Nations Unies

CCPR/C/132/D/2862/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 août 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2862/2016*,**,***

Communication présentée par:Aleh Aheyeu

Victime(s) présumée(s):L’auteur

État partie:Bélarus

Date de la communication:19 août 2016 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:15 juillet 2021

Objet:Restriction de la liberté d’expression d’un avocat de la défense ; restrictions autorisées de la liberté d’expression ; procès équitable

Question(s) de procédure:Fondement des griefs

Question(s) de fond:Liberté d’expression ; Garanties d’un procès équitable

Article(s) du Pacte:14 (par. 1, 2 et 3 a), b) et d)) et 19

Article(s) du Protocole facultatif:2

1.L’auteur de la communication est Aleh Aheyeu, de nationalité bélarussienne, né en 1977. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1, 2 et 3 a), b) et d)) et de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1De 2004 au 14 février 2011, l’auteur a exercé la profession d’avocat ; il était inscrit au barreau de Minsk.

2.2Le 20 décembre 2010, l’auteur a été engagé par Ales Mikhalevich, ancien candidat à l’élection présidentielle du 19 décembre 2010. Le jour même, M. Mikhalevich avait été arrêté et conduit au centre de détention provisoire du Comité de la sécurité de l’État (KGB) pour avoir organisé des émeutes et un rassemblement afin de protester contre les résultats de l’élection qui avait eu lieu la veille. Au centre de détention, M. Mikhalevich et d’autres détenus étaient privés de soins médicaux, ne pouvaient recevoir de colis de la part de leur famille ni communiquer avec leurs avocats et étaient victimes de torture.

2.3Le 23 décembre 2010, des commentaires de l’auteur concernant la réception de colis au centre de détention du Comité de la sécurité de l’État ont été publiés par euroradio.by, site de radiodiffusion en ligne, dans un article dans lequel il était dit que l’inspecteur chargé d’enquêter sur les faits reprochés à M. Mikhalevich était surpris qu’aucun colis ne soit accepté au centre de détention. Selon l’article, aucun colis n’avait été réceptionné au cours des trois premiers jours de détention de M. Mikhalevich.

2.4Le 29 décembre 2010, le Ministère de la justice a publié sur sa page Web une déclaration concernant des infractions présumées à la loi relative aux avocats. Selon cette déclaration, des avocats chargés de défendre des personnes ayant participé, les 19 et 20 décembre, à l’organisation d’émeutes, à une tentative de prise de contrôle des institutions publiques et de destruction de biens, et à une tentative de résistance armée aux représentants des pouvoirs publics avaient gravement enfreint les règles de déontologie et la législation applicables aux avocats, notamment la loi relative aux avocats. Il était précisé dans la déclaration qu’un certain nombre d’entre eux avaient, en particulier, abusé de leur droit de représenter leurs clients en diffusant des informations mensongères au sujet de la conduite de l’enquête, de leur capacité à défendre leurs clients, et de l’état de santé et des conditions de détention de ceux-ci, ainsi que des informations biaisées sur le travail des forces de l’ordre.

2.5Le 5 janvier 2011, le Ministère de la justice a adressé un avertissement à l’auteur, dont il ressortait que, selon les informations diffusées par euroradio.by le 23 décembre 2010, l’auteur avait tenu des propos incorrects au sujet du fonctionnement du centre de détention provisoire du Comité de la sécurité de l’État, que ses déclarations avaient outrepassé les limites fixées aux fins de la réglementation de l’exercice de la profession d’avocat et enfreint les dispositions de la loi relative aux avocats, et qu’elles étaient contraires aux règles de déontologie des avocats. Sur le fondement de l’article 75 du règlement sur l’octroi d’agréments aux fins de l’exercice de certaines activités, le Ministère de la justice a recommandé à l’auteur de prendre des mesures pour garantir qu’aucune information mensongère ne soit communiquée aux médias. L’auteur avait jusqu’au 15 janvier 2011 pour rendre compte des mesures prises. Conformément à l’article 76 du règlement précité, en cas de non-application des recommandations, il se verrait retirer son autorisation d’exercer le droit.

2.6Le 13 janvier 2011, l’auteur a envoyé une lettre au rédacteur en chef d’euroradio.by lui demandant de ne pas publier d’informations le concernant sans son consentement. Le jour même, il en a informé le Ministère de la justice.

2.7Du 14 janvier au 14 février 2011, un groupe de travail a été créé au sein du Ministère de la justice sur recommandation du Comité de la sécurité de l’État. Le groupe de travail a réalisé un audit des activités des avocats du barreau de Minsk, pour déterminer si la législation régissant l’exercice de la profession d’avocat était appliquée. Dans le cadre de cet audit, des contrats ont été saisis au cabinet de l’auteur.

