Nations Unies

CCPR/C/135/D/3809/2020

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 août 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3809/2020 * , ** , ***

Communication soumise par :Gulnaz Agadai kyzy Alieva

Victime (s) présumée (s) :Aykhan Elbai ogly Aliev

État partie :Ukraine

Date de la communication :25 mai 2020 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 26 août 2020 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :26 juillet 2022

Objet :Impossibilité de faire réexaminer une peine de réclusion criminelle à perpétuité ; procès équitable ; discrimination

Question(s) de procédure :Fondement des griefs

Question(s) de fond :Torture, traitement inhumain et dégradant ; garanties d’un procès équitable ; discrimination

Article(s) du Pacte :7, 14 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :2

1.L’auteure de la communication est Gulnaz Agadai kyzy Alieva. Elle soumet la communication au nom de son fils, Aykhan Elbai ogly Aliev, de nationalité azerbaïdjanaise, né en 1979. M. Aliev purge une peine de réclusion criminelle à perpétuité à Krivoï Rog (Ukraine). L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits que son fils tient des articles 7, 14 (par. 1) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 octobre 1991.

Exposé des faits

2.1Le 3 février 2005, M. Aliev a été reconnu coupable de crimes visés aux articles 115 (par. 1, 2 et 13) et 358 (par. 3) du Code pénal (meurtre, meurtre commis en récidive et usage de faux) et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par un arrêt rendu par la cour d’appel de la région de Dniepropetrovsk (Ukraine) en premier ressort. La condamnation a été confirmée par la Cour suprême le 31 mai 2005 et est ainsi devenue exécutoire. Le 12 mars 2019, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2) (requête no 41216/13), qui concernait la condamnation de Volodymyr Sergiyovych Petukhov à la réclusion criminelle à perpétuité. La Cour a conclu que le requérant avait été victime d’une violation des droits garantis à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) au motif que le droit ukrainien ne permettait pas aux condamnés à perpétuité de demander une réduction de peine. Compte tenu de la nature de la violation constatée, la Cour a demandé à l’État partie de réformer le mécanisme d’examen du régime de la perpétuité réelle afin que, conformément aux normes établies dans sa jurisprudence, les autorités examinent au cas par cas si le maintien en détention est justifié et légitime d’un point de vue pénologique et les condamnés à une peine de perpétuité réelle puissent savoir ce qu’ils doivent faire pour pouvoir bénéficier d’une libération et quelles sont les conditions à remplir.

2.2À une date non précisée, M. Aliev a pris connaissance de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme concernant la requête introduite par M. Petukhov. Le 30 juillet 2019, conformément à l’article 539 du Code de procédure pénale, il a demandé au tribunal municipal de district de Romny, dans la région de Soumy (Ukraine), de commuer sa peine de réclusion criminelle à perpétuité en peine d’emprisonnement de durée déterminée, invoquant l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 28 de la Constitution ukrainienne. À l’appui de sa demande, il s’est référé à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2).

2.3Dans la requête soumise au tribunal municipal de district de Romny, M. Aliev s’est expressément référé à l’article 87 (par. 1) du Code pénal, qui donne au Président le droit de grâce. Conformément à l’article 87 (par. 2) du Code pénal, une peine de réclusion criminelle à perpétuité peut être commuée en peine d’emprisonnement de vingt-cinq ans ou plus par le truchement de la grâce présidentielle. Selon les règles relatives à la grâce contenues dans le décret no 223/2015 du 21 avril 2015, le condamné à perpétuité peut présenter une demande de grâce présidentielle après avoir purgé au moins vingt ans de sa peine. La demande de grâce présidentielle est examinée à la lumière des considérations suivantes : a) la gravité du crime ; b) la durée de la peine déjà purgée ; c) la personnalité et le comportement du condamné et l’éventuelle expression de remords sincères ; d) la mesure dans laquelle le préjudice causé a été réparé ; e) la situation familiale du condamné et les autres circonstances personnelles ; f) l’avis de l’administration pénitentiaire, des institutions publiques et d’autres entités sur l’opportunité de la grâce. M. Aliev a fait valoir que la procédure de grâce présidentielle qui permettait aux condamnés à perpétuité de bénéficier d’une libération anticipée sous certaines conditions était incompatible avec l’interprétation que la Cour européenne des droits de l’homme avait faite de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, selon l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Vinter et autres c. Royaume ‑ Uni, dans le contexte de la réclusion criminelle à perpétuité, l’article 3 de la Convention doit être interprété comme exigeant que la peine puisse être réduite, en ce sens que les autorités doivent pouvoir la réexaminer et déterminer si l’évolution du condamné et les progrès réalisés par celui-ci sur la voie de la réinsertion sont tels que la poursuite de l’incarcération n’est plus justifiée par des motifs pénologiques légitimes.

2.4En outre, selon l’arrêt que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu le 20 mai 2014 dans l’affaire László Magyar c. Hongrie, la grâce présidentielle ne permet pas en soi (c’est-à-dire si elle ne s’accompagne pas de la possibilité d’une libération conditionnelle) au détenu de savoir ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et quelles conditions doivent être remplies pour qu’elle le soit. D’après la Cour, le mécanisme de la grâce ne garantit pas que l’évolution du détenu et les progrès accomplis par celui-ci sur la voie de la réinsertion, aussi importants soient-ils, seront dûment pris en compte. L’auteur fait valoir que la législation ukrainienne n’exige pas que le Président justifie le refus d’accorder la grâce et ne précise pas ce qu’un condamné à perpétuité doit faire pour bénéficier de cette mesure. Par conséquent, la possibilité de libération d’un condamné à perpétuité dans le cadre d’une mesure de clémence ne suffit pas en soi à garantir le respect de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur soutient que la possibilité pour un détenu purgeant une peine de réclusion criminelle à perpétuité de bénéficier d’une grâce ou d’une mise en liberté pour des raisons d’humanité ne correspond pas à ce que recouvre l’expression « perspective de libération », qu’une peine de réclusion criminelle à perpétuité doit être compressible et que pour déterminer si, dans un cas donné, une peine de réclusion criminelle à perpétuité peut être réputée compressible, la Cour recherche si on peut considérer que le condamné a des chances d’être libéré.

