’enfant non accompagné et a été envoyé dans une résidence pour mineurs et placé sous la garde des autorités espagnoles.

2.7L’auteur rappelle que la loi organique no 4/2015 relative à la protection de la sécurité publique a été adoptée par l’Espagne le 30 mars 2015 et est entrée en vigueur le 1er avril 2015. Il allègue que cette loi, en particulier sa dixième disposition additionnelle, qui définit le régime spécial dont bénéficient Ceuta et Melilla, légalise l’expulsion sommaire et sans discernement des étrangers qui franchissent la frontière sans envisager la situation des mineurs non accompagnés ni établir une quelconque procédure en vue de leur identification et de leur protection.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur déclare être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention en ce que l’État partie ne lui a pas apporté la protection à laquelle il avait droit en tant que mineur non accompagné privé de son milieu familial. Il dit que, lorsque la Guardia Civil l’a arrêté à Melilla le 2 décembre 2014, puis l’a menotté et remis aux autorités marocaines, elle n’a pas tenté d’établir son identité ni de déterminer s’il avait besoin d’une protection et ne lui a pas donné la possibilité d’exposer sa situation personnelle. Il affirme qu’aucun membre de la Guardia Civil n’a même cherché à savoir son nom ou son âge, ou à déterminer s’il était en situation de vulnérabilité, avant son expulsion vers le Maroc.

3.2L’auteur ajoute que, comme le Comité l’a fait observer, l’obligation qui incombe aux États d’apporter une protection et une aide spéciales aux enfants non accompagnés : a) ne peut être restreinte arbitrairement et unilatéralement, que ce soit en excluant certaines zones ou régions du territoire de l’État ou en définissant des zones ou régions particulières comme ne relevant pas ou ne relevant que partiellement de la juridiction de l’État ; b) s’applique également aux enfants qui passent sous la juridiction de l’État en tentant de pénétrer sur son territoire ; c) englobe l’obligation, pour l’État, de prendre aussitôt que possible toutes les mesures nécessaires pour déterminer si un enfant est non accompagné, notamment à la frontière ; d) prévoit qu’en cas d’incertitude, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé de sorte que, s’il est effectivement mineur, il soit traité comme tel.

3.3L’auteur allègue qu’il y a eu violation de l’article 37 de la Convention car les autorités espagnoles l’ont expulsé vers le Maroc sans autre forme de procès et, ce faisant, l’ont exposé au risque d’un préjudice irréparable. Il avance que l’État partie savait ou aurait dû savoir qu’en l’expulsant vers le Maroc et en le remettant aux forces de sécurité marocaines, il lui faisait courir le risque de subir des violences et des traitements cruels, inhumains ou dégradants et de vivre dans des conditions précaires, sans accès aux services de santé, à l’eau potable et à une nourriture suffisante, dans les campements informels de migrants du mont Gourougou. L’auteur affirme que, le jour de son expulsion, les traces des mauvais traitements et des violences que les forces marocaines lui avaient infligés (dents de devant endommagées) étaient visibles pour les membres de la Guardia Civil.

3.4Conformément au principe de non-refoulement, l’État partie aurait dû déterminer s’il existait des raisons raisonnables de penser que l’auteur courait un risque réel de subir un préjudice irréparable en cas de retour au Maroc avant de l’expulser sommairement. À cet égard, l’auteur précise que les autorités espagnoles auraient dû tenir compte de son âge et de son état de vulnérabilité, ainsi que des conséquences particulièrement graves qu’auraient pour lui une alimentation et des services de santé insuffisants.

3.5Enfin, l’auteur affirme que, par ses actions et ses omissions, l’État partie a systématiquement manqué à l’obligation qui lui est faite par l’article 3 de la Convention de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, en ce que : a) il n’a pas réfléchi à la manière dont sa politique et sa pratique consistant à procéder à des expulsions sommaires et sans discernement influent sur l’intérêt supérieur du groupe d’enfants non accompagnés qui se trouvent à Melilla, à la frontière entre l’Espagne et le Maroc, et notamment sur l’intérêt supérieur de l’auteur en tant que membre de ce groupe d’enfants ; b) il n’a pas admis l’auteur sur son territoire et n’a rien fait pour établir son l’identité, évaluer sa situation et lui accorder la protection due aux mineurs non accompagnés ; c) la Guardia Civil n’a pas tenu compte de la situation personnelle de l’auteur, qu’elle a arrêté, menotté et expulsé sommairement vers le Maroc sans envisager aucune autre option conforme à son intérêt supérieur.

