Nations Unies

CCPR/C/130/D/2918/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 janvier 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2918/2016 * , ** , ***

Communication présentée par :

D. Z. (représenté par un conseil, James A. Goldston, de Open Society Justice Initiative, et par sa mère)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Pays-Bas

Date de la communication :

23 novembre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 28 décembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

19 octobre 2020

Objet :

Droit d’acquérir une nationalité

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Droit de l’enfant d’acquérir une nationalité ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3) et 24

Article(s) du Protocole facultatif:

3

1.L’auteur de la communication est D. Z., né le 18 février 2010, sans nationalité reconnue. Il affirme que l’État partie, du fait que ses autorités l’ont, dès sa naissance, enregistré sous la mention « nationalité inconnue » et qu’elles ne lui laissent aucune perspective d’acquérir une nationalité, a violé les droits qu’il tient de l’article 24 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 11 mars 1979. L’auteur est représenté par un conseil et par sa mère.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1La mère de l’auteur est née en Chine en 1989, mais sa naissance n’a pas été enregistrée à l’état civil chinois. L’enregistrement de la naissance et l’établissement de l’état civil en Chine passent par l’inscription de l’intéressé dans un registre des ménages. L’enregistrement des ménages (hukou) conditionne l’accès aux services publics. La mère de l’auteur a été abandonnée par ses parents lorsque son frère est né, quelques années après elle.

2.2N’étant pas enregistrée à l’état civil en Chine, la mère de l’auteur n’a pas pu obtenir de preuve de sa nationalité chinoise. Elle ne possède aucun document établissant son identité. En 2004, à l’âge de 15 ans, elle a été amenée par des trafiquants aux Pays-Bas mais a pu s’échapper à son arrivée à l’aéroport de Schiphol, près d’Amsterdam. Elle a déposé le 8 août 2004 une demande d’asile, qui a été rejetée le 25 août 2004. Ce rejet a été confirmé en appel. En 2006, elle a été contrainte de se livrer à la prostitution. Elle a finalement réussi à s’échapper et, le 20 mars 2008, elle s’est présentée à la Police des Pays-Bas en se disant victime de la traite des êtres humains. L’enquête ouverte pour prostitution forcée la concernant a duré plus d’un an mais la police y a mis fin le 28 mai 2009 faute d’avoir pu identifier ou localiser les trafiquants. Le permis de séjour temporaire spécial qui avait d’abord été accordé à la mère de l’auteur pendant l’enquête de police lui a été retiré une fois l’enquête terminée. Toutes ses demandes et tous ses recours ont été rejetés et elle est actuellement classée dans la catégorie des « étrangers illégaux », de même que l’auteur. Le père de l’auteur n’a pas de contact avec lui ni avec sa mère et n’a pas reconnu la paternité.

2.3L’auteur est né le 18 février 2010 à Utrecht et a été enregistré dans la base de données personnelles de la municipalité avec la mention « nationalité inconnue », puisque sa mère n’avait produit aucune preuve de sa nationalité. La mère de l’auteur a cherché à plusieurs reprises à obtenir pour son fils une déclaration ou une confirmation de nationalité chinoise, notamment en s’enquérant auprès des autorités chinoises de la situation de l’auteur au regard de cette nationalité, en vue de satisfaire aux prescriptions de la législation des Pays-Bas qui imposent de fournir une preuve déterminante de sa nationalité ou de son absence de nationalité pour pouvoir faire modifier la mention « nationalité inconnue » dans le registre d’état civil. Ces démarches l’ont en particulier amenée à contacter plusieurs entités en Chine. En 2010, elle a écrit à son ancienne école primaire, à la Commission chinoise de planification familiale et au Bureau général, mais n’a obtenu aucune réponse. Avec l’assistance du Conseil néerlandais pour les réfugiés, elle a également cherché à obtenir des documents auprès des autorités chinoises aux Pays-Bas. Les 10 avril 2009 et 11 janvier 2010, elle s’est rendue à l’ambassade de Chine avec des représentants du Conseil néerlandais pour les réfugiés. Cependant, ses demandes aux fins de clarification de sa situation sont restées sans réponse. Les 29 juin 2010, 21 novembre 2011 et 18 octobre 2012, elle s’est rendue à l’ambassade de Chine avec des membres de la Croix‑Rouge. Lors de la dernière visite, le 18 octobre 2012, elle a également demandé une déclaration de nationalité pour l’auteur. L’ambassade de Chine l’a informée qu’une attestation de nationalité chinoise ne pouvait être délivrée pour l’auteur que si elle-même était enregistrée comme ressortissante chinoise, ce qui n’était pas le cas. Les 19 janvier et 30 septembre 2010, le Conseil néerlandais pour les réfugiés a sollicité l’assistance de l’Organisation internationale pour les migrations, mais ces efforts n’ont rien donné de concret. Le 19 janvier 2012, la Croix-Rouge a elle aussi cherché, par l’intermédiaire de son Service de recherche, à obtenir des documents. Les conditions élémentaires à satisfaire pour pouvoir engager de telles recherches n’étaient cependant pas satisfaites car la mère de l’auteur ne possédait aucun document attestant sa propre identité.

