Nations Unies

CCPR/C/130/D/2418/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 janvier 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2418/2014 * , **

Communication présentée par :

Tazabek Sambetbai (représenté par un conseil, Bakhytzhan Toregozhina)

Au nom de :

Tazabek Sambetbai

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

7 décembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 6 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

30 octobre 2020

Objet:

Arrestation, déclaration de culpabilité pour une infraction administrative et condamnation à une amende pour avoir participé à une manifestation collective non autorisée

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond:

Liberté d’association, liberté d’expression

Article(s) du Pacte:

19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5

1.L’auteur de la communication est Tazabek Sambetbai, de nationalité kazakhe, né en 1980. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 juin 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 28 avril 2012, vers midi, l’auteur a participé, en tant que membre de l’opposition, à une réunion pacifique non autorisée qui s’est tenue sur une place publique devant l’hôtel Kazakhstan, à Almaty, au cours de laquelle il a prononcé un discours. Les organisateurs de la manifestation avaient au préalable tenté d’obtenir une autorisation, qui leur avait été refusée par la municipalité (il n’est pas donné plus de précisions). L’auteur ne faisait pas partie des organisateurs de la manifestation. Le rassemblement avait pour but de protester contre les violations commises dans le contexte des élections législatives et municipales qui s’étaient tenues peu avant et de rendre hommage aux victimes du massacre qui avait eu lieu le 16 décembre 2011 à Zhanaozen, dans la province de Manghistaou, dans l’ouest du pays.

2.2L’auteur explique que d’autres réunions de ce type s’étaient tenues les 17 et 28 janvier, 25 février et 24 mars 2012, et que de nombreux participants à ces réunions avaient été arrêtés et reconnus coupables d’infractions administratives.

2.3Le 28 avril 2012, l’auteur a été arrêté et traduit immédiatement devant le tribunal administratif interdistrict spécial d’Almaty. Le même jour, il a été reconnu coupable d’avoir participé à une manifestation collective non autorisée, sur le fondement de l’article 373 (par. 1) du Code des infractions administratives (violation des règles applicables à l’organisation et à la tenue de réunions, défilés, piquets, rassemblements et autres manifestations collectives), et condamné à une amende de 30 743 tenge.

2.4Le 7 mai 2012, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal administratif interdistrict spécial devant le tribunal municipal d’Almaty. Le 10 mai 2012, le tribunal municipal d’Almaty a rejeté son appel. Le 25 mai 2012, l’auteur a formé un recours contre le jugement du 28 avril 2012 auprès du Bureau du Procureur général, qui a répondu le 31 mai 2012 qu’un réexamen complémentaire aurait lieu. Le recours a été transmis au Bureau du Procureur d’Almaty, qui l’a rejeté le 13 juin 2012. Le 27 juillet 2012, le Bureau du Procureur du district Medeousky d’Almaty a également rejeté le recours. Le 8 novembre 2012, l’auteur a de nouveau saisi le Bureau du Procureur général d’une requête visant à contester le jugement du 28 avril 2012, sans succès. Il dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte en ce que son droit à la liberté d’expression n’a pas été garanti.

3.2L’auteur affirme en outre que les droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte ont été violés, les autorités nationales n’ayant pas été en mesure d’expliquer pourquoi le rassemblement pacifique du 28 avril 2012 était interdit.

3.3L’auteur prie le Comité de demander instamment à l’État partie d’amener les personnes responsables de la violation de ses droits à répondre de leurs actes, de faire en sorte que les restrictions indûment imposées à la liberté de réunion et à la liberté d’expression soient levées et que la législation applicable soit mise en conformité avec les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte et de garantir que l’organisation de réunions pacifiques et l’expression par chacun de son opinion ne donnent pas lieu à des sanctions.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 5 août 2014, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication et demande au Comité de déclarer celle-ci irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour défaut de fondement.

