Nations Unies

CCPR/C/134/D/3249/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 juillet 2022

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 3249/2018 * , **

Communication présentée par :

B. M. (non représentée par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Belgique

Date de la communication :

25 février 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 5 octobre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

24 mars 2022

Objet :

Procès équitable

Question(s) de procédure :

Droit à un procès équitable

Question(s) de fond :

Principe de l’égalité des armes ; examen de la même question par une autre instance internationale ; griefs non étayés

Article(s) du Pacte :

14

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a))

1.1L’auteure de la communication est B. M., de nationalité belge. L’auteure, qui est domiciliée en Suisse au moment de sa communication, allègue une violation par l’État partie des droits qu’elle tient de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 17 août 1994. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 5 mars 2018, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas octroyer les mesures provisoires sollicitées par l’auteure.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1En 2012, l’auteure a introduit en Suisse une demande pour divorcer de son époux d’alors. Le 13 mars 2014, un tribunal suisse a rendu un jugement, qui a acquis l’autorité de la chose jugée en faveur de l’auteure. Toutefois, l’ex-conjoint de l’auteure a introduit une nouvelle action en divorce contre cette dernière auprès du tribunal de première instance de Bruxelles, alors même que la première demande de divorce introduite en Suisse était pendante. Dans son jugement du 6 novembre 2013, le tribunal de première instance de Bruxelles a prononcé le divorce entre les parties. Le 29 janvier 2014, l’auteure, estimant que ledit arrêt induisait une question de litispendance internationale, s’est pourvue en appel contre cette décision auprès de la cour d’appel de Bruxelles. Cette dernière a rendu son arrêt le 2 octobre 2014, déboutant l’auteure de sa demande. L’auteure a interjeté appel contre cet arrêt auprès de la Cour de cassation belge qui, le 3 novembre 2016, a cassé l’arrêt du 2 octobre 2014 et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Liège. Dans son arrêt, la Cour de cassation estimait que l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles avait violé la Convention du 29 avril 1959 entre la Belgique et la Suisse sur la reconnaissance et l’exécution de décisions judiciaires et de sentences arbitrales. Au moment du dépôt de la présente communication devant le Comité, l’appel introduit par l’auteure était pendant devant la première chambre de la cour d’appel de Liège qui, le 25 avril 2017, a tenu l’audience de mise en état en présence de l’avocat de l’auteure. Une audience a été fixée au 23 mars 2018, nonobstant une demande de l’auteure d’avancer la date de l’audience au plus tard en septembre 2017. L’auteure jugeait excessive la durée de ce procès ouvert depuis environ six ans.

2.2Le 14 mai 2017, le conseil de l’ex-conjoint de l’auteure a saisi le bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles d’une question déontologique relative à la possible violation du secret professionnel portant sur des échanges de trois courriers entre l’auteure et son ancien conseil. L’auteure indique que l’un des courriers en question est une pièce versée au dossier depuis 2014 et accessible aux parties sans qu’aucune contestation ait été formulée, et que les deux autres sont des comptes rendus d’audiences auxquelles la partie adverse a assisté.

2.3Le 29 juin 2017, le bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a informé l’auteure et son avocat de sa décision d’interdire la production des trois pièces susmentionnées au procès. Cette décision, selon l’auteure, est contraire à la jurisprudence constante qui ne s’oppose pas à la production de courriers entre un client et son ancien avocat. Le bâtonnier a expliqué toutefois que cette interdiction s’appliquait à l’avocat et non à l’auteure, qui avait la possibilité de produire elle-même les pièces en question.

2.4Le 30 juin 2017, l’auteure a informé la cour d’appel de Liège de l’incident concernant la décision du bâtonnier et a allégué une violation de son droit à un procès équitable, estimant que cette décision avait pour effet de la priver d’avocat en cours de procédure. L’auteure a demandé à la cour d’autoriser son avocat à déposer ses conclusions et à la représenter à l’audience fixée au 23 mars 2018. Elle a également demandé à la cour de suspendre les délais jusqu’à ce qu’une décision soit rendue autorisant à nouveau son conseil à la représenter dans la procédure en cours.

