Nations Unies

CCPR/C/133/D/2623/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2623/2015 * , ** , ***

Communication présentée par :

S. K. (représenté par un conseil, Lina Anani)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

23 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 94 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 juin 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27 octobre 2021

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Questions de fond :

Droit à la vie ; torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté de la personne ; droit à la défense ; droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7, 10, 14 (par. 3 b)) et 18

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est S. K., de nationalité iranienne, né en 1983. Sa demande d’asile a été rejetée. Il affirme que son expulsion vers la République islamique d’Iran constituerait une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 2 (par. 3), 6, 7, 10, 14 (par. 3 b)) et 18 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 23 juin 2015, conformément à l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers la République islamique d’Iran tant que la communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur affirme que les membres de sa famille sont persécutés de longue date en République islamique d’Iran parce qu’ils sont soufis et monarchistes. Son père a déjà été arrêté, son oncle maternel a été exécuté et des membres de sa famille élargie ont fui le pays et obtenu une protection à l’étranger. Son frère, qui était socialiste et s’était élevé ouvertement contre le régime en place, a été exécuté en 2006.

2.2En 2002, l’auteur a été détenu et soumis à de mauvais traitements pendant cinq jours pour avoir défendu sa cousine contre des membres de la milice bassidj. A d’autres occasions, il a également été victime de harcèlement et a été soumis à des pressions. En 2005, il a quitté la République islamique d’Iran pour se réfugier en Grèce, où il a soumis une demande d’asile, mais n’a jamais été informé de la suite donnée à cette demande. En Grèce, il a commencé à aller à l’église. Il a également participé à une manifestation devant l’ambassade d’Iran à Athènes en 2009 pour protester contre la répression postélectorale exercée par le régime iranien.

2.3En 2012, l’auteur a appris que sa mère, qui ne s’était pas remise de l’exécution de son fils, souffrait d’une dépression sévère. Très inquiet, il a décidé de retourner la voir en République islamique d’Iran. Sur place, il a été arrêté alors qu’il cherchait à faire renouveler son passeport. On l’a interrogé sur sa participation à la manifestation qui s’était tenue devant l’ambassade d’Iran, à Athènes, en 2009. On lui a dit que les autorités avaient été informées qu’il était allé à l’église en Grèce, et les personnes qui l’interrogeaient ont exigé de savoir s’il s’était converti au christianisme, ce qu’il a nié. L’auteur pense que les autorités avaient été renseignées par un informateur membre de la communauté de réfugiés iraniens d’Athènes.

2.4L’auteur a finalement été libéré et a quitté le pays pour se réfugier en Norvège, où vivaient des membres de sa famille. Sur place, il a présenté une demande d’asile mais, craignant que celle-ci soit rejetée, il a tenté de se rendre au Canada. Il a été appréhendé au Danemark, où il a été détenu pendant soixante-dix jours, avant d’être renvoyé en Norvège.

2.5En Norvège, il est devenu membre d’un groupe monarchiste du nom d’Ashti‑e Melli. En 2013, les services d’immigration norvégiens ont rejeté sa demande d’asile. L’auteur s’est rendu au Canada, où il a demandé l’asile en janvier 2014. Il a rencontré une Iranienne convertie au christianisme qui lui a lu la bible en farsi, ce qui l’a profondément marqué : pour la première fois, on lui expliquait les préceptes du christianisme dans sa propre langue. Il a commencé à aller à l’église et s’est fait baptiser. Il participe désormais activement aux activités de la paroisse.

2.6En mai 2014, l’auteur a eu un accident de voiture. Il a été blessé au cou et au dos, si bien que l’audition qui devait être tenue dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile a été reportée à octobre 2014. Le jour de l’audition, l’auteur, qui souffrait de ses blessures, a dû se rendre à l’hôpital pour y être soigné. Il en a informé l’interprète d’audience, qui a relayé l’information à son conseil. Ayant lui aussi des problèmes de santé, son conseil ne s’est pas présenté non plus le jour de l’audition. Il en a informé la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et on lui a fait savoir que l’audition serait reportée et que la Commission l’appellerait pour convenir d’une nouvelle date. Pourtant, en novembre 2014, l’auteur et son conseil ont été avisés que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait considéré que l’auteur s’était désisté de sa demande. L’auteur affirme qu’une audience sur le désistement de sa demande d’asile a été prévue sans que lui ni son conseil n’aient été prévenus. En juin 2015, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté, sans explication, la demande présentée par l’auteur aux fins de la réouverture de son dossier.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les autorités de l’État partie avaient ordonné qu’il soit renvoyé en République islamique d’Iran sans procéder à une évaluation des risques au regard de ses allégations, en violation des droits qui lui sont garantis par l’article 2 (par. 3) du Pacte. Il soutient qu’en République islamique d’Iran, sa conversion au christianisme lui ferait courir le risque d’être exécuté et d’être torturé ou soumis à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il ajoute en outre que, s’il était expulsé vers la République islamique d’Iran, il ne pourrait plus pratiquer sa religion.

3.2L’auteur soutient également que, n’ayant pas de passeport iranien valide, il se ferait délivrer des documents de voyage canadiens et les autorités iraniennes seraient alors informées qu’il a fait l’objet d’une mesure de renvoi à la suite du rejet de sa demande d’asile, ce qui l’exposerait à des risques plus importants. Il fait observer que les Iraniens renvoyés en République islamique d’Iran sans visa de sortie dans leur passeport sont obligatoirement arrêtés et que le fait de quitter le pays illégalement est passible d’une peine d’une à trois années d’emprisonnement ou d’une amende. Il affirme qu’il risquerait d’être soumis à de mauvais traitements en détention et qu’il ne pourrait pas pratiquer sa religion, en violation des droits qu’il tient de l’article 18 du Pacte.