2.5À l’appui de la demande de commutation de peine qu’il a soumise au tribunal municipal de district de Romny, M. Aliev a fait valoir les arguments suivants : a) entre le 25 avril 2004 et le 30 juillet 2019, période pendant laquelle il était en garde à vue puis incarcéré, il n’avait pas commis de crime ; b) à compter du 14 avril 2009, il avait participé à divers programmes éducatifs et programmes d’éveil à la spiritualité ; c) entre le 31 mai 2005 et le 30 juillet 2019, période pendant laquelle il purgeait sa peine, il n’avait pas pu travailler à cause des restrictions que la loi ukrainienne impose en ce qui concerne l’emploi des condamnés à perpétuité ; d) entre le 31 mai 2005 et le 30 juillet 2019, il n’avait pas pu verser aux victimes les dommages-intérêts auxquels il avait été condamné, car, pour des raisons indépendantes de sa volonté, il était sans emploi ; e) il avait exprimé des remords sincères et avait pour projet, s’il était mis en liberté, de trouver un emploi, de s’acquitter des dommages‑intérêts qu’il devait aux victimes ainsi que des frais de justice, de fonder une famille, d’aider son prochain et d’être utile à la société ; f) il avait une expérience professionnelle comme garagiste ; g) en décembre 2018, il s’était repenti de ses péchés, s’était rendu compte qu’il avait commis une erreur en vivant en conflit avec la loi et avait renoncé à l’islam pour se convertir au christianisme.

2.6Le 3 septembre 2019, le tribunal municipal de district de Romny a rejeté la demande de M. Aliev au motif que la législation interne, à savoir le Code pénal et le Code de procédure pénale, ne prévoyait pas la possibilité de commuer une peine de réclusion criminelle à perpétuité en peine d’emprisonnement de durée déterminée.

2.7Le 13 septembre 2019, puis les 20 et 21 février et 28 avril 2020, l’auteur a interjeté appel de la décision rendue le 3 septembre 2019 par le tribunal municipal de district de Romny, priant la cour d’appel de Soumy de commuer sa peine de réclusion criminelle à perpétuité en peine d’emprisonnement de quinze ans. Il soutenait que, au mépris du principe de la primauté des traités internationaux sur le droit interne, le tribunal municipal de district de Romny avait méconnu l’obligation qui lui était faite d’appliquer directement les normes internationales et de le rétablir dans les droits qui lui étaient garantis par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, similaires à ceux garantis par l’article 7 du Pacte.

2.8Le 4 mai 2020, la cour d’appel de Soumy a confirmé la décision du tribunal municipal de district de Romny, estimant que le Code pénal et le Code de procédure pénale ne prévoyaient aucun mécanisme permettant au juge de commuer une peine d’emprisonnement à perpétuité en une peine de durée déterminée. L’auteure soutient que M. Aliev a épuisé toutes les voies de recours internes en ce que la décision de la cour d’appel de Soumy est définitive et n’est pas susceptible d’appel.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure avance que le fait que M. Aliev n’a aucune perspective réaliste de bénéficier un jour d’une libération ou d’une commutation de sa peine de réclusion criminelle à perpétuité en peine d’emprisonnement de durée déterminée constitue une violation du droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants que l’intéressé tient de l’article 7 du Pacte. À l’appui de son grief, elle se réfère à l’arrêt rendu dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2), dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que l’impossibilité pour les détenus purgeant une peine de réclusion criminelle à perpétuité en Ukraine de demander une réduction de peine portait atteinte aux droits que le requérant, condamné à perpétuité, tenait de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’auteure soutient que l’article 3 de la Convention et l’article 7 du Pacte sont identiques sur le fond. Elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a demandé à l’État partie de réformer le régime d’examen des condamnations à la perpétuité réelle afin que, conformément aux normes établies dans sa jurisprudence, les autorités examinent au cas par cas si le maintien en détention est justifié et légitime d’un point de vue pénologique et que les condamnés à la perpétuité réelle puissent savoir ce qu’ils doivent faire pour pouvoir bénéficier d’une libération et quelles sont les conditions à remplir (voir par. 2.1).

3.2En ce qui concerne la requête soumise par M. Aliev auprès du tribunal municipal de district de Romny (voir par. 2.3 à 2.5), l’auteure fait valoir que l’absence dans le Code pénal et le Code de procédure pénale de toute disposition permettant au juge de commuer une peine de perpétuité incompressible en une peine de durée déterminée ne saurait être invoquée par l’État partie pour justifier le non-respect des obligations découlant de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 7 du Pacte.

