Nations Unies

CCPR/C/135/D/2847/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 novembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2847/2016 * , **

Communication soumise par:

Vitaliy Gulyak (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

12 mars 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

27 juillet 2022

Objet:

Refus d’autoriser la tenue de réunions publiques ; condamnation à une amende pour organisation non autorisée d’un piquet d’une seule personne

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Liberté de réunion ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte:

19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Vitaliy Gulyak, de nationalité bélarussienne, né en 1983. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur affirme que les autorités municipales de Volkovysk lui ont refusé l’autorisation d’organiser une manifestation publique à deux reprises, après quoi il a tenu seul un piquet non autorisé et a été reconnu coupable d’une infraction administrative pour avoir enfreint la procédure régissant l’organisation des manifestations publiques.

Circonstances dans lesquelles l’auteur a demandé l’autorisation d’organiser une manifestation publique

2.2Le 9 janvier 2014, l’auteur a demandé au Comité exécutif du district de Volkovysk l’autorisation d’organiser un défilé dans le parc municipal le 25 janvier 2014 entre midi et 15 heures. Le défilé prévu avait pour but de soutenir le rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne.

2.3Le 17 janvier 2014, le Comité exécutif a refusé d’accorder à l’auteur l’autorisation demandée au motif que la législation en vigueur ne prévoyait pas l’organisation de défilés dans un parc. Il a mis l’accent sur le fait que, au sens de l’article 2 de la loi sur les manifestations publiques, un défilé était un déplacement organisé d’un groupe de personnes dans une rue, sur un boulevard, une avenue ou sur une place, en conséquence de quoi ce type de manifestation ne pouvait pas avoir lieu dans le parc municipal.

2.4Le 27 janvier 2014, l’auteur a demandé au Comité exécutif d’autoriser la tenue d’un piquet rassemblant jusqu’à 10 personnes dans le parc municipal le 19 février 2014 entre midi et 18 heures. Les participants souhaitaient exprimer leur solidarité avec le peuple ukrainien et soutenir celui-ci dans sa volonté de vivre dans un État libre où le meurtre et la violence ne sont pas monnaie courante.

2.5Le 10 février 2014, le Comité exécutif a rejeté la demande au motif que l’auteur ne s’était pas conformé aux prescriptions de la loi sur les manifestations publiques et n’avait pas précisé les mesures qu’il entendait prendre pour maintenir l’ordre, garantir la sécurité et mettre en place un dispositif d’assistance médicale pendant la manifestation et pour faire nettoyer les lieux une fois celle-ci terminée.

2.6L’auteur a contesté les décisions rendues par le Comité exécutif les 17 janvier et 10 février 2014 devant le tribunal de district de Volkovysk, dénonçant une violation de ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique, garantis par la Constitution et par les articles 19 et 21 du Pacte.

2.7Le 19 mars 2014, le tribunal de district a rejeté le recours de l’auteur, estimant que les décisions contestées étaient conformes aux dispositions pertinentes du droit interne.

2.8L’auteur a formé un recours en cassation devant le tribunal régional de Grodno, qui l’a débouté le 12 mai 2014. Il a ensuite saisi le Président de ce tribunal d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Il a été débouté le 12 juillet 2014. Il a introduit une autre demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle devant la Cour suprême. Le 12 décembre 2014, le Vice-Président de la Cour suprême a rejeté sa requête pour défaut de fondement.

Tenue d’un piquet par l’auteur seul

2.9Le 13 mars 2014 vers 17 heures, l’auteur s’est posté sur une place publique de Volkovysk avec un drapeau ukrainien et une affiche pour protester contre le déploiement de troupes russes en Ukraine. L’intéressé déclare qu’il n’avait pas demandé l’autorisation de tenir un piquet, car les autorités municipales avaient déjà rejeté ses demandes précédentes à deux reprises.

2.10À une date ultérieure non précisée, l’auteur a été accusé d’avoir enfreint la procédure régissant les manifestations publiques, en violation de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives, au motif que les autorités municipales ne l’avaient pas préalablement autorisé à tenir un piquet, fût-ce seul. Le 17 mars 2014, le tribunal de district a déclaré l’auteur coupable des faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à payer une amende administrative d’un montant de 1,3 million de roubles bélarussiens.