2.8Le 14 février 2011, la Commission des qualifications chargée d’examiner l’activité des avocats s’est réunie. Elle a conclu qu’il fallait retirer à l’auteur son autorisation d’exercer le droit puisque, moins de douze mois après la recommandation du 5 janvier 2011, il avait commis une infraction incompatible avec les dispositions de la législation régissant l’exercice de la profession d’avocat. Le jour même, le Ministère de la justice a signé une décision prévoyant le retrait de l’autorisation d’exercer délivrée à l’auteur.

2.9L’auteur n’a pas été informé de cette décision avant le 17 février 2011, date à laquelle le retrait de son autorisation d’exercer lui a été notifiée.

2.10L’auteur a saisi le tribunal du district Maskowski de Minsk pour contester la décision de retrait rendue par le Ministère de la justice, dénonçant la violation de son droit à la liberté d’expression et faisant valoir qu’il était contraire à la loi de sanctionner une opinion qu’il avait exprimée de bonne foi, dans l’intérêt de son client et pour satisfaire au besoin d’information du public au sujet de la détention provisoire. Le tribunal l’a débouté de son recours le 26 avril 2011. L’auteur a ensuite interjeté appel devant le tribunal municipal de Minsk le 29 juin 2011, et a été débouté le 28 novembre 2011.

2.11L’auteur ajoute que, dans les observations finales qu’il a adoptées en 1997 concernant le Bélarus, le Comité des droits de l’homme a constaté avec préoccupation que le Ministère de la justice avait compétence pour autoriser les avocats à exercer, ce qui portait atteinte à leur indépendance. L’État partie a été prié de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’indépendance des juges et des avocats en veillant à ce que ceux-ci ne soient soumis à aucune pression politique ou autre, mais il n’en a rien fait. Au contraire, en 2011, le Ministère de la justice a exercé son rôle d’organisme chargé de l’octroi d’agréments d’une manière constitutive d’une ingérence dans l’activité professionnelle des avocats, d’actes de répression à l’égard de certains avocats et d’une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1, 2 et 3 a), b) et d)) et de l’article 19 (par. 2) du Pacte ont été violés.

3.2L’auteur affirme qu’en lui interdisant d’exercer ses fonctions d’avocat et en le sanctionnant pour avoir exprimé une opinion, on a restreint de façon injustifiée son droit à la liberté d’expression. Il soutient qu’il importe que les avocats puissent jouir de la liberté d’expression car cela leur permet de s’exprimer publiquement sur des questions d’intérêt général. Les Principes de base relatifs au rôle du barreau énoncent le droit des avocats à la liberté d’expression et d’opinion, en particulier leur droit de prendre part aux débats publics sur des questions concernant le droit, l’administration de la justice, la protection des droits de l’homme et la prévention des atteintes à ces droits, et leur obligation d’être toujours guidés par le droit et la déontologie. Dans sa recommandation générale no 34 (2011), le Comité des droits de l’homme a indiqué que le droit à la liberté d’expression ne pouvait être soumis qu’aux seules restrictions satisfaisant aux conditions particulières prévues par l’article 19 (par. 3) du Pacte. En outre, toute restriction du droit à la liberté d’expression doit être prévue par la loi et respecter strictement les principes de nécessité et de proportionnalité.

3.3L’auteur affirme que le Ministère de la justice a justifié l’application d’une sanction contre lui en invoquant les dispositions suivantes :

a)L’article 18 de la loi relative aux avocats (qui dispose qu’un avocat, dans l’exercice de ses fonctions, jouit de la liberté de s’exprimer, verbalement et par écrit, dans les limites fixées au regard de la finalité de sa profession et par les dispositions de cette loi) ;

b)Les articles 3 et 9 des Règles de déontologie applicables aux avocats, qui prévoient que l’avocat doit respecter la loi et se conformer aux règles de déontologie, en préservant constamment la dignité et l’honneur de sa profession en sa qualité de participant à l’administration de la justice et de militant dans l’espace public, mais aussi en se montrant lui-même digne et honorable. L’avocat s’acquitte librement, en toute indépendance et en toute confidentialité, avec dignité, tact, honnêteté et diligence, et sans ingérence ni pressions, de l’obligation professionnelle qui lui incombe de respecter les droits et les intérêts de ses clients.

3.4L’auteur fait observer que les dispositions précitées n’interdisent aucunement à un avocat de faire des déclarations publiques si celles-ci ne sont pas contraires à la déontologie. Il souligne que ses déclarations ne constituaient en rien un manquement à la déontologie.

3.5L’auteur soutient par conséquent qu’il ne s’imposait pas, au regard des dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte, qu’on le sanctionne pour avoir fait une déclaration ; en d’autres termes, la sanction en question n’était aucunement nécessaire à la protection des droits et de la réputation d’autrui ni à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Son droit à la liberté d’expression a donc été illégalement restreint.

3.6L’auteur soutient que l’article 14 s’applique à la procédure de retrait des autorisations d’exercer la profession d’avocat. Le droit à la représentation en justice, de nature privée, repose sur la signature d’un mandat privé de représentation en justice entre l’avocat et la personne à représenter. L’article 14 (par. 1) du Pacte traite de la privation du droit à la défense. L’auteur souligne que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a adopté une approche semblable concernant la profession d’avocat dans les affaires H. c. Belgique (30 novembre 1987) et Buzescu v. Romania (24 mai 2005).