2.5Par courrier du 20 juillet 2017, le bâtonnier a informé l’avocat de l’auteure et celui de son ex-conjoint des nouveaux délais impartis aux parties pour déposer leurs conclusions respectives sur l’incident relatif à la production des pièces litigieuses. Le délai fixé à l’auteure était le 15 août 2017.

2.6Le 8 août 2017, l’avocat de l’auteure a informé la cour d’appel de Liège que, compte tenu de l’interdiction qui lui avait été faite de produire les trois moyens de preuve dont l’auteure entendait se prévaloir dans l’instance en cours, il lui était impossible de poursuivre la défense des intérêts de sa cliente.

2.7Le 16 août 2017, l’auteure a été contrainte de déposer ses conclusions sans l’assistance d’un avocat, étant restée sans réponse de la cour d’appel de Liège sur la demande de suspension des délais pour conclure.

2.8Le 21 août 2017, l’auteure a sollicité de la cour d’appel de Liège l’adoption de mesures avant dire droit destinées à régler provisoirement la situation des parties.

2.9Le 2 octobre 2017, l’auteure a reçu un courrier daté du 22 septembre 2017 de la cour d’appel de Liège la citant à comparaître à une audience fixée au 18 octobre 2017, à 11 heures.

2.10Par courrier du 5 octobre 2017, l’auteure a informé la cour d’appel de Liège qu’il lui était impossible de se rendre personnellement à l’audience du 18 octobre, vu qu’elle n’était pas en mesure d’annuler, à deux semaines du délai, des engagements professionnels prévus de longue date. Dans le même courrier, elle a indiqué que, puisque son avocat avait renoncé à la représenter, il ne pourrait pas se rendre à l’audience à sa place. L’auteure a aussi demandé à la cour, au cas où il y aurait la nécessité absolue de tenir audience, de fixer celle‑ci la semaine suivante, soit le 23 octobre 2017, afin de lui permettre de prendre les arrangements professionnels et personnels nécessaires.

2.11N’ayant pas reçu de réponse à son courrier de demande de report d’audience et d’avant dire droit, le 9 janvier 2018, l’auteure a envoyé un courrier de suivi. En réponse à ce dernier, la cour d’appel de Liège, dans un courrier daté du 26 janvier 2018 et reçu le 12 février 2018, lui a notifié qu’un arrêt avait été rendu le 15 novembre 2017, à son insu et en son absence. Dans cet arrêt, tout en indiquant qu’elle n’était pas tenue par l’appréciation du bâtonnier quant à la recevabilité des pièces litigieuses, la cour avait jugé qu’elle ne pouvait pas autoriser l’ancien avocat de l’auteure, qui s’était retiré du dossier, à conclure et à la représenter à l’audience du 23 mars 2018 en violation des injonctions du bâtonnier. L’auteure souligne que cette décision de la cour va à l’encontre de la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Bono c. France, qui reconnaît la possibilité pour les autorités judiciaires d’infirmer les décisions rendues par les autorités ordinales. L’audience ayant conduit à la décision de la cour d’appel de Liège le 15 novembre 2017 a eu lieu, et l’auteure n’a pas reçu le rapport de cette audience ni aucune conclusion de la partie adverse.

