Nations Unies

CCPR/C/130/D/3593/2019

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 janvier 2021

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3593/2019 * , **

Communication p résentée par :

Daher Ahmed Farah (représenté par des conseils, Alexis Deswaef et Zakaria Abdillahi)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Djibouti

Date de la communication :

21 novembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 avril 2019 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

4 novembre 2020

Objet :

Dissolution d’un parti politique

Question(s) de procédure :

Statut de victime ; épuisement des recours internes ; abus de droit

Question(s) de fond :

Liberté d’expression ; liberté d’association ; activités politiques ; vote et élections

Article(s) du Pacte :

2, 3, 9, 14, 19, 22 et 25

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2, 3 et 5 (par. 2)

1.L’auteur de la communication est Daher Ahmed Farah, citoyen djiboutien né en 1962. Il prétend être victime d’une violation par l’État partie de ses droits protégés au titre des articles 2, 3, 19, 22 et 25 du Pacte, lus conjointement avec les articles 9 et 14. Djibouti a adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte le 5 novembre 2002. L’auteur est représenté par des conseils, Alexis Deswaef et Zakaria Abdillahi.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le Parti du renouveau démocratique, premier parti d’opposition à Djibouti fondé en septembre 1992, a été déclaré illégal par les autorités après la mort brutale et mystérieuse le 26 novembre 1996 de son président fondateur. Son nouveau président élu le 15 juillet 1997, en la personne de l’auteur, a été persécuté pour sa résistance à cette « délégalisation arbitraire ». Ainsi, il a été arrêté et incarcéré à la prison centrale de Gabode dès octobre 1997 pour « administration illégale d’un parti politique, organisation de manifestations illicites et diffusion de fausses nouvelles ». C’est à la faveur d’une courte accalmie consécutive à l’accord de réforme et de concorde civile signé le 12 mai 2001 entre le Gouvernement et le mouvement armé Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie que le Parti du renouveau démocratique a recouvré sa légalité, au prix toutefois d’un changement de nom : le 17 novembre 2002, le Parti du renouveau démocratique est devenu le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, l’auteur agissant en qualité de Président. Néanmoins, cette légalité retrouvée n’a pas mis fin aux persécutions du Mouvement, en tant que principal parti d’opposition, et de son président, comme en témoignent les arrestations et incarcérations de l’auteur en 2003, d’où son exil en Belgique en 2004, suivi, entre autres violations de leurs droits civils et politiques, de la dissolution arbitraire du Mouvement.

2.2Par décret no 2008-0167/PR/MID du 9 juillet 2008, le Président de la République de Djibouti a dissous le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement au motif qu’il avait « invité le Chef de l’État érythréen à envahir la République de Djibouti et à atteindre ainsi à l’indépendance nationale, à l’intégrité du territoire et à l’unité de l’État ».

2.3Le 30 novembre 2008, le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement a déposé une requête au greffe du Conseil du contentieux administratif sollicitant l’annulation du décret de dissolution, non notifié. Cette dissolution par décret présidentiel se basait sur un prétendu communiqué de presse du Mouvement daté du 6 juillet 2008 et publié depuis « Bruxelle » (sic), intitulé « Message adressé au Président de l’Erytree » (sic), qui s’avère un faux grossier et flagrant, dans lequel « Érythrée » et « Bruxelles » ne sont pas orthographiés correctement et contenant des informations erronées en date du 6 juillet 2008, quant aux combats entre Djibouti et l’Érythrée en juin 2008. Le 23 mai 2009, le Mouvement a porté plainte pour faux contre ce communiqué de presse, utilisé lors des débats par le représentant de l’État à la base du décret de dissolution.

2.4Après un échange de conclusions écrites entre l’État et le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, ainsi que le Commissaire du Gouvernement, le Conseil du contentieux administratif a rendu un arrêt le 20 mars 2010 par lequel la requête du Mouvement en annulation du décret de dissolution était déclarée irrecevable, puisqu’elle avait été introduite hors délai. Le Conseil a constaté qu’il n’était pas contesté par les parties en litige que le décret du 9 juillet 2008 avait été publié immédiatement au Journal officiel pour permettre à toute personne lésée d’exercer un recours.

2.5Le 13 mai 2010, le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement a déposé une requête aux fins de pourvoi devant la Cour suprême de Djibouti, en vue de casser et d’annuler l’arrêt du Conseil du contentieux administratif. Le mémoire ampliatif déposé par le Mouvement le 12 juillet 2010 a fait valoir le défaut de notification du décret de dissolution et a contesté l’affirmation du Conseil selon laquelle les parties n’avaient pas contesté la publication immédiate du décret au Journal officiel. La date exacte de la publication n’était pas connue, et le représentant de l’État n’avait produit aucune preuve de la notification au Mouvement de la décision de sa dissolution ou de la date exacte de publication du décret au Journal officiel, ni la date de sa mise en vente. Le Mouvement a fait valoir qu’il était récurrent à Djibouti que le Journal officiel soit édité de façon irrégulière et souvent publié avec plusieurs mois de retard. En tout état de cause, le Conseil du contentieux administratif n’a pas répondu sur le défaut de notification du décret présidentiel.