2.4Pour cette raison, malgré des années de démarches, la mère de l’auteur n’a pas réussi à faire changer en « apatride » la mention figurant dans le registre d’état civil concernant la nationalité de l’auteur de façon à ce que celui-ci puisse bénéficier des protections internationales accordées aux enfants apatrides, notamment du droit d’acquérir la nationalité de l’État dans lequel il est né, à savoir les Pays-Bas. Il n’est pas possible de faire rectifier l’enregistrement de l’auteur parce que les règles d’enregistrement internes imposent à cet effet la présentation de preuves strictes et qu’il n’existe pas de procédure appropriée pour la détermination du statut d’apatride. L’auteur fait observer qu’il s’agit d’un problème de taille dans l’État partie. D’après une étude réalisée en 2011 par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 90 000 personnes inscrites dans le registre d’état civil étaient de nationalité « inconnue », dont 13 000 enfants, nés pour beaucoup aux Pays-Bas. En septembre 2016, 74 055 personnes étaient indiquées comme étant de nationalité « inconnue », dont 13 169 enfants de moins de 10 ans.

2.5Le 12 juillet 2012, la mère de l’auteur a demandé au service d’état civil de la municipalité d’Utrecht que l’auteur soit inscrit dans le registre sous la mention « apatride » au lieu de « nationalité inconnue ». Le 17 septembre 2012, la municipalité a rejeté cette demande au motif que rien ne prouvait que l’auteur fût sans nationalité. Elle considérait qu’il fallait établir, au moyen de documents juridiques officiels ou délivrés par l’État, que l’auteur était apatride, c’est-à-dire qu’il n’avait pas la nationalité chinoise. Selon son interprétation du droit chinois, l’auteur était présumé être un ressortissant chinois.

2.6La mère de l’auteur a formé un recours administratif contre la décision de la municipalité. Le 22 novembre 2012, ce recours a été rejeté au motif qu’aucun élément, tels que des documents officiels émanant des autorités chinoises confirmant que l’auteur ne possédait pas la nationalité chinoise, ne prouvait que celui-ci fût apatride. La mère de l’auteur s’est pourvue contre ce rejet auprès du tribunal de district de Midden-Nederland. Le tribunal a rejeté son recours dans une décision du 12 avril 2013, soulignant que la responsabilité de prouver l’absence de nationalité incombait à l’auteur et que la municipalité n’était pas tenue d’enquêter sur la question. L’auteur a alors saisi le Conseil d’État. Le 21 mai 2014, la Division du droit administratif du Conseil d’État, instance d’appel suprême dans le pays, a jugé que la municipalité avait pris une décision correcte en considérant que l’auteur n’avait pas dûment montré qu’il était apatride. Le Conseil d’État a conclu que ni le droit national ni le droit international ne contenaient de disposition régissant les procédures d’établissement de l’apatridie qui soit impérative pour les autorités de l’État partie. Il a également conclu que ce n’était pas aux autorités de mener des enquêtes et de déterminer le statut d’apatride. Il a toutefois reconnu que l’absence de procédure de détermination du statut créait un vide juridique au détriment des personnes pouvant prétendre à une protection, notamment les enfants. Le Conseil d’État a conclu que c’était au législateur d’y remédier, faisant observer ce qui suit [traduction non officielle] : « Tant que leur apatridie n’a pas été établie, les personnes sans nationalité ne peuvent invoquer une protection en vertu des conventions relatives à l’apatridie et de la législation néerlandaise découlant de ces conventions. Toutefois la tâche de combler cette lacune outrepasse la compétence législative du pouvoir judiciaire. ».

2.7L’auteur souligne que tant qu’il n’est pas enregistré comme apatride, il ne peut acquérir la nationalité néerlandaise. De plus, même s’il parvenait à faire remplacer la mention « nationalité inconnue » par celle d’« apatride », il ne disposerait toujours d’aucun moyen précis pour acquérir la nationalité néerlandaise puisque l’État partie exige que les enfants qui sont nés apatrides sur son territoire y aient résidé légalement pendant au moins trois ans avant de pouvoir demander la nationalité néerlandaise. L’auteur fait observer que cette disposition est contraire aux obligations qui incombent aux Pays-Bas en tant que partie à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, selon laquelle les États ne peuvent imposer que des conditions de résidence habituelle. Il fait observer que l’État partie a reconnu que sa législation n’était pas conforme à la Convention de 1961.

