Nations Unies

CCPR/C/132/D/3105/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

21 septembre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3105/2018 * , ** , ***

Communication présentée par :

Andrei Mikhalenya (l’auteur) (au nom de son fils, Aleksei Mikhalenya, et représenté par un conseil, Andrei Poluda)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur et son fils

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

30 janvier 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er février 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

21 juillet 2021

Objet :

Condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté et sécurité de la personne

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 1 à 4) et 14 (par. 1, 2 et 3 a), b), d), e) et g))

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Andrei Mikhalenya, de nationalité bélarussienne. Son fils, Aleksei Mikhalenya, de nationalité bélarussienne également, né en 1984 était au moment de la présentation de la communication incarcéré dans l’attente de son exécution. L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits garantis à son fils par les articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 1 à 4) et 14 (par. 1, 2 et 3 a), b), d), e) et g)) du Pacte. Il affirme également que l’État partie a violé les droits qui lui sont garantis à lui par l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 1er février 2018, conformément à l’article 94 de son règlement de procédure, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de surseoir à l’exécution du fils de l’auteur tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 17 juillet 2018, le Comité a été informé que, nonobstant la demande de mesures provisoires, le fils de l’auteur avait été exécuté. Le 19 juillet 2018, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, il a demandé à l’État partie de lui apporter d’urgence des éclaircissements et a appelé l’attention du Gouvernement bélarussien sur le fait que passer outre à une demande de mesures provisoires constituait une violation de l’obligation de coopérer de bonne foi à la procédure prévue par le Protocole facultatif. À ce jour, aucune réponse n’a été reçue de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 17 mars 2017, le tribunal régional de Gomel a condamné le fils de l’auteur à mort pour le meurtre de deux personnes. Les juges ont tenu compte du fait que l’intéressé avait déjà été condamné au pénal par trois fois, dont l’une pour un meurtre commis alors qu’il était mineur. D’après le jugement, le 4 mars 2016, le fils de l’auteur a tué un couple de voisins âgés alors qu’il était ivre. Il a avoué les meurtres, mais a soutenu qu’il avait agi en état de légitime défense après que les victimes, chez qui il était allé emprunter des ciseaux, l’avaient agressé.

2.2Le 27 mars 2017, le fils de l’auteur a interjeté appel auprès de la Cour suprême. Les 6 et 16 juin 2017, il a présenté des écritures complémentaires à l’appui de son recours. Le 30 juin 2017, la Cour a confirmé la décision de première instance. Le 19 juillet 2017, l’auteur a déposé une demande de réexamen aux fins de contrôle auprès du Premier Vice-Président de la Cour. Le 8 août 2017, sa demande a été rejetée. L’auteur fait observer que le Premier Vice‑Président était aussi membre de la cour d’appel qui l’avait débouté de son recours le 30 juin 2017.

2.3Le 16 août 2017, le fils de l’auteur a déposé une nouvelle demande de réexamen aux fins de contrôle, s’adressant cette fois au Président de la Cour suprême. Le 15 septembre 2017, un Vice-Président a rejeté la demande, s’appuyant sur la décision rendue par le Premier Vice‑Président le 8 août 2017. Le fils de l’auteur a alors présenté une demande de grâce, sans grand espoir toutefois sachant que, dans toute l’histoire du Bélarus moderne, un seul condamné à mort avait été gracié.

2.4L’auteur soutient que son fils a présenté de nombreux autres recours, au Département des enquêtes, à la Cour suprême et au Bureau du Procureur général, mais aucun n’a abouti. Il soutient que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son fils a été victime d’une violation des droits garantis à l’article 6 du Pacte en ce qu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable.

3.2L’auteur soutient également que son fils a été victime d’une violation des droits garantis à l’article 7 du Pacte en ce que, entre le moment où il a été arrêté et celui où il a été interrogé, il a été soumis à des actes de torture et à des pressions psychologiques qui l’ont conduit à avouer les faits qui lui étaient reprochés. L’auteur ajoute que la condamnation à mort de son fils constitue en soi un acte de torture et cause de la souffrance à sa famille et à ses proches, en violation de l’article 7 du Pacte.

