Nations Unies

CCPR/C/136/D/3153/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

13 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3153/2018 * , **

Communication soumise par :

Rovshan Mursalov, Fatima Balova, Milena Makarenko, Basti Rasulova, Galina Fazliahmadova et Goderdzi Kvaratskhelia (représentés par des conseils, Daniel G. Pole et Petr Muzny)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Azerbaïdjan

Date de la communication :

22 mai 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 mars 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

1er novembre 2022

Objet :

Arrestation ; détention ; perquisition domiciliaire ; décision administrative d’expulsion d’un étranger pour avoir participé aux activités religieuses des Témoins de Jéhovah

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Arrestation et détention arbitraires ; perquisition domiciliaire ; discrimination ; liberté d’expression ; liberté de religion

Article(s) du Pacte :

9, 13, 17, 18, 19, 26 et 27

Article ( s ) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont Rovshan Mursalov, Fatima Balova, Milena Makarenko, Basti Rasulova, Galina Fazliahmadova et Goderdzi Kvaratskhelia, nés respectivement en 1975, 1966, 1967, 1974, 1948 et 1965. Tous les auteurs sont de nationalité azerbaïdjanaise, à l’exception de M. Kvaratskhelia, qui est de nationalité géorgienne. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 9 (par. 1), 13, 17 (par. 1), 18 (par. 1 et 3), 19 (par. 2 et 3), 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 février 2002. Les auteurs sont représentés par des conseils.

1.2Le 22 mai 2018, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond. Le 23 octobre 2018, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses Rapporteurs spéciaux chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs déclarent tous être des Témoins de Jéhovah. Le 9 avril 2015, les auteurs étaient réunis au domicile de M. Mursalov, à Bakou, pour célébrer le culte et commenter les livres saints. La police est entrée dans le domicile de M. Mursalov, a fouillé tous les auteurs et a confisqué divers objets sans produire de mandat. Les policiers ont fait des commentaires humiliants sur la foi des Témoins de Jéhovah, disant par exemple que « l’islam est la dernière religion et la seule religion ». Les auteurs ont été emmenés au poste de police et ont été détenus pendant plus de cinq heures, parfois à l’extérieur, dans le froid. Les auteurs ont expliqué qu’à Bakou, les Témoins de Jéhovah sont enregistrés en tant que personne morale.

2.2Le 29 juin 2015, les auteurs ont été convoqués au poste de police et ont tous, à l’exception de M. Kvaratskhelia, été inculpés de participation à une réunion religieuse illégale en vertu de l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives (violation du règlement relatif à l’organisation et le déroulement des réunions religieuses, des processions de rue et d’autres cérémonies religieuses). Les auteurs affirment que les inculpations ont été prononcées hors du délai dans lequel un individu peut être inculpé après son arrestation. Le 8 juillet 2015, les auteurs, à l’exception de M. Kvaratskhelia, ont été reconnus coupables d’avoir commis une infraction administrative par le tribunal du district Garadagh et ont reçu un avertissement en application de l’article 21 du Code des infractions administratives. Le tribunal a conclu que les auteurs avaient illégalement organisé une réunion religieuse à une adresse autre que l’adresse légale sous laquelle sont enregistrés les Témoins de Jéhovah à Bakou en application de l’article 12 de la loi sur la liberté de conviction religieuse, qui établit la procédure d’enregistrement des associations religieuses.

2.3Les auteurs, à l’exception de M. Kvaratskhelia, ont formé des distincts le 21 juillet 2015. Ces recours ont été rejetés le 6 août 2015 et le 18 août 2015 par la cour d’appel de Bakou. Les auteurs soutenaient que le tribunal de première instance avait mal appliqué la loi et que la décision violait les droits qu’ils tiennent de la Constitution, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte. Les auteurs ont dénoncé des violations des mêmes articles du Pacte dans leurs recours et dans leur communication.

2.4Le 6 juillet 2015, M. Kvaratskhelia a été reconnu coupable par le tribunal du district Garadagh. Il était poursuivi sur le fondement de l’article 300.0.4 du Code des infractions administratives (diffusion de propagande religieuse par des étrangers et des apatrides). M. Kvaratskhelia souligne que bien qu’au moment où l’accusation d’infraction administrative a été portée contre lui la peine maximale autorisée était l’expulsion du pays, l’article a été modifié le 1er mars 2016 pour porter la peine maximale à un an d’emprisonnement. Il affirme que ce seul fait met en évidence le caractère disproportionné de la sanction qui lui a été infligée. La cour a déclaré M. Kvaratskhelia coupable de diffusion de propagande religieuse, lui a adressé un avertissement et a ordonné son expulsion. M. Kvaratskhelia a été maintenu en détention à Bakou pendant la nuit et, le 7 juillet 2015, il a été expulsé vers la Géorgie. Il n’a reçu une copie de la décision de première instance que le 10 novembre 2015, après l’avoir demandée.

2.5Le 20 novembre 2015, M. Kvaratskhelia a formé un recours, qui a été rejeté pour cause de prescription le 25 novembre 2015. Le 28 mars 2016, il a formé un nouveau recours, indiquant qu’il n’avait reçu la décision de première instance que le 10 novembre 2015. Le 30 mars 2016, le tribunal du district Garadagh a rejeté le recours. Le 18 avril 2016, la chambre pénale de la cour d’appel de Bakou a confirmé la décision du 30 mars 2016 par laquelle l’auteur avait été débouté de son recours. M. Kvaratskhelia affirme qu’il n’a reçu aucune convocation l’informant de la date de l’audience à laquelle serait examiné ce recours et qu’il n’a reçu une copie de la décision de la cour d’appel de Bakou que le 21 janvier 2017, après l’avoir demandée à de multiples reprises.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’il y a eu violation des articles 9 (par. 1), 17 (par. 1), 18 (par. 1 et 3), 19 (par. 2 et 3), 26 et 27 du Pacte du fait de la déclaration de culpabilité prononcée contre eux en vertu du Code des infractions administratives. En outre, M. Kvaratskhelia affirme que l’article 13 du Pacte a également été violé du fait qu’il a été expulsé d’Azerbaïdjan sans possibilité de faire réexaminer la décision pertinente ou d’en faire appel.

3.2Les auteurs affirment que leur détention au poste de police était illégale au regard de l’article 9 (par. 1) du Pacte car elle n’avait pas pour but d’enquêter, mais visait au contraire à les intimider et à les contraindre à renoncer à exercer leurs libertés. Elle avait donc un caractère discriminatoire, comme en témoignent les remarques discriminatoires et insultantes faites par les policiers concernant leurs croyances. Les auteurs affirment que la police n’a produit aucun élément de preuve pour justifier leur arrestation, qui n’était pas fondée sur une nécessité légale et légitime. Ils affirment en outre que, quand bien même l’arrestation aurait été nécessaire, une détention de plus de cinq heures était excessive.