2.8Le 26 mars 2015, l’auteur s’est adressé à la municipalité de Katwijk en demandant à être reconnu comme citoyen néerlandais, invoquant son droit d’acquérir une nationalité bien que n’étant pas enregistré comme apatride et ne possédant pas de permis de séjour aux Pays‑Bas. En rejetant cette demande, le maire de Katwijk a reconnu que l’État partie n’avait pas de procédure de détermination du statut, et faute d’une telle procédure l’auteur ne pouvait pas établir qu’il était apatride. À l’instar du Conseil d’État, le maire a conclu qu’il outrepasserait son mandat de maire s’il statuait sur la question. Le 15 septembre 2015, la Commission des recours a confirmé la décision du maire, déclarant qu’il n’existait pas de procédure pour déterminer l’apatridie mais qu’il n’appartenait pas au maire de remédier à cette « lacune juridique ». Le 28 octobre 2015, l’auteur a fait appel de cette décision auprès du tribunal de La Haye. Le 3 mars 2016, ce tribunal a rejeté l’appel au motif que l’auteur n’était pas enregistré comme apatride. Le Conseil d’État a confirmé cette décision le 2 novembre 2016.

2.9L’auteur vit avec sa mère dans un centre pour demandeurs d’asile déboutés avec jeunes enfants et la liberté y est limitée. Il n’a pratiquement aucun contact avec la société néerlandaise et vit sous la menace permanente d’une expulsion. Sa mère n’a droit à aucune prestation sociale hormis une petite allocation hebdomadaire. Les centres à liberté limitée dans l’État partie ont vocation à servir de structures d’hébergement temporaire rudimentaire, mais l’auteur fait observer qu’au moment où il a soumis sa communication au Comité, cela faisait trois ans qu’il vivait dans un tel centre avec sa mère. Il dit que ce système a été vivement critiqué par des groupes de défense des droits de l’enfant comme étant particulièrement préjudiciable et traumatisant pour les enfants. Les personnes qui y résident ne peuvent pas quitter la circonscription municipale dont elles relèvent et doivent se soumettre tous les jours, sauf le dimanche, à des contrôles stricts sous peine de détention pénale. Les enfants vivent dans un climat de peur permanente et sont victimes de problèmes de santé, de tensions familiales et d’exclusion sociale à cause des restrictions dont ils font l’objet dans ces centres.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le fait qu’il n’ait eu aucune véritable possibilité d’acquérir une nationalité dans son enfance et qu’il a déjà passé des années dans des limbes juridiques, à cause de la manière dont l’État partie traite l’apatridie et des règles connexes concernant les droits de séjour et d’acquisition de la nationalité, constitue une violation du droit d’acquérir une nationalité que lui garantit l’article 24 (par. 3) du Pacte. Il explique qu’au moment où il a soumis sa communication au Comité, il était enregistré sous la mention « nationalité inconnue » depuis plus de six ans, dans le pays où il est né et qui est le seul où il ait jamais vécu, sans la moindre perspective d’acquérir une nationalité ni même d’établir formellement son statut d’apatride en vue de pouvoir acquérir une nationalité. Selon l’auteur, lorsque l’on examine l’objet général de l’article24 (par. 3), il importe de reconnaître les liens qui existent entre le droit d’acquérir une nationalité, la jouissance de la personnalité juridique et le respect de la dignité humaine, et de reconnaître la responsabilité qui en découle d’assurer le développement personnel de l’enfant en rapport avec ces aspects importants de l’identité individuelle dès la naissance.

3.2L’auteur affirme en outre que l’État partie n’a pas respecté son obligation de veiller à ce que tous les enfants, y compris les enfants apatrides et les enfants nés de parents en situation migratoire irrégulière, jouissent de tous les droits énoncés dans le Pacte, et ainsi violé les droits qu’il tient de l’article 24, lu isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte. Il fait valoir que la violation de son droit d’acquérir une nationalité ne résulte pas d’une décision isolée ou propre à son cas. Elle est au contraire la conséquence directe de l’incapacité des autorités de l’État partie de donner effet, dans la législation et les règles administratives régissant l’inscription au registre d’état civil, la nationalité et le statut migratoire de l’État partie, aux droits énoncés à l’article 24. L’auteur soutient que les protections juridiques internes contre l’apatridie sont insuffisantes car : a) il n’existe toujours pas dans l’État partie de procédures justes et équilibrées pour déterminer l’apatridie, notamment l’apatridie à la naissance ; b) l’État partie n’applique aucune autre mesure qui permettrait de prévenir et réduire les cas d’apatridie chez les enfants, ce qui assurerait la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’auteur et le respect de tous les droits qu’il tient du Pacte, dans les mêmes conditions que les autres enfants.