3.3L’auteure affirme qu’en faisant fi des obligations mises à leur charge par l’article 7 du Pacte lorsqu’ils ont examiné la demande de commutation de peine de M. Aliev, les tribunaux ukrainiens n’ont pas été équitables et impartiaux et ont donc porté atteinte aux droits que l’intéressé tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Elle affirme également que, bien qu’expressément prévue par le droit ukrainien et ait permis de commuer un petit nombre de peines de réclusion criminelle à perpétuité en peines de vingt-cinq ans d’emprisonnement, que la grâce présidentielle est un mécanisme très inefficace parce que : a) ni la commutation d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité en peine d’emprisonnement de durée déterminée ni la remise totale de peine pour des raisons d’humanité ne satisfont aux exigences de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et, par conséquent, à celles de l’article 7 du Pacte ; b) à l’heure actuelle, le droit ukrainien n’offre pas à tous les détenus condamnés, notamment ceux qui purgent une peine de réclusion criminelle à perpétuité, une perspective réaliste de libération conditionnelle ; c) la législation ukrainienne n’exige pas du Président qu’il examine si la poursuite de l’incarcération est ou non justifiée par des motifs légitimes ni qu’il justifie un refus d’octroyer la grâce.

3.4L’auteure soutient que M. Aliev est victime d’une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte au motif que sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité fait de lui une victime de discrimination par rapport aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de durée déterminée. Elle se réfère aux articles 81 et 82 du Code pénal, qui prévoient que tous les condamnés peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle ou d’une commutation de peine à l’exception des condamnés à perpétuité.

3.5Compte tenu de ce qui précède, l’auteure demande au Comité de conclure que l’État partie a violé les droits que M. Aliev tient des articles 7, 14 (par. 1) et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 30 décembre 2020, l’État partie fait valoir que, dans l’affairePetukhov c. Ukraine ( n o 2), la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention au motif, notamment, que la peine de réclusion criminelle à perpétuité imposée au requérant était incompressible.

4.2L’article 46 (par. 1) de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 2 de la loi ukrainienne sur l’exécution des jugements et l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme disposent que les arrêts de la Cour sont contraignants. Conformément à la loi ukrainienne, l’exécution des arrêts de la Cour peut prendre la forme d’une indemnisation et d’autres mesures tant individuelles que générales.

4.3Selon l’article 10 de la loi sur l’exécution des jugements et l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les autres mesures individuelles peuvent prendre la forme du rétablissement du plaignant dans la situation antérieure à la violation de ses droits (restitutio in integrum) dans toute la mesure possible ainsi que de toute autre mesure ordonnée par la Cour. Le rétablissement du plaignant dans la situation antérieure à la violation peut passer par la réouverture de la procédure et le réexamen des griefs par l’organe administratif compétent.

4.4Les mesures individuelles sont applicables à l’égard de la personne visée par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Or, M. Aliev a invoqué un arrêt qui concerne un tiers et ne saurait donc entraîner l’adoption par les autorités compétentes de mesures individuelles en sa faveur. Les mesures générales visent à éliminer les problèmes systémiques sous-jacents mis en avant dans l’arrêt ainsi que leurs causes profondes et peuvent prendre la forme a) de modifications du contenu et de l’application de la législation en vigueur ; b) d’une amélioration des pratiques administrative et judiciaire ; c) de l’organisation de formations destinées à garantir une connaissance suffisante de la Convention chez ceux et celles qui sont amenés à y recourir. Les mesures générales sont globales et axées sur le long terme et leur application est donc un travail de longue haleine.

4.5Le problème systémique que la Cour européenne des droits de l’homme a mis en avant dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2) est celui de l’incompressibilité de la réclusion criminelle à perpétuité et plusieurs projets de loi portant sur cette question ont donc été soumis au Conseil suprême (Verkhovna r ada). Parmi ces textes, qui prévoient la possibilité de prendre des mesures de clémence à l’égard des condamnés à perpétuité, on peut citer le projet de loi portant modification de certaines lois relatives à l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (no 4048, 3 septembre 2020) et le projet de loi portant modification des dispositions du Code des infractions administratives, du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives à l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (no 4049, 3 septembre 2020).

4.6Les modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale envisagées dans le projet de loi no 4049 sont les suivantes :

a)Le condamné à perpétuité ayant déjà purgé dix ans de détention pourrait demander une réduction de peine et voir sa peine de réclusion criminelle à perpétuité commuée en peine de quinze à vingt ans d’emprisonnement ;

b)La libération conditionnelle du condamné dont la peine de réclusion criminelle à perpétuité a été commuée en peine de durée déterminée pourrait être envisagée après que l’intéressé a purgé au moins les trois quarts de sa peine ;

c)La réclusion criminelle à perpétuité pourrait être commuée en peine de cinq à dix ans d’emprisonnement pour les condamnés qui, à la date de l’entrée en vigueur de la loi portant modification de certaines lois relatives à l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, ont purgé plus de dix ans de leur peine, sachant que le quantum de la peine ne peut être inférieur à vingt-cinq ans ;

d)L’examen en première instance de l’opportunité de commuer la peine de réclusion criminelle à perpétuité comme prévu à l’article 82 du Code pénal devrait être effectué par un collège de trois juges ;

e)Dans le cadre de l’exécution du jugement portant condamnation, le tribunal pourrait, après examen par un collège de trois juges, décider de commuer la peine de réclusion criminelle à perpétuité.

4.7Un projet de décret présidentiel sur la modification du règlement régissant l’octroi de la grâce a été approuvé par le Gouvernement et soumis au Président. Le texte contient des propositions visant à améliorer la procédure de grâce prévue par le décret no 223/2015 (voir par. 2.3).