3.7L’auteur ajoute qu’au plan international, des garanties ont été expressément prévues pour les avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Les Principes de base relatifs au rôle du barreau prévoient que toutes les accusations portées contre des avocats dans l’exercice de leurs fonctions sont examinées objectivement selon les procédures appropriées par un organe ou un tribunal indépendant. La Cour internationale de Justice interprète la notion de procédure appropriée comme désignant un processus mis en œuvre dans le respect du droit à un procès équitable tel qu’énoncé à l’article 14 du Pacte et à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Dans le cadre d’une procédure appropriée, l’avocat est informé de la nature des accusations portées contre lui et des éléments sur lesquels ces accusations reposent ; l’avocat et ses représentants doivent disposer du temps et des moyens nécessaires pour préparer leur défense et expliquer leur position ; ils doivent avoir la possibilité de contester les témoignages et les preuves à charge, notamment en faisant citer et en interrogeant des témoins.

3.8La législation en vigueur dans l’État partie au moment des faits comportait des dispositions prévoyant que les cas de violation des règles de déontologie applicables aux avocats devaient être examinés par l’organisme de réglementation compétent, à savoir le Présidium du barreau de Minsk, qui a compétence en matière disciplinaire (voir la loi relative aux avocats, art. 21, et la décision no 23 du Comité des ministres en date du 10 mars 2009 sur certaines mesures concernant l’application de mesures disciplinaires aux avocats). Ces dispositions prévoyaient que les accusations portées contre un avocat devaient faire l’objet d’un examen qui devait être réalisé par un organe indépendant et devait s’accompagner de certaines garanties procédurales d’équité, et notamment que l’avocat devait pouvoir participer à la procédure.

3.9Or, contrairement à ce que prévoit l’article 14 (par. 1 et 3) du Pacte, le cas de l’auteur a été examiné par un organe non indépendant, la Commission des qualifications du Ministère de la justice. La Commission des qualifications est présidée par un adjoint au Ministre de la justice et la plupart de ses membres appartiennent à l’exécutif (7 membres de la Commission viennent du Ministère de la justice, 2 sont des juges, 1 membre fait partie du personnel de l’Université d’État, 1 autre de celui du Ministère de l’intérieur, 1 autre encore est membre du Parlement, et seuls 6 sont avocats). Le 14 février 2011, lors de l’examen du dossier de l’auteur, seuls quatre des six avocats étaient présents. Les deux autres n’avaient pas pu l’être, ayant été avertis à peine une heure avant le début de la séance. La Commission des qualifications ne s’est pas renseignée sur l’auteur auprès du barreau de Minsk. L’auteur signale que le Président du barreau a été démis de ses fonctions, le 18 février 2011, après avoir fait une déclaration publique dans les médias en soutien aux avocats qui s’étaient vu retirer leur autorisation d’exercer le 14 février 2011.

3.10L’auteur n’a pas été informé des accusations portées contre lui et n’en a eu connaissance que lorsque la Commission des qualifications a décidé de lui retirer son autorisation d’exercer ; il n’a pas été convoqué à la réunion. La procédure s’est donc déroulée en son absence et il a été empêché de préparer et de présenter sa défense, de contester les accusations portées contre lui et la composition de la Commission des qualifications, et de demander la récusation des trois membres de la Commission des qualifications qui représentaient le Ministère de la justice et prenaient directement part à l’examen de son dossier. L’auteur affirme que ces défaillances constituent une violation des droits qui lui sont reconnus par l’article 14 (par. 1 et 3 a), b) et d)) du Pacte.

3.11Dans le cas de l’auteur, le Ministère de la justice a appliqué une législation contraire au Pacte. Le règlement sur l’octroi d’agréments lui confère un droit de regard absolu sur l’activité des avocats et lui permet notamment de prendre connaissance de l’intégralité des informations ayant trait aux activités des avocats, la non-communication de ces informations étant passible de sanctions. En vertu de ce règlement, le Ministère peut prendre des sanctions à l’égard des avocats, y compris des sanctions assimilables à une radiation du barreau, contournant ainsi la procédure disciplinaire mise en place au sein de leur association professionnelle. Ce règlement méconnaît les garanties spécialement prévues pour les avocats, notamment la garantie de confidentialité et la règle selon laquelle seul un organe indépendant peut examiner la conduite professionnelle d’un avocat, selon une procédure équitable, lorsque la responsabilité de l’avocat concerné est engagée. L’application du règlement à l’auteur est contraire au principe de l’indépendance des avocats, qui constitue le fondement même du droit à la défense et du droit d’être assisté par un conseil.

