Nations Unies

CCPR/C/132/D/2900/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 novembre 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2900/2016 * , **

Communication présentée par :

A. S. (représenté par un conseil, Patrick Keyzer)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

8 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 décembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

2 juillet 2021

Objet :

Privation de liberté d’une personne présentant des handicapsintellectuels ou psychosociaux pour une durée indéterminée et en l’absence de réexamen obligatoire régulier

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; défaut de fondement des griefs ; incompatibilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; détention arbitraire ; conditions de détention ; réadaptation ; droits familiaux ; minorités ; discrimination fondée sur le handicap

Article(s) du Pacte :

7, 9 (par. 1 et 4), 10 (par. 1 et 3) lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26, 17 lu conjointement avec l’article 23, et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est A. S., de nationalité australienne, né en 1963. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par.1), 7, 9 (par. 1 et 4), 10 (par.1 et 3), 17 (par.1), 23 (par.1), 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique qu’il est autochtone et qu’il s’identifie comme appartenant au peuple Pitjantjatjara. Il a eu une enfance traumatisante et présente des déficiences cognitives et intellectuelles, en raison d’un trouble du développement et comme suite à la consommation de substances toxiques, et est atteint de paranoïa et de délires paranoïaques. Il a été hospitalisé à de nombreuses reprises pour recevoir des soins tant médicaux que psychiatriques, notamment pour des comportements agressifs.

2.2Le 15 août 1995, l’auteur, alors âgé de 32 ans, a été arrêté pour des faits de meurtre, vol et tentative de rapport sexuel sans consentement, commis sur la personne d’une femme qu’il ne connaissait pas le jour même de son arrestation. Il a été placé en détention provisoire à cette même date et a été maintenu en détention jusqu’à son procès, en octobre 1996. Le 14 octobre 1996, la Cour suprême du Territoire du Nord a prononcé sa mise en accusation pour les faits susdits.

2.3Le 15 octobre 1996, l’auteur a été reconnu non coupable de l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés pour cause de démence. En application de l’article 382 (par. 2) de la loi relative au Code pénal du Territoire du Nord, telle qu’elle était alors en vigueur, la Cour suprême a ordonné que l’auteur soit placé dans le centre pénitentiaire d’Alice Springs et soumis à un régime de détention strict jusqu’à ce que l’Administrateur du Territoire du Nord en décide autrement.

2.4Le 27 septembre 2001, l’Administrateur a ordonné que l’auteur soit détenu au centre pénitentiaire d’Alice Springs, sous l’autorité du Directeur de l’administration pénitentiaire du Territoire du Nord.

2.5Le 15 juin 2002, la loi relative au Code pénal a été modifiée par la loi de 2002 relative à la déficience mentale et à l’irresponsabilité pénale, portant modification du Code pénal (loi no11 de 2002), qui a introduit la partie IIA, intitulée « Déficience mentale et irresponsabilité pénale ». Cet ensemble de dispositions prévoit notamment la possibilité d’imposer des mesures de surveillance, privatives ou non privatives de liberté, aux personnes ayant été reconnues non coupables d’une infraction pour cause de « déficience mentale ». À compter du 15 juin 2002, au regard des dispositions transitionnelles de l’article 6 de la loi de 2002, l’auteur, qui avait été acquitté pour cause d’« aliénation mentale » en vertu des dispositions abrogées de la loi relative au Code pénal et devait être détenu, en application d’une ordonnance d’internement en lieu sûr, jusqu’à ce que l’Administrateur en décide autrement, était considéré comme une personne soumise à un régime de surveillance et détenue selon des modalités identiques à celles prévues dans le cadre d’une mesure de surveillance privative de liberté au sens de la partie IIA de la loi relative au Code pénal.

2.6En août 2003, la Cour suprême du Territoire du Nord a procédé au réexamen obligatoire de la mesure de surveillance privative de liberté imposée à l’auteur, en application de l’article6 (par.3) de la loi de 2002. Elle a conclu que le centre pénitentiaire d’Alice Springs ne disposait pas des ressources nécessaires pour assurer la garde et la prise en charge de l’auteur. Le 10 septembre 2003, malgré les difficultés inhérentes au milieu carcéral, la Cour a néanmoins ordonné que l’auteur soit maintenu en détention au centre pénitentiaire d’Alice Springs dans le cadre d’une mesure de surveillance privative de liberté, en raison de ses déficiences mentales et du danger qu’il risquerait de présenter pour lui-même et pour la société s’il n’était pas sous surveillance. Elle a noté que, puisqu’on ne disposait pas des ressources nécessaires pour traiter et aider l’auteur, il n’existait pas d’autre mesure envisageable en dehors de l’incarcération au centre pénitentiaire d’Alice Springs.

2.7L’auteur fait savoir que, dans un autre arrêt rendu en 2007, la Cour suprême a indiqué qu’au regard de la loi relative au Code pénal, elle n’était plus tenue de réexaminer la mesure de surveillance privative de liberté prononcée à son égard. Dans cet arrêt, la Cour a indiqué que le seul réexamen obligatoire de la mesure de surveillance privative de liberté prononcée à l’égard de l’auteur avait été effectué en 2003. L’auteur fait savoir que l’article 43ZK de la loi relative au Code pénal prévoit qu’un rapport annuel doit être soumis à la Cour, qui peut, si elle le juge utile, procéder au réexamen. La personne soumise au régime de surveillance est aussi en droit de demander le réexamen. Toutefois, si la Cour n’ordonne pas le réexamen, l’auteur n’a pas la possibilité de contester les conclusions du rapport. Il souligne que les rapports annuels soumis à la Cour depuis 2003 n’ont pas permis d’améliorer ses conditions de détention.

2.8En 2013, l’auteur s’est vu assigner un tuteur indépendant. Le seul et unique plan d’appui comportemental complet visant à faciliter sa réadaptation a été mis en place le 23 décembre 2013. L’auteur a accompli progressivement les différentes phases du plan jusqu’à la dernière et, à la mi-2014, il a commencé à résider à plein temps au centre de prise en charge en milieu surveillé d’Alice Springs. Toutefois, différents faits lui ont valu d’être renvoyé, en janvier 2015, au centre pénitentiaire d’Alice Springs pour y être de nouveau soumis à un régime d’incarcération à plein temps, et son plan d’appui a été abandonné.

2.9À une date non précisée, l’auteur a porté plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme. En août 2014, la Commission a établi un rapport dont il ressortait que l’auteur avait été arbitrairement détenu et que ses conditions de détention étaient contraires au Pacte et à la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Elle a donc recommandé aux autorités de prendre des mesures pour remédier aux violations constatées. Le Commonwealth d’Australie a pris note du rapport de la Commission des droits de l’homme, mais il a estimé que les autorités du Territoire du Nord étaient seules responsables des violations commises.

2.10L’auteur est resté au centre pénitentiaire d’Alice Springs jusqu’en novembre 2015. Il a ensuite été transféré au centre pénitentiaire de Darwin, autre établissement pénitentiaire de haute sécurité où il était détenu au moment où il a soumis sa plainte.

