Nations Unies

CCPR/C/132/D/2857/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 mars 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif concernant la communication no 2857/2016 * , **

Communication présentée par :

Ekaterina Tolchina et consorts (non représentés par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie :

Bélarus

Date de la communication:

25 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

23 juillet 2021

Objet :

Refus des autorités d’autoriser la tenue de réunions ; liberté d’expression

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes

Questions de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’expression ; recours utile

Article(s) du Pacte:

19, 21 et 2 (par. 2 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Ekaterina Tolchina, Zinaida Shumilina, Vladimir Katsora, Viktor Kozlov, Anatoly Poplavnyi, Eduard Neliubovich, Leonid Sudalenko, Andrey Tolchin, Vladimir Nepomnyashchikh et Vladimir Shitikov, tous de nationalité bélarussienne et nés, respectivement, en 1975, 1952, 1957, 1949, 1958, 1962, 1966, 1959, 1952 et 1946. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 25 juin 2014, les auteurs ont demandé au Comité exécutif de la ville de Gomel l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques le 27 juillet 2014 dans 18 endroits différents de la ville, notamment : près du magasin Dashenjka (rue Minskaya, 42a) ; près du grand magasin Gomel (rue Sovetskaya, 60) ; près du cinéma Mir (rue Ilyich, 51b) ; près de l’école secondaire no 2 (rue Ilyich, 53) ; près de la patinoire (rue Mazurova, 110) ; près du marché Prudkovskiy (rue Kamenshchikova, 3) ; sur la Place de l’insurrection ; près de la sculpture d’Andrei Gromyko, sur la place des Pionniers ; près de l’hypermarché Hippo (rue Kosarev, 18) ; près du grand magasin Pyaterochka (avenue Rechitskiy, 65) ; près du magasin Mart Inn (rue Barykin, 143) ; près du cinéma Octobre (rue Barykin, 127) ; près du magasin Chernomorskiy (rue Chernomorskiy, 13) ; près de l’université technique d’État Pavel Sukhoy (rue Barykin) ; près d’une filiale de la Belarusbank (rue Zhukov, 40a) ; près du magasin Rodnaya Storona (avenue Octobre, 22) ; près du centre médical principal de Gomel (rue Bochkin, 182A) ; et près du marché Chernomorskiy (rue Chernomorskiy). Le but de ces rassemblements était de manifester de la solidarité avec le peuple ukrainien dans son désir d’indépendance.

2.2Le 17 juillet 2014, le Comité exécutif de Gomel a refusé d’autoriser les piquets pour les motifs suivants : a) les emplacements proposés ne figuraient pas sur la liste des lieux prévus pour la tenue de telles manifestations, contenue dans sa décision no 775 du 15 août 2013 sur les manifestations de masse à Gomel ; b) les auteurs n’avaient pas produit les contrats conclus avec les prestataires de services municipaux compétents chargés, respectivement, d’assurer un service médical pendant les manifestations et de nettoyer les lieux après celles-ci.

2.3Le 21 juillet 2014, les auteurs ont contesté la décision du Comité exécutif devant le tribunal du district central de Gomel, dénonçant une violation de leur droit à la liberté d’expression et de leur droit de réunion pacifique, garantis par la Constitution du Bélarus et par les articles 19 et 21 du Pacte. Le 22 septembre 2014, le tribunal a jugé que la décision du Comité exécutif était conforme aux dispositions de la loi régissant les manifestations publiques et a rejeté le recours.

2.4Les auteurs ont déposé devant le tribunal régional de Gomel un recours en cassation contre la décision du tribunal de district ; ce recours a été rejeté le 28 octobre 2014.

2.5Les recours formés ensuite par les auteurs devant le Président du tribunal régional de Gomel le 2 septembre 2015, puis devant le Président de la Cour suprême le 10 octobre 2015 au titre de la procédure de contrôle ont été rejetés respectivement les 6 octobre et 25 novembre 2015.

2.6Les auteurs ont également saisi le Bureau du Procureur général de demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle, demandes qui ont été rejetées par le Procureur général de la région de Gomel et par le Procureur général adjoint du Bélarus respectivement les 20 janvier et 11 mars 2016.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que le refus des autorités nationales d’autoriser la tenue de rassemblements pacifiques constitue une violation des droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3).

3.2Les auteurs affirment que ni le Comité exécutif de la ville de Gomel ni les tribunaux n’ont examiné la question de savoir si les restrictions imposées à leurs droits au titre de la décision no 775 étaient justifiées par la nécessité de protéger la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Ils soutiennent qu’en disposant que les manifestations publiques organisées à Gomel ne peuvent se tenir qu’en un unique lieu éloigné et à la condition que les organisateurs aient au préalable conclu des contrats de services avec la municipalité, la décision no 775 restreint inutilement les droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte et porte atteinte à leur fondement même.