3.3L’auteur se dit victime d’une violation des articles 10 et 14 (par. 3 b)) du Pacte, parce que les agents des services d’immigration canadiens l’ont menacé et ont tenté de l’intimider alors qu’il était en détention et parce qu’on lui a dit qu’il serait incarcéré s’il refusait de se conformer à la mesure d’expulsion. Il affirme en outre qu’on ne l’a pas autorisé à s’entretenir avec son avocat.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 4 juillet 2018, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il estime que la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement et non-épuisement des recours internes. Il soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il : a) ne s’est pas présenté le jour de l’audition qui devait se tenir dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile et n’a pas assisté non plus à l’audience sur le désistement de sa demande ; b) n’a pas introduit de demande de contrôle juridictionnel de la décision d’interdiction de territoire pour motif de criminalité le concernant ; et c) n’a pas présenté de demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.Si toutefois le Comité devait considérer que la communication est recevable, l’État partie fait valoir qu’elle est dénuée de fondement.

4.2L’État partie fait observer que l’auteur a entrepris des démarches pour demander l’asile au Canada en novembre 2013, mais qu’on l’a éconduit, lui conseillant de s’adresser aux autorités danoises et norvégiennes pour obtenir des documents attestant son statut de réfugié. Le 17 janvier 2014, l’auteur a déposé une demande d’asile et sa demande a été transmise à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 23 janvier 2014. Dans son formulaire « Fondement de la demande d’asile », soumis le 30 septembre 2013, il avait décrit une série de faits qui avaient supposément eu lieu en République islamique d’Iran, sans préciser qu’il ne vivait pas dans le pays entre 2005 et 2012 ; par conséquent, bon nombre des faits mentionnés dans le formulaire ne pouvaient pas avoir eu lieu. L’auteur a revu et corrigé son récit et rempli un second formulaire « Fondement de la demande d’asile » en janvier 2014.

4.3L’État partie affirme que l’auteur ne s’est pas présenté à de nombreuses reprises alors qu’il devait être entendu dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile. L’auteur et son conseil ne se sont pas présentés pour l’audition qui devait se tenir le 11 octobre 2014 dans les locaux de la Section de la protection des réfugiés. Ils ont également été prévenus qu’une audience spéciale se tiendrait le 6 novembre 2014 pour donner à l’auteur la possibilité d’expliquer pourquoi la Section de la protection des réfugiés ne devrait pas considérer qu’il s’était désisté de sa demande. L’auteur ne s’est pas présenté non plus le jour de cette audience. Le 18 novembre 2014, la Section de la protection des réfugiés a considéré qu’il s’était désisté de sa demande. L’État partie note que l’auteur affirme ne pas s’être présenté le jour de son audition à la Section de la protection des réfugiés, en octobre 2014, parce qu’il souffrait des blessures qui lui avaient été causées par un accident de voiture survenu en mai 2014. L’État partie souligne que l’auteur n’explique pas, en revanche, pourquoi il ne s’est pas présenté à l’audience spéciale du 6 novembre 2014, qui avait été prévue pour lui donner l’occasion d’expliquer pour quelles raisons la Section de la protection des réfugiés ne devait pas considérer qu’il s’était désisté de sa demande. Le 22 juin 2015, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande déposée par l’auteur aux fins de la réouverture de son dossier. L’auteur a introduit une demande de contrôle juridictionnel de la décision prise par la Section de la protection des réfugiés, demande qui a été rejetée par la Cour fédérale le 12 novembre 2015. Il ne s’est pas présenté non plus pour son entretien avant renvoi, le 17 décembre 2014, et un mandat d’arrêt a été délivré contre lui le 2 mars 2015. Il a été retrouvé et arrêté le 28 avril 2015.

4.4Le 19 juin 2015, l’Agence des services frontaliers du Canada a constaté que l’auteur était interdit de territoire au Canada au regard de l’article 36 (par. 2 c)) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cette disposition prévoit qu’un ressortissant étranger est interdit de territoire pour criminalité s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il a commis, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. L’auteur a été reconnu coupable par un juge danois d’usage de faux passeport et a été condamné à une peine de soixante-dix jours d’emprisonnement. Cette infraction, commise au Canada, tomberait sous le coup de l’article 403 du Code pénal canadien et constituerait une infraction punissable par mise en accusation. La décision d’interdiction de territoire rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada n’a pas été transmise pour examen à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la Section de la protection des réfugiés ayant déjà considéré que l’auteur s’était désisté de sa demande.