3.3L’auteur soutient en outre que son fils a été victime d’une violation des droits garantis à l’article 9 du Pacte en ce qu’il a été arrêté arbitrairement et sans raison aucune. En effet, la mort des deux voisins âgés a été signalée à la police à 11 h 15 le 5 mars 2016, en même temps que M. Mikhalenya a été arrêté, ce qui signifie qu’aucun élément à charge ne pouvait avoir été recueilli avant l’arrestation. L’auteur soutient que tous les éléments de preuve, y compris les aveux, ont été obtenus entre l’arrestation de son fils, qui a eu lieu à 11 h 15, et l’interrogatoire, qui a débuté à 21 h 59. Enfin, il allègue que le mandat d’arrêt a été délivré par le procureur le 10 mars 2016 et que son fils a été présenté devant un juge le 8 février 2017, soit onze mois après son arrestation.

3.4L’auteur soutient que son fils a été victime d’une violation des droits garantis à l’article 14 (par. 1) du Pacte en ce que le juge a manqué d’impartialité et n’a pas empêché le procureur d’exprimer son opinion personnelle négative sur lui au cours du procès.

3.5L’auteur soutient également que son fils a été victime d’une violation des droits garantis à l’article 14 (par. 2) du Pacte parce qu’il a comparu au procès menotté et enfermé dans une cage en métal. En outre, avant même que sa condamnation soit devenue exécutoire, il a dû porter un uniforme sur lequel il était écrit « condamné à mort ». Au cours du procès, plusieurs médias l’ont qualifié de meurtrier et ont révélé certains détails de l’affaire en renvoyant au porte-parole du tribunal régional de Gomel.

3.6L’auteur soutient en outre que son fils a été victime d’une violation des droits garantis à l’article 14 (par. 3 a), b), d), e) et g))du Pacte en ce qu’il n’a pas été informé de ses droits lors de son arrestation. Le fils de l’auteur a été arrêté le 5 mars 2016 à 11 h 15 et a été interrogé le même jour entre 21 h 59 et 23 h 59. Or, le tribunal ne s’est pas intéressé à ce qui avait pu se passer entre-temps. L’auteur allègue que son fils a été interrogé pendant deux heures et demie au poste de police sans qu’un procès-verbal soit établi. Jusqu’à son interrogatoire, le fils de l’auteur n’était pas représenté par un conseil, alors que la loi exige pourtant que, dans toutes les affaires concernant des crimes graves, l’accusé soit assisté d’un avocat dès son arrestation (l’auteur soutient que son fils n’avait pas les moyens d’engager son propre avocat). Lorsqu’il s’est finalement vu commettre un avocat, le fils de l’auteur n’a pas pu s’entretenir avec lui en toute confidentialité. L’auteur soutient par ailleurs que son fils n’a pas pu étudier certains des éléments du dossier avant l’ouverture du procès et n’a pas été autorisé à interroger ou contre-interroger plusieurs témoins, notamment les experts auteurs des rapports présentés les 22 mars 2016 (résultats des analyses d’ADN), 4 avril 2016 (résultats des autopsies) et 16 mai 2016 (résultats de l’analyse des taches de sang). Un examen psychiatrique a révélé que l’intéressé avait un handicap mental léger associé à des troubles du comportement et à une dépendance à l’alcool.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 27 mars 2018, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il déclare que le fils de l’auteur a été reconnu coupable du double meurtre commis en 2016, crime qui lui a valu une condamnation à mort. Le fils de l’auteur a interjeté appel auprès de la Cour suprême et, le 30 juin 2017, celle-ci a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine prononcées par la juridiction inférieure, estimant qu’elles étaient légitimes, justifiées et équitables. À cette date, le verdict et la sentence sont devenus exécutoires.