3.6Selon l’auteur, l’État partie pourrait prendre les mesures de réparation suivantes : a) modifier ou abroger la loi organique no 4/2015 relative à la protection de la sécurité publique, en particulier la dixième disposition additionnelle, qui définit le régime spécial dont bénéficient Ceuta et Melilla, de sorte qu’elle soit pleinement conforme à la Convention et garantisse l’application d’une procédure d’identification des enfants à la frontière ; b) définir et mettre en œuvre un protocole spécial régissant l’intervention de la Guardia Civil à Melilla et à Ceuta et prévoyant des mesures concrètes en vue de l’identification et de la protection des enfants à la frontière ; c) accorder à l’auteur une indemnité financière et le faire bénéficier de toutes mesures de réadaptation nécessaires.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 30 août 2016, l’État partie précise qu’à son entrée sur le territoire espagnol, le 30 décembre 2014, l’auteur a déclaré s’appeler Y. D., et non D. D., être d’une autre nationalité et être majeur. Il soutient qu’il ne saurait être tenu responsable des faits survenus le 2 décembre 2014 pendant le bref moment où, à bon droit et dans le respect de l’obligation mise à leur charge par le droit international, les autorités espagnoles ont refoulé l’auteur, qui tentait de passer la barrière en force et de franchir illégalement la frontière. L’État partie ajoute qu’on ne saurait parler d’expulsion puisque l’auteur n’a pas réussi à entrer illégalement sur le territoire espagnol. Il précise que, le 2 décembre 2014, l’auteur n’était en possession d’aucun document d’identité, n’a pas échangé un seul mot avec la Guardia Civil, n’a à aucun moment dit être mineur et ne paraissait pas l’être. L’État partie avance qu’il est difficile de concevoir qu’une personne qui est parvenue à franchir des clôtures de 6 mètres de hauteur est mineure, sauf si elle le signale expressément ou si elle présente un document d’identité. Enfin, l’État partie indique que les cartes d’inscription au registre consulaire malien comme celle que l’auteur a présentée sont délivrées sans consultation préalable des registres officiels de l’État accréditant et sur la seule base du numéro d’identification des étrangers attribué par les autorités espagnoles.

4.2Étant donné que les faits seraient imputables aux autorités marocaines, l’État partie soutient que les dispositions de l’article 5 du Protocole facultatif rendent la communication irrecevable ratione loci.

4.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable ratione personae au regard de l’article premier de la Convention car l’auteur était âgé de 20 ans au moment des faits. Il allègue que l’auteur a déclaré être majeur en deux occasions : le 30 décembre 2014, au CETI de Melilla, et le 12 janvier 2015, au commissariat aux étrangers de Melilla. En ces deux occasions, l’auteur a été informé de ses droits dans une langue qu’il comprenait et a bénéficié gratuitement de l’aide d’avocats ; à en juger par son dossier administratif, il n’a pas prétendu être mineur. L’auteur n’a déclaré être mineur qu’à partir du moment où il a été en contact avec l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces, qui s’est chargée de demander en son nom une carte consulaire auprès du consulat du Mali à Madrid.

4.4L’État partie estime que la communication est irrecevable ratione materiae au motif que ni le droit d’asile ni le droit de protéger les frontières contre les entrées illégales sont couverts par la Convention.

4.5L’État partie estime également que la communication est irrecevable au regard de l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif au motif que tous les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que : a) l’auteur aurait pu demander l’asile aux pays de transit (Mauritanie et Maroc) ; b) l’auteur aurait pu demander l’asile à l’Espagne en se rendant au Bureau de la protection internationale du poste frontière de Beni Enzar, au lieu de tenter de franchir illégalement la frontière ; c) l’auteur aurait pu demander un visa afin de pouvoir séjourner et travailler légalement en Espagne ; d) une fois sur le territoire espagnol, l’auteur disposait de recours juridictionnels effectifs pour s’opposer à l’expulsion décidée par les autorités administratives.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires datés du 21 novembre et du 12 décembre 2016, l’auteur dit que, contrairement à ce qu’avance l’État partie, la présente communication ne concerne pas son droit d’obtenir l’asile en Espagne. Il réaffirme que la communication porte uniquement sur ce que les autorités espagnoles ont fait le 2 décembre 2014 pendant les quelques heures où il a relevé de leur juridiction.