4.5La date du renvoi de l’auteur a été fixée au 23 juin 2015. Le 22 juin 2015, l’auteur a déposé une demande de report administratif de renvoi, qui a été rejetée le jour même. Un ressortissant étranger qui fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire peut saisir l’Agence des services frontaliers du Canada d’une demande de report du renvoi pour qu’il puisse être procédé à un examen complet des risques avant renvoi. Bien que les agents d’exécution aient un pouvoir discrétionnaire limité quant au choix de la date du renvoi, la Cour d’appel fédérale a déclaré à maintes reprises qu’ils devaient surseoir au renvoi dans les cas où celui‑ci exposerait la personne concernée à « un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain ». Lorsqu’une demande de report est déposée, l’agent d’exécution ne procède pas à un examen complet des risques présumés, mais cherche uniquement à déterminer s’il existe de nouveaux éléments permettant de conclure à l’existence d’un risque. Si tel est le cas, il reporte le renvoi de sorte qu’il puisse être procédé à un examen complet des risques avant renvoi (ERAR). Le rejet d’une demande de report peut être réexaminé par la Cour fédérale, si le demandeur a obtenu l’autorisation de la Cour à cette fin. Un sursis judiciaire peut en outre être accordé le temps qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

4.6En l’espèce, l’agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada a examiné tous les documents que l’auteur avait joints à sa demande de report et les conclusions du conseil à la fois séparément et dans leur ensemble. Il a estimé que le renvoi de l’auteur en République islamique d’Iran ne l’exposerait pas à un risque de mort, à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. Il a noté que l’auteur avait déposé des demandes d’asile en Grèce et en Norvège, et que rien ne démontrait que ces demandes avaient abouti. Il a également noté que l’auteur avait résidé en Europe pendant de nombreuses années. Étant donné que l’auteur ne courrait pas de risque s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, l’agent a rejeté sa demande de report administratif de renvoi. L’auteur a introduit une demande de contrôle juridictionnel de cette décision. Sa demande a été rejetée par la Cour fédérale le 2 novembre 2015.

4.7L’auteur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi en février 2016, étant désormais en droit de le faire. L’agent chargé de procéder à l’examen a examiné le formulaire « Fondement de la demande d’asile » soumis en 2013, dans lequel l’auteur affirmait avoir résidé en République islamique d’Iran jusqu’en 2012. L’auteur n’a pas fourni à l’agent le formulaire « Fondement de la demande d’asile » qu’il avait présenté en 2014, et qui n’a donc pas pu être pris en considération. La demande de l’auteur a été rejetée le 17 février 2017. L’agent a noté que l’auteur n’avait apporté aucun élément de nature à corroborer son récit. Il a également constaté que l’auteur n’avait produit aucune attestation sur l’honneur délivrée par des membres de sa famille, ni aucun rapport de police ou rapport médical attestant que des membres de sa famille ou lui-même avaient été arrêtés, détenus, menacés, battus ou torturés en République islamique d’Iran. L’agent a relevé que l’auteur avait produit un certificat d’inhumation attestant que son frère avait été exécuté par pendaison en 2006. Il a toutefois constaté que les documents fournis par l’auteur n’indiquaient pas le motif de la pendaison et a considéré que l’auteur n’avait pas expliqué sur quels éléments de preuve objectifs se fondait sa conviction qu’il connaîtrait le même sort s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a accordé peu de crédit à l’affirmation de l’auteur selon laquelle il courait un risque en République islamique d’Iran en raison de ses activités politiques ou religieuses passées.

4.8L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a également constaté que l’auteur avait pu librement entrer en République islamique d’Iran et en sortir lors de ses différents voyages. L’auteur a vécu en Grèce de juillet 2005 jusqu’en août 2012, puis est retourné en République islamique d’Iran. Il a quitté une nouvelle fois la République islamique d’Iran en septembre 2012 pour se rendre en Norvège. L’agent a conclu que l’on pouvait raisonnablement penser que l’auteur n’intéressait guère les autorités iraniennes. Il a retenu que l’auteur s’était converti au christianisme, mais a observé que, selon des rapports objectifs sur la République islamique d’Iran, de nombreux convertis pouvaient retourner tranquillement en République islamique d’Iran sans être inquiétés. En revanche, pour les personnes qui étaient déjà surveillées par les autorités, il pouvait être risqué de retourner dans le pays. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas d’élément digne de foi permettant d’établir que l’auteur était surveillé par les autorités iraniennes. Il a estimé que des preuves écrites tendaient à montrer que les personnes ordinaires qui s’étaient converties au christianisme mais restaient discrètes au sujet de leur religion n’intéressaient pas ou guère les autorités, même si elles pouvaient être ostracisées, dans une certaine mesure, d’un point de vue social et culturel. Étant donné que l’auteur ne parlerait pas ouvertement de sa conversion, il ne courrait aucun risque en cas de renvoi.

4.9Le 14 décembre 2017, la Cour fédérale a rejeté la demande de l’auteur tendant à ce que la décision prise par l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi fasse l’objet d’un contrôle juridictionnel. La Cour a jugé que l’agent avait eu des raisons valables de conclure que l’auteur ne courrait pas personnellement de risque puisqu’il ne menait aucune activité liée à sa foi chrétienne en public et n’exerçait pas de fonctions officielles pour le compte de sa congrégation.