4.2La décision rendue par la Cour suprême le 30 juin 2017 a fait l’objet de deux demandes de réexamen aux fins de contrôle. Ces demandes ont été rejetées les 8 août et 15 septembre 2017. Le conseil du fils de l’auteur a ensuite présenté d’autres demandes au titre de la procédure de contrôle, et ces demandes ont également été rejetées, le 28 novembre 2017 et les 15 février et 15 mars 2018. Conformément aux articles 404, 407 et 408 du Code de procédure pénale, le fils de l’auteur pouvait présenter des demandes de réexamen au Procureur général ainsi qu’au Président et aux Vice-Présidents de la Cour suprême. Le Bureau du Procureur général a rejeté les demandes de l’intéressé les 22 septembre 2017 et 8 janvier 2018.

4.3L’État partie déclare que le fils de l’auteur a présenté une demande de grâce et que cette demande était toujours à l’examen au moment de la soumission de la communication. En application de l’article 175 du Code pénal, la présentation d’une demande de grâce entraîne le sursis de l’exécution de la condamnation à mort.

4.4L’État partie soutient que les griefs tirés de l’article 14 du Pacte sont dénués de fondement et ne sont pas étayés par les faits. Le fils de l’auteur a eu accès à un tribunal équitable, compétent et indépendant, a pu interjeter appel des décisions du tribunal avec l’assistance de ses conseils et a été informé de ses droits non seulement pendant la procédure, mais aussi au moment de son arrestation, comme en atteste la déclaration qu’il a signée le 5 mars 2016. Il a également été informé de son droit de faire appel de son arrestation et de son placement en détention, droit dont il ne s’est toutefois pas prévalu. Le fils de l’auteur et son conseil de l’époque ont étudié le dossier d’enquête une fois celle-ci terminée et n’ont déposé aucune objection ni formé aucun recours.

4.5Au cours du procès, tant l’accusation que la défense ont pu exercer les droits garantis par le Code de procédure pénale, et le fils de l’auteur était représenté par deux conseils.

4.6L’État partie avance que les griefs tirés de l’article 6 du Pacte sont peu convaincants. Cet article, qui protège le droit à la vie, dispose notamment que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie et que, dans les pays où elle n’est pas abolie, la peine de mort ne peut être imposée que pour des crimes particulièrement graves et appliquée à l’issue d’un verdict définitif prononcé par un tribunal compétent. Or, l’article 24 de la Constitution prévoit aussi que, jusqu’à son abolition, la peine de mort peut être imposée à titre exceptionnel, pour les crimes les plus graves. Dans le cas de M. Mikhalenya, le tribunal a pris en considération l’ensemble des circonstances pertinentes, notamment la nécessité de sauvegarder la sécurité publique ainsi que le mobile et les conséquences du crime et le comportement et la personnalité de l’accusé. Il a aussi retenu des circonstances aggravantes, telles que le fait que l’intéressé avait agi sous l’emprise de l’alcool.

4.7L’État partie soutient que, contrairement à ce qui est allégué, l’arrestation et la détention du fils de l’auteur n’ont pas été arbitraires et ont au contraire été conformes aux règles et délais fixés par le Code de procédure pénale.

4.8Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime que la communication est entièrement dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans des commentaires datés du 12 juillet 2018, l’auteur avance que l’État partie ne fournit aucun élément venant expressément réfuter ses allégations. La procédure de réexamen aux fins de contrôle à laquelle l’État partie fait référence n’est pas considérée comme un recours effectif et n’a pas besoin d’être épuisée aux fins de la communication. Néanmoins, avec son conseil, le fils de l’auteur a utilisé tous les recours possibles pour défendre ses droits. La procédure de réexamen aux fins de contrôle est discrétionnaire et sa mise en mouvement dépend du bon vouloir du juge ou du procureur. De surcroît, les demandes qui sont examinées sont tranchées à huis clos. Le Comité estime depuis longtemps que ce recours est inefficace, de même que la procédure de demande de grâce.