2.12S’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, l’auteure estime que, conformément à l’article 1077 du Code judiciaire belge, le recours en cassation contre un jugement (en l’espèce, un arrêt) avant dire droit n’est possible qu’avec l’arrêt définitif. Il n’y a donc pas de voie de recours contre cette décision.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure soutient qu’elle est victime d’une atteinte à son droit à un procès équitable garanti par l’article 14 (par. 1) du Pacte. Elle considère que la décision du bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles datée du 29 juin 2017 et l’arrêt de la cour d’appel de Liège du 15 novembre 2017 l’ont privée de l’assistance de son avocat, vu qu’elle a été contrainte de déposer seule ses conclusions le 16 août 2017. L’auteure indique que la cour aurait pu infirmer la décision du bâtonnier en lui permettant d’avoir l’assistance de son avocat. Elle ajoute que son droit à être entendue a été violé compte tenu du court délai entre la réception de sa convocation, le 2 octobre 2017, et la date de l’audience, fixée au 18 octobre 2017, compte tenu également du fait que l’audience a eu lieu en dépit de son courrier du 5 octobre 2017 demandant un report d’audience. L’auteure note par ailleurs qu’elle n’a pas reçu le rapport de cette audience ni aucune écriture de la partie adverse. Elle n’a donc pas pu prendre connaissance de l’argumentation présentée par le conseil de son ex-conjoint.

3.2L’auteure soutient que l’interdiction de la représenter prononcée contre son avocat peut encore la contraindre de plaider seule à l’audience fixée au 23 mars 2018, en violation de la garantie d’égalité des armes, la mettant dans une situation de désavantage par rapport à la partie adverse, et qu’en l’espèce, l’intervention d’un avocat peut seule lui garantir un procès équitable, ce qui lui fait courir un risque de dommage irréparable. En conséquence, l’auteure sollicite du Comité l’octroi de mesures provisoires afin de lui permettre de défendre sa cause à l’audience fixée au 23 mars 2018, assistée de son avocat.

Soumission additionnelle de l’auteure

4.1Dans sa soumission additionnelle du 11mars 2019, l’auteure fait valoir qu’elle a présenté une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 19 avril 2018, la Cour, siégeant en formation de juge unique, a déclaré la requête irrecevable, trouvant que ses allégations étaient manifestement mal fondées.

4.2L’auteure allègue que, devant les pressions du Président de la cour d’appel de Liège afin d’adjuger les conclusions de la partie adverse, elle a dû plaider seule à l’audience du 23mars 2018, ce qui l’a placée dans une situation défavorable par rapport à la partie adverse, en violation du principe de l’égalité des armes. L’auteure estime qu’il incombait aux juridictions belges de veiller à l’équité de la procédure dont elles avaient la charge, en s’assurant notamment qu’elle avait accès à son avocat et pouvait produire toute pièce utile à sa défense. L’auteure soutient également que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’une des exigences d’un procès équitable est l’égalité des armes, laquelle implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

4.3L’auteure estime que la violation alléguée lui cause un préjudice irréparable. Elle fait valoir un préjudice matériel de 4 000 euros en raison notamment de son déplacement à Liège, des frais de vol, d’hôtel, de location de voiture, de garde de ses enfants, de congé et des frais de production et d’envoi de documents liés à la procédure. L’auteure fait valoir également un préjudice moral de 10 000 euros. Elle affirme avoir dû consacrer d’innombrables heures en soirée, après les heures de travail, et le week-end, à la rédaction des conclusions de 44 pages du 14 août 2017, la privant de nombreux moments avec ses enfants, qu’elle élève seule.

4.4L’auteure souligne qu’elle a vainement demandé au greffier du siège de consigner cet incident dans le compte rendu de l’audience du 23 mars 2018, compte rendu qui ne lui a jamais été transmis. Elle souligne également qu’il ressort de ses conclusions du 14 août 2017 que le débat portait sur des questions juridiques extrêmement pointues, qui nécessitaient à l’évidence l’intervention d’un professionnel du droit aguerri. Il s’agissait entre autres d’examiner en quatrième instance l’exception de litispendance internationale invoquée en toute légitimité par l’auteure et déduite d’une procédure de divorce introduite préalablement en Suisse. Il s’agissait également d’examiner la demande de dommages et intérêts formulée par l’auteure en raison de l’utilisation abusive du droit et des procédures par la partie adverse.