4.10L’État partie estime en outre que la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Concernant les violations de l’article 2 (par. 3) du Pacte dont l’auteur fait état, l’État partie affirme que celui-ci n’a pas indiqué précisément quelles violations avaient été commises, ni si elles avaient été commises seules ou conjointement avec les violations des autres articles cités. Il affirme que les allégations formulées par l’auteur concernant le risque qu’il prétend courir ont été examinées dans le cadre de plusieurs procédures internes. À chaque fois, les faits et les preuves ont été examinés et il a été conclu que l’auteur ne courrait aucun risque s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

4.11L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas étayé, même à première vue, les allégations qu’il a formulées au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Ni le profil de l’auteur ni son statut de demandeur d’asile débouté ne l’expose personnellement à un risque réel de subir un préjudice irréparable en République islamique d’Iran. L’État partie soutient que, selon des sources objectives, lorsqu’une personne se convertit et mène une vie anonyme de chrétien, cela ne suffit pas pour qu’elle soit arrêtée ; en revanche, si après s’être convertie, la personne concernée mène d’autres activités, par exemple si elle fait du prosélytisme ou forme d’autres personnes, la situation est différente. Il ressort également de rapports objectifs que les convertis rentrés en République islamique d’Iran qui, à leur retour, ne mènent pas d’activités liées au christianisme n’intéressent pas les autorités, sauf s’ils étaient connus de celles-ci avant leur départ. Lorsqu’une personne a attiré l’attention des autorités précédemment pour des raisons autres que la religion, ces raisons, conjuguées à la religion, peuvent accroître les risques auxquels elle est exposée. Les personnes qui retournent en République islamique d’Iran après s’être converties à l’étranger, si elles ne cherchent pas activement à faire du prosélytisme et n’expriment pas publiquement leur foi, peuvent continuer à pratiquer la religion chrétienne en toute discrétion. Dans l’affaire A. c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que les personnes converties qui n’avaient pas attiré l’attention des autorités, notamment pour des raisons sans lien avec leur conversion, et qui pratiquaient leur religion en toute discrétion, ne couraient pas de risque réel d’être soumises à de mauvais traitements à leur retour. Il ressort de rapports objectifs sur la République islamique d’Iran que l’on recense 285 000 chrétiens dans le pays et qu’il y en a sans doute bien plus. La plupart d’entre eux sont d’origine arménienne, mais on recense également des membres de différentes confessions protestantes, notamment des groupes évangéliques, la communauté protestante comptant moins de 10 000 membres, selon les estimations.

4.12L’État partie avance que le profil de l’auteur ne permet pas de conclure qu’il courrait un risque réel de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Rien n’indique que les autorités iraniennes surveillent l’auteur parce que celui-ci s’est converti alors qu’il résidait en Grèce, ni pour toute autre raison. Les éléments apportés par l’auteur lui-même démontrent qu’il a la possibilité de retourner en République islamique d’Iran sans être inquiété. Si l’auteur avait intéressé les autorités iraniennes, il n’aurait pas pu entrer en République islamique d’Iran ni en sortir, et renouveler son passeport en 2012, et on ne l’aurait pas remis en liberté, sans lui causer aucun tort.

4.13L’État partie fait valoir en outre que la communication de l’auteur ne tend pas à démontrer qu’en cas de renvoi en République islamique d’Iran, l’auteur ne ferait pas preuve de discrétion au sujet de sa conversion, comme il le fait au Canada. Les éléments apportés par l’auteur lui-même démontrent qu’au Canada, celui-ci n’a pas cherché à faire du prosélytisme, y compris auprès de ses amis proches. Au contraire, l’auteur se montre discret au sujet de sa religion et continuerait d’agir de la même manière en République islamique d’Iran. L’auteur s’est montré discret lorsqu’il est rentré pour renouveler son passeport et a été interrogé au sujet de sa conversion. Il n’a pas démontré qu’il courrait personnellement un risque pour avoir fait du prosélytisme. Le prêtre de la paroisse à laquelle l’auteur appartient n’a pas déclaré que celui-ci avait l’obligation de répandre sa foi. Faute de preuve du prosélytisme de l’auteur au Canada, et étant donné que l’auteur n’exerce pas de fonctions officielles pour le compte de sa paroisse, et que rien ne permet de conclure qu’il chercherait à exercer des fonctions officielles dans une paroisse en République islamique d’Iran − ce qui l’exposerait à des risques plus importants − l’auteur n’a pas démontré qu’il courrait personnellement un risque en République islamique d’Iran du fait de sa conversion au christianisme.

4.14L’État partie avance qu’en outre, l’auteur n’a pas démontré qu’il courrait un risque en tant que demandeur d’asile débouté. Selon des rapports objectifs sur la République islamique d’Iran, les Iraniens qui retournent dans le pays avec leur passeport après un long séjour à l’étranger ne rencontrent aucune difficulté pour autant qu’ils aient quitté le pays légalement.

4.15L’État partie prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada l’auraient menacé et auraient tenté de l’intimider. Il fait valoir que ces allégations sont entièrement dénuées de fondement et, partant, qu’elles sont irrecevables. Il les nie catégoriquement et note que l’auteur ne les a pas formulées devant les autorités nationales compétentes.