5.2L’auteur soutient que la communication est recevable ratione loci étant donné qu’il s’est trouvé sur le territoire espagnol à partir du moment où il a franchi la première clôture du poste frontière de Mellila et qu’il était sous le contrôle effectif de membres de la Guardia Civil lorsqu’il a été arrêté, menotté et renvoyé au Maroc. Il souligne que, comme l’indiquent ses observations et la vidéo qu’il a présentée à titre de preuve, l’État partie a admis ces faits. Il avance que l’État partie ne saurait arbitrairement et unilatéralement restreindre les obligations mises à sa charge par la Convention en définissant des zones ou régions particulières comme ne relevant pas ou ne relevant que partiellement de sa juridiction. Il n’allègue pas que l’Espagne est responsable de la conduite et des actes des autorités marocaines, mais qu’elle savait ou aurait dû savoir comment celles-ci agissaient.

5.3L’auteur soutient que la communication est recevable ratione personae car le 2 décembre 2014, il était encore mineur, comme le prouve le passeport qui lui a été délivré par le consulat du Mali à Madrid le 3 octobre 2015. L’État partie a dûment traité l’auteur comme un enfant non accompagné dès qu’il a reçu notification et confirmation de son âge, en juillet 2015. À compter de ce moment, l’État partie a reconnu que l’auteur était mineur et de nationalité malienne et a assumé sa tutelle légale, comme l’attestent le certificat de tutelle de la Communauté de Madrid et le permis de séjour délivré à l’intéressé. Selon la doctrine de l’estoppel (non concedit venire contra factum proprium), l’État partie ne peut pas alléguer que l’auteur n’est pas mineur alors qu’il l’a déjà reconnu et traité comme tel.

5.4L’auteur soutient aussi que la communication est recevable ratione materiae en ce qu’il ne prétend pas au droit à l’asile.

5.5L’auteur réaffirme qu’il n’a pas pu épuiser les recours internes étant donné qu’il n’y avait pas de recours effectif à sa disposition, sachant que seuls sont effectifs les recours suspensifs. Selon lui, en effet, l’expulsion illégale entraînant immédiatement un préjudice irréparable, le recours doit avoir un effet suspensif pour être considéré comme effectif. L’auteur allègue que : a) avant son expulsion, il n’avait pas reçu d’arrêté ou de décision d’expulsion qu’il aurait pu contester devant une autorité administrative ou judiciaire, et comme son expulsion a été immédiate et sommaire, il n’a eu accès à aucune forme d’aide juridique susceptible d’avoir un effet suspensif ; b) après son expulsion, aucun recours utile, ni même possible, ne s’offrait à lui étant donné que la mesure avait déjà été mise à exécution. L’auteur allègue également que les recours mentionnés par l’État partie ne sont pas effectifs car aucun ne lui aurait permis d’obtenir réparation pour les atteintes portées à ses droits le 2 décembre 2014.

5.6L’auteur estime que son entrée sur le territoire espagnol le 30 décembre 2014 et les procédures d’immigration qui ont suivi ne sont pas des éléments à prendre en considération aux fins de l’examen de la présente communication.

Observations complémentaires des parties sur la recevabilité

6.1Dans ses observations datées du 22 mars 2017, l’État partie affirme que la personne qui est entrée sur le territoire espagnol le 30 décembre 2014 n’est pas l’auteur mineur qui recevait l’aide des autorités espagnoles. Il fait observer que le passeport présenté par l’auteur a été délivré le 3 octobre 2015 et comprend une photographie de celui-ci du temps où il résidait en Espagne et bénéficiait de l’assistance des services espagnols de protection de l’enfance. Selon l’État partie, il suffit de comparer la photographie qui figure sur le passeport de l’auteur (correspondant à D. D.) avec celle qui figure sur la fiche d’identité établie par le commissariat aux étrangers de Melilla (correspondant à Y. D., qui serait entré en Espagne le 30 décembre 2014) pour constater que l’auteur n’est pas la personne qui a franchi la barrière de Melilla le 30 décembre 2014. L’État partie soutient que tout immigrant qui franchit la barrière est identifié par les autorités espagnoles. En conséquence, si l’auteur avait franchi illégalement la barrière, il aurait été enregistré et immédiatement photographié par le commissariat aux étrangers de Melilla et à son arrivée au centre d’accueil temporaire de migrants. L’État partie allègue en outre que l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il avait participé à une tentative de passage en force de la frontière de Melilla et que la manière dont il était entré en Espagne n’était pas clairement établie. Selon lui, les faits ne peuvent être admis simplement parce que l’auteur déclare être mineur.