2.11L’auteur soutient avoir usé de toutes les voies de recours administratives qui lui étaient ouvertes et affirme qu’il n’existe pas de recours judiciaire utile devant être épuisé au plan interne. Quand bien même il lui serait possible de saisir la Haute Cour d’Australie, il n’aurait pas de chances raisonnables d’obtenir gain de cause.L’auteur affirme à cet égard que, s’il introduisait une demande de contrôle juridictionnel de sa privation de liberté, il serait débouté et condamné aux dépens. De plus, la Haute Cour d’Australie n’aurait pas le pouvoir de prendre des mesures permettant de remédier aux violations dénoncées, car l’État partie ne dispose d’aucune loi, charte des droits ou disposition constitutionnelle qui pourrait être invoquée pour remédier aux violations décrites dans la plainte. En outre, ce n’est qu’en 2013 qu’on lui a assigné un tuteur indépendant ; jusqu’alors, il n’avait donc pas pu se prévaloir des voies de recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qui lui sont reconnus par les articles 2 (par.1), 7, 9 (par.1 et 4), 10 (par.1 et 3), 17 (par.1), 23 (par.1), 26 et 27 du Pacte ont été violés par l’État partie, puisqu’il est détenu arbitrairement pour une durée indéterminée dans une prison de haute sécurité où ses besoins, qui découlent de ses handicaps, ne peuvent pas être satisfaits.

3.2En particulier, l’auteur soutient que son maintien en détention est arbitraire et contraire à l’article 9 du Pacte puisqu’il est fondé sur sa déficience mentale et non sur une condamnation pénale. Il explique que les dispositions législatives en cause s’appliquent uniquement aux personnes présentant des déficiences mentales et prévoient leur maintien en détention pour une durée indéterminée même lorsqu’elles ne sont pas reconnues coupables des faits qui leur sont reprochés. Ce régime juridique est donc discriminatoire. En outre, l’auteur affirme que les autorités n’ont pas fait le nécessaire pour qu’il puisse être hébergé dans des conditions convenables dans un établissement de soins sécurisé, adapté à ses besoins, qui découlent de ses handicaps. À ce propos, il affirme qu’en application de l’article 43 ZA du Code pénal, la Cour suprême ne doit pas ordonner de mesure de surveillance privative de liberté prévoyant le placement de l’accusé dans un établissement carcéral à moins qu’elle ne soit convaincue qu’il n’existe pas d’autre mesure envisageable compte tenu de la situation de l’intéressé. Or, comme il n’existe pas d’autre mesure envisageable dans le Territoire du Nord, la Cour n’a eu d’autre choix que d’ordonner le placement de l’auteur dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité. L’auteur affirme que les établissements pénitentiaires de haute sécurité ne permettent pas d’assurer la réadaptation des personnes présentant des déficiences mentales qui n’ont pas été condamnées par la justice, et qu’il existe certainement des moyens moins intrusifs de parvenir au but légitime poursuivi. En outre, il affirme que sa détention est une mesure disproportionnée puisqu’elle ne doit pas être réexaminée à intervalles réguliers. Il rappelle que la Cour a confirmé en 2007 que le seul réexamen obligatoire de la mesure de surveillance privative de liberté prononcée à son égard avait été effectué le 10 septembre 2003 et que la législation prévoyait uniquement l’obligation d’établir des rapports annuels.

3.3En outre, l’auteur soutient que les circonstances de sa détention relèvent de la torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le privent de son droit d’être traité avec humanité et avec dignité, en violation des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte. Concernant le fait que, de façon générale, l’environnement que lui offre une prison de haute sécurité n’est pas adapté, il fait observer qu’entre 1995 et 2004, il a passé le plus clair de son temps confiné dans des cellules d’isolement jusqu’à vingt-trois heures par jour. Pour le punir d’avoir commis les faits qui lui avaient valu d’être incarcéré, le personnel pénitentiaire lui attribuait la cellule la plus chaude l’été et la cellule la plus froide l’hiver. L’auteur affirme que ces périodes d’isolement prolongées avaient des conséquences plus lourdes pour lui du fait de sa déficience mentale et parce qu’en tant qu’autochtone, il était plus vulnérable. Il rappelle que le caractère inadapté de ses conditions de détention a été constaté tant par la Cour suprême du Territoire du Nord que par la Commission australienne des droits de l’homme.

3.4L’auteur se dit également victime d’une violation des droits qui lui sont reconnus par l’article 10 (par. 3) lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte, l’État partie n’ayant pas fait le nécessaire pour lui assurer des services de réadaptation. Il rappelle en effet qu’il n’a bénéficié que d’un seul et unique plan d’appui comportemental complet, mis en place en décembre 2013 et finalement abandonné. Étant donné qu’il n’existe pas de dispositif de prise en charge en milieu surveillé dans la région de Darwin (son nouveau lieu de détention) et que les autorités n’ont mis en place aucun plan de transition visant à lui assurer des services de réadaptation convenables en fonction de ses besoins, rien ne porte à croire qu’il pourra jamais être détenu ailleurs que dans une prison de haute sécurité.

3.5En outre, l’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus par l’article 27, lu conjointement avec l’article 10 (par. 1) du Pacte puisque, tout au long de sa détention, il l’a privé de son droit d’avoir sa propre vie culturelle. L’auteur affirme que, pour le bien-être psychique, social et émotionnel des autochtones d’Australie, il leur est essentiel de conserver un lien physique, spirituel et émotionnel avec leurs terres d’origine. Depuis son transfèrement au centre pénitentiaire de Darwin, l’auteur a perdu le statut particulier dont il jouissait au centre pénitentiaire d’Alice Springs en tant qu’aîné, statut qui lui valait le respect de ses pairs et lui permettait de jouer le rôle de conseiller auprès de ses jeunes compatriotes. Sa situation est d’autant plus difficile qu’il ne peut pas s’exprimer dans sa propre langue dans la région de Darwin.

3.6L’auteur soutient que son transfèrement au centre pénitentiaire de Darwin constitue une ingérence arbitraire dans sa vie familiale et, partant, une violation des droits qu’il tient de l’article 17 (par. 1), lu conjointement avec l’article 23 du Pacte, puisqu’il n’a plus la possibilité de recevoir la visite des membres de sa famille et n’a aucun contact avec sa famille au sens large, c’est-à-dire avec ses compatriotes détenus au centre pénitentiaire d’Alice Springs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 25 avril 2017, l’État partie a adressé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il a donné des renseignements détaillés sur les dispositions législatives en cause, confirmé les faits de l’espèce et communiqué des informations complémentaires.

4.2L’État partie fait savoir que la mesure de surveillance privative de liberté dont l’auteur fait l’objet a été régulièrement réexaminée par la Cour suprême. Il admet, d’autre part, qu’avant l’ouverture de centres de prise en charge en milieu surveillé, en avril 2013, il n’existait pas d’autre lieu adaptépour accueillir l’auteur, en dehors des centres pénitentiaires, au sens de la partie IIA de la loi relative au Code pénal. Cela étant, il fait observer que le contrôle juridictionnel exercé par la Cour suprême et les mesures prononcées par celle-ci au sujet de la prise en charge et de la détention de l’auteur ont toujours été conformes aux recommandations des experts.