4.16Concernant les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 18 du Pacte, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas soutenu que l’État partie lui-même avait directement violé les droits qui lui sont reconnus par le Pacte. L’argument de l’auteur se fonde plutôt sur le traitement qui risque de lui être réservé, dit-il, en cas de renvoi en République islamique d’Iran. L’État partie affirme que, même si l’auteur pouvait démontrer qu’il serait victime de discrimination ou de mauvais traitements en République islamique d’Iran en raison de ses croyances religieuses, cela ne mettrait pas en jeu les obligations du Canada au regard de l’article 18 du Pacte. Les obligations de l’État partie au regard du Pacte ne seraient en cause que si les mauvais traitements que l’auteur risquerait de subir étaient d’une gravité telle qu’ils mettraient en jeu les droits consacrés par l’article 6 ou 7 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 8 avril 2019, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il répète que ni lui ni son conseil n’avait été informé de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de tenir une audience relative au désistement de sa demande d’asile. Il n’avait donc pas pu assister à celle-ci. Il fait observer que l’État partie prétend qu’il n’a pas épuisé les recours internes, n’ayant pas contesté la décision relative à son interdiction de territoire au Canada. Il affirme n’avoir pas été informé de cette décision et ajoute qu’aucune condamnation pénale n’a été prononcée contre lui au Danemark, et qu’il a simplement été placé en détention administrative. Il relève que les autorités de l’État partie n’ont apporté aucun élément de nature à démontrer qu’une condamnation avait été prononcée contre lui au Danemark et que, si tel avait été le cas, cette condamnation aurait été contraire à l’article 31 de la Convention relative au statut des réfugiés, qui interdit aux États de sanctionner les demandeurs d’asile pour être entrés illégalement sur leur territoire en utilisant un faux passeport. Il fait valoir qu’il a épuisé les recours internes pour ce qui est de la décision relative à son interdiction de territoire, et ajoute que, dans le cadre de cette décision, les risques auxquels il serait exposé s’il était renvoyé en République islamique d’Iran et la question de savoir s’il devrait se voir accorder l’asile en raison de ces risques n’ont pas été examinés. Il soutient qu’une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne constitue pas un recours utile.

5.2L’auteur affirme avoir produit de nombreux éléments de preuve à l’appui de ses allégations dans sa demande d’examen des risques avant renvoi, notamment le certificat d’inhumation de son frère, qui atteste que celui-ci a été exécuté par pendaison en prison par les autorités iraniennes. Il a également joint son certificat de baptême et des photographies et documents attestant sa conversion au christianisme, ainsi qu’une lettre de son prêtre dans laquelle celui-ci déclare que l’auteur mène des activités de témoignage et d’évangélisation en tant que membre de sa congrégation. L’auteur explique que son nom et sa conversion au christianisme ont été rendus publics sur Internet par des militants de l’église qui tentaient d’empêcher son expulsion. Il fait valoir que ce simple fait suffit à démontrer, à première vue, qu’il courrait un risque en cas de renvoi en République islamique d’Iran. Il fait observer que l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a retenu qu’il s’était converti au christianisme. Pourtant, il a conclu que l’auteur était soufi et qu’en tant que tel il ne pratiquait pas l’islam, et ne serait donc pas persécuté pour s’être converti au christianisme. L’auteur soutient que l’agent a commis une erreur d’appréciation, le soufisme étant une branche de l’islam, et qu’au surplus, les soufis sont persécutés par le régime iranien parce qu’ils n’appliquent pas les préceptes de la religion d’État ; l’auteur courrait donc un risque d’autant plus important en cas de renvoi.

5.3L’auteur fait observer que, selon Amnesty International, le fait de harceler les Iraniens susceptibles d’avoir demandé l’asile à l’étranger et de les soumettre à des interrogatoires constituait désormais vraisemblablement une stratégie de l’État. Il relève qu’Amnesty a constaté que l’on ne pouvait pas prévoir le traitement qui serait réservé à un demandeur d’asile débouté et que tout dépendait du profil de la personne concernée et de ses activités passées, notamment du fait qu’elle ait ou non été détenue précédemment. Il est quasi certain qu’une personne renvoyée en République islamique d’Iran avec un passeport périmé ou un document de voyage non réutilisable sera interrogée, à son arrivée, sur les raisons de son départ du pays et la nature de son séjour à l’étranger. Selon l’auteur, en outre, Amnesty a constaté que le profil de la personne concernée et les activités menées précédemment par celle-ci en République islamique d’Iran comptaient certes pour beaucoup, mais que, si la personne était soupçonnée d’avoir « fabriqué » une demande d’asile, elle risquait d’être détenue et poursuivie sur la base de chefs d’accusation vagues ayant trait à l’infraction de « propagande contre le système », et d’être soumise à de mauvais traitements et à la torture. L’auteur fait également observer qu’Amnesty demeure préoccupé par les persécutions dont les personnes converties au christianisme continuent de faire l’objet en République islamique d’Iran. La conversion d’un musulman, ou apostasie, est passible de la peine de mort si la personne concernée refuse de se convertir de nouveau à l’islam.