2.6La Cour suprême a rejeté le pourvoi le 19 mai 2013. Toutefois, l’auteur n’a jamais reçu l’arrêt de la Cour suprême. La réponse orale que son conseil ou lui-même recevaient à chaque demande ou démarche était inlassablement la même : « L’arrêt doit être dactylographié et vous sera notifié. ». À la suite d’une nouvelle démarche auprès du greffe de la Cour suprême, l’arrêt du 19 mai 2013 a été notifié au conseil de l’auteur en date du 18 avril 2018.

2.7Dans son arrêt du 19 mai 2013, la Cour suprême a retenu que le décret du 9 juillet 2008 était paru au Journal officiel ainsi que dans le journal La Nation du 10 juillet 2008, et que la notification faite par voie de presse − les deux journaux − était valable pour les aviser, puisqu’il s’agissait d’une mesure qui concernait non pas un individu particulier, mais un ensemble de personnes, dirigeants et adhérents, qui composait le parti en question. Par conséquent, la Cour suprême a fait application de l’article 11 du décret du 5 août 1881, selon lequel le recours contre une décision qui y ressort n’est pas recevable après le délai de trois mois à compter de la notification de ladite décision.

2.8L’auteur se trouve dans l’impossibilité de fournir la date exacte du Journal officiel dans lequel le décret du 9 juillet 2008 aurait été publié, car le Journal officiel ne paraît pas régulièrement à Djibouti. L’édition concernant la dissolution du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement a tellement tardé que l’auteur n’a pas eu d’autre choix que de chercher le décret ailleurs. C’est bien plus tard, en 2010, alors que son action en justice était déjà en cours, qu’il a trouvé la version en ligne du décret du 9 juillet 2008, laquelle mentionne que le décret a été publié dans le Journal officiel no 13 du 15 juillet 2008.

2.9Le décret n’a pas été publié entièrement dans le journal La Nation du 10 juillet 2008. Y manquaient l’en-tête officiel, les visas, la référence au rapport du Ministère de l’intérieur, la référence au prétendu message qu’aurait adressé le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement au Président de l’Érythrée ou encore la date du décret. En outre, l’article 3 du décret n’a pas été publié comme tel, mais comme un alinéa de l’article 2. En tout état de cause, le journal La Nation n’est pas l’organe légalement responsable de la publication des textes législatifs et réglementaires à Djibouti. Comme l’article 3 du décret du 9 juillet 2008 lui-même le précise, c’est au Journal officiel que ledit décret devait être publié, précision qui rappelle que c’est la publication au Journal officiel qui fait foi.

2.10Ne trouvant le Journal officiel ni en version papier ni en ligne − et devant la répression s’abattant sur lui au motif de la dissolution de son parti −, l’auteur a cherché un autre moyen d’obtenir une copie du décret. Cela a été possible grâce à une source du Ministère de l’intérieur, qui le lui a procuré de manière informelle, le 12 novembre 2008, soit trois jours avant la rédaction de son recours pour excès de pouvoir. C’est cette copie qu’il a versée au dossier de son action en justice. L’auteur fait valoir qu’en examinant cette copie, on peut constater que le décret présidentiel a été transmis − et donc notifié − au Ministère de l’intérieur dès le 10 juillet 2008, alors qu’il n’a jamais été notifié au Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement. Le décret a été notifié à l’institution publique qu’est le Ministère de l’intérieur pour exécution de la dissolution, mais non à l’organisation politique pourtant concernée au premier chef par la dissolution, soit le Mouvement.

2.11L’auteur se considère comme l’opposant le plus persécuté du pays. Pour la seule période de janvier 2013 à décembre 2014, il a été arrêté ou assigné à résidence plus de 23 fois, dont 6 incarcérations à la prison centrale de Gabode, connue pour ses dures conditions de détention. Depuis mars 2017, il est sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par les autorités judiciaires djiboutiennes.

2.12En mars 2017, une vague d’arrestations a été dirigée contre le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement pour « reconstitution d’un groupement dissous ». Sur la base de ce chef d’accusation clairement fondé sur la dissolution du Mouvement, le Secrétaire général du parti, le trésorier, deux cadres et deux militants ont été condamnés à deux mois de prison ferme par la chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Djibouti, en date du 28 mars 2017. Le 11 octobre 2017, la Cour d’appel de Djibouti a confirmé la condamnation, mais a réduit la peine de moitié. L’auteur n’a pu échapper à ces arrestations et emprisonnements que par son absence du pays, étant donné qu’il se trouvait alors en Belgique, où il séjourne encore.