4.3L’État partie confirme qu’à la suite d’une évaluation psychiatrique réalisée en 2015, l’auteur a été transféré au centre pénitentiaire de Darwin, où il a entamé un processus de transition par étapes, le but étant qu’il puisse être placé aux Cottages, centre thérapeutique où il a effectivement commencé à résider à plein temps le 7 février 2017. Il ressort du rapport périodique du 24 mai 2017 établi au sujet de la situation de l’auteur que, depuis son transfèrement dans l’environnement moins restrictif des Cottages, celui-ci était un résident modèle au comportement exemplaire. Toutefois, en dépit de ces progrès remarquables, il était recommandé dans le rapport périodique de 2017 de ne pas transférer l’auteur dans un établissement moins restrictif avant d’avoir procédé à une évaluation complète de son profil à risque. Le Ministère de la santé du Territoire du Nord étudie néanmoins l’opportunité de renvoyer l’auteur au centre de prise en charge en milieu surveillé d’Alice Spring pour lui permettre d’être de nouveau proche de sa famille et de sa terre d’origine.

4.4Concernant la recevabilité et le fond de la plainte, l’État partie fait savoir, en premier lieu, que les griefs soulevés par l’auteur au titre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées sont irrecevables pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions du Pacte.

4.5Concernant les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 10 (par. 3) lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte, l’État partie affirme que ces griefs sont incompatibles avec les dispositions du Pacte puisque l’article 10 (par. 3) vise uniquement les personnes condamnées ; or, l’auteur a été reconnu non coupable et n’a pas le même statut juridique qu’un condamné. À ce propos, l’État partie fait observer que les personnes soumises à une mesure de surveillance font l’objet d’un traitement particulièrement attentif et sont surveillées par un plus grand nombre d’agents pénitentiaires que les prisonniers condamnés. L’auteur reçoit des soins cliniques et thérapeutiques très complets et bénéficie aussi d’un soutien psychologique et de services d’appui lié au handicap. L’État partie estime d’autre part que les griefs de l’auteur, qui prétend que sa détention n’a pas pour objet d’assurer sa réadaptation, sont irrecevables parce que dénués de fondement. Il souligne que des preuves médicales tendent à montrer que les possibilités de reclassement ou de réadaptation sociale de l’auteur sont limitées. Néanmoins, comme indiqué dans le rapport périodique le plus récent établi au sujet de l’auteur, le Bureau du handicap du Territoire du Nord continue d’apporter un soutien quotidien à celui-ci pour lui permettre de développer les compétences fonctionnelles nécessaires à l’autonomie de vie.

4.6Pour ce qui est des griefs de l’auteur concernant la discrimination dont il se dit victime, l’État partie estime que, si l’une quelconque des pratiques ou politiques applicables à l’auteur était effectivement discriminatoire, il était loisible à celui-ci de saisir le Commissaire à la lutte contre la discrimination du Territoire du Nord d’une plainte au titre de la loi de 1992 sur la lutte contre la discrimination. L’État partie affirme que, si les mesures prises en application de la législation ou en exécution d’une décision de justicene tombent pas sous le coup de la loi précitée, on pourrait considérer raisonnablement que celle-ci s’applique à certains aspects de l’affaire concernant l’auteur, puisqu’il est le bénéficiaire de biens, de services et d’installations. Le Commissaire est en outre habilité à prononcer des mesures exécutoires. Bien que le Commissaire ait également un pouvoir d’enquête en ce qu’il est habilité à examiner la législation, les mesures prononcées et les pratiques observées, l’État partie admet que la saisine du Commissaire ne constitue sans doute pas un recours interne utile aux fins du droit international des droits de l’homme, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence du Comité. En tout état de cause, l’État partie estime que l’auteur aurait dû épuiser au moins l’un de ces recours et que les griefs qu’il soulève au titre des articles 2 (par.1) et 26 du Pacte devraient par conséquent être déclarés irrecevables au regard de l’article 5 (par.2b)) du Protocole facultatif. L’État partie fait observer, en outre, que l’auteur semble avoir regroupé les articles2 (par.1) et 26 du Pacte et qu’il tente d’invoquer l’article 26, qui énonce un droit à part entière, en tant qu’argument auxiliaire dans le contexte des griefs qu’il tire des violations de l’article10 (par.3) lu conjointement avec l’article 2 (par.1). L’État partie souligne que, dans des affaires semblables, le Comité n’a pas jugé utile d’examiner les mêmes griefs au titre des deux articles et conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs soulevés au titre de l’article26 du Pacte.

4.7Concernant le fond des griefs de l’auteur, l’État partie soutient que la loi relative au Code pénal du Territoire du Nord a deux visées légitimes puisqu’elle a pour objet à la fois de garantir l’équité de traitement des accusés qui ne sont pas en mesure de comprendre la procédure intentée contre eux, et d’assurer la protection de la collectivité dans son ensemble et des accusés eux-mêmes. Il fait observer que la loi sur le fondement de laquelle l’auteur est détenu se fonde sur des critères raisonnables et objectifs. La mesure de surveillance privative de liberté imposée à l’auteur a été prononcée après que celui-ci eut été déclaré non coupable pour cause de déficience mentale. La Cour suprême dispose d’une marge d’appréciation importante pour ce qui est de décider de prononcer pareille mesure et le réexamen des mesures de surveillance repose sur le principe juridique selon lequel toute personne soumise à une mesure de surveillance doit être remise en liberté sans condition sauf dans les cas où sa sécurité ou celle du public serait ou risquerait d’être gravement menacée si elle était remise en liberté. L’État partie affirme que les facteurs qui expliquent le maintien de la mesure de surveillance privative de liberté dans le cas de l’auteur, notamment les risques liés à sa remise en liberté prématurée et la nécessité de le soigner et de le surveiller, sont clairs, objectifs et raisonnables, et ne sont pas définis au regard de son handicap. L’État partie estime que les mesures de surveillance constituent un moyen proportionné de trouver un équilibre entre la sécurité de la collectivité et celle de l’individu puisqu’elles ne sont appliquées qu’en dernier recours, dans certaines circonstances. En outre, des rapports périodiques doivent être soumis à la Cour tous les douze mois pour lui permettre de réexaminer la nécessité du maintien en détention. Ce régime est encore assorti d’une autre garantie, puisque la personne faisant l’objet de la mesure de surveillance a aussi le droit d’introduire un recours contre la mesure de surveillance privative de liberté prononcée contre elle.

4.8L’État partie ne conteste pas la recevabilité des allégations formulées par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, mais il soutient qu’elles sont sans fondement. Il affirme que l’interdiction de la détention arbitraire ne signifie pas que les personnes handicapées, y compris celles qui présentent des déficiences cognitives, ne peuvent en aucun cas être détenues ni ne peuvent faire l’objet d’ordonnances de placement en détention pour une durée indéterminée, si de telles mesures sont justifiées par des considérations fondées et objectives, et assorties des garanties juridiques voulues. La nécessité de la détention est évaluée en fonction de facteurs objectifs et la Cour suprême a régulièrement réexaminé le bien-fondé du maintien en détention de l’auteur. Le plan de prise en charge validé par la Cour attestait les intentions de tous ceux qui s’efforçaient de contribuer à la réalisation de l’objectif ultime, qui était de transférer l’auteur dans un cadre moins restrictif. L’État partie fait remarquer que l’auteur n’était pas et n’est toujours pas détenu dans les mêmes conditions que le reste de la population carcérale. L’auteur réside désormais à plein temps hors milieu carcéral et a réalisé des progrès remarquables depuis son transfèrement à Darwin.