3.3M. Kvaratskhelia affirme avoir été victime une nouvelle fois de détention arbitraire lorsqu’il a été détenu pour la nuit précédant son expulsion. Il affirme également que les droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte ont été violés du fait de son expulsion d’Azerbaïdjan fondée sur une discrimination religieuse et en l’absence de tout fondement légitime telle qu’une menace pour la sécurité publique. En outre, M. Kvaratskhelia a été expulsé sans avoir reçu une copie de la décision de première instance, et il n’a pas eu la possibilité de faire réexaminer la décision pertinente ou d’en faire appel. L’auteur fait valoir que cette sanction a été imposée de manière arbitraire et que la violation des droits qu’il tient de l’article 13 a été aggravée par le fait que son recours n’a pas été examiné en raison d’irrégularités de procédure dues au retard excessif avec lequel les autorités de l’État partie ont traité son dossier.

3.4Les auteurs affirment que la perquisition effectuée par la police a violé le droit de M. Mursalov et de M. Kvaratskhelia au respect de la vie privée et à la sécurité de leur domicile (art. 17, par. 1 du Pacte). Les auteurs affirment que leurs actes ne sauraient à eux‑seuls justifier cette immixtion. Ils soutiennent que l’article 17, qui porte sur l’immixtion dans la vie privée, garantit un degré de protection plus élevé, et que l’État partie n’a pas suffisamment justifié cette immixtion.

3.5Les auteurs affirment que l’enquête de police et la décision du tribunal ont porté atteinte au droit à la liberté de religion et d’expression qu’ils tiennent des articles 18 (par. 1 et 3) et 19 (par. 2 et 3) du Pacte. Ils soutiennent que l’immixtion n’était pas justifiée et n’était pas prévue par la loi car le Code des infractions administratives, en vertu duquel ils ont été reconnus coupables, n’a pas été formulé ni appliqué de manière suffisamment précise pour leur permettre de prévoir, dans une mesure raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences susceptibles de découler d’un acte déterminé. En outre, les auteurs affirment que l’immixtion ne visait pas un but légitime et n’était pas nécessaire dans une société démocratique car leurs actes étaient pacifiques.

3.6Enfin, les auteurs affirment qu’ils ont été victimes de mauvais traitements et d’insultes discriminatoires de la part des autorités de l’État partie, et qu’ils se sont vu appliquer des lois discriminatoires, en violation des droits qu’ils tiennent des articles 26 et 27 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note en date du 22 mai 2018, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes.

4.2En ce qui concerne le grief que les auteurs tirent de l’article 17 du Pacte, l’État partie fait valoir que les tribunaux nationaux se sont bornés à examiner l’affaire telle qu’elle leur avait été soumise par la police, à savoir la question de la participation à une réunion religieuse illégale. Comme les affaires portées devant les tribunaux nationaux ne concernaient pas les violations alléguées des droits de l’homme, les auteurs auraient dû engager des procédures judiciaires distinctes portant sur leurs griefs de violation des droits garantis par l’article 17. Ces recours auraient pu consister en des dépôts de plaintes auprès du Bureau du Procureur ou du Médiateur de l’Azerbaïdjan ou en l’engagement de procédures judiciaires devant les tribunaux nationaux.

4.3L’État partie souligne que les auteurs n’ont pas soumis au Comité ou aux autorités nationales quelque élément de preuve que ce soit à l’appui de leurs allégations d’intervention illégale de la police dans un appartement privé. L’État partie fait observer que tout grief doit être étayé par des éléments de preuve, faute de quoi il s’agit d’une simple allégation, et qu’en l’espèce les auteurs n’ont fourni aucun élément de ce type. Par conséquent, l’État partie affirme que le grief n’a pas été dûment étayé et qu’il devrait être déclaré irrecevable.

4.4En ce qui concerne le grief soulevé par M. Kvaratskhelia au titre de l’article 13, l’État partie dit qu’une copie de la décision de justice rendue contre lui a été officiellement remise le 6 juillet 2015 et qu’il était au courant du délai légal dans lequel il pouvait faire appel de sa déclaration de culpabilité. Cependant, il n’a introduit son recours que le 25 novembre 2015, après l’expiration du délai fixé par la loi. En conséquence, l’État partie soutient que ce grief devrait être déclaré irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.5Pour ce qui est du grief que les auteurs tirent de l’article 9 du Pacte, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas soumis de plainte aux autorités nationales portant sur une atteinte à leur droit à la liberté et à la sécurité. Par conséquent, ils n’ont pas démontré qu’ils avaient épuisé tous les recours internes disponibles. L’État partie affirme également que les auteurs n’ont jamais été détenus ou arrêtés, puisqu’ils ont été invités à se présenter au poste de police uniquement pour faire une déposition en lien avec les accusations d’infraction administrative portées contre eux. Le fait qu’il sont restés cinq heures au poste de police s’explique par le grand nombre de personnes qui s’y trouvaient. L’État partie estime donc que le grief soulevé par les auteurs au titre de l’article 9 est manifestement infondé.

4.6S’agissant du grief que les auteurs tirent de l’article 19 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas été soulevé devant les tribunaux nationaux et qu’il devrait donc être déclaré irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Les auteurs auraient dû se prévaloir d’autres recours internes disponibles, tels que le dépôt d’une plainte auprès du Bureau du Procureur ou du Médiateur, avant de saisir le Comité.

4.7En ce qui concerne les griefs soulevés par les auteurs au titre des articles 26 et 27 du Pacte, l’État partie affirme que comme les griefs susmentionnés, ils devraient être déclarés irrecevables pour non-épuisement des recours internes. Il soutient en outre que ces griefs sont manifestement infondés et que les auteurs ne les ont pas suffisamment étayés pour qu’ils puissent être considérés comme des victimes. L’État partie fait observer que les auteurs ont été accusés d’infractions pareillement imputables à tout groupe religieux, sans discrimination aucune. Les allégations des auteurs reposent sur des déclarations vagues et ne sont étayées par aucun élément de preuve fiable, les auteurs ne citant aucun autre groupe religieux ayant été traité différemment des Témoins de Jéhovah dans une situation similaire. L’État partie fait valoir qu’un certain nombre d’affaires concernant des immixtions dans des réunions religieuses organisées par des communautés religieuses autres que les Témoins de Jéhovah, en violation de la loi azerbaïdjanaise, ont été portées devant d’autres juridictions internationales, telles que la Cour européenne des droits de l’homme.