2.11L’auteur a contesté la décision du tribunal de district devant le tribunal régional de Grodno, arguant que l’amende administrative qui lui avait été infligée pour avoir tenu seul un piquet constituait une restriction inutile de ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion étant donné que le piquet n’avait en aucune manière menacé la sécurité nationale, l’ordre public, la santé et la moralité publiques ou les droits et intérêts d’autrui. Le 10 avril 2014, le tribunal régional l’a débouté et a confirmé la décision du tribunal de district. L’auteur a ensuite saisi le Président du tribunal régional de Grodno, qui l’a débouté le 29 mai 2014, puis le Président de la Cour suprême, devant lequel il a porté un recours rejeté le 29 octobre 2014 par le Vice-Président de la Cour.

2.12L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se plaint que ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion ont été restreints, en violation des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte, en ce qu’il s’est vu refuser l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques et infliger une amende pour avoir tenu seul un piquet pacifique. Il soutient que les restrictions imposées à ses droits étaient inutiles, faisant observer que ni les autorités municipales ni les tribunaux n’ont examiné la question de savoir si elles étaient justifiées par la nécessité de protéger la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Il estime qu’en l’espèce, les juridictions nationales se sont fondées uniquement sur les dispositions du droit interne et n’ont pas tenu compte de l’argument de l’incompatibilité de ces restrictions avec les articles 19 et 21 du Pacte.

3.2L’auteur demande au Comité de constater la violation des articles 19 et 21 du Pacte et de recommander à l’État partie de mettre le droit interne en conformité avec les normes internationales en matière de liberté de réunion pacifique et de liberté d’expression.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 6 janvier 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond, soulignant, en ce qui concerne la recevabilité, que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles étant donné qu’il n’avait pas saisi le Bureau du Procureur au titre de la procédure de contrôle et que son dossier n’avait jamais été examiné par le Président de la Cour suprême.

4.2L’État partie soutient que l’argument de l’auteur selon lequel la législation nationale régissant les manifestations de masse n’est pas conforme aux normes internationales est dénué de fondement. Il observe à cet égard que les dispositions du droit interne relatives au droit de réunion pacifique et à la liberté d’expression visent à créer les conditions nécessaires à l’exercice des droits et libertés inscrits dans la Constitution tout en garantissant la sécurité et l’ordre publics pendant les manifestations de masse ; elles ne sont pas contraires aux articles 19 et 21 du Pacte, qui permettent aux États d’introduire des restrictions à ces droits et libertés pour autant qu’elles soient nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 27 décembre 2018, l’auteur a présenté ses commentaires, dans lesquels il affirme que la procédure de contrôle ne constituait pas un recours interne utile en ce qu’elle n’entraînait pas un nouvel examen des faits de l’affaire et son issue relevait de la seule appréciation du procureur ou du juge compétent. En outre, la procédure de contrôle entraîne des frais de justice, ce qui constitue un obstacle supplémentaire. L’auteur fait observer que, en l’espèce, il a introduit des demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle devant le tribunal régional de Grodno et devant la Cour suprême, qui l’ont tous deux débouté.