6.2L’État partie nie avoir renvoyé l’auteur au Maroc. Il allègue que rien ne prouve que l’auteur ait participé à une tentative pour franchir la barrière en force et passer illégalement la frontière, à plus forte raison aux dates indiquées dans la communication initiale.

7.1Dans ses commentaires datés du 5 mai 2017, l’auteur avance que la thèse de l’État partie n’est pas cohérente. Dans ses observations initiales, l’État partie allègue que l’auteur est la personne majeure qui a été enregistrée par le CETI et le commissariat aux étrangers de Melilla le 30 décembre 2014. Par contre, dans ses observations complémentaires, il avance que l’auteur n’est pas cette personne. L’État partie se contredit parce qu’il veut s’abstenir d’examiner la seule question sur laquelle porte la présente communication, à savoir l’expulsion sommaire de l’auteur, le 2 décembre 2014.

7.2L’auteur dit avoir présenté des photographies de l’expulsion du 2 décembre 2014 sur lesquelles il s’est reconnu. De plus, l’État partie admet que, le 2 décembre 2014, l’auteur a été renvoyé au Maroc par la Guardia Civil, et ne nie pas que l’intéressé est la personne figurant sur la vidéo à laquelle il fait référence. L’auteur affirme qu’il est bien la personne que le CETI a enregistrée sous le nom de Y. D. le 30 décembre 2014, expliquant que les noms de cette personne et de ses parents sont phonétiquement identiques à ceux figurant sur sa carte d’inscription au registre consulaire malien et que les différences constatées tiennent à la transposition de la langue orale bambara (sa langue maternelle) en langue espagnole. Il ajoute que la comparaison de photographies effectuée par l’État partie n’a aucune valeur probante et que l’Espagne pourrait vérifier qu’il est bien la personne enregistrée au CETI de Melilla le 30 décembre 2014 en comparant les empreintes digitales prélevées au CETI et celles qui figurent sur le registre des mineurs étrangers non accompagnés.

7.3L’auteur affirme que l’État partie ne peut mettre aucun recours effectif à sa disposition étant donné que c’est justement l’absence de tels recours qui rend possible la politique d’expulsions sommaires sans discernement adoptée par l’Espagne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

8.1Dans ses observations du 14 mai 2018, l’État partie reprend ses arguments concernant l’irrecevabilité ratione loci et ratione materiae et soutient que la communication dénature les faits car :

a)À la date de la soumission, les autorités espagnoles avaient déjà déterminé que l’auteur était mineur sur la seule base de son certificat de naissance, qui ne comporte certes aucune donnée biométrique, mais a été apprécié en tenant compte du fait que l’auteur avait l’apparence physique d’un mineur. L’État partie réaffirme que rien n’indique que l’auteur a franchi illégalement la barrière de Melilla ;

b)L’auteur prétend être confondu avec Y. D., qui a un nom et un prénom semblables au sien, mais est une personne majeure (née le 2 novembre 1994) de nationalité différente (burkinabé) qui a participé à un passage en force illégal de la barrière de Melilla au début du mois de décembre 2014. L’État partie allègue que Y. D. a été enregistré comme étant majeur au CETI de Melilla le 10 décembre 2015.

8.2L’État partie demande au Comité de mettre un terme à l’examen de la présente communication, conformément à l’article 26 de son règlement intérieur, au motif que les autorités espagnoles ont déterminé que l’auteur était un mineur placé sous la tutelle de la Communauté de Madrid et qu’à la date de la présentation de la communication, les droits de l’intéressé n’avaient pas été violés. L’État partie cite l’affaire R.  L. c. Espagne  , dans laquelle le Comité a décidé de mettre fin à l’examen de la communication parce qu’il avait été établi que l’auteur était déjà considéré et traité comme un mineur par les autorités espagnoles.