Teneur de la plainte

3.1La dissolution du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement ainsi que les rejets des recours introduits dans l’ordre juridique interne, qui ne se basaient pas sur un examen au fond du dossier et s’apparentent à autant de dénis de justice, empêchent toute activité politique de l’auteur et violent ses droits civils et politiques garantis dans le Pacte, tels que son droit à la liberté d’expression (article 19), son droit à la liberté d’association (article 22) et son droit de mener une activité politique et d’être élu (article 25). Cette dissolution a été dénoncée par une résolution du Parlement européen datée du 15 janvier 2009.

3.2La conséquence du rejet des recours de l’auteur contre le décret de dissolution de son parti politique est qu’il ne peut plus faire usage de son droit à la liberté d’expression et d’association, ainsi que de son droit à mener une activité politique, car il en résulterait des poursuites pénales : il serait accusé entre autres de reconstitution d’un parti politique dissous. À cet égard, l’auteur invoque des arrestations des membres du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement en mars 2017 pour reconstitution d’un groupement dissous pour conclure que le risque est fort pour lui, qui est le Chef du parti, de subir le même sort que ses collègues s’il retourne à Djibouti.

3.3Dans ce contexte, l’auteur craint en permanence pour sa liberté et sa sécurité, risquant à tout moment de faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire, en violation de l’article 9 du Pacte, sans que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, en violation de l’article 14 du Pacte.

3.4Les éléments de fait et de droit démontrent que les autorités de l’État partie, en particulier le Président Ismaïl Omar Guelleh, entendent ainsi priver l’auteur et les autres membres du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement de la possibilité de participer aux prochaines échéances électorales et leur interdire toute activité politique. Les organisations de la société civile et les partis politiques d’opposition sont systématiquement empêchés de voir le jour ou d’exercer leurs activités statutaires, comme en témoignent les alertes, communiqués de presse et autres rapports des organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse ou encore le rapport annuel du Département d’État des États-Unis d’Amérique sur la situation des droits de l’homme à Djibouti, sans oublier les résolutions d’urgence du Parlement européen du 4 juillet 2013 et du 12 mai 2016. Pour un aperçu de la situation dans l’État partie sur le plan international, l’auteur se penche sur quelques classements internationaux, entre autres, en faisant valoir que Djibouti est classé 171e sur 190 pays au classement 2017 de Doing Business.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 20 octobre 2019, l’État partie a envoyé des observations sur la recevabilité et le fond, tout en commençant par un rappel des faits. En juin 2008, l’Érythrée a lancé une attaque armée contre l’État partie et occupé une partie de son territoire. L’auteur, qui a vu dans cette agression une occasion de prendre le pouvoir, a, depuis la Belgique, lancé un appel au nom du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, demandant à Isaias Afwerki, Président de l’Érythrée, de renverser le Président de Djibouti et son gouvernement. En réponse à cet acte de haute trahison, le Président de Djibouti a, par un décret en date du 9 juillet 2008, dissous le Mouvement pour avoir porté atteinte à l’indépendance nationale, à l’intégrité du territoire et à l’unité de l’État, en application des dispositions de l’article 13 de la loi no 1/AN/92/2e L du 15 septembre 1992 relative aux partis politiques. À l’issue d’une procédure judiciaire, la demande d’annulation du décret faite par le Mouvement a été déclarée irrecevable pour avoir été introduite hors délai.

4.2Concernant la recevabilité, l’État partie fait valoir que l’auteur non seulement n’a pas épuisé les recours internes disponibles, mais n’a même pas jugé opportun d’introduire une action en ce sens au niveau des juridictions nationales. Pour l’État partie, l’auteur ne semble pas faire la distinction entre lui, en tant que personne physique et auteur de la présente communication, et le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, qui a épuisé l’ensemble des voies de recours internes, parti dont il est le Président depuis sa création en 2002 et qui, conformément au droit national, jouit d’une personnalité juridique. D’ailleurs, dans sa communication, l’auteur reconnaît expressément la personnalité juridique du Mouvement en affirmant que celui-ci est un « parti qui est, en tant que personne morale, doté de droits et de devoirs ».

4.3De plus, l’auteur semble méconnaître les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif, selon lesquelles la communication ne doit être ni un abus de droit ni incompatible avec les dispositions du Pacte. L’État partie fait valoir que l’auteur, qui vit depuis 2003 en Belgique et possède la nationalité belge, ne s’est jamais présenté à une élection en qualité de candidat, qu’elle soit nationale ou locale, mais s’est davantage illustré par des comportements d’agitateur politique qui l’ont conduit à commettre des délits de droit commun et lui ont valu des poursuites judiciaires. Pour l’État partie, l’absence prolongée de l’auteur et ses attitudes répréhensibles démontrent qu’il veut nuire à l’image du pays et de ses dirigeants, en employant dans sa communication des termes injurieux, et ce, en avançant sans en apporter la moindre preuve que l’économie du pays « est aux mains du Chef de l’État et de sa famille ». Le choix des informations et des statistiques erronées qu’il produit montre clairement, s’il en est encore besoin, cette volonté de nuire. Par exemple, le rang de Djibouti au classement Doing Business est de 99 et non de 171, comme le prétend l’auteur.