3.3Les auteurs soutiennent qu’en ratifiant le Pacte, l’État partie s’est engagé, aux termes de l’article 2 de celui-ci, à respecter les droits individuels qui y sont reconnus et à en garantir la jouissance à chacun, ainsi qu’à adopter des mesures d’ordre législatif ou autres propres à leur donner effet. Ils soutiennent que l’État partie ne respecte pas les obligations mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, car la loi régissant les manifestations publiques contient des dispositions vagues et ambiguës. Par exemple, l’article 9 de cette loi donne aux responsables des comités exécutifs locaux tout pouvoir pour définir, sans avoir à justifier leur choix, les lieux où pourront être organisés des rassemblements pacifiques.

3.4Dans ces circonstances, les auteurs prient le Comité de recommander à l’État partie de mettre sa législation, en particulier la loi régissant les manifestations publiques et la décision no 775 du Comité exécutif de la ville de Gomel, en conformité avec les normes internationales énoncées aux articles 19 et 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 13 janvier 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il indique que, selon le Protocole facultatif, tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes peut soumettre une communication écrite au Comité.

4.2L’État partie fait observer que, le 17 juillet 2014, le Comité exécutif de la ville de Gomel a rejeté la demande déposée par les auteurs aux fins de la tenue, le 27 juillet 2014, de rassemblements en divers endroits, au motif qu’ils n’avaient pas respecté certaines dispositions de la loi du 30 décembre 1997 régissant les manifestations publiques et de sa décision no 775 du 15 août 2013 concernant la tenue de manifestations publiques à Gomel.

4.3La décision du Comité exécutif de Gomel a été confirmée par le tribunal du district central de la ville. Les auteurs ont ensuite été déboutés de leurs recours par le tribunal régional de Gomel. Les demandes qu’ils ont introduites au titre de la procédure de contrôle ont également été rejetées.

4.4L’État partie soutient que les rassemblements ont été interdits parce que les auteurs n’avaient pas produit les contrats conclus avec les prestataires de services municipaux compétents chargés, respectivement, d’assurer un service médical pendant la manifestation et de nettoyer les lieux après celle-ci, comme l’exige l’article 3 de la décision no 775.

4.5L’État partie conclut que toutes les voies de recours internes disponibles n’ont pas été épuisées puisque les demandes que les auteurs ont introduites au titre de la procédure de contrôle n’ont été examinées ni par le Procureur général ni par le Président de la Cour suprême.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 10 mai 2017, les auteurs ont fait observer qu’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle ne constituait pas un recours utile puisque cette procédure est laissée à la discrétion d’un procureur ou d’un juge et qu’elle n’implique pas d’examen au fond. Ainsi, ils ont introduit sans succès des demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle, notamment auprès du Président de la Cour suprême et du Procureur général.

5.2S’agissant des observations de l’État partie concernant les dispositions de la législation, les auteurs appellent l’attention du Comité sur le fait que l’État partie n’a pas mis en œuvre les recommandations des organisations internationales tendant à ce qu’il modifie la loi régissant les manifestations publiques pour la rendre conforme aux normes internationales. Ils relèvent également que l’État partie n’a pas donné suite aux constatations par lesquelles le Comité lui avait demandé de réviser sa législation nationale pour la rendre compatible avec les obligations mises à sa charge.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes puisque les demandes de réexamen qu’ils ont introduites au titre de la procédure de contrôle n’ont pas été examinées par le Procureur général ni par le Président de la Cour suprême. Il prend note de l’argument des auteurs selon lequel ils ont bel et bien contesté, mais sans succès, les décisions de justice rendues dans l’affaire au titre de la procédure de contrôle, devant le Président de la Cour suprême et le Procureur général. Dans ce contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’introduction auprès du ministère public d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de décisions devenues exécutoires, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il considère également que le dépôt auprès du président d’un tribunal d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires passées en force de chose jugée, dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En l’absence d’autres informations ou explications de l’État partie sur ce point en l’espèce, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