4.8Enfin, l’État partie attire l’attention du Comité sur le fait que tous les auteurs, à l’exception de M. Kvaratskhelia, n’ont reçu que des avertissements administratifs, alors que l’article 299.0.2 du Code des infractions administratives prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 2 000 manats azerbaïdjanais. De plus, les procès verbaux d’infraction administrative les concernant ont été annulés après un an et, au moment de la soumission de leur communication, les auteurs étaient considérés comme ne faisant pas l’objet d’aucun procès verbal d’infraction administrative. Par conséquent, L’État partie affirme que la communication est manifestement infondée et qu’elle devrait être déclarée irrecevable.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une note en date du 31 juillet 2018, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Ils rejettent l’affirmation de l’État partie selon lequel la compétence des tribunaux nationaux se limite aux questions soulevées par la police. Les auteurs ont été obligés de se tourner vers une autre instance pour protéger leurs droits constitutionnels et ceux garantis par le Pacte. Ils soulignent qu’ils ont tous soulevé la question de la violation du droit à la vie privée et à la sécurité du domicile au cours des procédures judiciaires et dans leurs recours. MM. Mursalov et Kvaratskhelia auraient dû jouir du droit au respect de la vie privée et à la sécurité de leur domicile ; cependant, la police est entrée dans leur domicile sans autorisation et sans produire de pièce d’identité ou de mandat. Lorsque les auteurs ont dénoncé ces violations devant les tribunaux nationaux, en produisant des déclarations de témoins oculaires confirmant l’immixtion, les tribunaux ont refusé d’examiner le grief de violation de l’article 17 du Pacte.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie faisant valoir que les recours internes disponibles au titre de l’article 13 n’ont pas été épuisé, les auteurs rejettent l’affirmation de l’État partie selon lequel M. Kvaratskhelia était au courant du délai imparti pour introduire un recours. Ils font référence au texte de son recours, dans lequel il fait valoir qu’il a été expulsé du pays avant même l’entrée en vigueur de la décision du tribunal, ce qui l’a privé d’exercer son droit de recours, et qu’il n’a reçu une copie de la décision du tribunal par courrier que quatre mois après avoir été expulsé.

5.3Les auteurs rejettent l’affirmation de l’État partie selon laquelle la police les a invités à se présenter au poste de police pour faire leur déposition, et affirment qu’ils ont tous été arrêtés par la police et emmenés de force au poste de police. Ils font référence à leurs déclarations, dans lesquelles ils affirment que la police a exigé que tous les participants à la réunion religieuse se présentent au poste de police.

5.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne les griefs soulevés au titre de l’article 19, les auteurs renvoient aux déclarations qu’ils ont faites devant le tribunal de district et la cour d’appel, dans lesquelles ils ont à maintes reprises décrit les faits constitutifs des violations des droits qu’ils tiennent de l’article 19. En outre, MM. Mursalov et Kvaratskhelia, dans les requêtes écrites qu’ils ont adressées au tribunal de district et à la cour d’appel, ont expressément dénoncé des violations de l’article 19.

5.5En ce qui concerne les griefs qu’ils tirent des articles 26 et 27, les auteurs affirment que, lorsqu’ils étaient détenus au poste de police, les policiers ont fait des remarques qui témoignaient d’une intolérance religieuse et les ont interrogés expressément sur leurs convictions religieuses. Ils affirment également que l’argument de l’État partie selon lequel un certain nombre d’affaires concernant des immixtions dans des réunions religieuses organisées par des communautés religieuses autres que les Témoins de Jéhovah ont été portées devant d’autres juridictions internationales ne signifie pas que l’État partie n’exerce pas de discrimination à leur égard. Selon les auteurs, l’État partie n’a tenu aucun compte du motif discriminatoire sur lequel reposait les actes de la police, et dans ses observations il reconnaît qu’il y a une intolérance religieuse lorsqu’il indique que les procédures administratives menées contre les auteurs étaient liées à leur participation à la réunion religieuse.

5.6Pour ce qui est du fait que tous les auteurs, à l’exception de M. Kvaratskhelia, n’ont reçu que des avertissements, les auteurs soutiennent que leurs droits qu’ils tiennent de chacun des articles du Pacte invoqués ont quand même été violés car ils ont été détenus et harcelés et leur célébration pacifique du culte a été perturbée illégalement.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale en date du 13 septembre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Il donne des informations générales sur la situation de la liberté de religion et la législation nationale pertinente, et fournit des données statistiques.

6.2S’agissant des griefs formulés par les auteurs au titre de l’article 9, l’État partie affirme que ceux-ci ont été invités à se présenter au poste de police pour donner des explications. L’État partie reconnaît qu’ils ont été brièvement privés de liberté, puis libérés quelques heures plus tard. Il soutient que leur privation de liberté n’était pas arbitraire. Il affirme que la durée de la détention était due au grand nombre de personnes à qui il a fallu demander des explications.

6.3L’État partie reconnaît que la perquisition menée au domicile de MM. Mursalov et Kvaratskhelia a constitué une atteinte aux droits garantis par l’article 17 du Pacte, mais il soutient que l’appartement en question n’était pas leur domicile. Il affirme que les deux auteurs n’ont pas prouvé que l’appartement qu’ils occupaient était leur domicile au sens de l’article 17 du Pacte. L’État partie fait valoir que les auteurs devaient prouver qu’ils avaient des liens de longue date avec leur résidence ou qu’ils louaient l’appartement ou en partageaient le loyer avec d’autres personnes en toute légalité. Il refuse de considérer l’appartement en question comme le domicile de M. Mursalov et affirme que MM. Mursalov et Kvaratskhelia n’ont soumit aucun élément montrant que l’appartement où a la police a mené la perquisition constituait leur domicile.

6.4L’État partie affirme que la perquisition a été effectuée conformément aux articles 177, 236 et 242 du Code de procédure pénale, dans l’intérêt de la sécurité publique et pour préserver l’ordre. Il soutient que la fouille était nécessaire parce que la police avait de bonnes raisons de penser que les auteurs menaient des activités illégales. L’État partie ajoute que les voisins des auteurs ont déclaré que de nombreuses personnes se rendaient chez eux et que l’on soupçonnait que les publications qu’ils distribuaient était de nature radicale et suscitait l’intolérance et l’inimitié entre personnes de différentes confessions.

6.5En outre, l’État partie affirme que l’immixtion dans l’exercice des droits que les auteurs tiennent des articles 18 et 19 est justifiée en ce qu’elle est prévue par l’article 12 de la loi sur la liberté de conviction religieuse, et soutient que cette loi vise un but légitime et nécessaire dans une société démocratique. L’État partie rappelle que l’article 18 ne protège pas tout acte motivé ou inspiré par la religion ou la conviction, et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans la sphère publique d’une manière dictée par sa religion ou ses convictions. Il renvoie à l’affaire Kokkinakis c. Grèce, jugée par la Cour européenne des droits de l’homme, faisant valoir que, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de restrictions propres à concilier les intérêts des divers groupes, et soulignant le rôle de l’État en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des différentes religions, croyances et convictions. L’État partie soutient qu’il devrait bénéficier d’une large marge d’appréciation, affirmant que cela est nécessaire en raison de l’évolution de la situation politique dans des lieux géographiquement proches de l’Azerbaïdjan. L’État partie affirme que l’instabilité dans des États voisins est un motif légitime justifiant les restrictions prévues par la loi sur la liberté de conviction religieuse, en raison de la crainte de l’instabilité politique qu’elle suscite et de la nécessité de prévenir les coups d’État et les interventions militaires. Il affirme qu’il applique des mesures plus strictes en matière de liberté de religion et de la liberté d’expression pour protéger l’ordre public. L’État partie demande au Comité de prendre en considération le fait qu’en règle générale, il est mieux placé qu’un tribunal international pour apprécier la situation et les besoins nationaux. Il affirme qu’il suffisait pour les auteurs de s’enregistrer pour pouvoir célébrer le culte.