4.4Au vu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité de ne pas examiner la présente communication, qui est contraire à l’esprit du Pacte et constitue de ce fait un abus manifeste de droit, conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.5Sur le fond, l’État partie délimite dans un premier temps le cadre national institutionnel, législatif et réglementaire pour respecter les dispositions du Pacte invoquées par l’auteur, ainsi que leur mise en œuvre effective sans distinction aucune à l’égard de ses citoyens.

4.6L’État partie considère qu’en l’espèce, il n’est point question de discrimination, car il a été reproché au Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement et à son président − l’auteur − la violation des textes régissant les partis politiques. Dans le paysage politique national, l’auteur n’a jamais subi de discrimination. Avec l’instauration du multipartisme intégral en 2002, il a, comme beaucoup d’autres concitoyens remplissant les conditions requises par la loi, formé son parti politique et pu exercer durant des années ses droits civils et politiques sans aucune entrave ou interdiction. D’ailleurs, l’auteur n’apporte aucune preuve quant à la discrimination subie par rapport à d’autres personnes se trouvant dans la même situation.

4.7Ensuite, relativement aux dispositions de l’article 14 du Pacte, le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement a eu accès à tous les degrés de juridiction en ce qui concerne le différend qui l’opposait à l’État partie en 2008. Pour ce qui est de la prétendue violation de l’article 19 du Pacte, l’État partie constate que l’auteur et son parti n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque interdiction ou restriction à l’exercice de leur liberté d’expression et d’opinion, et les invite à apporter les preuves des prétendues violations.

4.8Pour ce qui est de la prétendue violation de l’article 22 du Pacte, l’État partie fait valoir que l’auteur a toujours joui du droit de s’associer librement avec d’autres : en 1992, il a été membre fondateur du Parti pour le renouveau démocratique, en lice aux élections législatives et présidentielle de 1993 ; en 2002, il a créé librement avec d’autres le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement ; en 2003, il a créé avec les principaux partis politiques de l’opposition le groupement politique dénommé Union pour l’alternance démocratique, qui a participé aux élections législatives de la même année ; enfin, en 2013, il a formé librement et à nouveau avec d’autres partis le principal groupement politique de l’opposition dénommé Union pour le salut national, qui a participé aux échéances législatives de 2013 et a remporté 10 sièges à l’Assemblée nationale.

4.9Quant à la prétendue violation de l’article 25 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur, qui a soutenu des candidats de l’opposition à de nombreuses élections, a par ailleurs fait élire 10 candidats de son choix pour représenter l’Union pour le salut national aux élections législatives de 2013. L’auteur n’a jamais souhaité se faire élire personnellement au niveau national, notamment comme Président ou membre du Parlement, ou cherché à le faire. C’est en quittant le pays trois années seulement après la première alternance politique de 1999 que l’auteur a voulu volontairement et résolument se libérer de tous ses droits, notamment ceux de participer aux affaires publiques de son pays. L’auteur, en gardant sa nationalité belge, a renoncé sciemment à concourir aux différents mandats électifs nationaux.

4.10L’État partie conclut que l’auteur ne démontre à aucun moment en quoi il est directement et personnellement pénalisé par une législation, une réglementation, une politique ou une directive nationale qui serait en violation de ses droits garantis par le Pacte. Par conséquent, il réitère le caractère abusif de la communication, portée par un citoyen qui, par méconnaissance ou mauvaise foi, prétend être victime de pseudo-violations de ses droits civils et politiques.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 27 décembre 2019, l’auteur souligne que l’État partie n’apporte aucune preuve justifiant la dissolution du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement par décret présidentiel le 9 juillet 2008. Faute de preuves, il se limite à mettre en avant des textes de droit interne qui ne sont pas respectés dans la pratique et à formuler des affirmations erronées sur l’auteur. Par ses observations, l’État partie montre donc qu’il a arbitrairement dissous le Mouvement et qu’il empêche son président –− l’auteur − de participer à la vie politique du pays et aux échéances électorales auxquelles il souhaite se présenter comme candidat du Mouvement.

5.2Quant à l’affirmation de l’État partie qu’il serait « citoyen djibouto-belge, résidant depuis 2003 de manière permanente en Belgique », l’auteur précise qu’après maintes persécutions subies de la part des autorités de l’État partie, il a demandé l’asile en Belgique en 2004 − et non en 2003, comme le prétend l’État partie. Puis, il est rentré à Djibouti, où il a vécu de manière permanente du 13 janvier 2013 au 4 mars 2017, période au cours de laquelle il a été arrêté et/ou assigné à résidence plus de 23 fois, arrestations pour certaines suivies d’incarcérations à la prison centrale de Gabode, où il a été détenu 6 fois en 2013 et en 2014. L’auteur a également subi des tentatives d’assassinat, et une plainte qu’il a déposée pour assassinat est toujours pendante auprès du Procureur de la République près le Tribunal de première instance de Djibouti, sans aucune suite. Tout cela s’est produit en raison de son engagement politique. Depuis mars 2017, l’auteur réside à nouveau en Belgique car il est sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par les autorités judiciaires djiboutiennes basé sur l’article 152 du Code pénal. S’il rentre à Djibouti, il risque l’arrestation et le placement en détention.