4.8Le projet de décret prévoit en particulier la modification des dispositions du paragraphe 4 du règlement, qui porte sur le calcul de la peine de substitution à la réclusion criminelle à perpétuité. En cas de commutation de peine, la durée de la peine de substitution sera calculée compte tenu de la date de début de l’exécution de la peine de réclusion à perpétuité et ne pourra pas être inférieure à vingt-cinq ans.

4.9Le projet de décret prévoit également la modification des dispositions du paragraphe 5 du règlement, relatif aux motifs de grâce applicables aux personnes qui ont été condamnées pour des crimes graves ou particulièrement graves, ont fait l’objet de deux condamnations ou plus pour des crimes intentionnels ou ont purgé une petite partie de leur peine.

4.10Le projet de décret fixe un délai d’un mois pour l’examen des propositions de la commission des grâces et la publication du décret par le Président. En outre, il prévoit que la commission des grâces doit obligatoirement être informée de la décision du Président. Le paragraphe 18 du règlement dispose qu’il doit être rendu compte chaque mois, sur le site Web de la présidence, de l’état d’avancement de l’examen des demandes de grâce et du nombre de demandes accueillies et rejetées. Les modifications envisagées rendront la procédure de grâce plus transparente.

4.11L’État partie affirme que le droit de M. Aliev à un procès équitable n’a pas été violé puisque, pour prendre leurs décisions, les tribunaux nationaux se sont fondés sur la législation interne, en particulier les dispositions du Code pénal relatives à la réclusion criminelle à perpétuité et à la libération conditionnelle des condamnés à perpétuité, ainsi que sur les positions adoptées par la Cour suprême dans ses résolutions.

4.12Les tribunaux nationaux ont dûment examiné l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2), invoqué par M. Aliev, et ont tenu compte dans leurs décisions de l’article 10 de la loi sur l’exécution des jugements et l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui dispose qu’ils peuvent rétablir le requérant dans la situation antérieure à la violation en réexaminant son dossier à la lumière des conclusions formulées par la Cour dans un arrêt concernant un tiers.

4.13L’État partie soutient que les dispositions du Code pénal qui régissent la réclusion criminelle à perpétuité et la libération conditionnelle des condamnés à perpétuité sont des normes légales qui ne sont aucunement discriminatoires et s’appliquent à tous dans des conditions d’égalité.

4.14Le paragraphe 2 (al. 1) du règlement susmentionné dispose que la grâce consiste en la substitution de la peine de réclusion à perpétuité par une peine d’emprisonnement d’au moins vingt-cinq ans. Le paragraphe 4 (al. 2) dispose que le condamné à perpétuité ne peut présenter une demande de grâce qu’après avoir purgé vingt ans de sa peine. M. Aliev a été condamné en 2005 ; il aura donc le droit de demander la grâce en 2025.

4.15Compte tenu de ce qui précède, l’État partie prie le Comité de constater qu’il n’y a pas eu violation des droits que M. Aliev tient des articles 7, 14 (par. 1) et 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une note du 19 janvier 2021, l’auteure fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle avance que l’État partie reconnaît de facto que la réclusion criminelle à perpétuité est contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce que, en Ukraine, c’est une peine incompressible qui prive le condamné de toute perspective réaliste de libération anticipée, mais nie qu’elle est également contraire à l’article 7 du Pacte alors que les deux articles sont pourtant pratiquement identiques sur le fond.

5.2L’auteure fait valoir que M. Aliev demandait aux autorités non pas de se fonder sur l’article 10 de la loi sur l’exécution des jugements et l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour appliquer à son égard l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2) (voir par. 4.3, 4.4 et 4.12), mais de mettre fin à la violation continue de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 7 du Pacte. Il souhaitait que les tribunaux nationaux tiennent comptent, dans leurs décisions le concernant, des constatations formulées par la Cour dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2), à savoir : a) les condamnés à la perpétuité réelle ne savent pas dès le départ ce qu’ils doivent faire pour pouvoir bénéficier d’une libération ni quelles conditions ils doivent remplir ; b) le régime pénitentiaire ukrainien applicable aux condamnés à perpétuité est incompatible avec l’objectif de réinsertion ; c) l’incompressibilité de la peine de réclusion à perpétuité révèle un problème systémique qui requiert l’application de mesures à caractère général.

5.3L’auteure réaffirme que l’État partie ne saurait invoquer le fait que le Code pénal et le Code de procédure pénale ne prévoient pas de mécanisme permettant au juge de commuer une peine de réclusion criminelle à perpétuité en peine de durée déterminée pour justifier le non-respect des obligations de jus cogens découlant de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 7 du Pacte. À l’appui de son grief, elle renvoie à la résolution 70/146 sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée le 17 décembre 2015, dans laquelle l’Assemblée générale : a) condamne toutes les formes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et demande à tous les États d’appliquer pleinement l’interdiction absolue de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui n’est susceptible d’aucune dérogation ; b) condamne également toute mesure ou tentative de la part d’un État ou d’un agent de la fonction publique pour légaliser, autoriser ou tolérer la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en quelque circonstance que ce soit, y compris au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme ou comme suite à des décisions judiciaires. L’auteure se réfère également à la résolution 56/83 de l’Assemblée générale sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, adoptée le 12 décembre 2001, et argue que l’État responsable ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier le non-respect de ses obligations internationales (annexe, art. 32).