4.5L’auteure souligne que ce n’est que par un arrêt du 4 mai 2018 que la cour d’appel de Liège, en quatrième instance, a finalement déclaré recevable et fondée l’exception de litispendance internationale qu’elle avait soulevée dans ses conclusions du 15 mai 2013, et ce, après cinq années de procédure et après renvoi de la Cour de cassation. Elle souligne, en revanche, qu’elle a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande de condamnation de la partie adverse aux frais et dépens.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Le 5 juin 2019, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il estime que le Comité doit déclarer la communication irrecevable, vu que les griefs soumis par l’auteure ne sont pas étayés. L’État partie fait valoir qu’en l’espèce, les griefs de l’auteure ont été examinés par la cour d’appel de Liège qui, dans son arrêt du 15 novembre 2017, tout en indiquant qu’elle n’était pas tenue par l’appréciation du bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles quant à la recevabilité des courriers litigieux, a estimé néanmoins qu’elle ne pouvait pas autoriser l’ancien avocat de l’auteure à conclure et à la représenter à l’audience nonobstant les injonctions du bâtonnier. L’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, il appartient aux tribunaux d’appel des États parties, et non au Comité, d’évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée, à moins qu’il soit possible de prouver que les juridictions nationales ont été nettement arbitraires.

5.2L’État partie souligne que l’auteure a justifié le grief d’inobservance du principe de l’égalité des armes par le fait que la décision du 29 juin 2017 du bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles enjoignait à son conseil de « retirer » les courriers qu’elle avait échangés avec ses anciens conseils, ou de se retirer du dossier. L’État partie fait toutefois remarquer que l’auteure elle-même a admis que, quand un client décide de révéler une information couverte par le secret professionnel et de l’employer en justice, il ne fait qu’exercer son droit à la défense, et que ledit client peut dès lors décider de rompre le secret professionnel à son bénéfice, y compris en enjoignant à son avocat de révéler des informations ou de produire des courriers couverts par ce secret.

5.3L’État partie souligne que la cour d’appel de Liège ne pouvait accepter que le conseil de l’auteure puisse outrepasser les injonctions du bâtonnier quant à la production desdits courriers. Selon l’État partie, le bâtonnier n’aurait pas privé l’auteure d’avocat en cours de procédure, ni ne l’aurait contrainte à déposer seule ses conclusions le 16 août 2017, si elle avait fait usage de la possibilité de déposer en son nom les conclusions rédigées au préalable par son avocat.

5.4L’État partie fait remarquer que, alors que l’auteure se plaint d’avoir été obligée de plaider seule le 23 mars 2018, elle avait largement le temps de s’adjoindre l’assistance d’un autre avocat dans l’intervalle de neuf mois qu’elle avait à sa disposition. Il fait aussi remarquer que l’auteure n’était pas assistée d’un seul avocat dans le cadre de cette affaire. L’État partie estime que l’auteure aurait dû simplement éviter son préjudice en respectant la décision du bâtonnier du 29 juin 2017 et en organisant sa défense de manière prudente et prévoyante, et qu’au contraire, l’avocat de l’auteure a tout tenté afin d’obtenir la révocation de la décision du bâtonnier lui enjoignant de se déporter de l’affaire. L’auteure ne pouvait se décharger sur les juridictions belges de sa responsabilité de demander à son avocat de lui permettre de déposer en son nom ou au nom d’un autre conseil des conclusions préparées par lui et d’obtenir la reprise du dossier par un autre avocat à l’audience du 23 mars 2018, soit neuf mois plus tard.

5.5L’État partie estime que les griefs de l’auteure sont dénués de toute apparence de fondement et que sa communication ne contient aucun argument concret qui puisse tant soit peu étayer ses affirmations et mettre en doute le constat de la juridiction interne. Pour preuve, l’État partie rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a, en formation de juge unique et sans examen complémentaire, déclaré la requête de l’auteure irrecevable par décision définitive du 19 avril 2018.