4.9L’État partie affirme que l’auteur n’a pas produit d’élément de nature à étayer l’argument selon lequel il aurait été soumis à de mauvais traitements par le personnel pénitentiaire ; par conséquent, il invite le Comité à déclarer cette partie de la plainte irrecevable. En tout état de cause, pour ce qui est du fond des griefs soulevés au titre des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, l’État partie fait observer que les conditions de détention de l’auteur n’ont pas occasionné à celui-ci un préjudice moral et physique d’une gravité telle qu’il relevait de la torture. L’État partie remet en question le caractère contraignant de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et conteste l’argument selon lequel la détention de l’auteur dans un centre pénitentiaire constitue, en soi, une violation de ses droits. Il fait observer à ce propos que le quartier des détenus à comportement complexe du centre pénitentiaire de Darwin a été spécialement aménagé et qu’il fonctionne selon une approche essentiellement thérapeutique. En outre, la mise en service du centre de prise en charge en milieu surveillé d’Alice Springs a été particulièrement bienvenue, en ce qu’elle a permis d’envisager un autre dispositif de placement, en dehors de la détention au centre pénitentiaire d’Alice Springs. L’État partie admet qu’une période de mise à l’isolement prolongée peut constituer une violation des dispositions du Pacte, toutefois, contrairement à ce qu’il affirme, l’auteur n’était pas placé à l’isolement jusqu’à vingt-trois heures par jour entre 1995 et 2002. S’il est vrai qu’il a effectivement été isolé du reste de la population carcérale pendant une période prolongée, cette séparation était devenue nécessaire, pour des questions de sécurité, à la suite de faits de violence impliquant l’auteur et d’autres détenus. Pendant cette période, l’auteur avait la possibilité d’interagir avec les autres détenus placés dans le quartier protégé et de participer à des activités récréatives deux à quatre heures par jour. Bien que l’auteur se soit parfois montré défavorable à son retrait du quartier protégé, en 2002, il a finalement été transféré, sur recommandation des médecins, qui s’inquiétaient de voir son état de santé mentale se détériorer en raison de son manque d’interactions sociales. L’auteur a donc été placé dans le quartier réservé à la prise en charge des détenus ayant des besoins particuliers, qui offre un cadre sûr et prévisible, un taux d’encadrement plus important et des conditions de sécurité plus souples que dans le reste de la structure. L’État partie estime par conséquent que les conditions de détention et le traitement de l’auteur ne constituent pas une violation des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte.

4.10Concernant les violations présumées des articles 17 et 23 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas communiqué d’informations ni apporté d’éléments de nature à donner un aperçu de son degré de proximité ou d’interaction avec sa famille avant son placement en détention. De même, l’auteur n’a apporté aucun élément de nature à démontrer que l’État partie s’était arbitrairement ou illicitement ingéré dans sa vie de famille ou n’avait pas protégé celle-ci, alors même que la famille est l’élément naturel et fondamental de la société. En l’absence d’autres éléments mettant en évidence des traitements contraires aux articles 17 (par. 1) et 23 (par. 1), l’État partie estime que l’auteur n’a pas étayé ces allégations, qui devraient donc être déclarées irrecevables.

4.11Concernant le fond des griefs susmentionnés, l’État partie fait observer qu’il ressort de son dossier qu’avant d’être placé au centre pénitentiaire d’Alice Springs, l’auteur avait déjà peu de contacts avec sa famille en raison de ses internements précédents. Toutefois, en 2013, 11 membres de la famille de l’auteur ont reçu une aide à plusieurs reprises pour pouvoir lui rendre visite au centre pénitentiaire d’Alice Springs. En 2014, l’auteur, qui résidait au centre de prise en charge en milieu surveillé, a participé à des ateliers en compagnie de sa sœur. En 2015, alors qu’il se trouvait encore à Alice Springs, l’auteur, qui avait initialement été remis en contact avec sa famille, avait semble-t-il des contacts limités avec celle-ci. En outre, depuis 2005, il avait des contacts avec ses compatriotes dans le cadre du programme de visite des aînés. Par conséquent, si l’auteur a fait l’objet d’une immixtion dans sa vie familiale pendant la période où il était détenu à Alice Springs, cette immixtion devrait être jugée légale au regard des articles 17 (par. 1) et 23 du Pacte. Pour ce qui est de la vie familiale de l’auteur au centre pénitentiaire de Darwin, l’État partie fait observer que le transfèrement de l’auteur à Darwin avait été rendu nécessaire par son état et que, compte tenu des circonstances, il devrait donc être jugé légal et acceptable. En outre, étant donné que l’auteur avait déjà des contacts limités avec sa famille avant d’être placé à Darwin, son transfèrement n’a pas représenté pour lui une charge excessive au sens des articles précités.

4.12Concernant les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 27 du Pacte, l’État partie souligne que, s’il reconnaît le caractère primordial des terres d’origine et du lien avec celles‑ci dans la culture des peuples autochtones, ces considérations ne sauraient prévaloir sur l’application du droit pénal. En tout état de cause, l’État partie fait remarquer que des efforts constants ont été faits pour améliorer la situation de l’auteur à cet égard. Notamment, l’accès à la collectivité, en particulier aux activités culturelles, est une composante clef du programme auquel l’auteur participe. Si le droit de l’auteur d’avoir sa propre vie culturelle et de pratiquer sa langue a été limité par les modalités de sa détention, les restrictions apportées sont conformes au droit, fondées, nécessaires et proportionnées. Cela étant, l’État partie rappelle qu’à la demande de l’auteur, le Ministère de la santé du Territoire du Nord étudie actuellement la possibilité de le transférer de nouveau dans le centre de l’Australie, notamment pour qu’il puisse retrouver sa terre d’origine, à condition que cette mesure soit compatible avec la nécessité de réguler ses comportements. Par conséquent, l’État partie estime que les griefs de l’auteur ne sont pas suffisamment étayés et qu’ils devraient donc être déclarés irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 20 juillet 2018, l’auteur a adressé ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Pour ce qui est de la question des recours internes, l’auteur souligne que l’État partie a admis que les recours administratifs ne sauraient être considérés comme utiles aux fins du Protocole facultatif. L’État partie n’a donc pas proposé à l’auteur de recours utile dont il aurait pu se prévaloir. Concernant le fait qu’il n’aurait que peu de chances d’obtenir gain de cause devant la Haute Cour d’Australie, l’auteur reprend les arguments déjà invoqués dans la plainte.