3.3L’auteur affirme également que l’État partie ne lui a pas offert de recours utile, en violation des droits qui lui sont garantis à l’article24, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, et que ce manquement a été reconnu par le Conseil d’État dans sa décision du 21 mai 2014.

3.4L’auteur demande au Comité de conclure à une violation des droits qu’il tient des articles susmentionnés et de recommander à l’État partie : a) de remplacer au regard de son nom, dans la base de données personnelles de la municipalité, la mention « nationalité inconnue » par celle d’« apatride » ; b) de lui accorder immédiatement un permis de séjour régulier aux Pays-Bas, avec effet rétroactif depuis sa naissance ; c) d’établir dans la législation une procédure de détermination du statut d’apatride et d’accès à des droits tels que le droit de séjour, avec des garanties structurelles et procédurales pour assurer l’accessibilité, l’équité et la flexibilité de son fonctionnement, en particulier en ce qui concerne les enfants ; d) de modifier l’article 6 (par. 1 b)) de la loi relative à la nationalité de sorte que la nationalité néerlandaise soit accessible aux enfants apatrides qui sont nés sur le territoire mais ne possèdent pas de permis de séjour.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 28 juin 2017, l’État partie a reconnu que l’auteur était actuellement dans l’incapacité de jouir effectivement de son droit d’acquérir une nationalité en tant que mineur.

4.2L’État partie informe le Comité que deux projets de loi sont en cours d’élaboration ; ils visent à établir une procédure de détermination du statut d’apatride et à donner aux enfants qui sont nés apatrides aux Pays-Bas et qui ne résident pas légalement dans l’État partie la possibilité d’acquérir la nationalité néerlandaise, à certaines conditions. L’État partie se dit en outre disposé à offrir à l’auteur une indemnisation de 3 000 euros et à lui rembourser tous les frais et dépenses encourus dans le cadre de la procédure intentée devant le Comité, sous réserve que ceux-ci soient dûment détaillés et raisonnables.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 8 septembre 2017, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il répète que l’État partie devrait assumer l’entière responsabilité des violations commises à son égard, le considérer comme un citoyen néerlandais, l’indemniser dûment pour le préjudice subi et établir, dans sa législation, une procédure permanente permettant aux personnes qui se trouvent dans son cas de se voir reconnaître le statut d’apatride et d’acquérir la nationalité néerlandaise. Il ajoute que bien que l’État partie reconnaisse que les droits de l’auteur ont été violés, il n’admet pas suffisamment sa responsabilité dans la réponse. En effet : a) l’État partie doit admettre clairement et sans équivoque toutes les violations commises ainsi que sa responsabilité dans ces violations, et ne peut se contenter d’une vague déclaration selon laquelle une violation non précisée a eu lieu ; b) la réparation individuelle proposée est insuffisante, l’État partie offrant à l’auteur une indemnisation de 3 000 euros, sans rien d’autre de concret, et sans garantie qu’il obtiendra la nationalité néerlandaise ni même qu’il sera enregistré comme apatride ; c) la réparation générale proposée par l’État partie n’offre pas de garantie de non-répétition.Selon l’auteur, le Comité devrait par conséquent procéder à un examen approfondi de la communication, en particulier au regard des obligations positives qui incombent à l’État partie en application du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, de prendre des mesures pour lutter contre l’apatridie chez l’enfant, et du paragraphe 3 de ce même article, d’offrir des recours si des cas d’apatridie se produisaient néanmoins.

5.2L’auteur dit que, pour être effectivement rétabli dans ses droits conformément au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant : a) il devrait être reconnu et traité comme s’il avait le statut « autrement apatride de naissance », ce qui lui donnerait droit à un permis de séjour avec effet rétroactif à compter de sa naissance et lui permettrait de demander immédiatement la nationalité néerlandaise via une procédure accélérée ; b) il devrait pouvoir quitter le centre de liberté restreinte avec sa famille ; c) il devrait recevoir une indemnisation monétaire de 25 000 euros, qui refléterait bien l’ampleur du préjudice qu’il a subi ; d) des mesures générales devraient être prises pour remédier aux violations présentes et futures du droit à la nationalité garanti par le Pacte .