6.6En ce qui concerne l’expulsion de M. Kvaratskhelia, l’État partie cite la jurisprudence et indique que l’expulsion d’étrangers ne se justifie que dans les cas où il s’agit d’assurer une défense appropriée du pays contre un danger, anticipé ou réel, ou de préserver l’ordre public, ou lorsque la personne concernée représente une menace pour le bien-être du pays. Il indique que M. Kvaratskhelia a été expulsé pour avoir violé l’article 300.0.4 du Code des infractions administratives, qui interdit la diffusion de propagande religieuse par des étrangers, et que cet article était accessible et formulé avec suffisamment de précision pour permettre à M. Kvaratskhelia de prévoir les conséquences de ses actes.

6.7L’État partie indique que les restrictions imposées aux étrangers qui font de la propagande religieuse ont été adoptées en réaction aux nombreuses tentatives des mouvements religieux radicaux de diffuser leurs opinions au sein de la population. Il fait état de nombreux cas d’attaques violentes contre des lieux de culte par des représentants de mouvements religieux non traditionnels en Azerbaïdjan et de l’adhésion d’Azerbaïdjanais à des organisations religieuses terroristes à l’étranger. Il dit que M. Kvaratskhelia a été expulsé parce qu’il avait participé à une réunion dans l’intention de diffuser ses opinions religieuses, en violation de la législation azerbaïdjanaise, et affirme qu’il a bénéficié de garanties procédurales tout au long de la procédure d’expulsion.

6.8L’État partie explique que, comme le prévoit l’article 130.1 du Code des infractions administratives, une plainte contre une décision rendue dans une affaire d’infraction administrative peut être déposée dans un délai de dix jours à compter du jour où la copie de ladite décision a été présentée conformément à l’article 57 du Code. Il fait valoir que M. Kvaratskhelia a dûment reçu la décision le 6 juillet 2015, qu’il a signé l’accusé de réception correspondant et qu’en outre il était présent à l’audience devant le tribunal de première instance. M. Kvaratskhelia a présenté son recours le 25 novembre 2015, et n’a donc pas respecté le délai prévu pour cette procédure.

6.9L’État partie rappelle que, conformément à la jurisprudence établie, le Comité n’a pas compétence pour agir comme instance d’appel et qu’il ne lui appartient pas de substituer son avis au jugement des juridictions internes en ce qui concerne l’appréciation des faits et des éléments de preuve dans une affaire, sauf si cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L’État partie soutient qu’il n’y a pas eu violation des droits que l’auteur tient de l’article 13 du Pacte.

6.10En ce qui concerne l’allégation de discrimination formulée au titre des articles 26 et 27 du Pacte, l’État partie affirme que les articles 299.0.2 et 300.0.4 du Code des infractions administratives s’appliquent de la même manière à tous, sans discrimination. L’État partie conteste les allégations de discrimination formulées par les auteurs, affirmant qu’elles sont fondées sur des déclarations vagues et qu’aucun élément de preuve fiable n’a pu être produit devant les tribunaux nationaux. L’État partie soutient que les auteurs n’ont pas été victimes de discrimination car ils n’ont pas mentionné d’autres groupes religieux se trouvant dans une situation similaire à la leur ni dénoncé une quelconque différence de traitement exercée par les autorités publiques entre différents groupes religieux.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une note en date du 14 janvier 2019, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soulignent que l’État partie ne conteste pas les faits exposés dans la communication et demandent au Comité d’accorder foi aux dits faits, ceux‑ci étant incontestés.

7.2Les auteurs soutiennent que les observations de l’État partie relatives à l’article 9 sont contradictoires. Il ressort manifestement des faits qu’ils ont été privés de leur liberté. Le fait qu’ils ont été remis en liberté par la police implique logiquement qu’ils n’étaient pas libres de partir tant qu’ils n’avaient pas été libérés. De la même manière, l’État partie soutient que la durée de la détention était due au grand nombre de personnes à qui il a fallu demander des explications. Il découle implicitement de cet argument que les auteurs ne pouvaient pas partir sans avoir d’abord fait leur déclaration à la police. En clair, ils ont été privés de leur liberté. Ils n’ont pas été simplement « invités » à se rendre au poste de police.

7.3En ce qui concerne la violation de l’article 17 du Pacte, les auteurs font valoir que la perquisition menée à leur domicile était arbitraire et illégale. L’État partie, souhaitant faire abstraction des éléments de preuve incontestés produits devant les tribunaux, donne une interprétation erronée du terme « domicile ». La notion de « domicile » au sens de l’article 17 du Pacte ne se limite pas au domicile légalement occupé ou établi. La question de savoir si l’appartement en question constituait le domicile de MM. Mursalov et Kvaratskhelia et, partant, s’il relevait de la protection garantie par l’article 17 du Pacte, dépend des éléments de fait. Bien que l’État partie refuse de considérer l’appartement en question comme le domicile de M. Mursalov, il n’a pas indiqué quel autre lieu aurait pu l’être. De même, bien que M. Kvaratskhelia ait été un visiteur en Azerbaïdjan, il se trouvait dans le pays depuis près de trois mois et l’idée qu’un autre lieu en Azerbaïdjan était son domicile n’a jamais été avancée. Les auteurs se demandent pourquoi la police a effectué une perquisition à l’appartement en question s’il n’était pas le domicile de M. Kvaratskhelia.

7.4Les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils n’ont pas apporté la preuve que l’appartement auquel la police a mené la perquisition était leur domicile. Dans la déposition écrite qu’il a faite dans le cadre du procès, M. Mursalov a déclaré ce qui suit : « Les agents ont envahi mon domicile sans mon autorisation [...] et, sans donner aucune explication, ils ont fait irruption dans mon domicile, violant ainsi plusieurs de mes droits », et « ils ont mené à une perquisition à mon domicile, fouillé les armoires, examiné nos effets personnels et même fouillé dans le placard à sous-vêtements ». La police n’a jamais contesté ni mis en doute le fait qu’il s’agissait du domicile de M. Mursalov. En fait, la police a confirmé qu’il y avait eu une perquisition au domicile de M. Mursalov et que celui-ci avait « réuni des Témoins de Jéhovah à l’adresse où il réside et organisé une cérémonie religieuse ». Pendant le procès, un policier a déclaré que M. Mursalov « a organisé une manifestation religieuse au lieu qui lui appartient et où il réside actuellement ». Ni le tribunal de première instance ni la cour d’appel n’ont contesté le fait que l’appartement était son domicile. Même à supposer que le Comité conclue que l’appartement en question ne constituait pas le domicile de MM. Mursalov et Kvaratskhelia, il ne fait aucun doute qu’il y a eu une immixtion dans leur vie privée au sens de l’article 17 du Pacte.