5.3Concernant les observations de l’État partie au sujet des griefs soulevés au titre de l’article 9 du Pacte, l’auteur reprend les arguments formulés dans sa plainte et fait observer que, pour ce qui est de la question de la proportionnalité, le Comité a estimé que, plus la détention se prolongeait, plus il incombait à l’État partie d’assurer la réadaptation et le reclassement du détenu. Si des efforts ont effectivement été faits pour assurer sa réadaptation, ils sont très récents. En outre, l’auteur et son tuteur n’ayant pas la possibilité de prendre connaissance du rapport périodique de 2017, ils ne peuvent pas réagir utilement à ses conclusions. L’auteur répète que, puisque depuis 2003 aucun tribunal n’a évalué les risques qu’il posait, l’État partie fonde ses observations à ce sujet sur des conclusions complètement obsolètes. S’il est vrai que des rapports périodiques ont été établis au sujet de la situation de l’auteur, ces évaluations ne sont pas circonstanciées et n’ont pas été soumises à une analyse critique devant la justice, en violation des garanties d’une procédure régulière. Enfin, l’auteur fait observer qu’il n’a jamais laissé entendre qu’il devrait être libéré, mais que sa détention devrait être adaptée à sa situation. Le fait que l’État partie ne puisse pas lui assurer l’accès à d’autres structures et à d’autres ressources ne devrait pas servir de prétexte pour le priver de ses droits de l’homme.

5.4S’agissant des griefs soulevés au titre de l’article 10 (par. 3) du Pacte, l’auteur fait observer que la distinction que fait le Comité au paragraphe 10 de son observation générale no 21 (1992), à laquelle l’État partie fait référence, concerne les condamnés et les personnes en détention provisoire. Ce paragraphe ne visait pas à exclure l’application de l’article 10 (par. 3) aux personnes en détention provisoire, ce qui aurait pour effet d’empêcher ce nombre croissant de détenus vulnérables de bénéficier de garanties importantes prévues par le Pacte, notamment de l’accès à la réadaptation. Concernant le fond de ses griefs, l’auteur conteste à plusieurs reprises la position de l’État partie, qui soutient qu’une prise en charge thérapeutique et des services d’appui très complets liés au handicap lui sont assurés. Il fait remarquer qu’il n’a pas eu accès à des documents permettant d’étayer ces griefs. Il rappelle en outre qu’une prison de haute sécurité n’offre pas un cadre adapté à ses besoins thérapeutiques et fait observer que l’argument selon lequel ses perspectives de réadaptation seraient limitées est contredit par d’autres observations de l’État partie. Il souligne qu’en dépit de leur finalité, les dispositions législatives en cause lui ont valu d’être incarcéré et sanctionné pendant plus de vingt ans, alors qu’il souffre de maladie mentale, et ce, essentiellement parce que l’État partie n’a pas mis à disposition les ressources nécessaires pour pouvoir lui offrir des solutions envisageables autres que l’emprisonnement. Il fait remarquer que son tuteur et lui ne sont ni l’un ni l’autre habilités à demander la modification ou l’annulation de la mesure de surveillance privative de liberté dont il fait l’objet. L’auteur conteste l’utilité des garanties prétendument prévues dans le régime législatif étant donné que la Cour suprême ne peut modifier une mesure de surveillance privative de liberté, à réception d’un rapport, que dans la mesure où il existe une autre solution de placement, ce qui n’est pas le cas dans la région. L’auteur fait observer en outre que, dans ses observations, l’État partie semble laisser entendre que la Cour procède à un réexamen de sa situation tous les douze mois. Or, si un rapport périodique est effectivement établi, cela ne signifie pas qu’il soit procédé au réexamen de sa situation chaque année. En outre, le droit de recours est limité au prononcé de la mesure de surveillance ; il ne concerne pas les modalités de celle-ci, notamment l’absence de réexamen régulier obligatoire.

5.5Concernant les griefs qu’il a soulevés au titre des articles 17 et 23 du Pacte, l’auteur fait observer que les faits rapportés par l’État partie concernant sa détention dans le centre pénitentiaire d’Alice Springs en 2013 et 2014 mettent en évidence sa capacité d’établir des liens avec sa famille et avec la communauté autochtone, et que la charge excessive qui a pesé sur ses relations avant 2013 et à la suite de son transfèrement, en 2015, était bien réelle, indépendamment des relations qu’il entretenait avec son entourage avant d’être placé en détention.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 31 octobre 2019, l’État partie a adressé des observations complémentaires concernant la présente plainte ; il y a joint des preuves écrites à l’appui de sa position.

6.2L’État partie fait observer que, le 7 janvier 2019, la Cour suprême a ordonné que la mesure de surveillance privative de liberté prononcée à l’égard de l’auteur soit commuée en une mesure de surveillance non privative de liberté. En février 2019, l’auteur a donc été transféré dans une maison quatre pièces en proche banlieue de Darwin, où il continue de recevoir 24 heures sur 24 l’assistance d’auxiliaires pour personnes handicapées.

6.3L’État partie soutient que, pour ce qui est des allégations de discrimination de l’auteur, il existait au moins une voie de recours interne utile dont celui-ci pouvait se prévaloir et qu’il n’a pas épuisée. L’État partie conteste l’argument de l’auteur selon lequel il a été incarcéré pendant plus de vingt ans dans une prison de haute sécurité, sans perspective de remise en liberté. Il rappelle que, dès qu’une solution de remplacement a pu être envisagée, l’auteur a été extrait de la prison de haute sécurité dans laquelle il était détenu. Il souligne que ni le centre de prise en charge en milieu surveillé d’Alice Springs ni les Cottages ne sont considérés comme des prisons de haute sécurité. Pour ce qui est de la situation actuelle, l’auteur n’est plus détenu. Concernant le droit de recours de l’auteur, l’État partie affirme une nouvelle fois qu’en sus du droit de recours prévu par l’article 406 (par. 3) de la loi relative au Code pénal, et contrairement à ce que l’auteur a indiqué, son tuteur et lui-même, en tant que personne soumise à un régime de surveillance, ont la possibilité de saisir, l’un ou l’autre, la Cour suprême d’une demande de modification ou d’annulation de la mesure de surveillance privative de liberté en vertu de l’article 43ZD de la loi précitée. En outre, l’État partie fait observer que, si l’établissement d’un rapport annuel soumis à la Cour ne constitue pas un réexamen formel, la Cour peut procéder au réexamen si elle le juge opportun.

6.4L’État partie soutient que l’article 10 (par. 3) ne s’applique pas au cas de l’auteur et fait savoir qu’en tout état de cause, il avait pris des mesures pour faciliter la réadaptation de l’auteur bien avant de recevoir la communication.

6.5En ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, l’État partie fait observer que les constatations adoptées par le Comité en l’affaire Miller et Ca r roll ne permettent pas d’étayer ces griefs. Il rappelle que, contrairement aux personnes concernées par l’affaire citée, l’auteur de la communication n’a pas été placé en détention provisoire après l’exécution d’une peine d’emprisonnement. Il rappelle également que, lorsque l’auteur était détenu, il ne l’était pas dans les mêmes conditions que le reste de la population carcérale et que d’importantes ressources étaient mises à sa disposition pour l’aider à se réadapter. L’État partie rejette également l’argument de l’auteur selon lequel aucun tribunal n’a évalué les risques qu’il continuait de poser.