5.3L’auteur dit que pour s’acquitter de ses obligations au titre du Pacte, l’État partie devrait établir dans sa législation un cadre accessible et efficace pour la détermination du statut d’apatride, présentant les caractéristiques suivantes : a) l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la première considération à prendre en compte dans toute action ou décision touchant un enfant et, en particulier, des garanties doivent s’appliquer pour empêcher l’apatridie ; b) les enfants devraient avoir accès à une procédure de détermination de l’apatridie et leurs demandes devraient être examinées quel que soit le statut migratoire de leurs parents ; c) cette procédure devrait être accessible à toute personne, que son séjour dans l’État partie soit légal ou non ; d) les autorités responsables de la détermination du statut d’apatride devraient recevoir une formation et un appui, notamment une formation spécialisée sur le droit de la nationalité, le droit international des droits de l’homme et l’apatridie ; e) la procédure devrait prévoir une approche de la preuve qui tienne compte des difficultés qu’il y a à déterminer si une personne est ou non apatride ; f) aucun enfant ne devrait être enregistré pendant plus de cinq ans comme étant de nationalité inconnue ou indéterminée ; g) les personnes dont la nationalité est indéterminée devaient bénéficier de mesures spéciales de protection et les enfants nés sur le territoire de l’État partie devraient être traités comme « apatrides » jusqu’à ce qu’une nationalité leur soit reconnue, et les personnes attendant qu’il soit statué sur leur statut d’apatride devraient obtenir automatiquement un permis de séjour pour la durée de la procédure.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Le 23 avril 2018, l’État partie a réitéré la position qu’il avait exposée dans ses observations du 28 juin 2017.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur disant qu’il a épuisé tous les recours internes dont il disposait. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ont été satisfaites.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’État partie a violé les obligations qui lui incombent au titre de l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec l’article 24, puisqu’il n’a pas adopté les lois et règlements administratifs nécessaires pour donner effet aux droits énoncés à l’article 24 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence, d’où il ressort que les dispositions de l’article 2 (par. 2) ne sauraient être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte qui affecte directement la personne qui se dit lésée. Le Comité note toutefois que l’auteur a déjà invoqué une violation de ses droits au titre de l’article 24, due à l’interprétation et à l’application des lois en vigueur dans l’État partie. Le Comité ne pense pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie n’a pas non plus respecté les obligations générales que lui impose l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec l’article 24, serait différent de l’examen d’une violation des droits de l’auteur au titre de l’article 24. En conséquence, le Comité considère que les griefs de l’auteur à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5De l’avis du Comité, l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 24 (par. 3) du Pacte, lu isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et il passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité rappelle qu’aux termes de l’article 24, tout enfant a droit aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur. Il rappelle également que le principe selon lequel, dans toute décision touchant un enfant, l’intérêt supérieur de celui‑ci doit être une considération primordiale doit faire partie intégrante du droit de tout enfant aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur, comme le prescrit l’article 24 (par. 1) du Pacte. Le Comité rappelle son observation générale no17 (1989), dans laquelle il fait observer que si l’article 24 (par. 3) du Pacte a pour but d’éviter qu’un enfant ne soit moins protégé par la société et l’État s’il est apatride, il n’impose pas pour autant aux États parties de donner en toutes circonstances leur nationalité à tout enfant né sur leur territoire. Cependant, dans le même observation générale, le Comité fait observer que « les États sont tenus d’adopter toutes les mesures appropriées, sur le plan interne et en coopération avec les autres États, pour que tout enfant ait une nationalité dès sa naissance. Ils ne devraient tolérer dans la législation interne en matière d’acquisition de la nationalité aucune discrimination qui distingue entre enfants légitimes et enfants nés hors mariage ou de parents apatrides, ou qui soit motivée par la nationalité des parents ou de l’un d’entre eux ».