5.2Par ailleurs, le condamné et ses conseils ne sont pas informés de l’issue des recours présentés dans le cadre de la procédure de réexamen aux fins de contrôle. Dans certains cas, ce n’est qu’à la veille de l’application de la peine qu’ils apprennent qu’ils ont été déboutés. En cas de condamnation à mort, le condamné, ses avocats et sa famille ne sont pas informés de la date et de l’heure de l’exécution, qui a lieu en secret.

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité note que l’État partie a fait fi de la demande de mesures provisoires qu’il lui avait adressée et a exécuté le fils de l’auteur avant qu’il ait achevé l’examen de la communication.

6.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir lui-même son règlement intérieur, que les États parties sont convenus d’accepter. Il fait observer que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît qu’il a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre d’examiner les communications qui lui sont soumises puis de faire part de ses constatations à l’État partie et à l’auteur (art. 5 (par. 1 et 4)). Le fait pour un État partie d’adopter une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de formuler des constatations est incompatible avec les obligations découlant de l’article premier du Protocole facultatif.

6.3En l’espèce, le Comité constate que, lorsqu’il lui a soumis la communication, le 31 janvier 2018, l’auteur lui a fait savoir que son fils avait été condamné à mort et pouvait être exécuté à tout moment. Le 1er février 2018, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’exécution du fils de l’auteur tant que la communication serait à l’examen. En juillet 2018, il a été informé que, malgré la demande de mesures provisoires, le fils de l’auteur avait été exécuté. Il note qu’il n’est pas contesté que l’exécution a eu lieu, au mépris total de la demande de mesures provisoires adressée à l’État partie.

6.4Le Comité réaffirme que, indépendamment des violations du Pacte dont il peut être tenu responsable à l’issue de l’examen d’une communication, l’État partie qui prend une mesure de nature à empêcher ou contrarier l’examen de la communication, à le rendre sans objet ou à priver de tout effet et de toute utilité les constatations qui en sont issues contrevient gravement aux obligations mises à sa charge par le Protocole facultatif. En l’espèce, l’auteur allègue que la violation des droits que son fils tenait de plusieurs articles du Pacte a eu des conséquences directes sur la légalité de la condamnation à mort. Ayant été informé de la communication et de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, l’État partie a commis une violation grave des obligations mises à sa charge par le Protocole facultatif lorsqu’il a exécuté la victime présumée alors que le Comité n’avait pas achevé l’examen de la communication.

6.5Le Comité rappelle que les demandes de mesures provisoires présentées au titre de l’article 94 de son règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, jouent un rôle fondamental dans la bonne exécution du mandat qu’il tient du Protocole facultatif en ce qu’elles permettent d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime d’une violation présumée. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréversible comme, en l’espèce, l’exécution du fils de l’auteur, compromet la protection des droits consacrés par le Pacte qui est prévue par le Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le fils de l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles car il n’a pas personnellement saisi le Procureur général et la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Le Comité constate toutefois que le conseil du fils de l’auteur a déposé plusieurs demandes au titre de cette procédure et que toutes ont été rejetées (par. 4.2). Il rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que l’introduction auprès d’un procureur d’une demande de contrôle d’une décision de justice devenue exécutoire, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En outre, il estime que saisir le président d’un tribunal d’une demande de contrôle visant une décision de justice devenue exécutoire constitue un recours extraordinaire en ce que la recevabilité de ce type de demande dépend du pouvoir discrétionnaire du juge, et que l’État partie doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable que la procédure de contrôle constitue un recours utile au regard des circonstances de l’affaire. Or, en l’espèce, l’État partie n’a pas démontré que, dans les affaires concernant le droit à un procès équitable, il arrivait que les demandes adressées au Président de la Cour suprême au titre de cette procédure soient accueillies, et n’a pas indiqué combien de demandes de ce type avaient abouti, le cas échéant. Dans ces conditions et s’agissant de la procédure de contrôle, le Comité conclut que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.4En ce qui concerne les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le fils de l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes au moment de la soumission de la communication étant donné, en particulier, que sa demande de grâce était toujours à l’examen. À cet égard, et à la lumière des informations relatives à l’exécution du fils de l’auteur, le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que le recours en grâce est un recours extraordinaire et extrajudiciaire et ne constitue donc pas un recours utile aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. De surcroît, en l’espèce, le recours en grâce n’aurait pu à lui seul constituer un recours utile compte tenu des violations alléguées. Le Comité considère par conséquent, s’agissant de la grâce présidentielle, que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.5Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire des articles 7 et 14 (par. 1 et 3 g)) du Pacte. Toutefois, en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, et en raison du caractère général de ces griefs, il considère qu’ils ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend note également des allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie a violé les droits garantis à son fils par les articles 9 (par. 1), 2) et 4)) et 14 (par. 3) a), b) et d)) du Pacte. En l’absence de toute autre information, néanmoins, il n’est pas en mesure de déterminer si les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne ces griefs, et estime donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner cette partie de la communication.