7.5Contrairement aux affirmations de l’État partie selon lesquelles les perquisitions ont été menées conformément au Code de procédure pénale, l’immixtion était arbitraire et illégale. Bien que la police ait traité MM. Mursalov et Kvaratskhelia comme des délinquants, ceux-ci n’ont jamais été inculpés d’une infraction pénale. La police les a inculpés en vertu du Code des infractions administratives. En vertu de ce code, la police n’est pas autorisée à pénétrer dans un domicile privé à des fins de perquisition et de saisie. Même si le Code de procédure pénale était applicable, il n’y a aucune preuve dans le dossier de l’affaire que la police était en possession d’un mandat de perquisition délivré au préalable par un tribunal. Les auteurs soutiennent que ce qu’on leur reprochait ne constituait pas une infraction pénale nécessitant d’effectuer une perquisition sans mandat.

7.6Selon les auteurs, l’État partie n’a pas expliqué en quoi la sécurité publique était menacée ou quels troubles la police a évités en pénétrant de force dans leur domicile et en le fouillant. En ce qui concerne les déclarations des voisins, il n’existe aucune trace de plaintes concernant des visites ou des visiteurs au domicile des auteurs. En outre, il est inquiétant de penser que, dans une société démocratique, le simple fait d’avoir un certain nombre de visiteurs puisse faire naître un soupçon raisonnable d’activité illégale. De même, il n’y a aucune trace de plainte de quiconque concernant les publications religieuses distribuées par les auteurs. Le Service de police du district Garadagh a refusé d’engager des poursuites pénales contre les auteurs parce que les échantillons de publications religieuses saisis à l’adresse ne contenaient pas d’incitation à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’État, ni d’incitation à organiser des piquets ou des rassemblements illégaux pour troubler l’ordre public en suscitant la haine nationale, sociale ou religieuse.

7.7Les auteurs constatent que l’État partie reconnaît qu’il y a eu une atteinte aux droits qu’ils tiennent des articles 18 et 19 du Pacte, mais qu’il tente de la justifier en faisant valoir qu’elle était prévue par la loi sur la liberté de conviction religieuse, qui vise un but légitime nécessaire dans une société démocratique. Ils affirment que l’État partie n’a pas répondu à leurs arguments selon lesquels la loi viole le Pacte, ainsi que la Constitution de l’Azerbaïdjan. Une disposition imprécise, inconstitutionnelle et contraire aux engagements internationaux de l’État partie ne saurait être considérée comme étant prévue par la loi au sens du Pacte.

7.8L’État partie ne donne aucune précision concernant le lien de causalité entre l’instabilité politique externe alléguée dans les États voisins comme motif légitime des restrictions prévues par la loi sur la liberté de conviction religieuse et l’obligation pour les auteurs de s’enregistrer avant d’être autorisés à célébrer librement le culte en commun. Les Témoins de Jéhovah sont connus pour être un groupe religieux pacifiste. Ils sont présents dans le monde entier depuis plus de 100 ans. Loin de provoquer une quelconque instabilité ou d’inciter à la haine, ils ont régulièrement fait l’objet de persécution, précisément en raison de leur neutralité concernant les affaires politiques et militaires. Aussi, interdire une discussion sur la religion tenue pacifiquement dans un domicile privé est très éloigné de la crainte conjecturale d’une instabilité politique.

7.9Les auteurs contestent la tentative de l’État partie de donner une interprétation erronée de l’arrêt marquant rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kokkinakis c. Grèce, et de l’utiliser pour justifier des restrictions à la liberté de religion. Selon les auteurs, l’État partie a cité à tort l’argument du Gouvernement grec, qui a été réfuté, selon lequel les restrictions de l’activité religieuse sont nécessaires car à défaut de celles-ci, il en résulterait une grande agitation de nature à troubler la paix sociale. La Cour européenne des droits de l’homme a vigoureusement rejeté cet argument.

7.10Les auteurs font observer que l’État partie ne tient pas compte du fait que l’État n’est pas compétent pour prendre des décisions dans le domaine religieux. Au contraire, cette incapacité même et la nécessité de limiter strictement le pouvoir de l’État font que le Comité est mieux placé pour apprécier les effets de l’application de la loi sur la liberté de conviction religieuse. L’État partie reconnaît qu’il impose l’enregistrement comme condition préalable à l’exercice de la liberté de religion, une exigence dont le Comité a jugé qu’elle était disproportionnée et, partant, qu’elle ne répondait pas aux critères énoncés à l’article 18.

7.11En ce qui concerne l’expulsion de M. Kvaratskhelia, les auteurs soulignent qu’il n’y a pas de preuve qu’il ait représenté une menace pour le bien-être du pays ou qu’il ait troublé l’ordre public. Il a été arrêté, détenu, reconnu coupable d’une infraction administrative et expulsé pour avoir prétendument violé l’article 300.0.4 du Code des infractions administratives, qui interdit la diffusion de propagande religieuse par des étrangers. Le terme « propagande religieuse » (religious propaganda) n’est défini ou expliqué nulle part dans la législation de l’État partie. En anglais, l’expression « propaganda » n’est pas un terme juridique, mais un mot de la langue générale. Il a acquis une double signification. L’expression « propaganda », telle qu’elle est utilisée dans le Code, est un mot anglais traduit de l’original azerbaïdjanais. Le mot azerbaïdjanais utilisé dans l’article 300.0.4 du Code est « təbliğat » et est d’origine arabe. Comme le mot anglais, il est dérivé d’une racine signifiant « répandre ». Le mot anglais « propaganda » est dérivé du latin et d’une racine relevant du domaine de l’agriculture signifiant « répandre des semences » et, comme le terme azerbaïdjanais, il a un sens large qui peut être positif ou négatif. Par exemple, le terme azerbaïdjanais peut être utilisé pour qualifier les campagnes politiques (siyasi təbliğat kampanıyası) ou pour encourager la lecture de livres. Il est utilisé pour désigner un centre de conférences, la présentation de livres et une librairie (« Azərkitab » Kitab Təbliğatı Mərkəzi). Il est couramment utilisé pour désigner le fait d’initier d’autres personnes à une nouvelle culture ou pour la faire connaître. Il y a, par exemple, le Bureau national de promotion du tourisme (Milli Turizm Təbliğat Bürosu). Ainsi, l’article 300.0.4 interdirait même à un étranger d’initier une autre personne aux aspects religieux d’une autre culture. Cette application large interdit toute activité, aussi innocente soit elle, si elle est religieuse et menée par un étranger. L’État partie fait une interprétation large du terme « propagande », de manière à englober des actes qui sont de toute évidence légaux. En l’espèce, M. Kvaratskhelia a été puni pour avoir simplement assisté à un service religieux pacifique des Témoins de Jéhovah organisé dans un domicile privé.