8.3Enfin, l’État partie affirme qu’il n’y a eu aucune violation de la Convention.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

9.1Dans ses commentaires du 31 juillet 2018, l’auteur reprend ses arguments sur la recevabilité et le fond de la communication. Selon lui, l’État partie aborde exclusivement des points de fait et ne se penche sur aucun des arguments relatifs aux violations alléguées de la Convention et des éléments de preuve visant à établir ces violations. En outre, dans chacune de ses observations, l’État donne une version différente des faits. On retiendra en particulier qu’il n’a présenté aucun élément permettant de démontrer que l’auteur est une personne différente de celle dont il a été établi qu’elle avait été expulsée le 2 décembre 2014 ; d’ailleurs, il dispose d’empreintes digitales relevées au CETI de Melilla enregistrées au nom de Y. D. et d’empreintes relevées dans les locaux du registre des mineurs étrangers non accompagnés enregistrées au nom de D. D. et ne les a pas comparées pour vérifier si elles appartenaient à la même personne. L’État partie ne saurait se servir du manque d’exactitude de son propre système d’enregistrement des personnes comme d’un argument contre l’auteur.

9.2L’auteur signale que le Comité a fait part à l’État partie de sa préoccupation quant à la pratique consistant à refouler automatiquement les enfants qui demandent une protection internationale dans les villes autonomes de Ceuta et de Melilla sans leur accorder les garanties nécessaires. Il ajoute que le Comité a prié instamment l’Espagne de « garantir une véritable protection juridique aux enfants non accompagnés sur l’ensemble de son territoire [et de] veiller à ce que le principe de non-refoulement soit appliqué et […] l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale », ainsi que de « mettre fin au refoulement automatique de certains enfants et [de] faire en sorte que toutes les procédures et les normes tiennent compte de leur statut d’enfant et soient conformes à la législation nationale et internationale ».

9.3L’auteur soutient que le raisonnement suivi par le Comité dans l’affaire R. L. c. Espagne  , relative à la détermination de l’âge d’un enfant non accompagné, n’est pas applicable en l’espèce. Selon lui, rien ne justifie que le Comité décide de ne pas examiner la présente communication.

Intervention de tiers

10.1Le 31 mai 2018, la Commission internationale de juristes, le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés, AIRE Centre et le Conseil néerlandais pour les réfugiés ont présenté une intervention en qualité de tierces parties.

10.2Les tierces parties signalent que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les mesures prises par un État pour empêcher des étrangers d’entrer sur son territoire ou les renvoyer vers un autre État constituaient un exercice de sa juridiction et engageaient sa responsabilité. Elles ajoutent que les obligations de l’État doivent être interprétées de manière à ne pas priver d’effet utile les droits consacrés par la Convention, sans préjudice des méthodes de contrôle employées par l’État à sa frontière et que, par conséquent, la question de l’entrée sur le territoire d’un État n’est pas décisive pour déterminer si un État exerce ou a exercé sa juridiction ou non.

10.3Les tierces parties soutiennent que l’État partie doit autoriser les enfants qui arrivent à ses frontières et qui relèvent de sa juridiction ou sont placés sous son contrôle effectif à entrer sur son territoire, l’entrée sur le territoire étant une condition préalable à l’évaluation initiale de la situation. Elles ajoutent que les enfants doivent avoir la possibilité de soulever des objections concrètes à leur refoulement éventuel, comme l’exigent les principes de non‑refoulement et d’interdiction des expulsions collectives. Elles signalent en outre que, conformément à la Convention, l’État partie doit permettre aux enfants d’entrer sur son territoire, cette entrée constituant une condition préalable à l’évaluation initiale nécessaire au respect des obligations qui lui incombent au titre des articles 3, 20 et 37 de la Convention.

Commentaires des parties sur l’intervention de tiers

11.Dans ses commentaires du 31 juillet 2018, l’auteur fait observer que l’intervention des tierces parties vient réaffirmer la portée et la teneur des obligations faites à l’État partie eu égard aux violations alléguées des articles 3, 20 et 37 de la Convention.