4.2L’État partie rappelle les événements du 28 avril 2012 et indique que l’auteur a été déclaré coupable et condamné par le tribunal administratif interdistrict spécial d’Almaty à une amende pour une infraction administrative relevant de l’article 373 (par. 1) du Code des infractions administratives et que cette décision a été confirmée en appel, le 10 mai 2012, par le tribunal municipal d’Almaty. Il observe que l’auteur a demandé au Bureau du Procureur d’Almaty et au Bureau du Procureur général de saisir la Cour suprême aux fins du réexamen de la décision du tribunal administratif au titre de la procédure de contrôle, mais que ses demandes ont été rejetées.

4.3L’État partie explique que la manière dont peuvent être exprimés les intérêts de la société, d’un groupe ou de personnes dans les lieux publics, ainsi que la forme que peut revêtir cette expression et les restrictions qui peuvent y être imposées, sont définies par la loi no 2126 du 17 mars 1995 sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques. Selon l’article 9 de cette loi, quiconque ne respecte pas les modalités fixées voit sa responsabilité engagée. L’auteur n’a pas adressé de demande aux autorités.

4.4L’État partie rappelle que les droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte font l’objet de certaines restrictions. Il explique que l’exercice de la liberté de réunion pacifique n’est pas interdit au Kazakhstan, mais qu’une certaine procédure doit être suivie pour organiser un rassemblement. Il renvoie aux articles 2, 7 et 10 de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de réunions, rassemblements, défilés, piquets et manifestations pacifiques, qui disposent que les organisateurs sont tenus de demander une autorisation aux autorités exécutives locales, que les autorités locales peuvent interdire toute manifestation collective dont l’objectif est illégal ou dont la tenue constitue une menace à l’ordre public et à la sécurité des citoyens et qu’elles peuvent aussi subordonner la tenue de ce type d’événement à des conditions supplémentaires. L’auteur n’ayant pas obtenu l’autorisation requise, il a été sanctionné pour non-respect de la procédure applicable.

4.5L’État partie rappelle que le droit international des droits de l’homme reconnaît qu’il peut être nécessaire d’imposer certaines restrictions à la liberté de réunion. Au Kazakhstan, des lieux de réunion spéciaux sont prévus afin de protéger les droits et libertés d’autrui et l’ordre public. L’État partie affirme par conséquent que l’exercice de la liberté de réunion au Kazakhstan est pleinement conforme à la Déclaration universelle des droits de l’homme et au Pacte.

4.6L’État partie affirme que les juridictions internes ont examiné avec soin les griefs de l’auteur, qui soutient qu’il n’a commis aucun acte illicite, et qu’elles les ont jugés non fondés. Elles ont tenu compte des circonstances de l’espèce et déterminé que la sanction imposée n’excédait pas les limites fixées par l’article 373 (par. 1) du Code des infractions administratives.

4.7L’État partie fait valoir que l’article 40 du Code des infractions administratives prévoit une procédure exceptionnelle au titre de laquelle l’auteur aurait pu demander au Procureur général d’engager une procédure de contrôle des décisions administratives rendues dans son dossier devant la Cour suprême. L’auteur, qui ne s’est pas prévalu de cette possibilité, n’a pas épuisé les recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une note verbale du 22 septembre 2014, l’auteur présente ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait valoir que, si l’État partie affirme que les droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte sont garantis au Kazakhstan et ne peuvent être restreints que dans certaines circonstances, il n’a pas expliqué en quoi sa condamnation à une amende administrative était nécessaire.

5.2L’auteur affirme qu’au regard des obligations internationales contractées par l’État partie, toute restriction apportée à la liberté de réunion doit être proportionnée et appliquée compte tenu des circonstances de chaque espèce ; l’intervention des autorités dans l’organisation de manifestations publiques doit être réduite au minimum. L’auteur soutient que l’État partie méconnaît et viole ces principes.