5.4L’auteur affirme en outre être membre d’une congrégation tenue de faire du prosélytisme. Il relève que l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a estimé qu’il pourrait pratiquer sa religion en secret. Il fait valoir que l’agent a commis une erreur d’appréciation sur ce point ; en effet, même s’il n’était pas tenu de faire du prosélytisme, on ne devrait pas l’obliger à pratiquer sa religion en secret, dans la peur et sans pouvoir aller à l’église ni faire partie d’une communauté. Le simple fait de posséder une bible l’exposerait à des risques si le régime venait à le trouver en possession de celle-ci.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que, selon l’État partie, la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, l’auteur : a) ne s’étant pas présenté le jour de l’audition qui devait se tenir dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile et n’ayant pas assisté non plus à l’audience sur le désistement de sa demande ; b) n’ayant pas introduit de demande de contrôle juridictionnel de la décision d’interdiction de territoire pour motif de criminalité le concernant ; et c) n’ayant pas déposé de demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il prend note des arguments de l’auteur, qui affirme qu’il avait informé les autorités de l’État partie qu’il n’était pas en mesure d’assister à la première audition pour raisons de santé, ayant eu un accident de voiture, et que son conseil et lui-même n’ont pas été prévenus de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de tenir une audience sur le désistement de sa demande d’asile. Le Comité note en outre que l’auteur dit n’avoir pas été informé de la décision d’interdiction de territoire pour criminalité rendue contre lui et n’avoir fait l’objet d’aucune condamnation pénale au Danemark, les autorités danoises l’ayant simplement placé en détention administrative, et qu’il affirme qu’une décision d’interdiction du territoire pour motif de criminalité ne comprend pas d’examen des risques. Le Comité note que les parties ont fourni des informations contradictoires quant à la question de savoir si l’auteur a été informé de l’audience sur le désistement en novembre 2014. D’après les informations versées au dossier, le Comité constate qu’il n’a pas été établi que l’auteur avait été dûment informé de la tenue de l’audience sur le désistement de sa demande ou de l’audience relative à l’interdiction de territoire. Il note en outre que, lorsqu’il en a eu le droit, l’auteur a par la suite introduit une demande d’examen des risques avant renvoi, ainsi qu’une demande de contrôle juridictionnel devant la Cour fédérale concernant les griefs soulevés dans la plainte dont il a saisi le Comité. Il note qu’une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’a pas d’effet suspensif et ne constituerait donc pas un recours utile contre la mesure d’expulsion dont l’auteur fait l’objet. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif d’examiner la présente plainte.

6.4Le Comité note en outre que, selon l’État partie, la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il prend note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas indiqué clairement en quoi l’article 2 (par. 3) du Pacte avait été violé, et les griefs de l’auteur ont été examinés dans le cadre de plusieurs procédure internes. Il rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que les dispositions de l’article 2, qui imposent une obligation générale aux États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note également que l’auteur dit avoir été menacé en détention par des agents des services d’immigration canadiens qui ont également cherché à l’intimider, et n’avoir pas été autorisé à communiquer avec son conseil alors qu’il se trouvait en détention administrative. Il relève toutefois que l’auteur n’a pas donné plus de précisions à ce sujet et n’a pas apporté d’éléments de nature à étayer ses allégations ; il conclut par conséquent que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il a soulevés au titre des articles 10 et 14 (par. 3 b)) du Pacte, et déclare ces griefs irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité note que, selon l’auteur, sa conversion au christianisme l’exposerait au risque d’être exécuté, torturé ou soumis à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en République islamique d’Iran, en violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 6 et 7 du Pacte. Il prend note en outre de l’argument de l’auteur selon lequel il ne pourrait pas pratiquer sa religion s’il était expulsé vers la République islamique d’Iran. Il considère qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a suffisamment étayé les allégations formulées au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Concernant les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 18 du Pacte, le Comité considère qu’ils sont indissociables de ceux formulés au titre des articles 6 et 7, et passe donc à l’examen des questions soulevées au titre de l’article 18 en ce qu’elles se rapportent au fond des griefs formulés au titre des articles 6 et 7.

6.7Au vu de ce qui précède, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte, et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de la personne concernée. Le Comité rappelle que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire, manifestement erronée ou a constitué un déni de justice.

7.3Le Comité note que l’auteur affirme qu’en République islamique d’Iran, sa conversion au christianisme l’exposerait au risque d’être exécuté, torturé ou soumis à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en détention. Il note que, selon l’auteur, son frère, opposant au régime iranien, a été exécuté en 2006, et que l’auteur lui-même aurait été arrêté alors qu’il se trouvait de passage en République islamique d’Iran en 2012 et aurait été soumis à un interrogatoire par les autorités, qui cherchaient à savoir s’il s’était converti au christianisme. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteur qui fait valoir qu’il n’a pas de passeport iranien valide et n’aurait pas non plus de visa de sortie, et qu’il serait donc arrêté et soumis à un interrogatoire à son retour dans le pays.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le fait que l’auteur ait été en mesure de retourner en République islamique d’Iran et d’en repartir en 2012 montre qu’il n’intéresse guère les autorités iraniennes. Il relève que les autorités de l’État partie ont retenu que l’auteur s’était converti au christianisme, mais ont considéré qu’il ne courrait pas de risque à son retour puisqu’il ne divulguerait pas sa conversion. Le Comité prend note du moyen tiré par l’auteur de la lettre de son prêtre, qui atteste qu’il mène des activités de témoignage et d’évangélisation en tant que membre de sa congrégation, et de l’argument de l’auteur selon lequel son nom et sa conversion ont été rendus publics sur Internet par des militants de l’église qui tentaient d’empêcher son expulsion. Il relève que l’auteur dit être membre d’une congrégation tenue de faire du prosélytisme et fait valoir qu’il ne devrait pas être obligé de pratiquer sa religion en secret, dans la peur, sans pouvoir aller à l’église ni faire partie d’une communauté.

7.5Concernant les allégations de l’auteur selon lesquelles il risquerait d’être persécuté en raison de sa conversion s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient de déterminer s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’une telle conversion peut avoir, dans le pays d’origine de l’intéressé, des conséquences graves de nature à créer un risque réel et personnel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et7 du Pacte. En conséquence, les autorités devraient s’attacher à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, le comportement du demandeur d’asile et les activités qu’il a menées en lien avec sa conversion ou ses convictions pourraient avoir dans le pays d’origine des conséquences graves de nature à l’exposer à un risque de préjudice irréparable.