5.6L’État partie conteste également le fondement des griefs de l’auteure quant au préjudice matériel et moral qu’elle tirerait du fait d’avoir été contrainte de faire le déplacement de Genève à Bruxelles pour assister personnellement à l’audience du 23 mars 2018. L’État partie estime, d’une part, que rien ne prouve que l’auteure n’aurait pas de toute façon accompagné son avocat à l’audience et, d’autre part, que rien n’obligeait son conseil à s’entêter à obtenir la révocation de la décision du bâtonnier du 29 juin 2017. L’État partie estime enfin que rien ne prouve non plus qu’il ait été nécessaire pour l’auteure de passer d’innombrables heures en soirée et le week-end à la rédaction des conclusions du 14 août 2017, alors qu’elle pouvait parfaitement reprendre à son nom le travail de son avocat. En conséquence, l’État partie conteste le fondement des griefs soulevés par l’auteure et demande au Comité de déclarer la communication irrecevable ou, à tout le moins, non fondée.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

6.1Le 1er décembre 2019, l’auteure a fait parvenir au Comité ses commentaires sur les observations de l’État partie quant à la recevabilité et au fond de la communication. Elle affirme que l’État partie, en reprenant dans ses observations du 5 juin 2019 l’argument tiré de sa communication quant à la possibilité pour un client « de révéler une information couverte par le secret professionnel et de l’employer en justice » comme un exercice de son droit à la défense, la conforte dans ses allégations quant à l’illégalité de la décision du bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles datée du 29 juin 2017. Elle affirme également que la cour d’appel de Liège a reconnu dans son arrêt du 4 mai 2018 que c’est de manière illégale qu’elle a été privée de son avocat, et a confirmé que « l’article 458 du Code pénal ne s’oppose pas à ce que le client, personne protégée par ledit article, produise pour assurer sa défense en justice le courrier échangé avec son conseil ».

6.2L’auteure souligne que l’État partie, à travers ses observations, a reconnu que la cour d’appel de Liège n’était pas liée par la décision du bâtonnier. Elle réitère qu’il revenait à ladite cour d’infirmer les injonctions illégales du bâtonnier, comme il ressort sans ambiguïté de l’affaire Bono c. France.

6.3L’auteure fait valoir que la position de l’État partie, qui estime qu’elle aurait dû déposer en son nom les conclusions rédigées au préalable par son avocat, irait à l’encontre des injonctions du bâtonnier, qui enjoignait sans équivoque à son avocat de « retirer » les pièces litigieuses ou de « se retirer » du dossier. L’auteure estime que cette injonction du bâtonnier signifie l’interdiction faite à son avocat de rédiger des conclusions pour le compte de sa cliente.

6.4L’auteure réitère que, vu la complexité de son cas, les services d’un avocat étaient indispensables. Son dossier implique l’examen de questions juridiques éminemment techniques, telles que l’application de la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano), qui implique pour les juridictions belges l’interdiction de rejuger ce qui a déjà été jugé de manière définitive par les juges suisses et l’obligation de reconnaître l’autorité de la chose jugée à une décision rendue en Suisse. L’auteure réitère que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il ne lui était pas loisible de s’adjoindre l’assistance d’un autre avocat dès lors que les injonctions du bâtonnier du 29juin 2017 étaient parfaitement claires. Elleestime par ailleurs que, quel que soit l’avocat qu’elle aurait pu choisir, ce dernier aurait eu interdiction de l’assister au procès, et qu’elle devait se défendre seule si elle voulait produire les pièces litigieuses. L’auteure soutient que même si elle s’était adjoint l’assistance d’un autre avocat, ce dernier aurait été amené à devoir prendre connaissance d’une procédure en quatrième instance, après renvoi de la Cour de cassation et ouverte depuis plus de cinq ans, ce qui aurait à nouveau généré pour l’auteure des frais d’honoraires exorbitants. L’auteure réclame en outre que l’indemnisation financière initialement chiffrée à 10 000 euros (plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôts) par courrier du 11 mars 2019 soit désormais portée à 18 000 euros (plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôts).