5.3L’auteur dit avoir épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes, et notamment avoir déposé auprès du Bureau du Procureur général une requête en vue de saisir la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle juridictionnel. Il soutient également qu’une nouvelle saisine du Bureau du Procureur général ne constituerait pas un recours utile étant donné qu’il a déjà reçu une réponse, signée par le Procureur général adjoint, qui a considéré qu’une requête en protestation devant la Cour suprême afin d’obtenir un tel contrôle était dénuée de fondement.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale du 7 janvier 2015, l’État partie fait part de ses observations sur le fond. Il soutient qu’il n’y a pas eu en l’espèce de violation des droits garantis à l’auteur par les articles 19 et 21 du Pacte. Il répète également ses arguments concernant l’irrecevabilité. Il réaffirme que la liberté de réunion pacifique n’est pas interdite au Kazakhstan, mais qu’elle fait l’objet de certaines restrictions.

6.2L’État partie fait valoir que l’auteur a été déclaré coupable non pas d’avoir exercé son droit à la liberté de réunion, mais d’avoir enfreint les règles de procédure qui encadrent l’exercice de ce droit.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une note verbale du 10 mars 2015, l’auteur présente ses commentaires sur les observations de l’État partie. L’auteur fait valoir que, si l’État partie affirme que les droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte sont garantis au Kazakhstan et ne peuvent être restreints que dans certaines circonstances, il n’a pas expliqué en quoi sa condamnation à une amende administrative était nécessaire.

7.2L’auteur affirme que, dans son cas, la déclaration de culpabilité et la sanction administrative imposée découlaient de sa participation à un rassemblement public non autorisé par les autorités locales. Il soutient que dans de telles circonstances, la déclaration de culpabilité le visant constitue une restriction de sa liberté de réunion et que cette restriction est contraire à l’article 21 du Pacte.

7.3L’auteur rappelle les observations du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association selon lesquelles la loi est l’expression de la volonté générale et a donc pour but de servir le peuple. L’état de droit suppose que les individus sont libres d’exercer leurs droits fondamentaux sans autorisation préalable des autorités publiques (A/HRC/29/25/Add.2, par. 91).

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une note verbale du 11 février 2016, l’État partie fait part d’informations complémentaires. Il réaffirme sa position concernant les affirmations de l’auteur.

8.2L’État partie conteste l’affirmation de l’auteur selon laquelle aucune explication n’a été donnée sur les raisons pour lesquelles ses droits devaient être restreints. Il rappelle que les droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte font l’objet de certaines restrictions. Si la liberté de réunion pacifique n’est pas interdite au Kazakhstan, elle peut être restreinte, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Au Kazakhstan, le maintien de l’ordre public est l’élément le plus important du respect des droits de l’homme garanti par la loi. Les autorités doivent empêcher les troubles à l’ordre public et prévenir les infractions administratives.

8.3L’État partie fait également valoir que l’arrestation de l’auteur était légale et visait à préserver l’ordre public, étant donné que les participants au rassemblement non autorisé dérangeaient les personnes présentes dans l’hôtel ou sur la place. C’est donc dans le but de mettre fin à des troubles à l’ordre public que l’auteur a été appréhendé et déclaré coupable d’avoir participé à un rassemblement non autorisé. La mesure dont il a fait l’objet était la moins restrictive par nature et était proportionnée à l’objectif consistant à protéger l’ordre public. Autrement dit, elle était nécessaire et proportionnée.

8.4L’État partie affirme que les citoyens du Kazakhstan exercent activement leurs droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion. Entre 2012 et 2015, 130 manifestations publiques ont eu lieu. L’auteur aurait pu demander une autorisation pour la manifestation dont il est question.

8.5L’État partie affirme également que la communication de l’auteur devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte, les violations alléguées devant porter sur les droits qui sont protégés par celui-ci. En général, il n’appartient pas au Comité d’examiner une décision rendue par les tribunaux nationaux, ni de se prononcer sur l’innocence ou la culpabilité des parties ; le Comité ne peut pas non plus revoir l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par les autorités et tribunaux nationaux ni l’interprétation de la législation nationale, sauf si l’auteur de la communication peut démontrer que cette appréciation a été arbitraire, qu’elle a manifestement été entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice, ou que les tribunaux ont d’une quelconque autre façon manqué à leur obligation d’indépendance et d’impartialité.