6.6Concernant les articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, l’État partie produit une documentation détaillée pour démontrer que l’auteur était détenu dans des conditions humaines et renvoie aux parties pertinentes de ses précédentes observations.

6.7Pour ce qui est des articles 17 (par. 1) et 23 (par. 1) du Pacte, l’État partie soutient que l’article 17 n’a pas pour objet de protéger des relations qui n’existaient pas au moment où la violation présumée a été commise. Il conteste l’argument de l’auteur selon lequel son tuteur aurait été effectivement exclu de la prise de décisions concernant sa situation. Le Solicitor du Territoire du Nord communique régulièrement des informations au représentant juridique de l’auteur au sein de l’Agence nord-australienne pour la justice autochtone. Le Bureau du handicap du Ministère de la santé du Territoire du Nord est le plus souvent en contact avec le Tuteur public, étant entendu que celui-ci communique à son tour avec le tuteur de proximité, le tient informé, et prend de concert avec lui les décisions voulues. L’État partie rejette également les griefs concernant le transfèrement de l’auteur à Darwin et soutient que la détention a une incidence intrinsèque sur la capacité du détenu d’avoir des interactions avec ses amis et sa famille. En l’espèce, il ne s’est pas arbitrairement ni illégalement immiscé dans la vie familiale de l’auteur. Comme l’a montré son passage de la privation de liberté à un régime de surveillance non privatif de liberté, l’auteur a continué d’exceller depuis qu’il a été transféré à Darwin et placé dans un cadre qui est mieux adapté à ses besoins complexes en matière de santé mentale et de comportement et constitue l’environnement le moins restrictif envisageable.

6.8Concernant les droits des minorités qui sont garantis à l’auteur par l’article 27 du Pacte, l’État partie soutient une nouvelle fois que, si le droit de l’auteur d’avoir sa propre vie culturelle et de pratiquer sa langue a été limité par les modalités du régime de surveillance privatif de liberté auquel il était soumis, les restrictions apportées n’étaient pas arbitraires. L’État partie donne également des renseignements sur les mesures d’ordre général qu’il a prises pour lutter contre le racisme, la discrimination et les traitements inéquitables dans tous les services judiciaires et dans tous les domaines.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Concernant la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas usé de certains recours administratifs (à savoir, des procédures de plainte et d’enquête devant le Commissaire à la lutte contre la discrimination du Territoire du Nord) pour ce qui est des griefs soulevés au titre de l’article 10 (par. 3) lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte, en particulier de ses griefs concernant la discrimination dont il se dit victime. À ce propos, le Comité observe que l’État partie n’a pas démontré que le Commissaire à la lutte contre la discrimination serait effectivement compétent pour connaître de l’affaire étant donné que celui-ci ne peut être saisi que de plaintes concernant des actes de discrimination survenus dans certaines circonstances et que le cas de l’auteur ne répond pas nécessairement aux critères fixés. De même, l’État partie n’a pas démontré par des exemples concrets que, s’il avait donné gain de cause à l’auteur, dans le cadre d’une procédure de plainte ou d’enquête, le Commissaire n’aurait pas formulé une simple recommandation mais aurait rendu une décision ayant force exécutoire pour les autorités compétentes, comme l’a laissé entendre l’État partie, ni que cette décision aurait permis d’assurer à l’auteur une réparation effective. Le Comité note que l’auteur a saisi la Commission australienne des droits de l’homme, saisine qui constitue un recours administratif, mais que les recommandations de la Commission sont restées lettre morte en raison, semble-t-il, de conflits de compétence. Dans ces circonstances, on ne saurait considérer qu’il s’agit là de recours utiles aux fins du Protocole facultatif. Concernant les voies de recours judiciaires, le Comité prend note de l’argument de l’auteur, corroboré par des avis d’experts juridiques, selon lequel un recours devant la Haute Cour d’Australie n’aurait eu que peu de chances d’aboutir. L’État partie n’ayant pas contesté les dires de l’auteur à ce sujet, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.4Le Comité estime que les griefs soulevés par l’auteur au titre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées n’entrent pas dans le champ d’application du Pacte et sont donc irrecevables pour incompatibilité ratione materiae avec celui-ci au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend acte de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 10 (par. 3) sont incompatibles avec les dispositions du Pacte puisque l’article 10 (par. 3) concerne uniquement les personnes condamnées ; or, l’auteur a été déclaré non coupable et a un statut juridique différent de celui des condamnés. Le Comité note que l’auteur conteste cet argument. Après avoir examiné les observations des parties, le Comité considère que la protection garantie par l’article 10 (par. 3) du Pacte s’étend aux détenus atteints de maladie mentale dont la responsabilité pénale n’a pas pu être établie en raison de leur déficience mentale. Toute autre interprétation rendrait illusoire la protection garantie par l’article 10 (par. 3) pour un groupe de détenus particulièrement vulnérables, alors même que les garanties consacrées par cette disposition sont particulièrement importantes pour ces personnes compte tenu de leur état. Le Comité estime donc que les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 10 (par. 3) ne sont pas incompatibles avec les dispositions du Pacte.

7.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs soulevés au titre des articles 7, 10 (par. 1), 17 (par. 1), 23 (par. 1), 26 et 27 du Pacte. S’agissant des griefs soulevés par l’auteur au sujet de ses conditions de détention, notamment du défaut d’accès à des programmes de réadaptation adéquats, le Comité note que, pendant l’essentiel de la période au cours de laquelle il était soumis à un régime de surveillance privatif de liberté, l’auteur était détenu dans une prison de haute sécurité et qu’il a présenté des éléments à première vue fondés à l’appui de ses allégations selon lesquelles son placement en milieu carcéral n’était pas conforme aux normes relatives aux droits de l’homme qui découlent des articles invoqués du Pacte. Le Comité estime par conséquent que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte ont été suffisamment étayés.

7.7Notant que l’État partie conteste la recevabilité des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 26 lu conjointement avec l’article 2 (par. 1) du Pacte, le Comité souligne que l’auteur est tombé sous le coup des dispositions législatives en cause au motif qu’il aurait commis des infractions pénales ; il n’a toutefois pas pu être jugé en raison de son état de santé mentale. Le Comité relève que rien de tout cela n’a été contesté par l’auteur. En outre, il rappelle que toute différentiation ne saurait être considérée comme relevant de la discrimination proscrite par le Pacte. Pour déterminer si un acte est constitutif de discrimination, il faut procéder à une comparaison avec d’autres personnes dans une situation semblable. Étant donné que, dans le contexte d’une procédure pénale, la situation des personnes présentant un handicap mental diffère, le simple fait que des lois internes particulières aient été appliquées à l’auteur ne suffit pas, en soi, pour conclure que celui-ci a présenté des éléments permettant d’établir une présomption de discrimination aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif. Le Comité note que les griefs de l’auteur à ce sujet sont étroitement liés à ceux qu’il a soulevés au titre des articles 7, 9 et 10 du Pacte et décide d’examiner ces griefs au titre des articles précités. Il considère par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs soulevés au titre de l’article 26 lu conjointement avec l’article 2 (par. 1) du Pacte et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8Concernant les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 17 (par. 1) et 23 (par. 1) du Pacte, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé l’argument selon lequel sa vie familiale avait fait l’objet d’une immixtion excédant la charge inhérente à la détention, dans la mesure où cet argument concernait la période de détention préalable à son transfèrement au centre pénitentiaire de Darwin. Concernant les droits des minorités qui sont garantis à l’auteur par l’article 27 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré qu’à première vue, l’État partie disposait de moyens moins intrusifs qui lui auraient permis d’atteindre les objectifs visés par son transfèrement et que la restriction plus importante des droits des minorités qui lui sont garantis avait excédé la charge inhérente à la détention. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief soulevé au titre de l’article27 du Pacte et que, partant, ce grief est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.9Le Comité observe que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte pour quelque motif que ce soit.