5.4L’auteure soutient que, malgré l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2), l’État partie n’a pas réformé le mécanisme de réexamen des peines de perpétuité réelle. En janvier 2021, les projets de loi nos 4048 et 4049 n’avaient toujours pas été adoptés, et rien ne garantissait qu’ils le seraient un jour. L’auteure fournit des copies de deux mémoires explicatifs que le Ministre de la justice de l’époque a établis concernant ces projets de loi ainsi qu’une analyse détaillée des dispositions pertinentes des deux textes réalisée par le département juridique du Conseil suprême. Selon cette analyse, les projets de loi présentent de graves lacunes de nature à faire obstacle à leur adoption, ce qui retardera considérablement l’établissement du mécanisme devant permettre la commutation des peines de réclusion criminelle à perpétuité en peines de durée déterminée. L’auteure rappelle que M. Aliev et M. Petukhov, visés par l’arrêt de la Cour, continuent tous deux de purger une peine de réclusion criminelle à perpétuité en Ukraine.

5.5À l’appui de l’argument selon lequel le mécanisme de grâce présidentielle qui existe actuellement en Ukraine n’est pas efficace, l’auteure mentionne le cas Igor Trubutsin et l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2).

5.6À la lumière des considérations qui précèdent, l’auteure demande au Comité de conclure que l’État partie a violé les droits que M. Aliev tient de l’article 7 du Pacte au motif que, en Ukraine, la peine de réduction à perpétuité est incompressible et l’intéressé n’a aucune perspective réaliste de libération anticipée.

5.7L’auteure allègue que l’État partie a violé les droits que M. Aliev tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte car les tribunaux qui ont examiné la demande de commutation de peine présentée par l’intéressé n’ont pas remédié à la violation des droits que celui-ci tient de l’article 7, au mépris de l’obligation qui leur est faite à l’article 2. De surcroît, la cour d’appel de Soumy n’a pas examiné le grief de violation des articles 7 et 14 (par. 1) du Pacte soulevé par M. Aliev et s’est exclusivement concentrée sur le fait que la Cour européenne des droits de l’homme avait établi une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2), déterminant qu’il n’existait dans le Code pénal et le Code de procédure pénale aucun mécanisme permettant au juge de commuer une peine de réclusion criminelle à perpétuité en une peine de durée déterminée. L’auteure fait remarquer que, dans ses observations sur le fond de la communication, l’État partie n’aborde pas les griefs tirés des articles 7 et 14 (par. 1) du Pacte.

5.8En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les dispositions du Code pénal s’appliquent à tous dans des conditions d’égalité (voir par. 4.13), l’auteure rappelle que les articles 81 et 82 du Code pénal prévoient que tous les condamnés peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle ou d’une commutation de peine à l’exception des condamnés à perpétuité. Elle ajoute que les projets de loi no 4048 et no 4049, qui visent à corriger le déséquilibre entre les droits des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de durée déterminée et les droits des condamnés à perpétuité, n’ont pas encore été adoptés par le Conseil suprême ni signés par le Président. Partant, M. Aliev est victime d’une violation de l’article 26 du Pacte en ce que sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité fait de lui une victime de discrimination par rapport aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de durée déterminée.

5.9Compte tenu de ce qui précède, l’auteure demande au Comité de conclure que l’État partie a violé les droits que M. Aliev tient des articles 7, 14 (par. 1) et 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés. En conséquence, il estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

6.4Le Comité note que l’auteure soutient que les droits que M. Aliev tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte ont été violés en ce que l’État partie n’a pas tenu compte de l’article 7 du Pacte lorsqu’il a examiné la demande de commutation de peine présentée par l’intéressé et les tribunaux nationaux n’ont donc pas été équitables ni impartiaux. Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité considère que, en l’espèce, l’auteure n’a pas démontré que l’absence d’équité et d’impartialité qu’elle allègue a conduit à une appréciation arbitraire ou à un déni de justice. En l’absence de tout autre renseignement pertinent, il estime que l’auteure n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief qu’elle tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité constate que l’auteure n’a pas fourni suffisamment d’informations à l’appui du grief selon lequel M. Aliev est victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 26 du Pacte car, en tant que condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, il est victime de discrimination par rapport aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de durée déterminée en ce qu’il ne peut pas bénéficier d’une libération conditionnelle ni d’une commutation de peine. En l’absence dans le dossier de toute autre information indiquant que M. Aliev a été traité différemment des autres personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité en Ukraine et que cette différence de traitement est constitutive de discrimination, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et considère donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité estime que les griefs que l’auteure tire de l’article 7 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteure allègue que la peine de réclusion criminelle à perpétuité à laquelle M. Aliev a été condamné ne peut pas être commuée en peine de durée déterminée ; que le délai pour accéder à la procédure de grâce présidentielle est excessivement long sachant que, actuellement, les condamnés à perpétuité doivent avoir passé au moins vingt ans en détention avant de pouvoir demander la grâce ; et que le Président n’est pas tenu de motiver un refus de grâce. L’auteure allègue également que le mécanisme de réexamen des condamnations à perpétuité devrait garantir une appréciation au cas par cas de la question de savoir si le maintien en détention est justifié par des motifs pénologiques légitimes et permettre aux condamnés à perpétuité de savoir, de manière relativement précise, ce qu’ils doivent faire pour pouvoir bénéficier d’un libération et quelles sont les conditions à remplir. Elle soutient que l’absence de pareil mécanisme porte atteinte au droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants que M. Aliev tient de l’article 7 du Pacte (voir par. 3.1). L’État partie, pour sa part, demande au Comité de dire qu’il n’y a pas eu violation des droits que M. Aliev tient de l’article 7 (voir par. 4.15) et explique que le Conseil suprême − le Parlement ukrainien − s’est vu soumettre plusieurs projets de loi prévoyant la révision de la procédure de grâce et la création de mécanismes permettant aux condamnés à perpétuité de demander une commutation de peine ou une libération conditionnelle et de faire contrôler leur condamnation par un tribunal (voir par. 4.5 à 4.10).