8.6L’État partie soutient que les griefs de l’auteur ne sont pas compatibles avec les principes susmentionnés. L’auteur demande au Comité d’outrepasser sa compétence et d’intervenir dans les affaires intérieures d’un État indépendant, et d’influer directement sur les politiques publiques dans le domaine des droits de l’homme. Dans le même temps, l’auteur n’a fourni aucune déclaration d’expert concluant que la législation nationale sur la liberté d’association et la liberté d’expression était contraire aux normes internationales.

8.7L’État partie fait également valoir que la saisine du Procureur général constitue un recours utile. Il renvoie, à titre d’exemple, à une affaire dans laquelle ce recours a abouti.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

9.Dans une note verbale du 10 mars 2016, l’auteur confirme toutes les informations qu’il avait précédemment soumises au Comité et maintient que la communication est recevable et fondée.

Observations complémentaires de l’État partie

10.1Dans une note verbale du 2 avril 2016, l’État partie fait part d’informations complémentaires.

10.2L’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 96 (al. b)) du règlement intérieur du Comité au motif que l’auteur n’a fourni aucune information sur les raisons pour lesquelles il n’a pu présenter la communication lui-même, alors que le règlement intérieur prévoit qu’une communication peut être présentée par un représentant lorsque l’intéressé n’est pas en mesure de le faire lui-même.

10.3L’État partie renvoie à une autre affaire dans laquelle la saisine du Procureur général a donné lieu à une décision favorable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

11.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

11.3Le Comité note que l’auteur dit avoir épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes. Il note également que, d’après l’État partie, l’auteur n’a pas demandé au Procureur général d’engager une procédure de contrôle devant la Cour suprême au titre de l’article 40 du Code des infractions administratives, et n’a donc pas épuisé les recours internes. À cet égard, il relève que les 25 mai et 8 novembre 2012, l’auteur a introduit des demandes de contrôle juridictionnel auprès du Bureau du Procureur général. La première a été rejetée le 13 juin 2012 par le Bureau du Procureur d’Almaty et le 27 juillet 2012 par le Bureau du Procureur du district Medeousky. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la procédure de contrôle des décisions judiciaires passées en force de chose jugée par le Bureau du Procureur ne fait pas partie des recours à épuiser aux fins du de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En conséquence, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de cette partie de la communication.

11.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle lui a été soumise non pas par la victime de la violation présumée, mais par son conseil. À cet égard, le Comité rappelle que l’article 99 (al. b)) de son règlement intérieur dispose que, normalement, la communication doit être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant, mais qu’une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. En l’espèce, le Comité observe que l’auteur a déposé plainte lui-même et qu’il s’est ensuite fait représenter par un conseil, qui a présenté une procuration dûment signée l’habilitant à le représenter devant le Comité. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

11.5Le Comité note que l’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 19 (par. 2) et de l’article 21 du Pacte ont été violés car il a été sanctionné sans justification pour avoir participé, avec d’autres personnes, à un rassemblement pacifique dans le but de protester contre les violations commises dans le contexte des élections législatives et municipales, tenues peu avant, et de rendre hommage aux victimes du massacre de Zhanaozen du 16 décembre 2011. Le Comité considère que ces griefs ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il les déclare donc recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

12.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

12.2Le Comité note que, d’après l’auteur, en le condamnant à une amende administrative pour avoir participé à une manifestation pacifique, l’État partie a violé son droit à la liberté de réunion. L’auteur affirme qu’il a été arrêté juste après une manifestation pacifique. L’État partie soutient qu’en réalité il a été arrêté pour avoir participé à une manifestation publique non autorisée. Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti à l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Étant donné que les réunions sont par nature des forums d’expression, les participants doivent dans toute la mesure possible pouvoir se réunir dans un lieu à portée de vue et de voix du public ciblé, et l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Partant, si les restrictions sont dans certains cas permissibles, les autorités sont tenues de les justifier et de démontrer qu’elles sont non seulement légitimes, mais aussi nécessaires et proportionnées à la protection d’au moins un des intérêts énoncés à l’article 21 du Pacte. Lorsque les autorités ne s’acquittent pas de cette obligation, il est porté atteinte à l’article 21 du Pacte. L’État partie qui impose des restrictions à un droit doit être mû par la volonté de faciliter l’exercice du droit en question, et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. Les restrictions ne doivent pas être discriminatoires, porter atteinte à l’essence même du droit, avoir pour but de décourager la participation à des réunions ou avoir un effet dissuasif.