3.12L’auteur affirme que les considérations susmentionnées font apparaître une violation des droits qui lui sont reconnus par l’article 19 (par. 2) et par l’article 14 (par. 1, 2 et 3 a), b) et d)) du Pacte. Il demande que l’État partie lui offre une réparation effective, et notamment qu’il lui restitue son agrément et lui verse des indemnités suffisantes, et qu’il prenne des mesures pour garantir, à l’avenir, que des violations analogues ne se produisent pas, et notamment qu’il fasse en sorte que sa loi relative aux avocats soit conforme au Pacte et aux normes internationales relatives à l’indépendance des avocats.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 23 janvier 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. L’État partie souligne que le Ministère de la justice a décidé, le 14 février 2011, de retirer à l’auteur son autorisation d’exercer le droit pour entrave à la conduite d’activités visant à contrôler l’application de la législation sur l’octroi d’agréments par un organisme chargé de délivrer des agréments et pour communication d’informations inexactes concernant de graves manquements à des obligations contractuelles.

4.2L’auteur a formé un recours contre cette décision. Le 26 avril 2011, le tribunal du district Maskowski de Minsk l’a débouté de son recours. La légalité de cette décision a ensuite été examinée par le tribunal municipal de Minsk. Le 28 novembre 2011, le tribunal municipal a débouté l’auteur de son recours, confirmant le jugement initialement rendu par le tribunal de district.

4.3Selon les articles 436 et 437 du Code de procédure pénale, les décisions passées en force de chose jugée peuvent être réexaminées dans l’ordre de révision établi. L’article 439 du Code prévoit que les demandes de réexamen peuvent être introduites par le Président de la Cour suprême ou ses assesseurs, les présidents des tribunaux régionaux ou du tribunal municipal de Minsk, ou encore le Procureur général ou ses substituts. L’auteur aurait pu user de la procédure de réexamen au titre du contrôle juridictionnel pour contester la décision rendue par le tribunal du district Maskowski de Minsk après que celle-ci fut devenue exécutoire, mais il ne l’a pas fait. Il n’a pas davantage saisi le ministère public au titre de la procédure de contrôle juridictionnel. L’auteur n’a donc pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes et sa communication devrait être déclarée irrecevable.

4.4L’État partie relève que, selon les dires de l’auteur, prendre la décision en cause revenait de fait, pour le Ministère de la justice, à le sanctionner pour avoir fait une déclaration publique dans l’intérêt de son client et, par conséquent, les actions du Ministère peuvent être considérées comme constitutives d’une restriction apportée au droit de l’auteur à la liberté d’expression, restriction constitutive d’une violation de l’article 19 du Pacte. L’État partie fait observer que les conclusions concernant la persécution subie par l’auteur de la part de l’organisme chargé de l’octroi des agréments relèvent de l’opinion personnelle de l’auteur, reposent sur de simples hypothèses et ne peuvent être objectivement vérifiées.

4.5En outre, l’obligation que la loi relative aux avocats fait à ceux-ci de respecter les règles de déontologie ne saurait être considérée comme une restriction au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte. Les droits que l’auteur tient du Pacte n’ont donc pas été violés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 12 avril 2017, l’auteur a adressé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il relève, en premier lieu, que les demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle juridictionnel ne constituent pas un recours interne utile qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il explique qu’un recours en révision au titre de la procédure de contrôle n’entraîne pas le réexamen de l’affaire. Le requérant prend d’abord contact avec un responsable − le Président d’un tribunal ou un procureur − à qui il soumet une demande aux fins de l’introduction d’un recours en révision. En soi, cette démarche ne déclenche pas la procédure en question ; il s’agit simplement d’une demande adressée à un fonctionnaire pour que celui-ci envisage la possibilité d’engager la procédure. Ce n’est que lorsque le Président d’un tribunal ou un procureur introduit lui-même une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle juridictionnel que ladite procédure est engagée. Les demandes de réexamen sont examinées par un organe collégial, le Présidium du tribunal. En outre, il est procédé à cet examen de manière unilatérale, à huis clos.

5.2En application de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, le Comité ne peut examiner une communication lorsque les recours internes n’ont pas été épuisés. Toutefois, selon la pratique constante du Comité, cette règle ne concerne que les recours disponibles et accessibles. Le Comité a constaté que la procédure de contrôle juridictionnel visant à contester des décisions passées en force de chose jugée, procédure dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un fonctionnaire, portait strictement sur des points de droit. Il estime par conséquent que le réexamen au titre de la procédure de contrôle juridictionnel ne constitue pas un recours utile aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