12.1Dans ses observations du 31 août 2018, l’État partie soutient que l’intervention des tierces parties repose sur des hypothèses erronées étant donné que toute personne souhaitant demander l’asile en Espagne peut le faire en dehors du territoire espagnol et sans intégrer une bande organisée pour franchir la barrière en force illégalement et dans la violence. L’article 51 de la Charte des Nations Unies (relatif au droit de légitime défense) et l’article 13 du Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (relatif à la prévention du franchissement non autorisé des frontières) donnent à l’Espagne le droit d’empêcher des étrangers d’entrer illégalement sur son territoire. L’État partie ajoute que, selon l’article 1 F c) de la Convention relative au statut des réfugiés, les dispositions sur le droit d’asile ne sont pas applicables aux personnes qui se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

12.2L’État partie soutient que le principe de non-refoulement ne s’applique que lorsque la personne vient d’un pays où elle court un risque de persécution, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il ajoute que, dans aucune des affaires portées devant les instances internationales pour des attaques menées contre la barrière de Melilla, les requérants n’ont prouvé qu’ils avaient été persécutés par les autorités marocaines. Ces personnes ont voulu franchir la frontière pour des motifs autres que ceux qui justifient le dépôt d’une demande d’asile en ce qu’elles ne tentaient pas d’échapper à la persécution.

12.3L’État partie soutient que, en application du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, les autorités espagnoles ont tout d’abord tenté de retrouver la famille du mineur étranger non accompagné, toute en prenant parallèlement les mesures tutélaires appropriées.

12.4L’État partie rappelle qu’un enfant qui n’a pas franchi le dispositif de protection de la frontière ne relève pas de la juridiction de l’Espagne. La Cour européenne des droits de l’homme a étendu la compétence extraterritoriale des États aux seuls cas dans lesquels les migrants n’ont pas la possibilité de demander à pouvoir entrer légalement sur leur territoire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

13.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable.

13.2Le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui soutient que la communication est irrecevable ratione personae au motif, d’une part, qu’après son entrée en Espagne l’auteur a d’abord déclaré être majeur et, d’autre part, que l’auteur n’est pas la personne qui est entrée en Espagne le 30 décembre 2014 et a été enregistrée sous le nom de Y. D. Le Comité constate cependant que les documents d’identité de l’auteur, à savoir son certificat de naissance, son passeport et sa carte d’inscription au registre consulaire malien, réputés valides jusqu’à preuve du contraire, démontrent que celui-ci était âgé de 15 ans au moment des faits, le 2 décembre 2014. Le Comité constate également que l’État partie a présumé que les documents susmentionnés étaient valides puisqu’il a délivré à l’auteur un permis de séjour et un certificat de tutelle légale de la Communauté de Madrid.

13.3En ce qui concerne la question de savoir si l’auteur est ou non la personne enregistrée par les autorités espagnoles, le Comité fait observer qu’aucun élément versé au dossier ne démontre de façon concluante que l’auteur n’est pas la personne qui a tenté d’entrer dans Melilla le 2 décembre 2014 dans les conditions décrites plus haut. Il estime que la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours le même accès aux éléments de preuve et l’État partie est dans bien des cas le seul à disposer des renseignements nécessaires. En l’espèce, le Comité estime que l’auteur a donné, preuves à l’appui, une version des faits crédible et cohérente. Le Comité fait en outre remarquer que l’auteur allègue que l’État partie aurait pu comparer ses empreintes digitales avec celles de la personne enregistrée sous le nom de Y. D. Il estime donc que la présente communication est recevable ratione personae.

13.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione loci au motif que les actes des autorités marocaines ne sont pas imputables à l’Espagne. Il constate toutefois que la présente communication porte uniquement sur ce que les autorités espagnoles ont fait le 2 décembre 2014, et non sur ce que les autorités marocaines ont fait. À cet égard, le Comité fait remarquer que l’auteur affirme avoir été arrêté par les forces de sécurité espagnoles à la hauteur de la troisième clôture du poste frontière de Melilla, puis avoir été menotté et renvoyé sur le territoire marocain. Dans ces circonstances et indépendamment de la question de savoir s’il est entré sur le territoire espagnol ou non, l’auteur s’est trouvé sous la juridiction ou le contrôle effectif de l’État partie. Le Comité estime par conséquent que la présente communication est recevable ratione loci.