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’interdiction énoncée à l’article 7 concerne non seulement les actes qui provoquent chez la victime une douleur physique, mais aussi ceux qui infligent une souffrance mentale et fait observer qu’il a dans certains cas constaté que l’humiliation constituait un traitement incompatible avec l’article 7 du Pacte. Il remarque que les États parties au Pacte ont des obligations particulières à l’égard des personnes privées de liberté, qui doivent être traitées avec dignité et respect et doivent être protégées, en tant que de besoin, contre les traitements prohibés par l’article 7 du Pacte, que ces traitements soient le fait de personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles, en dehors de celles-ci ou à titre privé. Il rappelle qu’il admet depuis longtemps la possibilité de la réclusion criminelle à perpétuité, en particulier lorsque cette peine vient se substituer à la peine de mort et y compris dans les États parties au Pacte qui : a) n’ont pas encore instauré un moratoire sur l’application de la peine de mort ; b) n’ont pas encore aboli la peine de mort ; c) n’ont pas encore ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. La question dont le Comité est saisi ici est de savoir si la condamnation de M. Aliev à la réclusion criminelle à perpétuité alors qu’il n’existe pas de mécanisme ni de procédure de réexamen clairement définis est compatible avec l’obligation de ne pas soumettre l’intéressé à des peines ou traitements inhumains ou dégradants mise à la charge de l’État partie par l’article 7 du Pacte. Dans ce contexte, le Comité rappelle qu’il a déjà établi, dans le contexte d’une autre communication, que la réclusion criminelle à perpétuité sans possibilité de réexamen constituait une violation des droits que les auteurs mineurs tenaient de l’article 7 du Pacte.

7.4Le Comité note que, d’après l’auteure, la procédure de grâce présidentielle telle qu’elle est prévue par le décret no 223/2015 n’est toujours pas suffisamment claire et prévisible et M. Aliev n’a aucune perspective réelle de voir sa peine de réclusion criminelle à perpétuité commuée en peine de durée déterminée. Il note également que, parmi les considérations à prendre en compte lors de l’examen d’une demande de grâce présidentielle, le règlement relatif à la procédure de grâce mentionne la gravité du crime, la durée de la peine déjà effectuée, la personnalité et le comportement du condamné et l’éventuelle expression de remords sincères, la mesure dans laquelle le préjudice causé a été réparé, la situation familiale et d’autres circonstances personnelles et l’avis de l’administration pénitentiaire, des institutions publiques et d’autres entités sur l’opportunité de la grâce (voir par. 2.3). Il constate toutefois que le paragraphe 5 dudit règlement dispose que les personnes condamnées pour des crimes graves ou particulièrement graves ou condamnées à deux reprises au moins pour des crimes prémédités peuvent bénéficier d’une grâce à titre exceptionnel et dans des circonstances extraordinaires. Or, on ne sait pas au juste ce que le droit ukrainien entend par « à titre exceptionnel » et « dans des circonstances extraordinaires » et rien n’indique que les motifs pénologiques pouvant justifier le maintien en détention soient pertinents aux fins de l’interprétation de ces notions.

7.5Comme le Comité l’a déjà constaté (voir par. 7.2), l’État partie ne conteste pas qu’il n’existe pas de procédure claire et prévisible de réexamen des condamnations à la réclusion criminelle à perpétuité et signale même que plusieurs projets de loi ont été introduits pour régler ce problème. Le Comité fait observer que les procédures existantes doivent offrir une clarté et une certitude suffisantes, non seulement parce qu’il en va de manière générale du respect de la légalité, mais aussi parce que cela permet de faciliter la réinsertion, qui suppose qu’au lieu de mettre l’accent sur le fait que les détenus sont exclus de la société, on se concentre au contraire sur celui qu’ils continuent d’en faire partie. Il s’ensuit que les condamnés à perpétuité ont le droit de savoir ce qu’ils peuvent faire pour pouvoir prétendre à la réinsertion et à la libération.

7.6Le Comité considère que les demandes de réexamen et de commutation des peines de réclusion criminelle à perpétuité devraient être véritablement examinées et dûment tranchées conformément aux procédures applicables et que les décisions relatives à ces demandes devraient systématiquement être motivées et soumises à un contrôle juridictionnel. Il appartient toutefois aux autorités de l’État partie de décider comment et quand l’examen aura lieu sachant qu’elles ont toute latitude pour prendre les décisions en matière de justice pénale, y compris en ce qui concerne les condamnations. Le Comité constate que la procédure de grâce qui permet aux condamnés à perpétuité, parmi lesquels M. Aliev, d’exercer le droit de faire réexaminer leur condamnation n’est pas suffisamment claire ni prévisible. Compte tenu de ce qui précède, il estime que, d’après la législation en vigueur dans l’État partie, la procédure de grâce présidentielle repose davantage sur les principes d’humanité et de miséricorde que sur des considérations d’ordre pénologique et manque de la clarté et de la prévisibilité nécessaires pour qu’il puisse être déterminé si, dans les circonstances particulières qui sont les siennes, M. Aliev peut bénéficier d’une commutation de sa peine de réclusion criminelle à perpétuité en une peine de durée déterminée.