6.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie tiré de la décision du 19 avril 2018 de la Cour européenne des droits de l’homme pour avancer que les faits dénoncés ne révéleraient aucune apparence de violation de ses droits, l’auteure excipe du fait que le Comité n’est pas lié par la décision de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle estime que si sa communication a été enregistrée par le Comité et communiquée à l’État partie pour que celui‑ci puisse soumettre ses observations, c’est parce que ladite communication a été jugée prima facie recevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité observe que, le 19 avril 2018, une requête sur la même affaire, dirigée contre la Belgique, a été rejetée par la Cour européenne des droits de l’homme, en formation de juge unique, et n’est donc pas actuellement à l’examen. En l’absence d’une réserve de l’État partie excluant la compétence du Comité pour connaître des communications qui ont déjà été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité conclut qu’il n’y a aucun obstacle à la recevabilité de la communication au regard de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif.

7.3Le Comité rappelle que les dispositions de l’article 14 du Pacte visent de façon générale une saine administration de la justice. Il prend note du grief de l’auteure, qui affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte vu qu’elle a été victime d’une décision du bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles qui, dans une décision du 29 juin 2017, a enjoint à son avocat soit de ne pas produire trois pièces au dossier, soit de se retirer de l’affaire. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteure alléguant une violation du même article parce qu’en dépit du fait que la cour d’appel de Liège a reconnu que la décision du bâtonnier était arbitraire, elle n’a pas annulé ladite décision, empêchant par là même l’auteure d’assurer sa défense en se faisant assister de son avocat.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel l’interdiction prononcée par le bâtonnier l’a privée de l’assistance de son avocat à l’audience du 23 mars 2018, la contraignant à plaider sa cause seule, ce qui l’a mise dans une situation de désavantage, en violation du principe de l’égalité des armes. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteure selon lequel l’État partie aurait dû s’assurer de l’équité de la procédure, en lui donnant accès à son avocat et en lui permettant de produire toutes les pièces nécessaires à sa défense. Par ailleurs, le Comité prend note de l’argument de l’État partie faisant valoir qu’en l’espèce, les griefs de l’auteure ont été examinés par la cour d’appel de Liège qui, dans son arrêt du 15 novembre 2017, tout en indiquant qu’elle n’était pas tenue par l’appréciation du bâtonnier quant à la recevabilité des courriers litigieux, a estimé néanmoins qu’elle ne pouvait pas autoriser l’ancien avocat de l’auteure à conclure et à la représenter à l’audience nonobstant les injonctions du bâtonnier. Le Comité note que, selon l’État partie, l’auteure elle-même a admis que quand un client décide de révéler une information couverte par le secret professionnel et de l’employer en justice, il ne fait qu’exercer son droit à la défense et que ledit client peut dès lors décider de rompre le secret professionnel à son bénéfice.

7.5Le Comité prend note en effet de l’argument de l’auteure, qui estime qu’il lui était loisible de faire usage des courriers couverts par le secret professionnel pour assurer sa défense. Le Comité note également que l’État partie n’a pas nié cette faculté à l’auteure.