8.3Le Comité note que le HCR indique, dans les Principes directeurs sur l’apatridie no 4 : Garantir le droit de tout enfant d’acquérir une nationalité en vertu des articles1 à 4 de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie− Convention à laquelle les Pays‑Bas sont partie −, qu’« un État contractant doit accepter le fait qu’une personne n’est pas un ressortissant d’un État particulier si les autorités dudit État refusent de la reconnaître comme leur ressortissant. Un État peut refuser de reconnaître une personne comme son ressortissant, soit en déclarant explicitement qu’elle n’est pas un de ses ressortissants, soit en ne répondant pas à des requêtes visant à confirmer qu’un individu est un ressortissant de cet État ». LeComité observe également que les principes directeurs susmentionnés indiquent qu’en raison des difficultés qui surgissent souvent lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne a acquis une nationalité, la charge de la preuve doit être partagée entre le demandeur et les autorités de l’État contractant afin d’obtenir des éléments de preuve et d’établir les faits consistant à savoir si un individu serait autrement apatride. Le Comité observe en outre que, s’agissant de la classification d’enfants comme étant de « nationalité indéterminée », les principes directeurs recommandent aux États de « déterminer le plus vite possible si un enfant serait autrement apatride afin de ne pas prolonger le statut de nationalité indéterminée de l’enfant. Aux fins de l’application des articles 1 et 4 de la Convention de 1961, il serait judicieux que cette période ne dépasse pas cinq ans. Pendant la période où ils sont désignés comme étant de nationalité indéterminée, ces enfants doivent bénéficier des droits de l’homme (comme le droit à la santé et à l’éducation) dans les mêmes conditions que les enfants ressortissants du pays ».

8.4Le Comité rappelle en outre ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de l’État partie, dans lesquelles il a noté avec préoccupation que, selon certaines informations, le projet de loi définissant une procédure de détermination de l’apatridie ne garantit pas la délivrance d’un permis de séjour aux personnes reconnues comme apatrides, et que la procédure qui y est envisagée, notamment les critères régissant l’acquisition de la nationalité néerlandaise par les enfants nés de parents apatrides, n’est pas conforme aux normes internationales. Le Comité a recommandé à l’État partie de réexaminer et modifier le projet de loi afin de garantir que toute personne reconnue comme apatride obtienne un permis de séjour et puisse ainsi exercer pleinement les droits consacrés par le Pacte, et que la procédure de détermination de l’apatridie soit pleinement conforme aux normes internationales, ait pour objet de réduire le nombre de cas d’apatridie et tienne compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les cas où cette procédure concerne un mineur. Le Comité relève d’autre part que le Comité des droits de l’enfant, dans ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique de l’État partie au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant, a recommandé à l’État partie « de faire en sorte que tous les enfants apatrides nés sur son territoire aient accès sans conditions à la nationalité néerlandaise, quel que soit leur statut en matière de séjour ».

8.5S’agissant de la présente communication, le Comité des droits de l’homme note que la mère de l’auteur a contacté à plusieurs reprises les autorités chinoises, sans succès, pour savoir si elles considéraient l’auteur comme un ressortissant chinois. Il note également qu’après s’être rendue à l’ambassade de Chine, elle a été informée qu’elle ne pouvait obtenir pour l’auteur une preuve de nationalité chinoise que si elle-même était enregistrée comme ressortissant chinois. Il prend note de sa déclaration selon laquelle elle n’a pas été enregistrée comme ressortissant chinois à la naissance, ni à aucun stade ultérieur. Le Comité note que la demande déposée par la mère de l’auteur tendant à faire inscrire celui-ci comme apatride dans le registre d’état civil de l’État partie a été rejetée par les autorités internes au motif qu’aucun élément prouvant que l’auteur était apatride n’avait été produit, tel qu’un document officiel émanant des autorités chinoises confirmant qu’il ne possédait pas la nationalité chinoise. Le Comité note en outre que les autorités internes n’ont mentionné dans leurs décisions aucune autre mesure que la mère de l’auteur aurait pu prendre pour obtenir des autorités chinoises des documents officiels concernant le statut de l’auteur en matière de nationalité après l’échec de ses démarches répétées en ce sens. Le Comité relève également que les autorités internes n’ont pas enquêté de leur côté pour chercher à confirmer la nationalité de l’auteur, ou l’absence de nationalité. Il note en outre que le Conseil d’État a reconnu dans sa décision du 21 mai 2014 que l’absence de procédure permettant de déterminer le statut d’apatride dans l’État partie créait un vide juridique pour les personnes pouvant prétendre à une protection, notamment les enfants. Le Comité prend note également de l’observation de l’État partie disant qu’après avoir examiné la plainte de l’auteur, il avait conclu et reconnu que l’auteur était actuellement dans l’incapacité de jouir effectivement de son droit d’acquérir une nationalité en tant que mineur. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’article 24 (par. 3) du Pacte garantit à l’auteur. Il considère en outre que le fait de ne pas avoir accordé à l’auteur un recours utile constitue une violation des droits qui lui sont garantis à l’article 24 (par. 3), lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 24 (par. 3), lu isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’octroyer à l’auteur une indemnisation adéquate. Il est également tenu de revoir sa décision concernant la demande de l’auteur d’être inscrit comme apatride dans le registre d’état civil, ainsi que sa décision concernant la demande de l’auteur d’être reconnu comme citoyen néerlandais, compte tenu des présentes constatations ; il est en outre prié de réexaminer les conditions de vie de l’auteur et son permis de séjour, en tenant compte du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et des présentes constatations. De plus, l’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment en révisant sa législation, au regard des obligations que lui impose l’article 2 (par. 2) du Pacte, afin qu’elle prévoie une procédure de détermination du statut d’apatride et en révisant les conditions fixées par la loi pour demander la nationalité, de sorte que sa législation et ses procédures soient compatibles avec l’article 24 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe I

Opinion individuelle (concordante) de Yadh Ben Achour

1.Je suis pleinement d’accord avec le Comité sur la constatation de violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article24 (par. 3) du Pacte.