7.7À la lumière des considérations qui précèdent et compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, le Comité estime que le fait que le droit ukrainien en vigueur exclut toute possibilité de réexamen de la condamnation de M. Aliev et n’offre à celui-ci aucune perspective réaliste de voir sa peine de réclusion criminelle à perpétuité commuée en peine de durée déterminée cause à l’intéressé une angoisse et une détresse morale constitutives de traitement contraire à l’article 7 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des droits que M. Aliev tient de l’article 7 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, de faire le nécessaire pour : a) permettre à M. Aliev de faire véritablement réexaminer sa condamnation à perpétuité dans le cadre d’une procédure clairement définie et prévisible ; b) indemniser l’intéressé comme il se doit. Il est également tenu de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe I

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Furuya Shuichi

1.Je suis d’accord que les faits dont le Comité est saisi font apparaître une violation des droits que M. Aliev tient de l’article 7 du Pacte « compte tenu des circonstances particulières de l’espèce » (par. 7.7). Toutefois, je ne peux souscrire à l’observation générale selon laquelle les demandes de réexamen et de commutation des peines de réclusion criminelle à perpétuité devraient être véritablement examinées et dûment tranchées conformément aux procédures applicables et les décisions relatives à ces demandes devraient systématiquement être motivées et soumises à un contrôle juridictionnel (par. 7.6).

2.Comme il est indiqué dans les constatations (par. 7.3), le Comité considère que la réclusion criminelle à perpétuité est une peine moins lourde que la peine de mort et peut venir la remplacer en cas d’abolition. Il s’ensuit que la condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité n’est pas en soi considérée comme enfreignant l’interdiction des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants inscrite à l’article 7 du Pacte. Le Comité a estimé que la condamnation d’un mineur à la réclusion à perpétuité était incompatible avec l’article 7 du Pacte sauf s’il existait une possibilité de réexamen et une perspective de libération. Toutefois, il n’a jamais considéré que l’article 7 exigeait en général la garantie d’une procédure de réexamen dans le cadre de laquelle la commutation en peine d’emprisonnement de durée déterminée serait véritablement examinée et dûment tranchée.

3.Dans le contexte des pays européens où la peine de mort a été abolie, il est raisonnable que la Cour européenne des droits de l’homme estime que la réclusion criminelle à perpétuité sans possibilité de réexamen et sans perspective réaliste de libération n’est pas compatible avec l’interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Toutefois, les États parties au Pacte sont nombreux à ne pas encore avoir aboli cette peine. Lorsqu’ils auront décidé de le faire, la perpétuité réelle sera peut-être pour eux la peine de substitution la plus concevable (et probablement la seule acceptable). Interpréter l’article 7 du Pacte comme emportant l’obligation pour les États parties d’établir une procédure de réexamen permettant la commutation des condamnations à perpétuité (comme le Comité le fait dans les présentes constatations) ralentirait donc indéniablement les efforts déployés en faveur de l’abolition de la peine de mort dans les pays où elle existe encore. Je suis d’avis que le meilleur moyen de renforcer les droits protégés par l’article 7 du Pacte est d’estimer que les États ont l’obligation de prévoir une procédure de réexamen des condamnations à perpétuité. Toutefois, il serait prématuré à ce stade de considérer que cette obligation participe d’une règle générale. La décision de savoir si la réclusion criminelle à perpétuité sans possibilité de réexamen constitue ou non une violation de l’article 7 du Pacte devrait dépendre de la situation de l’État partie en question.

4.En l’espèce, l’État partie a aboli la peine de mort en 2000. En mars 2019, la Cour européenne des droits de l’homme a dit dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2)que le système de la perpétuité appliqué dans l’État partie était constitutif de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et devait être réformé. Néanmoins, plus de deux ans après, l’État partie a examiné divers projets de loi de réforme, mais n’en a adopté aucun, et n’a pas non plus réexaminé la détention de M. Aliev compte tenu de l’arrêt de la Cour. Si le Comité n’a pas à apprécier l’application de l’arrêt de la Cour dans l’État partie, il peut néanmoins se pencher sur la situation dans laquelle M. Aliev se trouve à la lumière de cet arrêt. Or, bien qu’il ressorte de l’arrêt que la condamnation de M. Aliev est susceptible de réexamen, l’intéressé est toujours condamné à la perpétuité réelle sur le fondement du droit interne de l’État partie. Il est donc imaginable que, du fait de l’impasse dans laquelle il se trouve, M. Aliev est en proie à une angoisse et une détresse psychologique qui, à mon avis, constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte.

5.Partant, je conclus que si l’article 7 n’oblige pas en soi l’État partie à établir une procédure de réexamen dans le cadre de laquelle la commutation d’une peine de réclusion à perpétuité en peine de durée déterminée est véritablement examinée, la situation dans laquelle M. Aliev se trouve, due au fait que l’État partie n’a pas promptement pris les mesures requises par l’arrêt Petukhov c. Ukraine ( n o 2), constitue une violation des droits que l’intéressé tient de l’article 7 du Pacte.

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je regrette de ne pouvoir m’associer aux constatations de la majorité. À mon avis, la communication n’était pas recevable et, quand bien même elle l’aurait été, je n’aurais pas constaté de violation de l’article 7 du Pacte.