12.3Le Comité note que l’obligation de demander l’autorisation de se rassembler est contraire à l’idée même selon laquelle le droit de réunion pacifique est un droit fondamental (CCPR/C/MAR/CO/6, par. 45 et CCPR/C/GMB/CO/2, par. 41). Si pareille obligation est imposée, alors la demande doit avoir un but purement informatif et être automatiquement accueillie, sauf s’il existe un motif impérieux justifiant de ne pas y faire droit, et la procédure ne doit pas être excessivement contraignante. Par ailleurs, une obligation de notification ne doit pas s’apparenter, dans la pratique à l’obligation d’obtenir une autorisation. (CCPR/C/JOR/CO/5, par. 32).

12.4Le Comité note que, d’après l’auteur, ni les autorités administratives, ni les tribunaux de l’État partie n’ont justifié l’amende administrative qui lui a été infligée pour sa participation à un rassemblement pacifique quoique non autorisé. Il relève également que, selon l’État partie, la restriction en cause a été imposée à l’auteur en application du Code des infractions administratives et des dispositions de la loi sur l’organisation et la tenue de réunions, rassemblements, défilés, piquets et manifestations pacifiques. Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel l’obligation de demander une autorisation vise à protéger l’ordre public ainsi que les droits et libertés des autres citoyens. Il relève cependant à cet égard que l’auteur soutient que, bien que la restriction ait pu être légale au regard du droit interne, son arrestation et sa condamnation étaient inutiles dans une société démocratique aux fins des objectifs légitimes invoqués par l’État partie. L’auteur affirme en outre que la manifestation, organisée en réaction à un problème important − les élections législatives et municipales tenues peu avant et l’hommage aux victimes du massacre de Zhanaozen du 16 décembre 2011 − était pacifique et n’a causé aucun danger ou dommage aux personnes ou aux biens.

12.5Le Comité note que l’État partie s’est appuyé sur les dispositions de la loi sur les manifestations publiques prévoyant qu’une demande d’autorisation doit être présentée dix jours avant la manifestation et que l’autorisation doit être obtenue auprès des autorités exécutives locales, deux conditions qui restreignent le droit de réunion pacifique. Le Comité rappelle que la liberté de réunion est un droit, et non un privilège. Pour être conformes au Pacte, les restrictions à ce droit, même si elles sont autorisées par la législation interne, doivent également satisfaire aux conditions énoncées dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité prend note à cet égard de la réponse de l’État partie, qui considère que l’auteur a été arrêté afin de préserver l’ordre public, au motif que les participants au rassemblement dérangeaient les personnes présentes dans l’hôtel ou sur la place. Il fait observer que le droit de réunion pacifique s’applique même aux rassemblements qui relèvent d’une démarche délibérée d’obstruction et qu’il faut tolérer, dans une certaine mesure, que la vie quotidienne soit perturbée. Lorsque des restrictions sont imposées pour protéger les droits et les libertés d’autrui, les autorités nationales doivent les justifier de façon détaillée. Le Comité constate que l’« ordre public » désigne l’ensemble des règles destinées à garantir le bon fonctionnement de la société, ou des principes fondamentaux sur lesquels la société repose, principes dont fait partie le respect des droits de l’homme, y compris le droit de réunion pacifique. Les États parties ne sauraient donc s’appuyer sur une définition vague de la notion d’ordre public pour justifier des restrictions excessivement importantes du droit de réunion pacifique (CCPR/C/KAZ/CO/1, par. 26 et CCPR/C/DZA/CO/4, par. 45). Il peut arriver qu’un rassemblement pacifique ait un effet perturbateur, que cet effet soit recherché ou inhérent à la nature même du rassemblement, et requière un degré de tolérance important. Cela étant, les notions d’ordre public et de maintien de l’ordre ne sont pas synonymes, et l’interdiction des troubles à l’ordre public inscrite dans le droit interne ne saurait être utilisée pour restreindre indûment le droit de réunion pacifique. Or, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune précision quant à la nature de la gêne occasionnée par le rassemblement en cause, ni aucune information sur la manière dont ce rassemblement avait, de ce point de vue, franchi les limites de l’acceptable.