7.6En l’espèce, le Comité observe que le fait que la conversion de l’auteur a été considérée comme authentique par les autorités de l’État partie n’est pas contesté. Il note toutefois que, lorsqu’elles ont étudié la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par l’auteur, les autorités nationales ont conclu que, d’après les rapports sur le pays, le profil de l’auteur ne permettait pas de conclure qu’il intéresserait les autorités iraniennes. Il note également que l’auteur s’est rendu en République islamique d’Iran en 2012 et en est reparti, et que, tout en affirmant qu’il n’a pas de passeport iranien valide ni de visa de sortie, il n’a fourni aucune information sur la manière dont il est entré en République islamique d’Iran et en est reparti lorsqu’il a rendu visite à sa mère cette année‑là. Le Comité note enfin que, si l’auteur conteste les conclusions des autorités de l’État partie quant au risque de préjudice qu’il affirme courir en République islamique d’Iran en raison de sa conversion, il ne lui a fourni aucune information pertinente à l’appui deses déclarations selon lesquelles sa conversion présumée serait connue des autorités iraniennes, il pratiquerait le christianisme en République islamique d’Iran d’une manière qui attirerait l’attention des autorités sur lui ou il a été pris pour cible par les autorités iraniennes en raison de sa conversion.

7.7Le Comité considère que les informations dont il dispose montrent que l’État partie a tenu compte de tous les griefs soulevés par l’auteur devant ses autorités nationales et de tous les éléments disponibles lorsqu’il a évalué les risques que l’intéressé avait cités, et qu’il n’a relevé aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions. Il considère en outre que, si l’auteur conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, il n’a pas montré que leurs décisions étaient clairement arbitraires ou manifestement erronéesou constituaient un déni de justice. En conséquence, il considère que les éléments de preuve et les faits présentés par l’auteur ne suffisent pas à démontrer qu’il courrait un risque réel et personnel d’être soumis à des traitements contraires aux articles 6et 7 du Pacte s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. En conséquence, le Comité ne peut pas conclure que les informations dont il dispose montrent que les droits que l’auteur tient des articles6 et 7 du Pacte seraient violés s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’expulsion de l’auteur vers la République islamique d’Iran constituerait, si elle avait lieu, une violation des droits que l’intéressé tient des articles 6 et 7 du Pacte.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Yadh Ben Achour, Duncan Laki Muhumuza, José Manuel Santos Pais, Kobauyah Tchamdja Kpatcha et Hélène Tigroudja

1.Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à la décision du Comité selon laquelle les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’expulsion de l’auteur vers la République islamique d’Iran, si elle avait lieu, violerait les droits que l’intéressé tient de des articles 6 et 7 du Pacte (par. 8). De fait, dans la présente affaire, plusieurs éléments conduisent indubitablement à la conclusion inverse.

2.L’auteur de la communication est S. K., de nationalité iranienne, né en 1983. Sa demande d’asile a été rejetée par les autorités canadiennes. Or, la famille de l’auteur a été persécutée dans la République islamique d’Iran, non seulement parce que ses membres sont des adeptes du soufisme, un courant mystique de l’islam, qui sont particulièrement harcelés par la République islamique d’Iran, mais aussi parce qu’ils sont monarchistes. Le père de l’auteur a déjà été arrêté, son oncle maternel a été exécuté et des membres de sa famille élargie ont fui le pays et obtenu une protection à l’étranger. Le frère de l’auteur, qui était socialiste et s’était élevé ouvertement contre le régime en place, a été exécuté en 2006 (par. 2.1, 4.7 et 5.2).

3.L’auteur lui-même a été détenu et soumis à de mauvais traitements pendant cinq jours en République islamique d’Iran en 2002 pour avoir défendu sa cousine contre des membres de la milice bassidj. À d’autres occasions, il a également été victime de harcèlement et a été soumis à des pressions. En 2005, il a quitté la République islamique d’Iran pour la Grèce, où il est resté jusqu’en 2012 et où il a commencé à aller à l’église (par. 2.2 et 4.8). En août 2012, ayant appris que sa mère, qui ne s’était pas remise de l’exécution de son fils, souffrait d’une dépression sévère, il a décidé de lui rendre visite en République islamique d’Iran. Il a été arrêté alors qu’il cherchait à faire renouveler son passeport, et on lui a dit que les autorités avaient été informées qu’il se rendait à l’église en Grèce et exigeaient de savoir s’il s’était converti au christianisme. L’auteur pense que les autorités avaient été renseignées par un informateur membre de la communauté de réfugiés iraniens d’Athènes (par. 2.3).

4.En septembre 2012, l’auteur a quitté le pays pour se réfugier en Norvège, où il avait de la famille (par. 2.4 et 4.8), et a rejoint un groupe monarchiste du nom d’Ashti-e Melli. Il s’est ensuite rendu au Canada, où il a demandé l’asile en janvier 2014, a commencé à aller à l’église et s’est fait baptiser. Il participe désormais activement aux activités de sa paroisse (par. 2.5).

5.L’auteur soutient qu’en République islamique d’Iran, sa conversion au christianisme lui ferait courir le risque d’être exécuté et d’être torturé ou soumis à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. S’il était expulsé vers la République islamique d’Iran, il ne pourrait pas pratiquer sa religion (par. 3.1). Il fait aussi valoir qu’il n’a pas de passeport iranien valide et fait observer que les Iraniens renvoyés en République islamique d’Iran sans visa de sortie dans leur passeport sont obligatoirement arrêtés et que le fait de quitter le pays illégalement est passible d’une peine d’une à trois années d’emprisonnement ou d’une amende (par. 3.2). Il risquerait d’être soumis à des mauvais traitements pendant sa détention et de ne pas pouvoir pratiquer sa religion (par. 3.2).