13.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione materiae en ce qu’elle a trait au droit d’asile de l’auteur, droit qui ne relève pas de la Convention. Constatant toutefois que la présente communication porte sur des violations alléguées des droits que l’auteur tient des articles 3, 20 et 37 de la Convention et non sur son droit à l’asile, le Comité estime que la présente communication est recevable ratione materiae.

13.6Enfin, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, comme l’exige l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif, car : a) il n’a pas demandé l’asile dans les pays de transit ; b) il n’a pas demandé l’asile en Espagne au poste frontière de Beni Enzar ; c) il n’a pas demandé de visa de travail pour l’Espagne ; d) une fois en Espagne, il disposait de recours utiles pour contester la décision administrative d’expulsion. Le Comité constate que les arguments avancés aux points a), b) et c) par l’État partie tendent seulement à démontrer que l’auteur aurait pu demander l’asile ou un visa de travail avant d’entrer sur le territoire de l’État partie ; par conséquent, les démarches mentionnées ne peuvent être considérées comme des recours qui auraient permis de surseoir à l’expulsion de l’auteur. Il constate également qu’il ressort du dossier que, le 2 décembre 2014, l’auteur ne faisait pas l’objet d’un arrêté d’expulsion. En conséquence, il estime que, compte tenu du fait que, le 2 décembre 2014, l’auteur était sous le coup d’une expulsion imminente qu’il ne pouvait pas contester car elle n’avait pas été ordonnée par voie écrite, l’argument avancé par l’État partie au point d) n’a pas de sens puisque les recours mentionnés n’étaient ni disponibles ni utiles. Partant, le Comité estime que l’alinéa e) de l’article 7 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication.

13.7Étant d’avis que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 3, 20 et 37 de la Convention au regard de l’alinéa f) de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité déclare que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

14.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

14.2Le Comité doit déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, le renvoi de l’auteur par la Guardia Civil vers le Maroc, le 2 décembre 2014, a constitué une violation des droits que l’intéressé tient de la Convention. L’auteur soutient en particulier qu’en l’expulsant sommairement vers le Maroc, le 2 décembre 2014, sans avoir tenté d’établir son identité ni d’évaluer sa situation, l’État partie : a) ne lui a pas offert la protection et l’aide spéciales auxquelles il avait droit en sa qualité d’enfant non accompagné (art. 20) ; b) n’a pas respecté le principe de non‑refoulement et l’a exposé au risque d’être victime de violences et de traitements cruels, inhumains et dégradants au Maroc (art. 37) ; c) n’a pas pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3).

14.3Le Comité estime que l’obligation de fournir une protection et une aide spéciales aux enfants non accompagnés faite à l’État partie par l’article 20 de la Convention « s’applique également à l’égard des enfants qui passent sous sa juridiction en tentant de pénétrer sur son territoire ». Le Comité estime également que « [l’aspect] positif de ces obligations en matière de protection englobe l’obligation pour l’État de prendre aussitôt que possible toutes les mesures nécessaires pour déterminer si un enfant est non accompagné […], notamment à la frontière ». Compte tenu de ce qui précède, pour s’acquitter des obligations mises à sa charge par l’article 20 de la Convention et respecter l’intérêt supérieur de l’enfant, l’État partie doit impérativement, avant tout transfert ou renvoi, procéder à une évaluation consistant : a) à déterminer à titre prioritaire si l’intéressé est un mineur non accompagné, en lui accordant le bénéfice du doute en cas d’incertitude de sorte que, s’il est mineur, il soit traité comme tel ; b) à établir l’identité du mineur à l’issue d’un entretien initial ; c) à comprendre les besoins particuliers du mineur et à évaluer en quoi il est particulièrement vulnérable, le cas échéant.

14.4Le Comité estime que, pour s’acquitter des obligations qui lui incombent au titre de l’article 37 de la Convention et veiller à ce qu’aucun enfant ne soit soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’État partie est tenu de ne pas renvoyer un enfant « dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de dommage irréparable ». En conséquence, il estime qu’en application de l’article 37 de la Convention et à la lumière du principe de non‑refoulement, l’État partie a l’obligation d’évaluer au préalable si l’enfant risque de subir un dommage irréparable et d’être victime de graves violations de ses droits dans le pays vers lequel il va être transféré ou renvoyé, tout en tenant compte de son intérêt supérieur, notamment « des conséquences particulièrement graves pour [lui] d’une alimentation insuffisante ou d’une carence des services de santé ». En particulier, il rappelle que « dans le contexte de l’évaluation de l’intérêt supérieur et dans le cadre des procédures de détermination de [cet] intérêt […], [il y a lieu de garantir] aux enfants [l]e droit d’avoir accès au territoire, qu’ils aient ou non des documents et quels que soient les documents en leur possession, et le droit d’être dirigés vers les autorités chargées d’évaluer leurs besoins en matière de protection de leurs droits, les garanties de procédure leur étant assurées ».