7.6Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel, vu la complexité de l’affaire, l’assistance d’un avocat était indispensable ; que les questions en débat relevaient d’une grande technicité juridique, portant sur la litispendance internationale. Il note l’argument de l’auteure qui excipe du fait qu’il lui était impossible d’engager un autre avocat vu que les injonctions du bâtonnier du 29 juin 2017 ne lui laissaient pas le choix ; que quel que soit l’avocat constitué, ce dernier n’aurait pas pu produire les pièces litigieuses ; et qu’elle devait se défendre seule, puisqu’il aurait fallu beaucoup de temps à un nouvel avocat pour prendre connaissance d’un dossier vieux de cinq ans, ce qui aurait engendré des honoraires exorbitants qui la pénaliseraient davantage. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie, qui estime que l’auteure aurait dû, pour éviter tout préjudice, se plier aux exigences du bâtonnier, d’autant qu’elle avait amplement le temps, entre le 29 juin 2017 − date de la décision du bâtonnier − et le 23 mars 2018 − date de l’audience devant la cour d’appel de Liège − de choisir un autre avocat, dans la mesure où elle en avait plus d’un à son service. Il note en outre que l’État partie est d’avis qu’elle aurait dû demander à son avocat de lui permettre de déposer des conclusions en son nom. Le Comité observe que l’auteure a pu se présenter à la barre et prendre part à l’audience du 23 mars 2018. Il observe également que, par arrêt du 4 mai 2018, la cour d’appel de Liège, après renvoi de la Cour de cassation, a déclaré recevable et fondée l’exception de litispendance internationale soulevée par l’auteure dans ses conclusions du 15 mai 2013.

7.7Le Comité note que l’auteure estime avoir subi un préjudice matériel et moral dans le cadre de cette affaire, puisqu’elle a dû consacrer d’importantes heures de travail à la rédaction des conclusions du 14 août 2017, ce qui a réduit le temps qu’elle aurait dû passer avec ses enfants, qu’elle élève seule, et qu’elle a été obligée de faire le déplacement de Genève à Bruxelles pour assister personnellement à l’audience du 23 mars 2018. Le Comité note également que l’État partie estime que, même assistée d’un avocat, l’auteure aurait pu être amenée à accompagner son avocat à l’audience ; que rien ne justifiait l’entêtement de l’avocat de l’auteure à obtenir la révocation de la décision du bâtonnier ; et que l’auteure, au lieu de passer d’interminables heures à la rédaction de ses conclusions, pouvait parfaitement reprendre à son compte le travail de son avocat. Le Comité note par ailleurs que l’État partie a aussi souligné qu’il ne pouvait être tenu pour responsable du fait que l’auteure n’a pas demandé à son avocat de lui permettre de déposer en son nom propre ou au nom d’un autre avocat les conclusions déjà préparées et d’obtenir la reprise du dossier par un autre avocat à l’audience du 23 mars 2018. Le Comité note que l’auteure a souligné qu’elle n’avait pas pu obtenir les dommages et intérêts ainsi que les frais et dépens sollicités de la partie adverse.

7.8Le Comité observe que l’auteure n’a pas démontré en quoi la décision de l’autorité ordinale du 29 juin 2017 l’avait empêchée de jouir de son droit à un procès équitable, alors qu’elle pouvait soit conclure seule, soit constituer un autre avocat. Il observe également que, de toute façon, elle aurait pu être amenée à voyager à Bruxelles pour assurer sa défense, et qu’elle aurait à faire les dépenses pour lesquelles elle sollicite réparation.

7.9Le Comité rappelle qu’il ne lui appartient pas d’évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée, à moins qu’il soit possible de prouver que les juridictions nationales ont été nettement arbitraires, et qu’en l’espèce, il ne lui revient pas de forcer une juridiction d’appel à révoquer la décision d’une autorité ordinale. Le Comité note que la cour d’appel de Liège, tout en reconnaissant l’inopportunité de la mesure prise par le bâtonnier, a quand même décidé en toute équité sur le litige et l’exception de litispendance internationale soulevée par l’auteure, puisque l’auteure a bien pu défendre sa cause à l’audience du 23 mars 2018. Le Comité note que l’auteure a volontairement choisi de se défendre seule, écartant en toute connaissance de cause le droit de se faire représenter par un avocat. Au vu de ce qui précède, le Comité considère donc que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.10Le Comité conclut que l’auteure n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte et déclare la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.