12.6Le Comité rappelle que l’article 21 du Pacte dispose que l’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions « nécessaires dans une société démocratique ». Dans toute société reposant sur le respect de la démocratie, de l’état de droit, du pluralisme politique et des droits de l’homme, les restrictions imposées doivent donc être nécessaires et proportionnées, et ne sauraient être seulement raisonnables ou opportunes. Elles doivent apporter une réponse appropriée à un besoin social impérieux découlant de l’un des motifs énoncés à l’article 21 du Pacte et être le moyen le moins intrusif de sauvegarder l’intérêt à protéger. De surcroît, elles doivent être proportionnées, ce qui signifie qu’il faut porter un jugement de valeur et mettre en balance, d’une part, la nature de l’ingérence et son effet préjudiciable sur l’exercice du droit et, d’autre part, le résultat bénéfique de cette ingérence au regard du motif invoqué. Si le préjudice causé l’emporte sur le bénéfice obtenu, la restriction est disproportionnée et, partant, inadmissible. Par ailleurs, le Comité constate que l’État partie n’a pas démontré que la mesure consistant à imposer à l’auteur une amende administrative parce qu’il avait participé à une manifestation publique pacifique satisfaisait les conditions strictes énoncées dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte, à savoir qu’elle était à la fois nécessaire dans une société démocratique pour protéger un intérêt légitime, et proportionnée à l’objectif recherché. Le Comité rappelle que toute restriction à la participation à une réunion pacifique devrait être basée sur une évaluation au cas par cas de la réunion concernée et du comportement des participants. Les restrictions systématiques imposées aux réunions pacifiques sont présumées disproportionnées. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie n’a pas justifié la restriction imposée au droit de réunion de l’auteur, d’autant que celui-ci n’était pas l’organisateur de la manifestation, et a donc enfreint les dispositions de l’article 21 du Pacte.

12.7Le Comité note que l’auteur se dit victime d’une violation du droit à la liberté d’expression garanti à l’article 19 du Pacte. Il doit donc décider si les restrictions imposées au droit de l’auteur étaient conformes aux dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte.

12.8Le Comité note que la sanction infligée à l’auteur pour avoir exprimé son point de vue en participant à une manifestation publique a porté atteinte au droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Il rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément fixées par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il renvoie à son observation générale no 34 (2011), dont il ressort que les libertés d’opinion et d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société. Ces libertés constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions apportées à leur exercice doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

12.9En ce qui concerne la restriction de la liberté d’expression de l’auteur, le Comité rappelle qu’il importe de préserver un espace pour le discours politique, qui bénéficie d’une protection particulière en tant que forme d’expression. Il prend note de l’affirmation de l’auteur, qui soutient que le rassemblement avait pour but de protester contre les élections, tenues peu avant, et de rendre hommage aux victimes du massacre de Zhanaozen du 16 décembre 2011. En l’absence de toute information pertinente fournie l’État partie démontrant que la restriction imposée est conforme aux dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte, le Comité conclut que les droits garantis à l’auteur par l’article 19 (par. 2) ont été violés.

13.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

14.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteur une indemnisation et le remboursement de tous les frais de procédure qu’il a pu engager. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité rappelle que, conformément aux obligations qui lui incombent au regard de l’article 2 (par. 2) du Pacte, l’État partie devrait réviser sa législation de façon à garantir sur son territoire la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte, notamment le droit d’organiser et de tenir des rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques.

15.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.