6.Le 14 décembre 2017, la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande de l’auteur tendant à ce que la décision prise par l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi fasse l’objet d’un contrôle juridictionnel, jugeant que l’agent avait eu des raisons valables de conclure que l’auteur ne courrait pas personnellement de risque puisqu’il ne menait aucune activité liée à sa foi chrétienne en public et n’exerçait pas de fonctions officielles pour le compte de sa congrégation (par. 4.9). Toutefois, l’État partie reconnaît aussi (par. 4.11) que, selon des sources objectives, lorsqu’une personne se convertit et mène une vie anonyme de chrétien, cela ne suffit pas pour qu’elle soit arrêtée ; en revanche, si après s’être convertie, la personne concernée mène d’autres activités, par exemple si elle fait du prosélytisme ou forme d’autres personnes, la situation est différente. Il ressort également de rapports objectifs que les convertis rentrés en République islamique d’Iran qui, à leur retour, ne mènent pas d’activités liées au christianisme n’intéressent pas les autorités, sauf s’ils étaient connus de celles-ci avant leur départ. Lorsqu’une personne a attiré l’attention des autorités précédemment pour des raisons autres que la religion, ces raisons, conjuguées à la religion, peuvent accroître les risques auxquels elle est exposée.

7.L’auteur affirme à cet égard (par. 5.2) avoir produit de nombreux éléments de preuve à l’appui de ses allégations dans sa demande d’examen des risques avant renvoi, notamment le certificat d’inhumation de son frère, qui atteste que celui-ci a été exécuté par pendaison en prison par les autorités iraniennes. Il a également joint son certificat de baptême et des photographies et documents attestant sa conversion au christianisme, ainsi qu’une lettre de son prêtre dans laquelle celui-ci déclarait que l’auteur menait des activités de témoignage et d’évangélisation en tant que membre de sa congrégation. Son nom et sa conversion au christianisme ont été rendus publics sur Internet par des militants de l’Église, et l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a lui-même retenu qu’il s’était converti au christianisme. Toutefois, l’agent a conclu que l’auteur était soufi et qu’en tant que tel il ne pratiquait pas l’islam, ce qui est une erreur, car le soufisme est une branche de l’islam et les soufis sont persécutés par le régime iranien parce qu’ils n’appliquent pas les préceptes de la religion d’État, ce qui accroît le risque auquel l’auteur serait exposé s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. L’auteur fait observer en outre qu’Amnesty International demeure préoccupé par les persécutions dont les personnes converties au christianisme continuent de faire l’objet en République islamique d’Iran, la conversion d’un musulman, ou apostasie, étant passible de la peine de mort si la personne concernée refuse de se convertir de nouveau à l’islam (par. 5.3). Enfin, l’auteur dit qu’il est membre d’une congrégation tenue de faire du prosélytisme et qu’il ne devrait pas être obligé de pratiquer sa religion en secret, dans la peur, sans pouvoir aller à l’église ni faire partie d’une communauté. Le simple fait de posséder une bible l’exposerait à des risques si le régime venait à le trouver en possession de celle-ci (par. 5.4).

8.Il ressort de la jurisprudence du Comité que, pour évaluer si une personne risque d’être persécutée en raison de sa conversion si elle était renvoyée dans son pays d’origine, il convient de déterminer s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’une telle conversion peut avoir, dans ce pays, des conséquences graves de nature à créer un risque réel et personnel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte.

9.En l’espèce, le Comité observe que le fait que la conversion de l’auteur a été considérée comme authentique par les autorités de l’État partie n’est pas contesté (par. 7.6). Néanmoins, les parties sont en désaccord sur le point de savoir si l’auteur fait du prosélytisme et s’est fait connaître en tant que membre de sa congrégation. À cet égard, il faut tenir compte des informations fournies par le prêtre de l’auteur selon lesquelles celui-ci mène des activités de témoignage et d’évangélisation en tant que membre de sa congrégation, et donc accorder foi à l’argument de l’auteur selon lequel on ne devrait pas attendre de lui qu’il dissimule sa foi et ses activités religieuses pour ne pas être persécuté, et accorder foi également à ses déclarations selon lesquelles son nom et sa conversion au christianisme ont été rendus publics sur Internet en relation avec son appartenance à la congrégation. En outre, il convient de tenir compte du fait que l’auteur a déjà été détenu et interrogé sur sa conversion en 2012 alors qu’il se trouvait en République islamique d’Iran pour un mois seulement, ainsi que de ses déclarations selon lesquelles son frère a été exécuté en tant qu’opposant au régime et que plusieurs membres de sa famille ont été persécutés.

10.Au vu de tous ces éléments, examinés conjointement avec les rapports sur la situation des convertis chrétiens en République islamique d’Iran qui ont été portés à l’attention des autorités, nous sommes d’avis que l’État partie n’a pas procédé à une évaluation suffisamment individualisée du cas de l’auteur pour déterminer s’il y avait des motifs sérieux de croire que l’intéressé courrait un risque réel et personnel de préjudice irréparable tel qu’envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte s’il était expulsé vers la République islamique d’Iran.