5.3L’auteur conteste en outre les observations de l’État partie selon lesquelles il n’y aurait pas eu violation des droits qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Comme suite à la décision rendue par la Commission des qualifications le 14 février 2011, l’auteur s’est vu retirer son autorisation d’exercer, notamment pour avoir commis une deuxième infraction à la législation sur l’octroi d’agréments. S’agissant de la première violation, les autorités ont produit une recommandation du Ministère de la justice datée du 5 janvier 2011 dont il ressortait que l’auteur avait tenu des propos incorrects au sujet du fonctionnement du centre de détention du Comité de la sécurité de l’État. Le Ministère estimait que ces déclarations avaient outrepassé les limites fixées au regard de l’objet de la loi relative aux avocats et qu’elles étaient contraires aux règles de déontologie applicables aux avocats. En vertu de l’article 75 du règlement sur l’octroi d’agréments aux fins de l’exercice de certaines activités, le Ministère de la justice a recommandé à l’auteur de ne pas communiquer d’informations mensongères aux médias. L’auteur a été averti qu’en application de l’article 76 du règlement précité, s’il ne donnait pas suite à la recommandation, il se verrait retirer son autorisation d’exercer. Selon lui, en exerçant son droit à la liberté d’expression dans l’intérêt de son client au cours d’un entretien accordé à euroradio.by, il avait, de l’avis du Ministère de la justice, donné une fausse image du fonctionnement du centre de détention du Comité de la sécurité de l’État.

5.4Le 13 janvier 2011, en réponse à cette recommandation, l’auteur a écrit au Ministère de la justice. Dans cette communication, il souligne qu’il jouit, dans l’exercice de ses fonctions, du droit à la liberté de s’exprimer, verbalement et par écrit, dans les limites fixées au regard de l’objet de la loi relative aux avocats et par les règles régissant la déontologie de la profession d’avocat. Or, en dépit de tout cela, l’entretien en question a contribué à motiver le retrait de son agrément.

5.5L’auteur affirme une fois de plus que l’analyse de ses déclarations ne fait apparaître aucune infraction à la loi relative aux avocats ni aucun manquement aux règles de déontologie de sa profession. Les déclarations en question ont été faites dans les règles sans excéder les limites de la critique autorisée à l’égard des autorités de l’État chargées de garantir des conditions de détention convenables. Elles ne constituaient même pas en soi une critique, ni n’ont outrepassé les obligations professionnelles qui incombent habituellement à un avocat en matière de conseil ; il s’agissait simplement de relayer des informations concernant la réception de colis par les détenus. Elles ont retenu l’attention en raison de l’intérêt apparent du public à l’égard de la question du respect des droits des détenus, parmi lesquels son client, ancien candidat à l’élection présidentielle arrêté à l’issue des élections. Il s’agissait donc de déclarations faites de bonne foi qui concernaient un problème d’intérêt général et auraient dû être soumises au débat public.

5.6Le Ministère de la justice a réagi aux déclarations de l’auteur publiées sur euroradio.by en adressant à celui-ci une recommandation dont la non-application était passible de sanctions, puisque l’auteur risquait de se voir retirer son autorisation d’exercer. En sanctionnant ainsi l’auteur pour avoir fait des déclarations publiques dans les médias, l’État a violé le droit de celui-ci à la liberté d’expression.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas saisi la Cour suprême ni le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle juridictionnel. Il rappelle, en premier lieu, que les demandes de réexamen de décisions passées en force de chose jugée dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire du Bureau du Procureur ne constituent pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. S’agissant des demandes de même nature introduites devant la Cour suprême, le Comité rappelle qu’elles constituent un recours extraordinaire, dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge. Il appartient donc à l’État partie de démontrer qu’une telle demande aurait des chances d’aboutir en l’espèce. En l’absence de renseignement à ce sujet de la part de l’État partie, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

6.4S’agissant des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 2 et 3) du Pacte, le Comité rappelle que les garanties prévues par cette disposition s’appliquent dans le contexte de procédures visant à décider du bien-fondé d’une accusation en matière pénale. En l’espèce, l’auteur a été accusé d’avoir enfreint la législation régissant l’exercice de la profession d’avocat et d’avoir enfreint les règles de déontologie de la profession, mais n’a pas fait l’objet de poursuites pénales ni n’a été officiellement inculpé de faits de nature pénale. Dans ces circonstances, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a suffisamment étayé ses autres griefs, qui soulèvent des questions au regard des articles 14 (par. 1) et 19 (par. 2) du Pacte. Il déclare les griefs susdits recevables et passe à l’examen de la communication au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur dit avoir été victime d’une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. L’auteur soutient que les dispositions de l’article 14 (par. 1) s’appliquent à la procédure de retrait des autorisations d’exercer la profession d’avocat étant donné que ces dispositions portent sur la privation du droit à la défense et que ce droit, de nature privée, repose sur la signature d’un mandat privé de représentation en justice avec la personne à représenter.

7.3Pour l’auteur, la sanction dont il a fait l’objet n’était pas de caractère disciplinaire puisqu’elle a été infligée par un organe de l’État et non par un organe disciplinaire du barreau de Minsk. En outre, selon le règlement sur l’octroi d’agréments, n’importe quel type d’agrément peut être retiré ; en d’autres termes, les dispositions de la réglementation relatives à l’octroi d’agréments sont de caractère général. D’autre part, l’auteur fait valoir que le retrait de son agrément équivalait à une interdiction d’exercer sa profession. En d’autres termes, il s’agissait d’une mesure extrêmement sévère, analogue à celle prévue par l’article 51 du Code pénal relatif à l’interdiction d’exercer certaines activités. L’article 14 du Pacte s’applique donc en l’espèce.