2.M. Aliev, qui est de nationalité azerbaïdjanaise, a été condamné à la réclusion à perpétuité en Ukraine pour avoir tué deux jeunes femmes et utilisé un passeport falsifié (par. 2.1). Cette condamnation a été confirmée par la Cour suprême en mai 2005. Le Comité ayant été saisi quinze ans après qu’elle est devenue exécutoire, la communication aurait dû être jugée irrecevable au regard de l’article 99 (al. c) du règlement intérieur du Comité, selon lequel une communication présentée bien plus de cinq ans après l’épuisement des recours internes constitue un abus du droit de plainte. Si les délais fixés n’étaient pas respectés, il serait possible de contester à tout moment des jugements rendus de longue date et déjà passés en force de chose jugée, ce qui compromettrait la certitude dont il est souhaitable que les décisions de justice soient empreintes.

3.L’auteure invoque principalement, à l’appui de ses griefs, l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Petukhov c. Ukraine ( n o 2), qui concerne un ressortissant ukrainien (par. 2.1 à 2.3). Il y a donc lieu de se demander pourquoi, au lieu de s’adresser au Comité, elle n’a pas saisi la Cour, d’autant que celle-ci a rédigé un arrêt soigneusement motivé (par. 168 à 187) dans lequel elle fait observer que la politique pénale européenne est actuellement axée sur l’objectif de réinsertion, même pour les condamnés à perpétuité, qui doivent aussi avoir la possibilité de se réinsérer (par. 181). La Cour ajoute que l’obligation d’offrir une possibilité de réinsertion implique l’obligation positive de garantir aux condamnés à perpétuité un régime pénitentiaire compatible avec la réinsertion et permettant de progresser vers cet objectif (ibid.). Enfin, elle constate qu’à la date de sa décision, une seule demande de grâce émanant d’un condamné à perpétuité avait été accueillie en Ukraine (par. 186).

4.L’auteure estime que l’absence de mécanisme permettant aux tribunaux ukrainiens de commuer une peine de réclusion criminelle à perpétuité en peine de durée déterminée porte atteinte aux droits que M. Aliev tient de l’article 7 du Pacte (par. 3.1 et 3.2) alors pourtant que l’Ukraine a fait des efforts considérables pour appliquer l’arrêt de la Cour (par. 4.1 à 4.12). Les présentes constatations ne tiennent pas suffisamment compte de ces efforts.

5.À l’exception de constatations relatives aux droits des mineurs (par. 7.3), il n’existe pas de jurisprudence du Comité relative à une violation éventuelle de l’article 7 par un jugement portant condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. Les constatations adoptées par le Comité le 22 octobre 2014 concernaient des auteurs qui étaient mineurs au moment des faits, ce qui peut expliquer le raisonnement suivi.

6.Dans son observation générale no 36 (2019) sur le droit à la vie, le Comité a dit que les pays qui n’avaient pas aboli la peine de mort et n’avaient pas ratifié le deuxième Protocole facultatif n’étaient pas juridiquement empêchés par le Pacte d’appliquer la peine de mort aux crimes les plus graves, sous réserve que certaines conditions strictes soient respectées (par. 16). Néanmoins, il a constaté que certains éléments donnaient à penser que des progrès considérables avaient été faits vers l’émergence, entre les États parties, d’un consensus sur l’idée que la peine de mort constituait une forme de peine cruelle, inhumaine ou dégradante (par. 51). Le Comité n’a formulé aucune constatation de ce type au sujet de la peine de réclusion criminelle à perpétuité, probablement parce qu’il est souvent demandé aux États parties de l’envisager comme mesure de substitution à la peine de mort (par. 7.3).

7.Bien que je sois personnellement favorable, tant pour des raisons pénologiques que pour des raisons d’humanité, à l’établissement de procédures clairement définies permettant le réexamen des condamnations à perpétuité, compte tenu de l’objectif de réinsertion des détenus, je me demande s’il y a lieu pour le Comité de simplement appliquer le raisonnement exposé dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui s’inscrit dans un contexte européen, aux autres régions géographiques concernées par cet arrêt. De fait, le raisonnement suivi par le Comité en l’espèce est très semblable à celui suivi par la Cour dans son arrêt (voir, par exemple, les paragraphes 171 à 174 et 177 à 179 de l’arrêt Petukhov et les paragraphes 7.4 à 7.6 ci-dessus). Il est vrai que les présentes constatations concernent expressément la situation dont il est question dans la communication, qui a trait à la procédure de grâce présidentielle en Ukraine, mais la voie est désormais ouverte à l’application de l’article 7 du Pacte aux condamnations à perpétuité dans d’autres pays et régions également.

8.Je suis tout à fait d’accord avec le fait que le pays qui autorise le réexamen des condamnations à perpétuité doit établir des procédures claires et prévisibles permettant aux détenus de savoir ce qu’ils doivent faire pour pouvoir bénéficier d’une libération et être réinsérés et que les demandes de libération doivent être véritablement examinées et dûment tranchées suivant les procédures applicables (par. 7.5 et 7.6). Cependant, toute procédure, qu’il s’agisse d’un réexamen ou d’une grâce présidentielle et qu’elle soit ou non soumise à un contrôle, cause nécessairement chez le condamné qui y recourt une angoisse et une détresse psychologique liées aux attentes qu’elle fait naître et à l’incertitude de son issue (par. 7.7). Cette angoisse et cette détresse psychologique peuvent être encore plus aiguës lorsque la loi prévoit le réexamen des condamnations à perpétuité, mais ne le permet pas dans les circonstances particulières du requérant.

9.Je n’aurais donc pas conclu à une violation de l’article 7 du Pacte en l’espèce. Par ailleurs, j’estime que les États devraient pouvoir décider que le réexamen des condamnations à perpétuité n’est envisageable qu’à l’issue d’une période de sûreté (par. 4.14).