7.12Le mot « propagande » peut également avoir une connotation péjorative. Par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné les dispositions du Code pénal turc, qui interdit la « propagande nuisible ». Dans deux affaires, la Cour a souligné que ce terme était défini dans la législation interne à l’aide de critères détaillés qui énuméraient de manière exhaustive les actes susceptibles de constituer une infraction. Dans les deux affaires, cependant, la Cour a estimé que, même si la loi contestée prévoyait les restrictions pertinentes et était légitime, celles-ci étaient disproportionnée au regard des infractions considérées car dans aucun des deux cas il s’agissait d’incitation à la violence. Dans une troisième affaire, la dissolution d’un parti politique qui avait fait de la « propagande fondée sur les différences raciales et visant à détruire l’ordre constitutionnel » a été jugée contraire à la Convention. Contrairement à la législation susmentionnée, l’article 300.0.4 du Code des infractions administratives n’énonce aucun critère, et encore moins des critères « exhaustifs » ; en outre, les actes de M. Kvaratskhelia étaient pacifiques, non violents et apolitiques.

7.13Les auteurs rappellent que la Cour européenne des droits de l’homme, dans son analyse, a renvoyé à une série d’affaires dans le cadre desquelles a été établi l’obligation de prévoir un critère qualitatif dans toute loi, afin qu’un individu puisse prévoir quand une infraction sera commise. Ce principe a servi de fondement à la décision rendue dans l’affaire Kokkinakis c. Grèce, dans laquelle la Cour a considéré que le terme « prosélytisme », similaire à celui de « propagande », pouvait englober à la fois des actes licites et des actes abusifs. Les tribunaux grecs n’ayant pas limité l’application de la loi interne de manière à ce qu’elle n’interdise que les actes abusifs, la Cour a conclu à une violation de l’article 9 de la Convention. En l’espèce, les tribunaux nationaux ont également refusé de limiter l’application de l’article 300.0.4 du Code des infractions administratives.

7.14M. Kvaratskhelia manifestait sa conviction religieuse personnelle sincère lors d’un service religieux privé. Rien ne montre qu’il ait participé à la diffusion de déclarations discriminatoires. Rien ne montre non plus qu’un Témoin de Jéhovah en Azerbaïdjan se soit livré à des actes de violence ou ait incité à la violence. Rien ne montre non plus que des Témoins de Jéhovah d’Azerbaïdjan se soient joints à des organisations terroristes religieuses à l’étranger. Si les Témoins de Jéhovah constituent une minorité chrétienne en Azerbaïdjan, il ne s’agit pas d’un mouvement religieux radical. L’État enregistre des Témoins de Jéhovah à Bakou depuis 1999.

7.15En outre, M. Kvaratskhelia conteste avoir reçu la décision du tribunal du district Garadagh le 6 juillet 2015. La décision du tribunal a été annoncée oralement ce jour-là, mais il n’en a pas reçu une copie écrite. Il n’a jamais signé d’accusé de réception de la décision écrite. Le Gouvernement n’a pas produit une copie du prétendu accusé de réception, ni aucune autre preuve qu’il a reçu une copie de la décision du tribunal avant le 10 novembre 2015, date à laquelle il l’a reçue par la poste. M. Kvaratskhelia a écrit au tribunal du district Garadagh le 20 octobre 2015 pour demander une copie de la décision, en indiquant clairement qu’il ne l’avait pas encore reçue. Le 27 octobre 2015, le tribunal de district lui a envoyé une copie de sa décision du 6 juillet 2015. Le tribunal de district n’a pas contesté l’affirmation de M. Kvaratskhelia selon laquelle il n’avait pas reçu la décision, pas plus qu’il n’a fait référence à la signature d’un quelconque accusé de réception. Il n’a été fait mention pour la première fois de la signature par M. Kvaratskhelia d’un « accusé de réception » que dans la décision de la cour d’appel de Bakou du 18 avril 2016, date à laquelle il n’existait aucun recours interne permettant de contester la conclusion de la cour d’appel. M. Kvaratskhelia répète qu’il n’a reçu la décision de la cour d’appel que le 30 décembre 2016, soit huit mois après qu’elle a été rendue, et seulement après l’avoir demandée à plusieurs reprises.

7.16Les auteurs contestent également l’affirmation de l’État partie selon laquelle les articles 299.0.2 et 300.0.4 du Code des infractions administratives s’appliquent de la même manière à tous, sans discrimination aucune. Cette affirmation ne tient pas compte du fait que dans la réalité, une législation apparemment neutre peut malgré tout être appliquée de manière discriminatoire. L’État partie exerce une discrimination à l’égard des personnes et entre les groupes religieux en traitant les groupes enregistrés auprès de ses autorités différemment des groupes qui ne sont pas enregistrés. Il est plus facile pour les majorités religieuses favorisées par l’État d’obtenir un enregistrement. Selon l’article 12 de la loi relative à la liberté de conviction religieuse, pour qu’une communauté religieuse puisse demander son enregistrement auprès de l’État, elle doit compter un minimum de 50 fondateurs. Un groupe de 49 fidèles se voit refuser l’enregistrement et les privilèges accordés par l’État qui en découlent.

7.17Les auteurs affirment que l’État partie tente de renverser la charge de la preuve et qu’il ne tient pas compte du fait que des éléments de preuve non contestés ont été soumis aux tribunaux nationaux mais que ceux-ci ont manqué à leur devoir judiciaire de les prendre en considération. Ni les autorités de l’État ni les tribunaux n’ont choisi de réfuter les preuves produites par les auteurs devant les tribunaux nationaux ou d’apporter des preuves contraires. L’État n’est donc plus fondé à contester les nombreuses preuves fournies dans la communication.

7.18L’État partie a placé les auteurs dans une situation discriminatoire par rapport aux adeptes de la principale religion en Azerbaïdjan, l’islam. Les auteurs ont fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport aux adeptes de l’islam traditionnel, comme le confirment les éléments de preuve suivants, qui n’ont pas été contestés par l’État partie. Les auteurs ont été soumis à la terreur et à l’humiliation lorsque plus de 20 policiers ont pénétré de force dans un domicile privé au seul motif qu’ils se réunissaient pour lire et étudier la Bible. Les policiers ont ordonné à toutes les personnes présentes de ne pas bouger, a commencé à les filmer avec une caméra vidéo, les a fouillées et a confisqué leurs biens personnels, notamment de l’argent liquide, des appareils électroniques, des publications religieuses et des exemplaires des Saintes Écritures. Les policiers ont ordonné à tout le monde, y compris les personnes âgées et les jeunes enfants, de les accompagner au poste de police, où ils ont été retenus pendant plus de cinq heures. Les auteurs ont été humiliés et ont été traités comme s’ils étaient de dangereux criminels. Au poste de police, les auteurs ont parfois été contraints de rester dehors dans le froid, avant d’être finalement remis en liberté au petit matin. Des remarques humiliantes ont été faites sur la foi des auteurs. Des policiers ont demandé aux auteurs pourquoi ils ne pratiquaient pas l’islam et ne lisaient pas le Coran ; des policiers ont tenté de convaincre les auteurs que « l’islam est la dernière religion et la bonne religion ». Essayer de convaincre son prochain de la véracité de sa foi est protégé par la liberté de religion. Toutefois, comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme, « [c]e qui, en milieu civil, pourrait passer pour un échange inoffensif d’idées que le destinataire est libre d’accepter ou de rejeter peut, dans le cadre de la vie militaire, être perçu comme une forme de harcèlement ou comme l’exercice de pressions de mauvais aloi par un abus de pouvoir ». En l’espèce, les auteurs étaient détenus par la police et se trouvaient manifestement sous son contrôle et son autorité. Les remarques humiliantes faites par des policiers, agissant dans l’exercice de leurs fonctions, ne sauraient être protégées par le droit à la liberté d’expression. Au contraire, dans ces circonstances, leurs remarques humiliantes constituaient une pression indue exercée par abus de pouvoir. Les auteurs ont été reconnus coupables d’infractions et ont reçu des avertissements administratifs. Les adeptes de la principale religion en Azerbaïdjan, l’islam, ne sont pas soumis à de tels actes punitifs, destinés à leur faire abandonner leur foi par la menace et la contrainte.