7.7Le Comité estime que les autres griefs de l’auteur, qui soulèvent des questions au regard des articles 6 (par. 1 et 2), 9 (par. 3) et 14 (par. 2 et 3 e)) du Pacte, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et va donc passer à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2En ce qui concerne le grief de violation des droits que le fils de l’auteur tenait de l’article 9 (par. 3) du Pacte, le Comité rappelle que cet article dispose que tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires et que, si le sens exact à donner à l’expression « dans le plus court délai » peut varier selon les circonstances objectives de l’affaire, le laps de temps ne devrait pas dépasser quelques jours à compter de l’arrestation. De l’avis du Comité, quarante-huit heures suffisent généralement à transférer la personne et à préparer sa comparution ; tout délai supérieur doit rester absolument exceptionnel et être justifié au regard des circonstances. Le Comité note que, d’après les allégations de l’auteur, qui n’ont pas été contestées, le fils de l’auteur a été arrêté le 5 mars 2016 et informé de son placement en détention provisoire par un procureur le 10 mars 2016, mais n’a pas été présenté devant un juge avant le 8 février 2017. Il rappelle que, dans son observation générale no 35 (2014), il a déclaré que le bon exercice du pouvoir judiciaire supposait nécessairement que ce pouvoir soit exercé par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions traitées et qu’un procureur ne pouvait être considéré comme une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires aux fins de l’article 9 (par. 3) du Pacte. Dans ces circonstances, le Comité estime qu’il ressort des faits de l’espèce que le fils de l’auteur n’a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, comme il aurait pourtant dû l’être en application des dispositions de l’article 9 (par. 3) du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que les faits font apparaître une violation des droits reconnus au fils de l’auteur par l’article 9 (par. 3) du Pacte.

8.3Le Comité prend note du grief selon lequel le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté dans le cas du fils de l’auteur, qui a dû assister aux audiences menotté et enfermé dans une cage et porter la tenue réservée aux condamnés à mort avant même que la décision le concernant soit devenue exécutoire. À cet égard, il rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence ainsi que du paragraphe 30 de son observation générale no 32 (2007) que la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, fait peser la charge de la preuve sur l’accusation et garantit que toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable et que le doute bénéficie à l’accusé. Toute personne accusée d’une infraction pénale doit être traitée conformément à ce principe. Par ailleurs, il appert de la même observation générale que les accusés ne doivent pas normalement être entravés ou enfermés dans une cage pendant les audiences ni comparaître dans des conditions laissant penser qu’ils peuvent être de dangereux criminels, et que les États parties doivent faire en sorte que les médias rendent compte des procès sans porter atteinte à la présomption d’innocence. Compte tenu des informations dont il dispose et en l’absence de tout autre renseignement ou explication fournis par l’État partie concernant la pratique consistant à maintenir les personnes accusées d’une infraction pénale menottées et enfermées dans une cage tout au long de leur procès et, en particulier, la nécessité d’avoir recouru à cette pratique dans le cas du fils de l’auteur, le Comité considère que les faits tels qu’ils lui ont été présentés font apparaître une violation du droit à la présomption d’innocence que le fils de l’auteur tenait de l’article 14 (par. 2) du Pacte.