14.5En l’espèce, le Comité constate que, le 2 décembre 2014 : a) l’auteur est arrivé en Espagne en tant qu’enfant non accompagné privé de son milieu familial ; b) l’auteur est resté plusieurs heures en haut d’une clôture du poste frontière de Melilla sans recevoir aucune assistance de la part des autorités espagnoles ; c) dès qu’il est descendu de la clôture, l’auteur a été arrêté, menotté et renvoyé directement au Maroc par la Guardia Civil; d) entre le moment où il est descendu de la clôture et celui où il a été renvoyé au Maroc, l’auteur n’a pas bénéficié d’une assistance juridique ni des services d’un interprète, qui lui auraient permis de communiquer ; il n’a pas fait l’objet d’une évaluation initiale visant à déterminer s’il était un enfant non accompagné et n’a pas été traité comme tel, comme cela doit pourtant être fait en cas de doute ; il n’a pas été identifié ni interrogé, notamment sur sa situation personnelle et les circonstances pouvant le rendre vulnérable.

14.6Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie, qui affirme que le principe de non-refoulement n’est pas pertinent en l’espèce puisqu’il ne s’applique que si la personne vient d’un pays où elle court un risque de persécution. Il rappelle toutefois que l’État partie est tenu de ne pas renvoyer un enfant « dans un pays s’il y a des motifs sérieux de croire que cet enfant sera exposé à un risque réel de dommage irréparable ». Il constate aussi qu’avant de renvoyer l’auteur au Maroc, l’État partie n’a pas établi son identité, ne l’a pas interrogé sur sa situation personnelle et n’a procédé à aucune évaluation préalable visant à déterminer l’existence d’un risque de persécution ou de préjudice irréparable dans le pays vers lequel il allait être renvoyé. Il estime que, compte tenu de la violence généralisée dans laquelle vivent les migrants dans la zone frontalière entre l’Espagne et le Maroc et des mauvais traitements dont l’auteur a été victime, le fait de ne pas avoir déterminé préalablement à l’expulsion si l’auteur risquait de subir un préjudice irréparable et de ne pas avoir pris en considération son intérêt supérieur constitue une violation des articles 3 et 37 de la Convention.

14.7Le Comité estime que, compte tenu des circonstances de l’espèce, le fait de n’avoir pas établi l’identité ni évalué la situation de l’auteur avant son expulsion alors qu’il était un mineur non accompagné et de ne pas avoir donné à l’intéressé la possibilité de s’opposer à son expulsion constitue une violation des droits garantis aux articles 3 et 20 de la Convention.

14.8Enfin, le Comité estime que la manière dont l’auteur a été expulsé constitue un traitement prohibé par l’article 37 de la Convention en ce que l’intéressé, mineur non accompagné privé de son milieu familial dans un contexte de migration internationale, a été arrêté et menotté sans avoir été interrogé ni avoir bénéficié de l’assistance d’un conseil ou des services d’un interprète et sans que ses besoins aient été pris en compte.

14.9Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi sont constitutifs d’une violation des articles 3, 20 et 37 de la Convention.

15.L’État partie est tenu d’accorder à l’auteur une réparation appropriée au préjudice subi, notamment sous la forme d’une indemnisation et de mesures de réadaptation. Il est également tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas, en particulier en modifiant la loi organique no 4/2015 relative à la protection de la sécurité publique, adoptée le 1er avril 2015. En outre, l’État partie est tenu de réviser la dixième disposition additionnelle de cette loi, portant sur le régime spécial de Ceuta et Melilla, qui autoriserait la pratique sans discernement des expulsions automatiques à la frontière.

16.Le Comité rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation de la Convention ou des deux Protocoles facultatifs thématiques s’y rapportant.

17.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande également à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publique la présente décision et à la diffuser largement.