7.4Le Comité rappelle que la notion de détermination des droits et obligations de caractère civil est complexe. Elle est formulée différemment dans les différentes versions linguistiques du Pacte, qui néanmoins font toutes également foi aux termes de l’article 53 du Pacte, et l’examen des travaux préparatoires ne permet pas de résoudre ces divergences. Le Comité note que le « caractère civil », ou l’équivalent de cette notion dans les autres langues, dépend de la nature du droit en question et non pas du statut de l’une des parties ou de l’organe qui est appelé, dans le système juridique interne concerné, à statuer sur les droits en question. Cette notion englobe : a) les procédures judiciaires visant à déterminer le bien-fondé de contestations sur les droits et obligations relevant du domaine des contrats, des biens et de la responsabilité civile en droit privé ; b) les procédures concernant des concepts équivalents en droit administratif, tels que le licenciement de fonctionnaires pour des motifs autres que disciplinaires, l’octroi de prestations sociales ou les droits à pension des militaires, ou encore les procédures relatives à l’utilisation des terres du domaine public ou l’appropriation de biens privés. En outre, cette notion peut englober d’autres procédures dont l’applicabilité doit néanmoins être appréciée au cas par cas au vu de la nature du droit concerné. Le Comité considère qu’en l’espèce, il serait question du troisième cas de figure ; il estime que la procédure relative au retrait de l’autorisation d’exercer délivrée à l’auteur relève de la notion de contestation sur des droits et obligations de caractère civil, puisqu’elle impliquait qu’une décision soit rendue sur des droits et obligations de caractère civil.

7.5Le Comité note que, s’agissant de la procédure appliquée par le Ministère de la justice, l’auteur affirme n’avoir pas été informé qu’une procédure d’audit de son activité avait été engagée ni que la Commission des qualifications du Ministère de la justice examinait son dossier, et explique par conséquent qu’il n’avait pas connaissance des accusations portées contre lui et ne pouvait pas préparer sa défense. L’auteur soutient qu’il existait d’autres recours possibles (dont une procédure disciplinaire pouvant être engagée devant le barreau de Minsk) qui auraient pu être envisagés en l’espèce. De plus, les raisons qui ont incité le Comité de la sécurité de l’État à créer la Commission des qualifications restent secrètes. C’est dans ce contexte que les autorités ont saisi, au cabinet de l’auteur, un certain nombre de documents professionnels, notamment des contrats signés avec des clients, des relevés de compte personnel, et des rapports mensuels à l’intention du barreau de Minsk sur différentes affaires et les honoraires perçus, documents qui ont été utilisés par la suite dans le cadre de la procédure engagée contre lui. En outre, ce n’est que le 14 février 2011 que l’auteur a été informé par le Président du barreau de Minsk que son autorisation d’exercer allait lui être retirée, soit peu de temps avant que le Ministère de la justice lui notifie officiellement le retrait, le 16 février 2011.

7.6Le Comité note que, selon les dires de l’auteur, c’est un organe exécutif qui a procédé à l’examen de son activité professionnelle et a décidé de lui retirer son autorisation d’exercer, court-circuitant ainsi l’organisme de réglementation de la profession. Il note également que l’auteur affirme qu’on l’a empêché de s’expliquer pour pouvoir se défendre et d’être représenté par un avocat. Le Comité relève en outre que ces griefs n’ont pas été examinés ni réfutés par l’État partie et décide par conséquent d’y accorder le crédit voulu.

7.7Le Comité considère que les faits tels qu’ils ont été présentés concernant les circonstances du retrait de l’autorisation d’exercer de l’auteur et la manière dont il a été procédé à ce retrait font apparaître une atteinte grave et injustifiable, de la part des autorités de l’État partie, au principe fondamental de l’indépendance des juristes.

7.8En outre, le Comité estime que la sévérité même de la sanction infligée dans la procédure en cause, à l’issue de laquelle l’auteur s’est vu retirer son autorisation d’exercer le droit, exigeait que toutes les garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable soient strictement respectées et appliquées. Il note que l’auteur dit n’avoir pas été informé de la procédure intentée contre lui et n’avoir pas été autorisé à se défendre contre les allégations dont il faisait l’objet, ni à constituer avocat. En outre, la procédure elle-même a été appliquée par un organe composé de membres de l’exécutif, qui a court-circuité l’organisme de réglementation de la profession. Le Comité estime que ces procédures étaient manifestement arbitraires, partiales et contraires au principe de l’indépendance des juristes et, partant, qu’elles étaient incompatibles avec les garanties fondamentales prévues par l’article 14 (par. 1) du Pacte, qui dispose que toute personne accusée doit avoir le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi.