2.Cependant, j’exprime mon désaccord sur le paragraphe7.4 des présentes constatations, relatif à la recevabilité. L’auteur affirme que dans la mesure où l’État partie n’a pas adopté, sur un laps de temps excessivement long, les lois et règlements administratifs nécessaires pour donner effet aux droits qu’il tient de l’article24 du Pacte, celui-ci a, en conséquence, violé les obligations qui lui incombent au titre de l’article2 (par. 2), lu conjointement avec l’article24 du Pacte. À cet argument, le Comité oppose sa jurisprudence traditionnelle selon laquelle les dispositions de l’article2 (par. 2) ne sauraient être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte qui affecte directement la personne qui se dit lésée. Le Comité précise qu’il ne pense pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie n’a pas non plus respecté les obligations générales que lui impose l’article2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec l’article24, serait différent de l’examen d’une violation des droits de l’auteur au titre de l’article24. En conséquence, et dans le sillage de l’affaire Poliakov c. Bélarus (CCPR/C/111/D/2030/2011), le Comité considère que ces griefs sont irrecevables.

3.Je voudrais tout d’abord réaffirmer ici que je désapprouve les deux règles générales posées par les constatations du Comité dans l’affaire Poliakov c. Bélarus. La première indique que les dispositions de l’article2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. La deuxième implique que l’article2 ne peut être invoqué conjointement avec d’autres articles du Pacte, à moins de prouver que le manquement de l’État partie est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte qui affecte directement la victime.

4.La première règle, qui remonte à une jurisprudence bien antérieure à l’affaire Poliakov c. Bélarus, puisqu’elle date des années 1990, repose sur le caractère second ou « accessoire » des dispositions de l’article2 du Pacte, qui n’a pas d’effet substantiel sur les droits subjectifs qu’une personne pourrait tirer du Pacte. L’énoncé de ces droits ne commençant qu’à partir de la troisième partie du Pacte, il en résulte que le préambule et les articles1 à 5 ne peuvent pas être invoqués directement dans une communication présentée sur la base du Protocole facultatif, comme l’a décidé le Comité dans l’affaire Bande du lac Lubicon c. Canada (CCPR/C/38/D/167/1984). Cette interprétation soulève un immense débat. Je me contenterai d’affirmer qu’elle me semble contestable à plusieurs points de vue, notamment parce qu’elle est contraire aux règles d’interprétation posées par l’article31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, et parce qu’il est difficile de comprendre pourquoi une telle obligation peut être opposable à l’État partie, en vertu du Pacte, dans les observations finales du Comité (qui pourraient parfaitement servir de titre aux particuliers pour réclamer le respect de leurs droits par l’État partie), et ne pas l’être, en vertu du même Pacte, dans le cadre du Protocole facultatif. Ce dernier ne constitue pourtant qu’un instrument procédural de mise en application du Pacte, et non d’une partie du Pacte.

5.D’ailleurs, le Comité ne se prive pas de juger dans ce sens, comme il l’a fait dans l’affaire Rabbae et consorts c. Pays-Bas (CCPR/C/117/D/2124/2011, par. 9.7). Alors que l’État défendeur prétendait que l’article20 du Pacte n’était pas formulé en termes de droit opposable en justice, le Comité a estimé au contraire que cet article était bien opposable à l’État partie par les particuliers lésés et s’inscrivait dans la logique de protection qui sous‑tendait l’ensemble du Pacte. Or, l’article20 (par. 2) du Pacte est de la même veine que l’article2, puisqu’il s’agit en vérité d’un engagement de l’État partie d’interdire par la loi (mesures d’ordre législatif, à l’article2) tout appel à la haine. Et si l’article2, autant que l’article20, fait incontestablement partie de l’ensemble du Pacte, pourquoi alors le traiter autrement que l’article20 ? Cette méthode de tronçonnage du Pacte ne peut être acceptée.