5.3Concernant les raisons de la dissolution du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement avancées par l’État partie, l’auteur fait valoir que le seul document produit est la copie d’un faux grossier que les autorités djiboutiennes ont fabriqué pour les besoins de la dissolution du Mouvement, à motivation politique. Il semble que les autorités de l’État partie ont fabriqué ce faux pour occulter le vrai communiqué du Mouvement, qui appelait les deux États à régler le différend par le dialogue.

5.4Quant au défaut d’épuisement des recours disponibles et à la différence entre l’auteur en tant que personne physique et le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, l’auteur précise qu’il est persécuté en raison de ses activités politiques. En l’espèce, il est visé par les autorités en tant que Chef et Président du Mouvement. C’est lui qui est accusé − faussement − d’« avoir lancé un appel au nom du Mouvement […], demandant à Isaias Afwerki, Président de l’Érythrée, de renverser le Président de Djibouti et son gouvernement ». Et c’est sur la base de ces fausses accusations que le Mouvement a été dissous, dissolution que la direction du parti dont il est le dirigeant a contestée devant tous les degrés de juridiction à Djibouti. En tant que Président du Mouvement, l’auteur a donc épuisé toutes les voies de recours internes à Djibouti.

5.5Les délits de droit commun auxquels l’État partie fait référence sont en réalité des actes de répression politique du pouvoir contre l’auteur. Ils portent pour noms : direction et administration illicites d’un parti politique, manifestations illégales, troubles à l’ordre public, atteinte au moral de l’armée, diffusion de fausses nouvelles, diffamation par voie de presse, etc.

5.6De même, affirmer que l’auteur ne s’est jamais présenté à des élections à Djibouti est une contre-vérité. Il s’est présenté aux législatives du 10 janvier 2003 sous la bannière de l’Union pour l’alternance démocratique. Il était deuxième candidat de la liste pour la principale circonscription électorale − celle de la capitale djiboutienne − avec alors 37 sièges à briguer. L’Union a rejeté les résultats de ces élections entachées de lourdes fraudes, qui ont permis au pouvoir en place de reconduire une assemblée nationale monocolore. Sur ce plan électoral, et au-delà des fraudes lors des scrutins, il est curieux de constater que l’interdiction gouvernementale faite aux détenteurs d’une double nationalité de briguer un mandat parlementaire est intervenue quelques semaines seulement après l’obtention de la nationalité belge par l’auteur, en décembre 2007. Comme prévu, cela empêche − depuis le 7 janvier 2008 − l’auteur et les autres opposants qui ont acquis une double nationalité en exil de se présenter aux élections législatives djiboutiennes.

5.7Quant aux autres attaques contre sa personne de la part de l’État partie, l’auteur précise que le rang de Djibouti au classement Doing Business de 2017 est bien le 171e, et non le 99e. Sur l’autre point, si le Président Guelleh conteste contrôler directement ou indirectement l’économie du pays, l’auteur l’invite à consentir à une simple enquête indépendante sur le sujet. Ce n’est donc pas l’auteur qui produit « des informations et des statistiques erronées » et qui est animé d’une « volonté de nuire ».

5.8Sur le fond, l’auteur affirme que le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement et lui-même n’ont violé aucun texte légal, puisqu’ils ont été ciblés par l’État partie sur la base d’un faux grossier que les autorités n’osent pas produire, sauf sous la forme d’une copie qu’il suffit d’examiner sommairement pour comprendre qu’elle est issue d’un original grossièrement monté. Pour l’auteur, ce montage grossier est la raison pour laquelle l’original du document sur lequel la dissolution du Mouvement a été fondée n’a jamais été versé au dossier judiciaire depuis le début de l’affaire, et est aujourd’hui caché au Comité.

5.9Au contraire de ce qu’affirme l’État partie, l’auteur a subi toutes sortes de discriminations depuis qu’il s’est engagé en politique en 1992. Professionnellement, il a été privé de son emploi de journaliste en septembre 1992, et l’école privée qu’il a créée en 1994 a subi une fermeture illégale en 1996. Sur le plan familial, son épouse a été révoquée de son emploi de fonctionnaire en 2001, et son frère a été privé la même année de son emploi de fonctionnaire au Ministère des finances. Sur le plan politique, il ne compte plus les arrestations, détentions, assignations à domicile, confiscations de biens et autres tentatives d’assassinat dont il a fait l’objet.

5.10Si le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement a pu proposer des candidats aux législatives du 22 février 2013, après dix ans de boycott électoral par l’opposition pour dénoncer l’absence d’élections libres et démocratiques à Djibouti, ce n’a pas été sous son nom, car le parti était interdit, mais sous l’appellation d’une coalition d’opposition − l’Union pour le salut national − créée par trois partis d’opposition encore légaux à l’époque.