5.2En ce qui concerne l’argument selon lequel les dispositions pertinentes du droit interne sont conformes aux articles 19 et 21 du Pacte, l’auteur soutient que l’État partie n’a pas démontré dans ses observations que les restrictions imposées à ses droits par les autorités nationales étaient nécessaires dans les circonstances particulières de l’espèce.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas demandé au Bureau du Procureur ou au Président de la Cour suprême du Bélarus de réexaminer aux fins de contrôle les décisions contestées. Il note toutefois que l’auteur affirme avoir fait appel, sans succès, des décisions rendues en l’espèce en demandant au Président du tribunal régional de Grodno et au Président de la Cour suprême du Bélarus de les réexaminer au titre de la procédure de contrôle, et que cet argument est corroboré par les éléments du dossier. À cet égard, il considère que la procédure de réexamen aux fins de contrôle pouvant être engagée devant le président d’un tribunal pour contester une décision judiciaire devenue exécutoire, procédure dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du juge, constitue un recours extraordinaire, et que l’État partie doit montrer qu’il y a des chances raisonnables qu’elle soit un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Il renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la procédure de contrôle des décisions judiciaires devenues exécutoires constitue un recours extraordinaire dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur et ne fait pas partie des recours à épuiser aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il observe que, en l’espèce, l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, y compris les recours qui participent de la procédure de contrôle, et considère donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité note que l’auteur soutient qu’il a été victime d’une restriction arbitraire du droit de réunion pacifique garanti à l’article 21 du Pacte, car il a été condamné à une amende pour avoir tenu un piquet non autorisé. Le Comité constate que l’auteur a tenu le piquet en question seul. Or, le droit de réunion protégé à l’article 21 du Pacte concerne les manifestations rassemblant plusieurs participants, les manifestations individuelles étant protégées par d’autres garanties, par exemple celles énoncées à l’article 19. Le Comité estime que les éléments fournis par l’auteur ne suffisent pas à démontrer que celui-ci a participé à une « réunion » au sens de l’article 21 du Pacte. En conséquence, et compte tenu des circonstances de l’espèce, il estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité estime que le grief que l’auteur tire de l’article 19 (par. 2) du Pacte, qui concerne l’imposition d’une sanction administrative pour avoir tenu un piquet non autorisé, et les griefs qu’il tire des articles 19 (par. 2) et 21, qui concernent le refus des autorités de l’État partie de l’autoriser à organiser un rassemblement pacifique, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité ; il les déclare recevables et passe à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur soutient que ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion ont été restreints en violation des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte au motif qu’on lui a refusé l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques, à savoir un défilé et un piquet destinés à soutenir le rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne, à exprimer un sentiment de solidarité avec le peuple ukrainien et à soutenir celui‑ci dans sa volonté de vivre dans un État libre où le meurtre et la violence ne sont pas monnaie courante. Il prend note du grief que l’auteur tire de l’article 19 (par. 2) du Pacte, à savoir que son droit à la liberté d’expression avait été inutilement restreint en ce qu’il a été condamné à payer une amende administrative pour avoir tenu seul un piquet, qui avait pour but de protester contre le déploiement de troupes russes en Ukraine. Il constate que l’auteur soutient que les autorités n’ont pas expliqué en quoi les restrictions imposées à ses droits étaient nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui, comme prévu, respectivement, à l’article 19 (par. 3) et à l’article 21 (deuxième phrase) du Pacte.

7.3Le Comité note que l’auteur allègue qu’il a été victime d’une violation du droit qu’il tient de l’article 21 du Pacte parce que les autorités municipales de Volkovysk ont plusieurs fois refusé sans raison valable de l’autoriser à tenir un rassemblement pacifique. Il doit donc déterminer si l’interdiction d’organiser des rassemblements pacifiques qui a été imposée à l’auteur par les autorités municipales constitue une violation de l’article 21 du Pacte.

7.4Ainsi qu’il ressort de l’observation générale no 37 (2020) du Comité, les réunions pacifiques doivent en principe pouvoir être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. Elles ne devraient pas être autorisées seulement dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention du public ou de ceux à qui elles s’adressent. En règle générale, les autorités ne peuvent pas interdire les rassemblements dans tous les lieux publics de la capitale ou toutes les rues d’une ville donnée et décider que ce type de manifestation ne peut avoir lieu que dans un lieu déterminé, que ce soit en ville ou en dehors du centre. En outre, exiger des participants ou des organisateurs qu’ils fournissent les services médicaux, les services d’ordre et de sécurité, les services de nettoyage et tous autres services publics jugés nécessaires lors d’un rassemblement pacifique et assument les coûts afférents n’est généralement pas compatible avec l’article 21.