6.4Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte. Il rappelle que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées en conjonction avec d’autres dispositions du Pacte pour fonder une communication soumise en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le non-respect par l’État partie des obligations énoncées à l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Il constate toutefois que les auteurs ont déjà allégué une violation des droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, résultant de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et il considère qu’examiner la question de savoir si l’État partie a manqué aux obligations générales mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, revient à examiner la question de savoir si l’État partie a porté atteinte aux droits qui sont reconnus aux auteurs par les articles 19 et 21 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que les griefs soulevés par les auteurs à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et, partant, irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend également note des griefs soulevés par les auteurs au titre des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3). Faute d’autres renseignements à ce sujet dans le dossier, il considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Dès lors, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Pour conclure, le Comité note que les griefs formulés par les auteurs soulèvent des questions au regard des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il considère que ces griefs ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs des auteurs, qui soutiennent que leurs droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion ont été restreints, en violation des articles 19 et 21 du Pacte, car ils se sont vu refuser l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques destinés à soutenir le peuple ukrainien dans son désir d’indépendance. Il note également que, d’après les auteurs, les autorités n’ont pas expliqué en quoi les restrictions imposées à leur droit d’organiser un rassemblement étaient nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui, comme prévu aux articles 19 (par. 3) et 21 du Pacte, et que, partant, les restrictions en question étaient illégales.

7.3Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles le droit de réunion pacifique que leur garantit l’article 21 du Pacte a été violé par le refus du Comité exécutif de Gomel de leur autoriser la tenue de rassemblements pacifiques. Il rappelle avoir dit dans son observation générale no 37 (2020), que les réunions pacifiques pouvaient en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. Les réunions pacifiques ne devraient pas être reléguées dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui elles s’adressent ou du grand public. En règle générale, il ne peut être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale, en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique en ville ou en dehors du centre-ville, ou sur l’ensemble de la voie publique d’une ville. En outre, exiger des participants ou des organisateurs qu’ils assurent ou contribuent à financer l’encadrement et la sécurité, la présence d’un service médical et le nettoyage du site ou tout autre service public en rapport avec la tenue de rassemblements pacifiques n’est généralement pas compatible avec l’article 21.

7.4Le Comité rappelle également que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique. L’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent, partiellement ou intégralement, à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, en public ou en privé. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21 qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les marches. Les organisateurs d’un rassemblement ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et de voix du public qu’ils visent, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions a) imposées conformément à la loi ; et b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’un État partie impose des restrictions visant à concilier le droit de réunion d’un particulier avec ces considérations d’intérêt général, il doit s’efforcer de faciliter l’exercice du droit en question, et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires, ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la restriction du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

7.5En l’espèce, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit des auteurs à la liberté de réunion pacifique sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés à l’article 21 du Pacte. Il ressort des éléments versés au dossier : que les demandes d’autorisation déposées par les auteurs en vue de la tenue de rassemblements pacifiques ont été rejetées parce que les lieux choisis n’étaient pas le lieu unique qui avait été désigné par les autorités municipales ; et parce que les auteurs n’avaient pas produit les contrats conclus avec les prestataires de services municipaux compétents chargés, respectivement, d’assurer un service médical pendant les manifestations et de nettoyer les lieux après celles-ci. Dans ce contexte, le Comité constate que ni le Comité exécutif de la ville de Gomel ni les tribunaux internes n’ont justifié leur décision ou expliqué en quoi, dans la pratique, les manifestations que les auteurs souhaitaient organiser auraient menacé les intérêts visés à l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’État partie n’a pas non plus montré que d’autres mesures avaient été prises pour faciliter l’exercice des droits que les auteurs tiennent de l’article 21.

7.6Le Comité rappelle qu’il a déjà examiné des cas analogues concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie dans plusieurs communications antérieures. Ce dernier n’ayant pas donné d’autres explications sur cette question, le Comité conclut qu’il a violé les droits garantis aux auteurs par l’article 21 du Pacte.

7.7Le Comité prend également note des allégations des auteurs selon lesquelles leur droit à la liberté d’expression a été restreint illégalement, en ce qu’on leur a refusé l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques pour exprimer publiquement leur solidarité avec le peuple ukrainien dans son désir d’indépendance. Il doit donc déterminer si l’interdiction d’organiser des rassemblements pacifiques à cette fin d’expression, que leur ont imposée les autorités municipales, constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

7.8Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il affirme notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. L’article 19 (par. 3) du Pacte autorise l’application de certaines restrictions à la liberté d’expression, y compris à la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, les restrictions imposées à la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large ; elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’assurer la fonction de protection recherchée et doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que les auteurs tiennent de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

7.9Le Comité fait observer qu’autoriser des rassemblements uniquement dans des emplacements désignés à l’avance ne semble pas répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 du Pacte. Il relève qu’en l’espèce ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont expliqué en quoi la restriction imposée était nécessaire aux fins d’un but légitime. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les restrictions imposées aux auteurs, bien que fondées sur le droit interne, n’étaient pas justifiées au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, il conclut que les droits que les auteurs tiennent de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que les auteurs tiennent des articles 19 et 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder aux auteurs une indemnisation suffisante. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité fait observer que l’État partie devrait réviser son cadre normatif relatif aux manifestations publiques, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2), afin de garantir la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte sur son territoire.

10Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.