5.11Sur le terrain de l’article 19 du Pacte, l’auteur fait valoir que le journal du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement était régulièrement visé par la répression des autorités djiboutiennes, et que lui-même a connu la prison en raison de son travail journalistique. Le site Web du Mouvement, sur lequel la version électronique du journal paraissait, reste bloqué à ce jour.

5.12Pour ce qui est de l’article 22 du Pacte, l’auteur souligne que c’est parce qu’il est politiquement engagé, déterminé et actif qu’il est une cible privilégiée des agissements discriminatoires et répressifs du pouvoir djiboutien. Ainsi, ses arrestations à motivation politique ont débuté avec ses activités au sein du Parti du renouveau démocratique et se sont poursuivies avec le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement ainsi que les coalitions successives.

5.13Enfin, l’auteur considère que le raisonnement de l’État partie sur le terrain de l’article 25 du Pacte revient à conditionner le bénéfice de cet article à un « souhait », à un « engagement » ou encore à une « détermination » d’un citoyen. De même, le fait que l’article 24 de la Constitution dispose que tout candidat à l’élection présidentielle ne doit détenir que la nationalité djiboutienne ne peut justifier a priori une interdiction de participation d’un candidat, vu que le candidat en question pourrait en temps utile renoncer à sa seconde nationalité pour se conformer à cet article.

5.14Par conséquent, l’auteur demande que soit assuré le droit de réunion pacifique et d’association du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, qu’il préside, et qui doit pouvoir participer pleinement et en toute légalité à la vie politique du pays et aux élections à venir, notamment l’élection présidentielle prévue en 2021.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui semble contester la qualité de victime de l’auteur en arguant que celui-ci ne fait pas la distinction entre sa qualité de personne physique et celle de personne morale du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement. La dissolution du Mouvement, en tant que personne morale, n’aurait ainsi pas d’incidence sur les droits que l’auteur pourrait tirer du Pacte. À ce propos, le Comité rappelle que le fait que sa compétence pour recevoir et examiner des communications soit restreinte aux seules communications soumises par un individu ou au nom d’un individu n’empêche pas un tel individu de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation de ses propres droits. Le Comité note qu’en l’espèce, l’auteur agit à titre personnel et se déclare victime de violations de droits individuels qu’il tient du Pacte, violations qui seraient la conséquence directe de son rôle au sein du Mouvement. Le Comité note également que l’auteur aurait été personnellement touché, et notamment accusé de reconstitution d’un parti politique dissous, qu’il présidait, et placé sous un mandat d’arrêt par les autorités judiciaires djiboutiennes. Le Comité considère donc que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

6.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que le parti de l’auteur a introduit le 30 novembre 2008 une action auprès du Conseil du contentieux administratif, en vue de l’annulation du décret de dissolution, et que cette action a été rejetée pour avoir été introduite hors délai. L’action du parti devant la Cour suprême a également été rejetée en 2013. Étant donné les conséquences de cette procédure sur les droits dont l’auteur allègue la violation, le Comité estime que cette question est liée à la substance des griefs soulevés par l’auteur et décide donc de l’examiner sur le fond. Le Comité estime, par conséquent, que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.5Le Comité note que l’État partie a également soulevé un abus de droit de la part de l’auteur, du fait que ce dernier ne s’est jamais présenté à une élection en qualité de candidat ; qu’il aurait employé dans sa communication des termes injurieux en affirmant sans en apporter la moindre preuve que l’économie de l’État partie « est aux mains du Chef de l’État et de sa famille » ; et qu’il a produit des statistiques erronées. Le Comité note d’abord que l’État partie se contente d’affirmer que les propos de l’auteur seraient injurieux sans fournir aucun détail ni aucune explication à cet égard. Par conséquent, il considère que l’État partie n’a pas suffisamment étayé ses allégations.

