Nations Unies

CRPD/C/26/D/79/2020

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

27 mai 2022

Français

Original : espagnol

Comité des droits des personnes handicapées

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 79/2020 * , **

Communication présentée par :

Jacinto Ferrer Manils (représenté par l’Observatori d ’ Habitatge i Turisme del Clot-Camp del l ’ Arpa)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

7 février 2020 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

24 mars 2022

Question(s) de fond : :

Expulsion d’un vieil homme handicapé sans évaluation des conséquences de cette mesure pour sa santé et son bien-être

1.L’auteur de la communication est Jacinto Ferrer Manils, de nationalité espagnole et âgé de 92 ans à la date de la lettre initiale, locataire pendant plus de quatre‑vingts ans d’un appartement à Barcelone. Il a soumis la communication en son nom propre. Il affirmait que la décision d’expulsion dont il faisait l’objet pour un prétendu manquement à son contrat de bail et qui devait être exécutée le mardi 11 février 2020 constituait une violation par l’État partie des droits qu’il tenait des articles 3, 11, 13, 15, 17 et 19 de la Convention. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention est entré en vigueur pour l’État partie le 3 mai 2008. L’auteur était représenté par un conseil.

2.L’auteur vivait dans un appartement dont il était locataire depuis 1960. L’auteur ayant tardé à payer son loyer en janvier 2018, la propriétaire de l’appartement avait engagé contre lui une procédure en expulsion pour manquement au contrat de bail, en affirmant que des mois plus tôt, elle lui avait notifié par burofax que le versement du loyer devrait être effectué dans les cinq premiers jours de chaque mois. Le 5 juin 2018, le juge de première instance avait décidé que les circonstances de l’affaire ne justifiaient pas l’application des dispositions prévues en cas de non-respect des obligations contractuelles, car avant l’admission de la requête présentée par la propriétaire, l’auteur avait payé le montant dû (dans un délai de moins de trente jours) et il était âgé de 90 ans. Bien qu’il eût déclaré avoir des difficultés à payer en temps voulu, l’auteur avait toujours payé et n’avait jamais manifesté la volonté de manquer à ses obligations. La propriétaire avait fait appel de cette décision. Le 17 juin 2019, l’Audiencia Provincial de Barcelone avait annulé la décision rendue en première instance. Elle avait considéré que les arguments de la juridiction de première instance n’étaient pas suffisants pour qu’il soit dérogé aux dispositions applicables et souligné que, par l’envoi du burofax, la propriétaire avait expressément demandé à l’auteur de respecter les délais de paiement. La décision rendue par l’Audiencia Provincial de Barcelone n’avait pas été contestée par l’auteur, qui n’aurait même pas été informé par son avocate commise d’office de la possibilité de former un recours. Le 20 janvier 2020, l’auteur avait fait l’objet d’une tentative d’expulsion qui, face à la résistance du voisinage, n’avait pas abouti. Les huissiers présents sur les lieux avaient décidé de reporter l’expulsion au mardi 11 février 2020.

3.L’auteur affirmait que la première tentative d’expulsion et l’expulsion prévue constituaient des violations du droit au respect de sa dignité qu’il tenait de l’article 3 a) de la Convention, car les juges de l’Audiencia Provincial n’avaient pas tenu compte de son état de grande dépendance ni de son degré d’incapacité physique (75 %) dans leur décision. Il affirmait aussi que l’usage excessif de la force qui avait été fait par les forces de sécurité pendant la tentative d’expulsion avaient incontestablement mis en péril son intégrité physique et sa stabilité émotionnelle, en violation de l’article 11 de la Convention. Il affirmait également que, compte tenu de l’inaction de son avocate commise d’office, qui n’avait pas exploité la possibilité de contester la décision de l’Audiencia Provincial, il n’avait pas bénéficié d’un accès à la justice dans des conditions d’égalité, en violation de l’article 13 de la Convention. Il affirmait en outre qu’il avait subi un traitement cruel, inhumain et dégradant, au motif que son état de grande dépendance et son handicap n’avaient pas été pris en considération dans l’examen de sa situation par les autorités judiciaires, en violation de l’article 15 de la Convention. Il alléguait que l’utilisation disproportionnée de la violence qui avait été faite en vue de l’expulser de son logement avait porté atteinte à son droit à l’intégrité de la personne, en violation de l’article 17 de la Convention. Enfin, l’auteur soutenait qu’il avait été porté atteinte à son droit de vivre de manière autonome, chez lui et selon sa volonté, en violation de l’article19 a) de la Convention. L’auteur avait exprimé à plusieurs reprises son souhait de vivre ses derniers jours chez lui. En cas d’expulsion, la seule possibilité pour lui aurait été d’aller dans une maison de retraite, ce qu’il ne voulait pas.

4.Le 7 février 2020, le Rapporteur spécial chargé des communications présentées au titre du Protocole facultatif, agissant au nom du Comité, a décidé d’enregistrer la communication et demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires de protection afin que l’auteur ne soit pas expulsé tant que la communication serait examinée par le Comité.

5.Le 8 juin 2020, l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable, étant donné que tous les recours internes n’avaient pas été épuisés, l’auteur n’ayant pas saisi les tribunaux nationaux des griefs formulés dans sa communication, et que la procédure d’expulsion avait été suspendue sine die.

6.Le 2 juillet 2020, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité.

7.Le 21 juillet 2021, l’État partie a informé le Comité du décès de l’auteur, le 2 novembre 2020, et du classement de l’affaire par les juridictions locales. De plus, il a demandé au Comité de mettre fin à l’examen de la communication, en l’absence d’autres parties intéressées.

8.Le 3 novembre 2021, Mme F. R., fille de l’auteur décédé, et l’Observatori d ’ Habitatge i Turisme del Clot-Camp del l ’ Arpa ont demandé que le Comité poursuive l’examen de la communication. Ils considéraient que l’État partie n’avait pas apporté de réponse satisfaisante aux allégations de violations des droits de l’homme que feu l’auteur de la communication avait formulées.

9.Le 24 mars 2022, le Comité, ayant examiné la demande de cessation de l’examen présentée par l’État partie, a considéré que le décès de l’auteur rendait la présente communication sans objet et décidé de mettre fin à son examen, conformément à l’article 74 de son règlement intérieur.