7.10Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les allégations formulées par l’auteur au titre des articles 7, 9, 10 (par.1 et 3), 17 (par.1) et 23 (par.1) du Pacte ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Il déclare donc la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Concernant les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel sa détention était arbitraire puisque, pendant la majeure partie de celle-ci, les autorités ne lui ont pas assuré un hébergement convenable dans un centre de prise en charge en milieu surveillé qui soit adapté à ses handicaps. Le Comité note en effet que, selon l’auteur, la prison n’offre pas un cadre propre à permettre la réadaptation et la prise en charge des personnes présentant des déficiences mentales qui n’ont pas été condamnées. Il prend note en outre de l’argument de l’auteur selon lequel sa privation de liberté était devenue disproportionnée en raison de la durée indéterminée de la mesure de surveillance privative de liberté dont il faisait l’objet et parce qu’il n’était pas procédé à des réexamens obligatoires de cette mesure à intervalles réguliers. Il relève que l’État partie conteste l’argument de l’auteur selon lequel sa détention était arbitraire, estimant que celle‑ci se fondait sur des motifs objectifs et valables. En outre, l’État partie a fait observer que la Cour suprême réexaminait le dossier de l’auteur régulièrement, qu’un plan d’appui comportemental avait été élaboré et que des mesures moins strictes étaient appliquées lorsque la situation de l’auteur le permettait.

8.3Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle qu’une arrestation ou une détention peut être autorisée par la législation interne et être néanmoins arbitraire. L’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi » mais doit recevoir une interprétation plus large, englobant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non‑respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. En l’espèce, le Comité note que la mesure de surveillance privative de liberté imposée à l’auteur semble de même nature qu’une peine de détention pour raisons de sécurité ou de détention provisoire (c’est-à-dire de détention pour une durée indéterminée jusqu’à la remise en liberté par la Commission des libérations conditionnelles). Le Comité considère que les principes établis dans sa jurisprudence concernant cette forme de détention s’appliquent aux fins de l’examen de la présente affaire. Lorsqu’un État partie impose une détention pour raisons de sécurité (parfois appelée internement administratif) sans envisager d’intenter des poursuites pénales contre l’intéressé, le Comité considère qu’il existe un risque important que cette mesure revête un caractère arbitraire. Si, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, une menace immédiate, directe et inévitable est invoquée pour justifier la détention d’une personne considérée comme présentant une telle menace, la charge de la preuve incombe à l’État partie, qui doit montrer que la menace émane de l’individu visé et qu’aucune autre mesure ne peut être prise, et cette charge augmente avec la durée de la détention. L’État partie doit aussi montrer que la détention ne dure pas plus de temps qu’il n’est absolument nécessaire, que la durée totale de la détention possible est limitée et que les garanties prévues à l’article 9 sont pleinement respectées dans tous les cas. Un réexamen rapide et régulier par un tribunal ou un autre organe judiciaire répondant aux mêmes critères d’indépendance et d’impartialité est une garantie nécessaire à cette fin.

8.4En l’espèce, le Comité observe que la période initiale de privation de liberté de l’auteur au centre pénitentiaire d’Alice Springs était fondée sur la décision rendue par la Cour suprême le 15 octobre 1996 en application de l’article 382 (par. 2) de la loi relative au Code pénal du Territoire du Nord, tel qu’elle était alors en vigueur. Cette décision avait été suivie de celle de l’Administrateur datée du 27 septembre 2001 par laquelle celui-ci ordonnait le maintien en détention de l’auteur dans la même structure. La partie IIA de la loi relative au Code pénal a pris effet le 15 juin 2002 et, en application des dispositions transitionnelles de l’article 6 de la loi de 2002, l’auteur, qui avait été acquitté pour cause d’« aliénation mentale » en vertu des dispositions abrogées de la loi relative au Code pénal et devait être détenu, en application d’une ordonnance d’internement en lieu sûr, jusqu’à ce que l’Administrateur en décide autrement, était désormais considéré comme une personne soumise à un régime de surveillance et détenue selon des modalités identiques à celles prévues dans le cadre d’une mesure de surveillance privative de liberté au sens de la partie IIA de la loi relative au Code pénal. À ce stade, le Comité note qu’il n’y a pas lieu de douter de l’appréciation des autorités internes, qui ont déterminé que l’auteur était atteint de déficiences mentales et qu’en raison de son état, l’affaire tombait sous le coup des dispositions législatives précitées.

8.5Toutefois, le Comité note que, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2002, aucune ordonnance officielle n’a été rendue concernant la mesure de surveillance privative de liberté imposée à l’auteur. Bien qu’en août 2003, la Cour suprême ait procédé à un réexamen conformément à l’article 6 (par. 3) de la loi de 2002 et qu’une décision ait été rendue le 10 septembre 2003, cette décision est intervenue avec six mois de retard. En outre, en violation des dispositions de l’article 43 ZG de la loi relative au Code pénal, la durée de la mesure de surveillance n’a pas été fixée, alors même qu’il devait être procédé au réexamen obligatoire de la mesure vers la fin de la période déterminée. Bien qu’en 2007, la Cour ait estimé que, malgré ces irrégularités, la décision de 2003 était conforme aux dispositions applicables de la loi, le Comité observe que, du fait de cette interprétation, la durée minimum de la mesure de surveillance privative de liberté imposée à l’auteur n’a jamais été fixée et le seul réexamen obligatoire auquel les autorités aient procédé a été effectué en 2003. Il note que, s’il est vrai que des rapports doivent être soumis à la Cour à intervalles réguliers, il appartient à celle-ci de décider de procéder ou non à un réexamen. Jusqu’ici, les procédures n’ont pas été contradictoires, ce qui signifie que les garanties importantes de l’habeas corpus prévues par l’article 9 (par. 4) du Pacte, notamment le droit d’accès à l’information et le droit de contester les preuves, n’ont pas été respectées. Bien qu’en l’espèce, des dépositions aient vraisemblablement été entendues, ces dépositions remontent à 2014 et le Comité n’a été saisi d’aucun élément lui permettant de conclure que l’auteur lui‑même a été entendu à ces occasions.