7.19Les auteurs rappellent que les actes d’intolérance et de discrimination religieuses à l’égard des Témoins de Jéhovah encouragés par l’État font l’objet de nombreuses communications distinctes dont le Comité est saisi. Le Comité s’est dit préoccupé par les informations faisant état d’ingérences dans les activités religieuses, de harcèlement de membres de certains groupes religieux, notamment de membres des Témoins de Jéhovah, et de l’augmentation des arrestations, des placements en détention et des sanctions administratives ou pénales dont ces personnes font l’objet.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de ce que l’État partie conteste l’argument des auteurs selon lequel ils ont épuisé tous les recours internes disponibles comme l’exige l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Selon l’État partie, les auteurs, s’agissant de la violation alléguée des articles 17 et 19, auraient dû engager des procédures distinctes, telles que le dépôt d’une plainte auprès du Bureau du Procureur ou du Médiateur, ou engager des procédures judiciaires, tandis que, s’agissant de l’article 13, M. Kvaratskhelia aurait dû faire appel de son expulsion administrative dans le délai prescrit. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs soulevés par les auteurs au titre des articles 9, 26 et 27 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et sont manifestement dénués de fondement.

8.4Le Comité note toutefois que les auteurs affirment qu’ils ne disposent pas d’autres recours internes utiles car ils ont formé plusieurs recours distincts auprès de la cour d’appel de Bakou, lesquels ont été rejetés le 6 août 2015, le 18 août 2015 et le 18 avril 2016. Il constate également que, dans les recours malheureux contre leur déclaration de culpabilité qu’ils ont formés devant la cour d’appel, les auteurs ont soulevé sur le fond les griefs qu’ils tirent du Pacte. En outre, il rappelle que l’expression « tous les recours internes disponibles », utilisée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, vise au premier chef les recours judiciaires. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.5En ce qui concerne les griefs soulevés par M. Kvaratskhelia au titre de l’article 13 du Pacte, le Comité considère que lorsque la cour d’appel a rejeté sa plainte pour des motifs de procédure, elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve incontestés montrant qu’il n’a pas reçu la décision du tribunal de première instance avant le 10 novembre 2015 (quatre mois après que la décision a été rendue) et qu’il en a fait appel dans les plus brefs délais. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne l’empêchent pas d’examiner cette partie de la communication.

8.6Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’ils tirent des articles 9 (par. 1), 13, 17 (par. 1), 18 (par. 1 et 3), 19 (par. 2 et 3), 26 et 27 du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En ce qui concerne le grief que les auteurs tirent de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte, le Comité renvoie à son observation générale no 22 (1993), dans laquelle il a affirmé que l’article 18 n’autorisait aucune restriction quelle qu’elle soit à la liberté de pensée et de conscience ou à la liberté d’avoir ou d’adopter la religion ou la conviction de son choix. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions, elle, peut être soumises à certaines restrictions, mais uniquement celles prévues par la loi et qui sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. En l’espèce, le Comité prend note des arguments des auteurs selon lesquels l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 18 (par. 1) du Pacte en procédant à leur arrestation pendant qu’ils avaient une discussion privée sur des convictions religieuses au domicile de l’un d’entre eux, en les conduisant au poste de police, où ils ont été détenus pendant plus de cinq heures, en les déclarant coupables d’une infraction administrative et en leur imposant une sanction sous la forme d’avertissements administratifs. Les auteurs ont été sanctionnés pour avoir célébré un culte religieux hors d’un lieu légalement reconnu, car ils n’avaient pas obtenu le statut d’association religieuse dotée d’une adresse officiellement déclarée. Rappelant le paragraphe 4 de son observation générale no 22 (1993), dans lequel il a déclaré que la liberté de manifester une religion ou une conviction pouvait être exercée individuellement ou en commun et tant en public qu’en privé, le Comité considère que les griefs soulevés par les auteurs ont trait à leur droit de manifester leurs convictions religieuses et que leur arrestation, leur détention et la déclaration de culpabilité prononcée contre eux constituent des restrictions de ce droit.

9.3Le Comité doit déterminer si les restrictions au droit des auteurs de manifester leurs convictions religieuses étaient nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Il rappelle que, comme il l’a mis en relief au paragraphe 8 de son observation générale no 22 (1993), l’article 18 (par. 3) doit être interprété au sens strict, et que les restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et être en rapport direct avec l’objectif précis qui les inspire et proportionnelles à celui-ci.

9.4En l’espèce, les restrictions imposées au droit des auteurs de manifester leurs convictions religieuses découlent de l’obligation énoncée à l’article 12 de la loi sur la liberté de conviction religieuse, qui dispose qu’une association religieuse doit être officiellement enregistrée pour pouvoir mener ses activités légalement. Le Comité constate que l’État partie n’a pas expliqué avec précision pourquoi la célébration d’un culte religieux était subordonnée à l’enregistrement officiel de l’association en tant qu’association religieuse. Il constate également que l’État partie n’a pas fourni d’éléments montrant que la manifestation pacifique de leurs convictions religieuses par les auteurs au domicile de l’un d’entre eux constituait une menace pour la sécurité, l’ordre et la santé publique, la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Il constate en outre que l’État partie n’a pas décrit une situation particulière ni donné un exemple de menace concrète et importante pour la sécurité et l’ordre publics qui justifierait l’interdiction générale des cultes religieux célébrés par des groupes autres que des organisations religieuses enregistrées. Même si l’État partie parvenait à prouver l’existence d’une menace concrète et importante pour la sécurité et l’ordre publics, il n’en resterait pas moins qu’il n’a pas démontré que l’obligation d’enregistrement énoncée par l’article 12 de la loi relative à la liberté de convictions était proportionnée à cet objectif, compte tenu des restrictions considérables au droit de célébrer un culte religieux que cette obligation entraîne. L’État partie n’a pas non plus cherché à démontrer que cette obligation était la mesure la moins restrictive nécessaire pour protéger la liberté de religion ou de conviction. Tout en prenant acte de l’argument de l’État partie selon lequel l’article 18 (par. 3) du Pacte admet certaines restrictions au droit de manifester sa religion ou ses convictions lorsqu’il en va de la protection des libertés et droits fondamentaux d’autrui, le Comité fait observer qu’il faut, pour assurer cette protection, avoir établi quels droits précis sont menacés et quelles personnes sont concernées. Le Comité souligne que les exceptions prévues à l’article 18 (par. 3) doivent être interprétées de manière stricte et ne pas être appliquées dans l’abstrait. En l’espèce, l’État partie n’a pas cité de libertés ou de droits fondamentaux de tierces personnes qui auraient été touchés par le culte religieux célébré par les auteurs au domicile de M. Mursalov. Par conséquent, le Comité considère que l’État partie n’a pas suffisamment justifié les restrictions imposées aux auteurs pour démontrer qu’elles étaient admissibles au regard des dispositions de l’article 18 (par. 3) du Pacte.