8.4Le Comité prend note également des allégations de l’auteur selon lesquelles il a été porté atteinte au droit de son fils de faire comparaître et d’interroger des témoins parce que plusieurs experts médico-légaux auxquels il avait été fait appel au cours de l’enquête n’ont pas été cités à comparaître ou été interrogés pendant le procès. Le Comité rappelle que le droit d’obtenir la comparution et l’interrogatoire ou le contre-interrogatoire des témoins est une garantie importante car elle permet à l’accusé et à son conseil d’assurer efficacement la défense. Cela étant, le droit de l’accusé d’interroger des témoins n’est pas absolu. Il se limite au droit d’appeler à la barre les témoins utiles pour la défense et de contre-interroger les témoins à charge à un stade ou un autre de la procédure.

8.5En l’espèce, le Comité note que les éléments fournis par l’auteur, y compris les copies du jugement et du jugement portant condamnation, font apparaître qu’aucun des experts ayant rédigé les nombreux rapports versés au dossier, notamment les rapports datés du 22 mars 2016 (résultats des analyses d’ADN), du 4 avril 2016 (résultats des autopsies) et du 16 mai 2016 (résultats de l’examen des taches de sang), n’a été cité à comparaître et que, par conséquent, le conseil du fils de l’auteur n’a pas pu les récoler ou les contre-interroger. Le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucune explication de nature à justifier que les témoins experts, qui ont fourni des preuves scientifiques importantes, n’aient pas été entendus au procès. C’est pourquoi il considère, dans les circonstances de l’espèce et faute d’explication pertinente de la part de l’État partie, que l’État partie a violé les droits que le fils de l’auteur tenait de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

8.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les dispositions de l’article 6 (par. 2) du Pacte n’interdisent pas la peine de mort pour les crimes les plus graves (voir par. 4.6) et rappelle que l’expression « crimes les plus graves » doit être comprise de manière restrictive et s’entendre uniquement des crimes d’une extrême gravité impliquant un homicide volontaire. Le fils de l’auteur a été condamné à mort après avoir été reconnu coupable de meurtre, un crime parmi les plus graves. Toutefois, le Pacte prévoit que les garanties d’un procès équitable doivent avoir été strictement respectées pour que l’imposition de la peine de mort puisse être conforme à l’article 6.

8.7L’auteur soutient que son fils a été victime d’une violation du droit à la vie garanti à l’article 6 du Pacte parce qu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable. À cet égard, le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que toute condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Il rappelle également que le strict respect des garanties d’une procédure régulière est tout particulièrement important dans les procès qui aboutissent à une condamnation à mort et que lorsque le non-respect des garanties d’une procédure régulière énoncées à l’article 14 du Pacte conduit à l’imposition de la peine de mort, la condamnation est arbitraire et constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Le non-respect des garanties d’une procédure régulière peut prendre la forme du non‑respect de la présomption d’innocence, qui peut à son tour se manifester par le fait de maintenir l’accusé menotté et enfermé dans une cage pendant les audiences. Ayant établi que le non-respect de la présomption d’innocence et le fait de ne pas avoir permis au fils de l’auteur de contre-interroger les témoins experts constituaient une violation de l’article 14 (par. 2 et 3 e)) du Pacte, le Comité conclut que la condamnation à mort définitive et l’exécution du fils de l’auteur ne satisfont pas aux conditions énoncées à cet article et ont emporté une violation du droit à la vie consacré par l’article 6 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que le fils de l’auteur tenait des articles 6, 9 (par. 3) et 14 (par. 2) et 3) e)) du Pacte. En outre, il conclut que, en faisant fi de la demande de mesures provisoires qu’il lui avait adressée, l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article premier du Protocole facultatif.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, il a l’obligation de fournir une indemnisation appropriée à l’auteur pour les violations dont son fils a été victime. L’État partie est en outre tenu, entre autres, de faire tout le nécessaire pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion conjointe (concordante) de Yadh Ben Achour et Hélène Tigroudja