6.La deuxième règle des constatations du Comité dans l’affaire Poliakov c. Bélarus, à supposer qu’elle soit acceptable sur le plan des principes juridiques, ce qui n’est pas le cas à mon avis, trouve précisément une parfaite application dans le présent cas. En effet, le manque de diligence du législateur néerlandais, qui a d’ailleurs été implicitement relevé dans les observations finales du Comité concernant le cinquième rapport périodique des Pays-Bas, a été la cause directe et unique de l’énorme préjudice subi par l’auteur. Ce préjudice est considérable, non seulement par sa teneur intrinsèque à l’égard des droits de l’enfant, mais également parce qu’il se trouve aggravé par son étalement dans le temps.

7.Le comportement de l’État partie dans le présent cas atteint le degré de gravité prévu par l’article16 du Pacte, puisqu’il s’agit quasiment d’un déni de personnalité juridique. Malgré des années de démarches, la mère de l’auteur n’a pas réussi à faire changer en « apatride » la mention « nationalité inconnue », de façon que cet enfant né sur le sol néerlandais d’une mère apatride puisse bénéficier du droit d’acquérir la nationalité. Quant à l’auteur, il affirme avoir déjà passé des années dans des limbes juridiques, exilé dans sa propre société, souffrant de conditions sociales extrêmement préjudiciables, à cause de cette manière dont l’État traite l’apatridie, le séjour et l’acquisition de la nationalité.

8.Par conséquent, dans le présent cas, le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article2 (par. 2) du Pacte est la cause directe et immédiate d’une violation distincte du Pacte. Il existe à mon avis une différence importante entre une violation de l’article2 (par. 2) lu conjointement avec l’article24 et une simple violation de l’article24 du Pacte. La première, en sus de la violation de l’article24, met l’accent d’une manière plus spécifique sur la responsabilité fautive et directe de l’État partie pour le préjudice subi par l’auteur.

9.Pour ces raisons, le grief tiré d’une violation de l’article2 (par. 2) du Pacte était, à mon avis, recevable en l’espèce.

Annexe II

Opinion individuelle (concordante) de Hélène Tigroudja

1.Je partage entièrement la conclusion à laquelle est parvenue la majorité du Comité en ce qui concerne la violation de l’article24 (par. 3) du Pacte par l’État partie. Cette conclusionconstitue sans aucun doute une contribution importante à la protection contre l’apatridie, surtout lorsqu’elle touche des enfants, comme c’est le cas dans la présente communication.

2.Toutefois, comme l’a très justement souligné mon collègue Yadh Ben Achour dans son opinion concordante (voir par.7), il est à regretter que la majorité ne se soit pas étendue sur les violationsd’autres dispositions du Pacte que la situation de l’auteur a entraînées, et plus précisément des dispositions de l’article16 (reconnaissance de la personnalité juridique) et celles de l’article7 (interdiction de traitement inhumain), et qui sont implicitement évoquées.

3.Au paragraphe3.1 de la communication, l’auteur demande que soient reconnus « lesliens qui existent entre le droit d’acquérir une nationalité, la jouissance de la personnalité juridique et le respect de la dignité humaine ». Bien que l’auteur n’ait pas formellement fondé sa plainte sur les articles7 et 16 du Pacte, la majorité du Comité aurait dû l’examiner de manière approfondie et attentive sous cet angle.

4.En effet, comme l’a récemment affirmé la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, « le droit à la nationalité constitue un élément fondamental de la dignité de la personne humaine ». Dans le même ordre d’idées, la Cour interaméricaine des droits de l’homme − dont la jurisprudence dans ce domaine fait autorité et est reflétée dans les principes directeurs sur l’apatridie no5 que le HCR a adoptés en mai 2020 − affirme que la nationalité est un droit inhérent à tous les êtres humains, ainsi que la condition de base pour l’exercice des droits politiques et un élément clef pour la capacité juridique de l’individu. Plus important encore, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a souligné dans l’affaire Yean and Bosico Girls que si des personnes sans nationalité se trouvaient dans une situation d’extrême vulnérabilité, les enfants étaient dans une situation plus vulnérable encore. Les enfants apatrides sont placés dans un vide juridique en ce sens qu’ils « n’ont pas de personnalité juridique reconnue, parce qu’ils n’ont établi de relation juridique et politique avec aucun État ».

5.C’est exactement la situation que décrit l’auteur au paragraphe3.1 de sa communication devant le Comité. Par conséquent, sa situation d’apatridie ne constitue pas seulement une violation de son droit à une nationalité (art.24 (par. 3) du Pacte). Elle aurait également dû être analysée par la majorité comme une violation du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique (art.16) et du droit d’être traité avec humanité et dignité (art.7).