9.5Le Comité constate qu’au cours des procédures internes, le tribunal du district Garadagh et la cour d’appel de Bakou ont confirmé les déclarations de culpabilité prononcées contre les auteurs au motif que les activités des Témoins de Jéhovah et la célébration par les auteurs d’un culte au domicile de M. Mursalov avaient enfreint diverses dispositions de la loi relative à la liberté de conviction religieuse. En particulier, l’État partie a cité la disposition de ladite loi qui dispose que les associations religieuses ne peuvent mener des activités qu’après avoir été officiellement enregistrées, et que ces activités ne peuvent se dérouler que dans les lieux de culte dont l’adresse officielle est fournie dans les renseignements soumis à l’État aux fins de l’enregistrement. Le Comité rappelle que l’article 18 (par. 1) du Pacte protège le droit de tous les membres d’une congrégation religieuse de manifester leur religion en commun avec d’autres, par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. Il estime que les justifications données par l’État partie ne montrent pas en quoi l’obligation imposée aux associations d’être officiellement enregistrées avant de célébrer des cultes religieux est une mesure proportionnée et nécessaire qui vise un objectif légitime au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Le Comité constate que l’État partie n’a avancé aucun argument expliquant en quoi il était nécessaire que les auteurs se fassent enregistrer auprès des autorités avant de pratiquer leur religion en commun au domicile d’un particulier. Il conclut que la sanction imposée aux auteurs a constitué une restriction du droit de manifester leur religion qu’ils tiennent de l’article 18 (par. 1) du Pacte, et que ni les autorités nationales ni l’État partie n’ont démontré que cette restriction était une mesure proportionnée et nécessaire pour atteindre l’un des objectifs légitimes visés à l’article 18 (par. 3). En conséquence, le Comité conclut qu’en arrêtant les auteurs, en les détenant et en les sanctionnant par un avertissement administratif pour avoir tenu une réunion religieuse, l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 18 (par. 1) du Pacte.

9.6En ce qui concerne M. Kvaratskhelia, le Comité souligne que l’article 18 (par. 1) du Pacte protège le droit de tous les membres d’une communauté religieuse, et pas seulement les ressortissants de l’État partie, de manifester leur religion en commun, par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. Il conclut que la peine infligée à M. Kvaratskhelia, et notamment ses lourdes conséquences pour l’intéressé, qui a été expulsé de l’État partie, constitue une restriction du droit de manifester sa religion qu’il tient de l’article 18 (par. 1) du Pacte, et que cette restriction, bien que prévue par la loi, n’était ni proportionnée ni justifiée. De plus, le Comité constate que l’État partie n’a pas démontré que cette restriction servirait un quelconque objectif légitime visé à l’article 18 (par. 3), ni que cette restriction générale du droit de manifester sa religion était proportionnée à un objectif légitime, quel qu’il soit. Le Comité conclut donc que la restriction ne répond pas aux critères énoncés à l’article 18 (par. 3) du Pacte et que les droits que M. Kvaratskhelia tient de l’article 18 (par. 1) ont été violés.

9.7Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle la police les a arbitrairement emmenés au poste de police, où elle les a retenus pendant cinq heures. Prenant note de la position des autorités nationales, qui soutiennent qu’il ne s’agissait pas d’une privation de liberté mais d’une simple invitation ayant pour but de recueillir des explications et de rassembler des documents, le Comité souligne qu’il doit commencer par déterminer si les auteurs ont fait l’objet d’une privation de liberté au sens de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Il rappelle le paragraphe 6 de son observation générale no 35 (2014), dans lequel il a déclaré que « [p]our qu’il y ait privation de liberté, il faut qu’il y ait absence de consentement libre. Les individus qui se présentent spontanément au poste de police pour participer à une enquête et qui savent qu’ils sont libres de partir à tout moment ne sont pas privés de liberté ». Or le Comité constate que les auteurs affirment qu’ils n’étaient pas libres de quitter le poste de police pendant ces cinq heures. Compte tenu de l’absence d’informations de l’État partie réfutant cette allégation et montrant que les auteurs auraient pu librement décider de ne pas suivre les policiers au poste de police ou qu’une fois sur place, ils auraient pu s’en aller à tout moment sans que cela ait des conséquences négatives pour eux, le Comité conclut que les auteurs ont été contraints de suivre les policiers au poste et d’y demeurer jusqu’à ce qu’ils soient relâchés, et qu’ils ont donc été privés de liberté.

9.8Sachant que l’article 9 (par. 1) du Pacte prévoit que la privation de liberté ne doit pas être arbitraire et doit se dérouler dans le respect du droit, le Comité doit déterminer si l’arrestation et la détention des auteurs ont été arbitraires ou illégales. Il rappelle que la protection contre la détention arbitraire doit être appliquée de manière large et que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi », mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. Il rappelle également que l’arrestation ou la détention est arbitraire si elle vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte, comme la liberté de religion. Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle les Témoins de Jéhovah sont systématiquement harcelés par les autorités de l’État partie et qu’en l’espèce, les policiers n’ont pas informé les auteurs des faits qui leur étaient reprochés au moment de leur arrestation. Le Comité estime donc que les actes de la police n’étaient ni appropriés ni prévisibles et que les garanties d’une procédure régulière n’ont pas été respectées. Il considère en outre, compte tenu des conclusions qu’il a formulées au paragraphe 9.5 ci‑dessus, que l’arrestation et la détention des auteurs visaient à les punir pour avoir légitimement exercé leur droit de manifester leurs convictions religieuses. Le Comité conclut donc que les auteurs ont été arrêtés et détenus arbitrairement, en violation des droits qui leur sont garantis par l’article 9 (par. 1) du Pacte.

9.9Ayant conclu à la violation des articles 18 et 9 du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs soulevés par les auteurs au titre des articles 17, 19, 26 et 27 du Pacte, ainsi que le grief soulevé par M. Kvaratskhelia au titre de l’article 13 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que chacun des auteurs tient des articles 9 (par. 1) et 18 (par. 1 et 3) du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder aux auteurs une indemnisation adéquate, dont le remboursement de tous les frais de justice qu’ils ont engagés. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment de revoir ses lois, sa réglementation et ses pratiques afin de garantir que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés sur son territoire.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.