6.6En ce qui concerne les prétendues informations erronées présentées par l’auteur, le Comité note, d’une part, qu’un décret présidentiel publié au Journal officiel mentionne expressément le nom de l’auteur comme participant aux élections législatives du 10 janvier 2003 et, d’autre part, que l’auteur mentionne clairement le classement Doing Business de 2017, en fournissant l’adresse Internet du rapport qui confirme ses dires (voir note de bas de page no 12), alors que l’État partie l’accuse d’une « volonté de nuire » en se référant au classement Doing Business de 2019. Par conséquent, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré quelles informations erronées auraient été présentées par l’auteur, et estime que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité note que l’auteur a également soulevé une violation des articles 9 et 14 du Pacte du fait qu’il risque à tout moment de faire l’objet d’une détention arbitraire sans que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal. Le Comité observe le caractère éventuel et futur de cette allégation, et rappelle que selon l’article 2 du Protocole facultatif, une communication peut être présentée par tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles. Les deux conditions n’étant pas réunies en l’espèce, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend ensuite note des allégations de l’auteur selon lesquelles les droits qu’il tient des articles 2 et 3 du Pacte ont été violés par l’État partie. L’auteur se contente de citer ces articles du Pacte sans expliquer les raisons pour lesquelles il estime que ces droits ont été violés. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité estime en revanche que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs formulés au titre des articles 19, 22 et 25 du Pacte sur son droit à la liberté d’expression et d’association, ainsi que son droit de mener une activité politique et d’être élu. Il déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer principalement si la dissolution du parti dont l’auteur est à la fois membre et Président constitue une ingérence dans son droit à la liberté d’association prévu par l’article 22 du Pacte. Le Comité note que, selon les informations communiquées par l’auteur, qui ne sont pas contestées par l’État partie, le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement a été enregistré le 17 novembre 2002 auprès du Ministère de l’intérieur et dissous par décret présidentiel le 9 juillet 2008. À ce propos, le Comité fait observer que le droit à la liberté d’association ne comprend pas uniquement le droit de créer une association, mais garantit aussi le droit de cette association d’accomplir librement les activités pour lesquelles elle a été créée. La protection conférée par l’article 22 du Pacte s’étend à toutes les activités d’une association, et la dissolution d’une association doit satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 2 de cet article. Vu que les partis politiques représentent une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie, et compte tenu des conséquences graves qui en découlent en l’espèce pour l’auteur, le Comité conclut que la dissolution du Mouvement constitue une ingérence dans la liberté d’association.

7.3Le Comité doit donc déterminer si une telle ingérence était justifiée. Il relève que, conformément à l’article 22 (par. 2) du Pacte, pour être justifiée, toute restriction à la liberté d’association doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes : a) elle doit être prévue par la loi ; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2 ; et c) elle doit être nécessaire dans une société démocratique pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une « société démocratique » indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le Gouvernement ou la majorité de la population, sont un des piliers d’une société démocratique. Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit à la liberté d’association ne suffit pas, en particulier en ce qui concerne l’activité des partis politiques. L’État partie doit en outre montrer que l’interdiction d’une association est nécessaire pour écarter une menace réelle, et non pas seulement une menace hypothétique, pour la sécurité ou l’ordre démocratique, que des mesures moins restrictives seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif et que la restriction imposée est proportionnée à l’intérêt à protéger.

7.4En l’espèce, le Comité note qu’il n’est pas contesté que la dissolution du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement était fondée sur une prétendue atteinte à l’indépendance nationale, à l’intégrité du territoire et à l’unité de l’État, prévue par l’article 13 de la loi no 1/AN/92/2e L relative aux partis politiques. Dès lors, l’ingérence était prévue par la loi. Il incombe donc au Comité d’évaluer si cette restriction poursuit un but légitime, et est nécessaire à l’obtention de ce but, proportionnée et non-discriminatoire.

7.5Le Comité note que, selon l’État partie, l’ingérence litigieuse est fondée sur un appel de l’auteur, au nom du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, destiné au Président d’un pays qui avait attaqué et occupé une partie du territoire de l’État partie, afin de renverser le Président de Djibouti et son gouvernement. De son côté, l’auteur conteste avoir fait cet appel et affirme qu’il s’agit d’une fausse allégation fabriquée par les autorités afin d’interdire toute activité politique du Mouvement en tant que principal parti d’opposition. Compte tenu de la sévérité de la mesure de dissolution d’un parti politique, le Comité est appelé à déterminer si l’État partie fait la preuve de l’existence d’une menace réelle.

7.6Le Comité note d’abord que le parti fondé par l’auteur a contesté l’authenticité du document qui a constitué la base du décret présidentiel de dissolution, en introduisant à la fois une action en annulation du décret ainsi qu’une requête aux fins d’inscription de faux. L’action en annulation du décret engagée par le parti a été déclarée irrecevable faute d’avoir été introduite dans les délais, sans qu’une analyse de l’authenticité du document soit faite par les juridictions nationales. Pourtant, le Comité ne peut s’empêcher d’observer que même si l’action a été jugée hors délai alors que le parti invoque un faux grossier et un défaut de notification, aucune des deux juridictions nationales (Conseil du contentieux administratif et Cour suprême) ayant analysé l’affaire n’a clairement indiqué le moment exact auquel le décret aurait été publié au Journal officiel, ni la raison pour laquelle il avait été communiqué aux autorités, mais pas au parti concerné par la dissolution. À cet égard, le Comité note d’une part que le décret précise qu’il sera publié au Journal officiel, et d’autre part qu’il n’a pas été publié intégralement dans le journal La Nation ; or, ce défaut de communication a entravé la possibilité du parti de se défendre contre cette mesure d’une sévérité extrême.

7.7Le Comité note l’absence de réponse de l’État partie aux allégations centrales de l’auteur devant le Comité : la date de la publication et de la notification du décret présidentiel, ainsi que les raisons pour lesquelles les autorités ont attribué le document incriminé au parti de l’auteur, en l’absence d’authentification par signature ou tampon. Conformément à l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’examiner de bonne foi toutes les allégations de violation du Pacte présentées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.