8.6Concernant le lieu de détention de l’auteur, le Comité estime, comme la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il doit y avoir un lien entre le motif de la privation de liberté et le lieu et les conditions de détention. À ce propos, le Comité souligne que l’auteur a été placé dans des prisons de haute sécurité d’août 1995 au 7 février 2017, sauf pour une courte durée en 2013/14. S’il reconnaît qu’il importe de trouver un juste équilibre entre les intérêts de l’individu et la sûreté publique et que des experts ont régulièrement tenu la Cour suprême informée de la situation de l’auteur, le Comité ne saurait souscrire à l’argument de l’État partie selon lequel, en l’espèce, l’auteur recevait en permanence le traitement dont il avait besoin, même lorsqu’il n’était pas placé dans des centres de prise en charge en milieu surveillé, structures sans conteste mieux adaptées à ses besoins. Le Comité note que la Cour suprême, dans sa décision de 2003, a été particulièrement claire sur ce point lorsqu’elle a conclu que les ressources disponibles au centre pénitentiaire d’Alice Springs n’étaient pas suffisantes pour permettre la garde et la prise en charge de l’auteur. Ce constat a été confirmé par la Commission australienne des droits de l’homme en 2014. Le Comité prend note avec une vive satisfaction de l’amélioration des conditions de détention de l’auteur chaque fois que celui-ci était placé dans un centre de prise en charge en milieu surveillé et des efforts de toutes les personnes chargées de s’occuper de lui, notamment de la mise en œuvre du plan d’appui, qui a finalement incité la Cour suprême à modifier la mesure de surveillance de sorte qu’elle soit non privative de liberté ; il considère toutefois que cela n’explique pas le fait que l’auteur ait été illégalement détenu dans des centres pénitentiaires de haute sécurité pendant une période aussi longue. Le Comité observe que le manque de ressources allégué ne dispense pas l’État partie de respecter ses obligations en la matière.

8.7Le Comité estime qu’il appartient généralement aux organes des États parties d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves, sauf s’il peut être établi que l’appréciation en question était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Cela étant, au vu des éléments dont il est saisi, le Comité estime que l’État partie n’a pas démontré que les buts légitimes de la mesure de surveillance privative de liberté imposée à l’auteur n’auraient pas pu être atteints par des mesures moins radicales que le maintien en détention de l’intéressé dans des prisons de haute sécurité, d’autant que l’État partie avait l’obligation constante, au regard de l’article 10 (par. 3) du Pacte, de prendre des mesures concrètes pour assurer le reclassement de l’auteur au cours des près de vingt années au cours desquelles celui-ci a été détenu en milieu carcéral de haute sécurité. Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que la détention de l’auteur était arbitraire et, partant, qu’elle était contraire aux garanties prévues par l’article 9 (par. 1) du Pacte. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte. En outre, le Comité estime que le fait que l’auteur n’ait pas pu contester l’existence de motifs valables justifiant son maintien en détention à titre préventif était contraire aux droits qui lui étaient garantis par l’article 9 (par. 4) du Pacte.

8.8Compte tenu de ce qui précède et puisque les griefs de l’auteur concernent, dans une bonne mesure, l’insuffisance des services censés permettre d’assurer son reclassement et sa réadaptation pendant la majeure partie de la période au cours de laquelle il a été soumis à un régime de surveillance privative de liberté, le Comité conclut également à une violation de l’article 10 (par. 3) du Pacte.

8.9Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur concernant les mauvais traitements qu’il aurait subis au regard des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte et des informations que lui a communiquées l’État partie en réponse à ces allégations, à savoir que l’auteur n’était pas détenu dans les mêmes conditions que le reste de la population carcérale, que rien ne prouve que l’auteur ait été victime de mauvais traitements de la part du personnel pénitentiaire et que son placement en détention à des fins de protection était justifié par des considérations de sécurité. Le Comité considère toutefois que ces facteurs n’ôtent rien au poids des allégations incontestées relatives aux effets néfastes de la mesure de surveillance privative de liberté imposée à l’auteur, dont la durée minimum est jusqu’au bout restée indéterminée. En outre, le simple fait que l’auteur ait préféré être isolé plutôt que placé parmi les autres détenus, où il était plus susceptible d’essuyer des insultes, ne signifie pas nécessairement que sa mise à l’isolement était légale. Cela montre plutôt qu’il disposait de choix limités dans un environnement carcéral inadapté à sa pathologie. Compte tenu des circonstances, le Comité considère que les conditions inadaptées dans lesquelles l’auteur a été détenu pendant la majeure partie de la période au cours de laquelle il était soumis à un régime de surveillance privatif de liberté, ainsi que la durée indéterminée de la mesure de privation de liberté, laquelle ne faisait pas l’objet de réexamens obligatoires s’inscrivant dans le cadre de procédures contradictoires, se sont conjuguées pour infliger à l’auteur un préjudice psychologique grave, et constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité décide de ne pas examiner les mêmes griefs au titre de l’article 10 (par. 1) du Pacte.

8.10Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 17 (par. 1) et 23 du Pacte, en particulier du fait qu’il avait des contacts limités avec sa famille lorsqu’il était détenu au centre pénitentiaire d’Alice Springs et que la situation s’est encore dégradée de ce point de vue après son transfèrement à Darwin. Le Comité note que, selon l’État partie, en 2013, 11 membres de la famille de l’auteur ont à plusieurs reprises reçu une aide qui leur a permis de rendre visite à l’auteur et, lorsque celui-ci résidait au centre de prise en charge en milieu surveillé d’Alice Springs, il pouvait participer à des ateliers avec sa sœur. À ce propos, le Comité observe en premier lieu que les éléments dont il est saisi ne suffisent pas pour lui permettre de conclure que les circonstances du transfèrement de l’auteur à Darwin ont fait peser une charge disproportionnée sur la vie familiale de celui-ci étant donné que ce transfèrement avait vraisemblablement pour but de permettre à l’auteur d’être accueilli dans une structure adaptée afin qu’il puisse bénéficier du traitement thérapeutique voulu, comme l’atteste le fait que la situation de l’auteur a progressivement évolué par la suite. Le Comité se bornera donc à examiner la période pendant laquelle l’auteur était détenu au centre pénitentiaire d’Alice Springs. À ce propos, il observe que, comme l’ont montré les mesures prises en 2013 et 2014, l’État partie disposait d’un arsenal de mesures lui permettant de faciliter les contacts entre l’auteur et sa famille. Il note qu’une aide avait été apportée à l’auteur dans ce domaine à l’époque, et ce, bien que selon l’État partie l’article 17 du Pacte ne vise pas à protéger les relations qui n’existaient pas au moment de la violation présumée. Il observe toutefois que les éléments dont il est saisi ne permettent pas d’établir que des mesures semblables avaient été prises avant 2013, alors même que de telles mesures auraient particulièrement aidé l’auteur. En l’absence d’informations concernant cette période particulièrement longue (comprise entre août 1995 et 2013), le Comité estime que les griefs de l’auteur mettent en évidence une charge qui excède celle inhérente à la détention et conclut à une violation de l’article 17 du Pacte.Dans ces conditions, le Comité décide de ne pas examiner les mêmes griefs au titre de l’article 23 du Pacte.

9.Le Comité, agissant conformément à l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7, 9 (par. 1 et 4), 10 (par. 3) et 17 du Pacte.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’assurer à l’auteur une indemnisation suffisante pour les violations subies et d’ordonner des mesures susceptibles de lui donner satisfaction. Il est également tenu de prendre toutes les mesures voulues pour que de telles violations ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.