7.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

7.10L’auteur affirme en outre qu’en lui retirant son autorisation d’exercer à titre de sanction, l’État partie a restreint de manière injustifiée et violé son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 19 (par. 2) du Pacte. L’État partie nie avoir violé les droits que l’auteur tient du Pacte. Il fait observer que les conclusions concernant la persécution subie par l’auteur de la part de l’organisme chargé de l’octroi des agréments relèvent ni plus ni moins de l’opinion personnelle de l’auteur, reposent sur de simples hypothèses et ne peuvent être objectivement corroborées. Il ajoute que l’obligation que la loi relative aux avocats fait à ceux-ci de respecter les règles de déontologie ne saurait être considérée comme une restriction des droits garantis par l’article 19 (par. 3) du Pacte.

7.11Renvoyant au paragraphe 13 de son observation générale no 34 (2011), le Comité rappelle que la liberté d’expression exige une presse et d’autres organes d’information libres, en mesure de commenter toute question publique sans censure ni restriction, et capables d’informer l’opinion publique, et que le public a aussi le droit correspondant de recevoir des médias le produit de leur activité. Le Comité note que les avocats jouissent de la liberté d’expression au même titre que les autres citoyens. Ils doivent en particulier avoir le droit de participer au débat public concernant des sujets ayant trait au droit, à l’administration de la justice et à la promotion et à la protection des droits de l’homme.

7.12Le Comité relève qu’à titre de sanction, l’auteur s’est vu retirer son autorisation d’exercer le droit, notamment pour avoir fait une déclaration publique dans les médias au sujet du droit des détenus de recevoir des colis. Parmi ces détenus se trouvait le client de l’auteur, ancien candidat à l’élection présidentielle arrêté à l’issue du scrutin et placé au centre de détention du Comité de la sécurité de l’État. Le Comité estime que le simple fait que l’auteur ait été sanctionné pour s’être exprimé dans les médias constitue une restriction de son droit à la liberté d’expression.

7.13Le Comité doit donc déterminer si la restriction du droit que l’auteur tient de l’article 19 (par. 2) est autorisée au regard des conditions énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte. À ce propos, il rappelle que le droit garanti par l’article 19 (par. 2) n’est pas absolu et qu’il peut être soumis à certaines restrictions. Celles-ci doivent néanmoins être fixées par la loi et n’être imposées que pour l’un des motifs énoncés à l’article 19 (par. 3), c’est-à-dire uniquement lorsqu’elles sont nécessaires à la protection des droits ou de la réputation d’autrui, ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Le Comité rappelle en outre qu’il appartient à l’État partie de démontrer le fondement en droit de toute restriction de la liberté d’expression.

7.14En l’espèce, le Comité note qu’il n’est pas contesté que l’auteur a été sévèrement sanctionné, notamment pour avoir fait une déclaration publique dans les médias. Il relève en outre que ni l’État partie dans le contexte de la présente communication ni les autorités nationales qui sont intervenues en l’espèce, notamment les tribunaux, n’ont donné d’explications pertinentes pour justifier, aux fins de l’article 19 (par. 3) du Pacte, la restriction des droits reconnus à l’auteur par l’article 19 (par. 2). Faute de telles explications, le Comité considère que le droit de l’auteur à la liberté d’expression, garanti par l’article 19 (par. 2) du Pacte, a été restreint de manière injustifiée et violé.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 14 (par. 1) et 19 (par. 2) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres choses, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteur une indemnisation suffisante, et notamment lui rembourser tous frais de justice occasionnés, et garantir qu’il obtienne de nouveau l’autorisation d’exercer la profession d’avocat. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À ce propos, le Comité estime que, conformément aux obligations qui lui incombent au regard de l’article 2 (par. 2) du Pacte, l’État partie devrait revoir sa législation et sa pratique, telles qu’appliquées en l’espèce, afin de garantir la pleine jouissance des droits consacrés par l’article 19 du Pacte sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Nous souscrivons à la conclusion à laquelle le Comité est parvenu dans les constatations qu’il a adoptées concernant la communication no 2862/2016 dont il ressort que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 19 (par. 3) du Pacte. S’agissant de l’article 14 du Pacte, toutefois, nous doutons que seuls aient été violés les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de cette disposition et qu’il n’y ait pas eu également violation d’autres garanties d’un procès équitable.

2.On notera à ce propos que l’auteur dit avoir été victime de violations des droits qui lui sont reconnus non seulement par le paragraphe 1 de l’article 14, mais aussi par les paragraphes 2 et 3 de cette disposition. Or, le Comité n’a pas retenu les griefs soulevés par l’auteur au titre de ces deux derniers paragraphes, considérant que les garanties prévues par ces dispositions s’appliquaient exclusivement dans le contexte de procédures visant à décider du bien-fondé d’une accusation en matière pénale (par. 6.4). En l’espèce, selon le Comité, la procédure relative au retrait de l’autorisation d’exercer délivrée à l’auteur relevait de la notion de contestation sur des droits et obligations de caractère civil, puisqu’elle impliquait qu’une décision soit rendue sur des droits et obligations de caractère civil (par. 7.4). Si nous comprenons ce raisonnement, nous penchons pour une conclusion différente.