7.8Le Comité considère que l’analyse par les juridictions nationales de la prise de connaissance effective de l’intégralité du décret de dissolution ainsi que le raisonnement laconique au terme duquel ces juridictions ont statué sur les motifs invoqués par le parti ne remplissent pas les exigences d’un examen minutieux des droits en cause, compte tenu de l’enjeu particulièrement important pour une société démocratique. À cela s’ajoute le délai manifestement déraisonnable de cinq ans au terme duquel la Cour suprême a notifié au conseil de l’auteur l’arrêt final du 19 mai 2013.Tous ces éléments forgent la conviction du Comité que, concernant la dissolution du Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement, parti fondé par l’auteur, l’État partie n’a pas apporté la preuve de l’existence d’une menace réelle pour la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Dans ces circonstances, le Comité conclut que l’auteur, en tant que Président du Mouvement dissous, a été victime d’une violation de l’article 22 du Pacte.

7.9Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 19 du Pacte, dans son observation générale no 34 (2011), le Comité souligne au paragraphe 4 que la liberté d’expression est une partie intégrante de l’exercice du droit de réunion et d’association. Cette exigence est particulièrement nécessaire pour assurer le fonctionnement des partis politiques dans une société démocratique. Le Comité rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise certaines restrictions qui doivent être fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions aux droits garantis par l’article 19 du Pacte sont nécessaires et proportionnées. Enfin, le Comité rappelle qu’aucune restriction à la liberté d’expression ne doit être trop large, ce qui signifie qu’elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et qu’elle doit être proportionnée à l’intérêt à protéger. En l’espèce, étant parvenu à la conclusion d’une violation de l’article 22 du Pacte en raison du fait que l’État partie a échoué à fournir la preuve de l’existence d’une menace réelle à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à l’ordre public, ou de la nécessité de protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui, le Comité constate que les mêmes faits révèlent également une violation de la liberté d’expression de l’auteur, telle que la consacre l’article 19 du Pacte.

7.10Enfin, le Comité note que l’auteur invoque une violation des droits qu’il tient de l’article 25 du Pacte de mener une activité politique et d’être élu. Le Comité rappelle que l’article 25 du Pacte consacre et protège le droit de tout citoyen de participer à la direction des affaires publiques, le droit de voter et celui d’être élu, et le droit d’avoir accès à la fonction publique. Quelle que soit la forme de la constitution ou du gouvernement qu’adopte un État, l’exercice de ces droits par les citoyens ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs prévus par la loi, et qui soient raisonnables et objectifs. Le Comité rappelle aussi qu’il faut que les droits garantis aux articles 19, 21 et 22 du Pacte soient pleinement respectés, notamment la liberté de se livrer à une activité politique, à titre individuel ou par l’intermédiaire de partis politiques et autres organisations, la liberté de débattre des affaires publiques, de tenir des manifestations et des réunions pacifiques, de critiquer et de manifester son opposition, de publier des textes politiques, de mener campagne en vue d’une élection et de diffuser des idées politiques. Il rappelle enfin que le droit à la liberté d’association, qui comprend le droit de constituer des organisations et des associations s’intéressant aux affaires politiques et publiques, est un élément accessoire essentiel pour les droits protégés par l’article 25 du Pacte.

7.11À cet égard, le Comité rappelle les allégations de l’auteur selon lesquelles les membres de sa famille et lui-même ont été persécutés en raison de son engagement politique, ce qui a conduit dans son cas à de nombreuses arrestations et à autant d’emprisonnements pour des motifs liés à ses activités en tant que membre de l’opposition politique. Outre les cas d’arrestation et d’emprisonnement en octobre 1997 et de nombreuses fois en 2003, l’auteur affirme qu’entre janvier 2013 et décembre 2014, il a été arrêté ou assigné à résidence plus de 23 fois, dont 6 incarcérations à la prison centrale de Gabode. Le Comité note que l’État partie n’a pas nié ces allégations ni offert d’explication sur les raisons pour lesquelles l’auteur a été arrêté et détenu à plusieurs reprises. Dans ces circonstances, le Comité se doit d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Étant parvenu à la conclusion d’une violation de l’article 22 du Pacte, et compte tenu des faits qui étayent l’allégation de l’auteur selon laquelle il a été persécuté en raison de ses activités en tant que membre d’un parti d’opposition, le Comité constate que les mêmes faits impliquent que l’auteur a été également privé de la possibilité de participer à la direction des affaires publiques, entraînant donc une violation des droits qu’il tire de l’article 25 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 19, 22 et 25 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour : a) annuler le décret présidentiel du 9 juillet 2008 ; b) permettre à l’auteur de poursuivre librement son activité politique et considérer la possibilité de réenregistrer le Mouvement pour le renouveau démocratique et le développement ; c) permettre à l’auteur de participer aux élections ; et d) fournir à l’auteur une indemnité adéquate et des mesures de satisfaction appropriées. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.