7.5Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique. L’article 21 protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, dans l’espace public ou dans des lieux privés, ou qu’elles combinent plusieurs de ces modalités. Ces réunions peuvent prendre la forme de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées par l’article 21 qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les cortèges. Les organisateurs d’un rassemblement ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et d’ouïe du public visé et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; et b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les États parties doivent chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

7.6En l’espèce, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit de réunion pacifique de l’auteur sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Il ressort des éléments figurant dans le dossier que les demandes d’autorisation déposées par l’auteur en vue de l’organisation d’un défilé et d’un piquet ont été rejetées parce que la loi sur l’organisation des manifestations publiques n’autorise pas l’organisation de défilés dans le lieu choisi, à savoir le parc municipal, et parce que l’auteur n’avait pas fourni d’informations sur les mesures qu’il entendait prendre pour garantir l’ordre et la sécurité, fournir des services médicaux pendant le piquet et assurer le nettoyage des lieux après coup. Le Comité constate que ni le Comité exécutif ni les tribunaux internes n’ont justifié leurs décisions ou expliqué en quoi, dans la pratique, les manifestations que l’auteur souhaitait organiser auraient porté atteinte aux intérêts visés à l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’État partie n’a pas non plus montré qu’il avait pris de quelconques mesures pour faciliter l’exercice des droits que l’auteur tient de l’article 21.

7.7Faute d’autres explications fournies par l’État partie, le Comité conclut qu’il a violé les droits garantis à l’auteur par l’article 21 du Pacte.

7.8Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel le droit à la liberté d’expression qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte a été violé en ce qu’il s’est vu refuser l’autorisation de tenir des rassemblements pacifiques visant à exprimer son opinion et a par la suite été sanctionné pour avoir tenu seul un piquet non autorisé. Le Comité doit donc déterminer si les restrictions imposées à la liberté d’expression de l’auteur se justifient au regard de l’un quelconque des critères énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte.

7.9Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il affirme notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. Il fait observer que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise les restrictions à la liberté d’expression, y compris à la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, les restrictions imposées à la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large ; elles doivent constituer le moyen le moins intrusif d’obtenir le résultat recherché et être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

7.10Le Comité constate que, en l’espèce, le fait que l’auteur a été sanctionné et s’est vu infliger une amende parce qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable des autorités avant de tenir un piquet pacifique fait naître de sérieux doutes quant à la nécessité et à la proportionnalité des restrictions imposées aux droits que l’intéressé tient de l’article 19 du Pacte. Concernant le refus des autorités d’autoriser les assemblées pacifiques visant à exprimer une opinion, il constate également qu’autoriser les manifestations publiques uniquement dans certains lieux déterminés ne répond pas aux critères de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 du Pacte. En l’espèce, le défilé et le piquet pacifique envisagés devaient tous deux se tenir dans le parc municipal. Or, le Comité exécutif a refusé d’autoriser le défilé au motif que ce type de manifestation ne pouvait pas avoir lieu dans un parc étant donné que la disposition pertinente de la loi sur les manifestations publiques ne le prévoyait pas expressément (par. 2.3 ci-dessus). En ce qui concerne le piquet, le Comité exécutif a refusé de l’autoriser parce que l’auteur n’avait pas précisé les mesures qu’il entendait prendre pour maintenir l’ordre, garantir la sécurité et mettre en place un dispositif d’assistance médicale pendant la manifestation et pour faire nettoyer les lieux une fois celle‑ci terminée (par. 2.5 ci-dessus). Le Comité constate également que l’État partie n’a avancé aucun motif précis justifiant que les restrictions imposées aux activités de l’auteur étaient nécessaires au sens de l’article 19 (par. 3) du Pacte, ni démontré que les mesures choisies constituaient le moyen le moins intrusif d’obtenir le résultat recherché ou étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Partant, il estime que, dans les circonstances de l’espèce, les restrictions imposées à l’auteur, bien qu’elles aient été fondées sur le droit interne, n’étaient pas justifiées au regard des conditions énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte. En l’absence d’autres éléments d’information ou d’explication de la part de l’État partie, il conclut que les droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient des articles 19 et 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour octroyer à l’auteur une indemnisation adéquate, notamment de lui rembourser l’amende et les éventuels frais de justice engagés. L’État partie a également l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité fait observer qu’il a déjà examiné un certain nombre de communications portant sur des cas similaires à l’espèce et concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie et que celui-ci devrait réviser son cadre normatif relatif aux manifestations publiques, conformément à l’obligation mise à sa charge de l’article 2 (par. 2) du Pacte, afin de garantir sur son territoire la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 et 21.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.