3.La relation qui peut exister entre l’auteur et ses clients n’est qu’une conséquence indirecte des violations dont celui-ci a été victime. De fait, la question principale, en l’espèce, concerne la violation directe du droit de l’auteur d’agir en sa qualité d’avocat sans ingérence injustifiée de la part des différents pouvoirs de l’État, en particulier de l’exécutif.

4.L’auteur s’est vu infliger la sanction la plus lourde qu’un avocat en activité puisse encourir, à savoir la radiation, qui en définitive l’empêche de continuer à exercer sa profession. Ce type de sanction est en principe appliqué dans le cadre d’une procédure pénale et comme suite à diverses accusations graves. Selon le droit interne de l’État partie, un avocat doit être sanctionné par l’organisme de réglementation compétent ; il s’agit, en l’espèce, du Présidium du barreau de Minsk, qui est compétent en matière disciplinaire (ainsi que le prévoient l’article 21 de la loi relative aux avocats et la décision du Comité des ministres no 23 du 10 mars 2009 sur certaines mesures concernant l’application de mesures disciplinaires aux avocats). Ces dispositions prévoient que les accusations portées contre un avocat doivent faire l’objet d’un examen qui doit être réalisé par un organe indépendant et doit s’accompagner de garanties procédurales d’équité, et notamment que l’avocat doit pouvoir participer à la procédure (par. 3.7 et 3.8). Or, le cas de l’auteur a été examiné par un organe non indépendant, la Commission des qualifications du Ministère de la justice, qui est dirigée par un adjoint au Ministre de la justice et dont la majorité des membres appartiennent au pouvoir exécutif. Les conditions nécessaires à l’équité d’un procès devant un tribunal n’étaient pas remplies (par. 3.9).

5.L’auteur n’a donc pas fait l’objet d’une procédure disciplinaire engagée par l’organisme compétent en vertu des dispositions applicables de la législation interne régissant l’exercice des professions judiciaires. Il n’a pas davantage fait l’objet d’une procédure pénale, ce qui l’a empêché de se prévaloir de son droit fondamental à la défense énoncé à l’article 14 (par. 2 et 3) du Pacte. En souscrivant à une conception formelle de la notion d’accusation pénale, accusation pénale qu’en l’espèce et pour cette raison même, le Ministère de la justice s’est soigneusement gardé de porter contre l’auteur, le Comité contribue à justifier ce type de comportement de la part de l’État partie, ce qui fragilise la position des victimes et assouplit les conditions à remplir pour garantir le respect de leurs droits et libertés.

6.Le Comité a systématiquement considéré que les prescriptions de l’article 14 (par. 1) du Pacte s’appliquaient généralement aux affaires pénales comme aux procédures civiles, et que la notion de droit à un procès équitable pouvait également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, devaient être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Comme l’a indiqué le Comité au paragraphe 15 de son observation générale no 32 (2007) :

Le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi est garanti, selon la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14, dans les procédures visant à décider soit du bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre l’intéressé soit d’une contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne. Cette notion peut également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité.

7.C’est précisément le cas en l’espèce, puisque la sanction imposée, motivée pourtant par des faits relativement insignifiants, était extrêmement lourde et a été infligée hors de tout cadre pénal, et même judiciaire, ce qui a empêché l’auteur de se prévaloir de son droit le plus fondamental à la défense. Compte tenu de sa finalité, la sanction, qui doit avoir un effet à la fois dissuasif et répressif, doit être considérée comme étant de nature pénale et est en fait analogue à celle prescrite par l’article 51 du Code pénal du Bélarus relatif à l’interdiction d’exercer certaines activités (par. 7.3). En outre, le cas de l’auteur ne semble malheureusement pas isolé ; au contraire, il met en évidence un mode de comportement inquiétant de la part de l’État partie à l’égard des avocats (par. 2.4 et 2.11).

8.Le Comité a considéré précédemment, dans des cas où une mesure de détention avait été imposée dans le cadre d’une procédure administrative pour une infraction administrative, que certains régimes de détention qui aboutissaient à un internement contournaient les contrôles stricts instaurés par les règles de procédure pénale. En l’espèce, l’État partie semble s’être fondé sur le même raisonnement. Or, en l’espèce, aucune procédure n’a été engagée devant un tribunal : une sanction arbitraire, prononcée par une autorité politique, a été infligée à l’auteur en dehors de toute procédure formelle, administrative ou pénale.

9.Nous aurions donc conclu à la violation par l’État partie de l’article 14 (par. 1, 2 et 3) du Pacte. Une telle conclusion aurait permis à l’auteur de revendiquer tous les droits à la défense prévus en matière pénale.