1.Si nous souscrivons entièrement à la position que le Comité a adoptée concernant le fond des griefs et à la conclusion à laquelle il est parvenue (par. 9) selon laquelle les faits font apparaître une violation du droit à la vie, du droit à la liberté individuelle et du droit à un procès équitable, nous sommes préoccupés par un point qui concerne la procédure, mais est néanmoins fondamental, à savoir que l’État partie a fait fi de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité et a refusé de coopérer avec lui.

2.En février 2018, le Comité a prié l’État partie de surseoir à l’exécution du fils de l’auteur tant que la communication serait à l’examen (par. 1.2). Toutefois, quelques mois plus tard, il a été informé que l’intéressé avait été exécuté (par. 1.3). Le Bélarus n’a fourni aucune explication pour justifier une violation aussi flagrante de la procédure en ce qui concerne les mesures provisoires et de son obligation de coopérer avec le Comité.

3.Notre préoccupation vient du fait que les constatations − non plus que le reste de la jurisprudence du Comité − ne reflètent pas véritablement le caractère répréhensible du comportement du Bélarus. Il est temps que le Comité ajuste et clarifie sa position. Le comportement de l’État fait l’objet de la section « Défaut de coopération de l’État partie », qui précède la section « Délibérations du Comité ». Au paragraphe 6.4, le Comité emploie des termes forts pour qualifier les actes du Bélarus et réaffirme que l’État partie qui prend une mesure de nature à empêcher ou contrarier l’examen d’une communication, à le rendre sans objet ou à priver de tout effet et de toute utilité les constatations qui en sont issues contrevient gravement aux obligations mises à sa charge par le Protocole facultatif. Cette constatation s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence du Comité et de la position adoptée par d’autres juridictions et organes internationaux qui se sont penchés sur l’obligation internationale faite aux États de respecter les demandes de mesures provisoires ou d’autres mesures de protection.

4.En conséquence, rien ne justifie, du point de vue du droit, que le défaut de coopération de l’État partie soit examiné dans une section différente de celle consacrée aux délibérations du Comité. Au contraire, cette distinction nuit à la clarté du raisonnement juridique suivi et du message communiqué aux États parties. À la fin du paragraphe 9, le Comité conclut que, en faisant fi de la demande de mesures provisoires qu’il lui avait adressée, l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article premier du Protocole facultatif. Clairement, il a donc constaté une violation d’une obligation de procédure faite aux États parties au Protocole facultatif, à savoir l’obligation de garantir l’accès effectif au mécanisme d’examen des communications émanant de particuliers établi par le Comité. Le non-respect de la demande de mesures provisoires aurait donc dû être examiné dans la section consacrée aux délibérations du Comité, les obligations de procédure étant des obligations internationales auxquelles les États sont tenus de se plier.

5.Certains auteurs de doctrine ont expressément demandé que l’on vienne à améliorer les pratiques judiciaires et, en particulier, que le juge international définisse les conséquences juridiques du non-respect des demandes de mesures provisoires et le type de recours devant être ouvert aux parties lésées. Compte tenu de la gravité et de l’irréversibilité de la violation de la procédure lorsque les mesures provisoires concernent un condamné à mort, il est temps que le Comité adopte sur ce point fondamental une position claire, cohérente et juridiquement motivée.

6.En conséquence, non estimons que, en l’espèce, la question aurait dû se voir accorder un paragraphe à part entière dans la section consacrée aux délibérations du Comité et aussi être abordée dans la partie sur les réparations. Le Comité aurait dû clairement articuler les conséquences, pour l’État partie, du manquement à telle obligation particulière découlant du Protocole facultatif.