Nations Unies

CCPR/C/134/D/2698/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

1er septembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2698/2015 * , **

Communication présentée par :

R. A. (non représentée par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

4 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

24 mars 2022

Objet :

Traitement inhumain et dégradant ; liberté d’expression ; droit de réunion pacifique ; droit à un recours utile

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes, fondement des griefs

Question(s) de fond :

Traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté d’expression ; droit de réunion pacifique ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3 a)), 7, 19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteure de la communication est R. A., de nationalité kazakhe, née en 1949. Elle affirme que le Kazakhstan a violé les droits qu’elle tient des articles 2 (par. 3 a)), 7, 19 et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 septembre 2009. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 12 février 2016, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond. Le 30 décembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté cette demande.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Pendant plusieurs années, l’auteure et un groupe de ses partisans se sont réunis le 30 de chaque mois sur une place d’Almaty pour dénoncer la corruption et les violations des droits de l’homme. Le 30 août 2013, constatant qu’aucune suite n’était donnée à leurs plaintes, ils ont fait savoir aux autorités qu’ils envisageaient de défiler jusqu’à la résidence du Président du Kazakhstan.

2.2Le 4 octobre 2013, l’auteure et ses partisans ont décidé de défiler jusqu’à la résidence du Président et de solliciter une entrevue avec celui-ci. Alors qu’ils se dirigeaient vers la résidence, des policiers leur ont barré la voie, disant qu’ils n’étaient pas autorisés à s’approcher de la résidence présidentielle. Des employés de l’administration municipale (akimat) les ont invités à se rendre au siège de l’administration municipale pour s’adresser au maire (akim).

2.3À la mairie, l’auteure et ses partisans ont demandé à rencontrer le maire ou, du moins à recevoir un rendez-vous à une date et une heure précises. Ils se sont heurtés aux policiers de garde, qui leur ont demandé de quitter les lieux. En réaction à l’indignation du groupe, des policiers qui venaient d’arriver ont saisi l’auteure, lui ont immobilisé les bras derrière le dos, l’ont poussée dans un fourgon et l’ont conduite (avec d’autres personnes) à un poste de police.

2.4L’auteure n’a pas été informée des motifs de son arrestation. En outre, le procès-verbal d’arrestation n’a été rédigé que trois heures après les faits. Plus tard dans la même journée, l’auteure a été traduite devant un tribunal, où elle a été accusée et reconnue coupable de violation de l’article 355 (par. 2) du Code des infractions administratives, et condamnée à une amende de 86 550 tenge. Elle soutient que le juge présidant l’audience n’a pas tenu compte de sa demande de faire visionner l’enregistrement vidéo de son arrestation par les membres du tribunal. Lorsqu’elle s’est plainte de ce que l’amende était deux fois et demie supérieure à sa pension mensuelle, le juge lui a suggéré de faire appel.

2.5Le 11 octobre 2013, l’auteure a formé un appel, qui a été rejeté le 22 octobre 2013. Elle demandait l’annulation de la décision rendue par le tribunal le 4 octobre 2013 au motif, entre autres, que les policiers avaient fait un usage disproportionné de la force à son égard et qu’elle avait été empêchée d’avoir une entrevue avec le maire, alors qu’elle avait le droit de prendre part à la gestion des affaires publiques et de former des recours en justice. Dans sa décision, la cour d’appel a repris le raisonnement du tribunal de première instance, sans même examiner les griefs soulevés par l’auteure. Celle-ci a alors saisi le Bureau du Procureur de district d’une plainte, qui a été rejetée le 9 janvier 2014. Elle a également formé des recours devant le Bureau du Procureur général, qui ont été rejetés les 29 avril et 6 juin 2014. Elle affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que le traitement que lui ont infligé les policiers à la mairie, quand ils lui ont immobilisé les bras derrière le dos, l’ont forcée à sortir du bâtiment et poussée dans un fourgon de police et l’ont conduite (avec d’autres personnes) à un poste de police, a constitué une violation par l’État partie de l’article 7 du Pacte.

3.2L’auteure soutient que le fait de l’avoir reconnue coupable d’une infraction administrative parce qu’elle avait cherché à obtenir des réponses aux requêtes formulées par elle-même et ses partisans a constitué une violation par l’État partie de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

3.3L’auteure fait valoir qu’en sollicitant une entrevue avec le maire, elle n’a en rien menacé la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la protection de la santé ou de la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et qu’il y a donc eu violation de l’article 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale du 12 février 2016, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, sur le fondement de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 (al. b) et d)) du Règlement intérieur du Comité. Il allègue que la communication de l’auteure est incompatible avec les dispositions du Pacte en ce qu’elle a trait à une violation alléguée d’un droit qui n’est pas consacré par le Pacte : en effet, l’auteure a été reconnue coupable de l’infraction administrative visée à l’article 355 (par. 2) du Code des infractions administratives pour avoir « méprisé de manière flagrante les injonctions légitimes d’agents du Ministère de l’intérieur », sans rapport avec les restrictions des droits qu’elle tient des articles 7, 19 et 21 du Pacte.

4.2L’État partie fait valoir qu’en réaction aux injonctions légitimes des policiers, à savoir qu’elle prenne rendez-vous avec le maire ou dépose sa requête auprès du secrétariat et quitte les lieux, l’auteure a refusé d’obtempérer, s’est mise à gesticuler, a bousculé les agents et a tenté de leur échapper. Selon l’État partie, l’auteure dénonce abusivement une violation de l’article 7 du Pacte au moment de son arrestation, car elle n’a subi aucun traitement inhumain ou dégradant. En outre, elle aurait pu déposer plainte devant un tribunal ou un procureur au sujet des actes commis par la police, mais n’en a rien fait.

4.3L’État partie soutient que le fait que l’auteure ait été reconnue coupable de l’infraction administrative visée à l’article 355 (par. 2) du Code des infractions administratives n’a pas limité son droit à la liberté d’expression ni son droit de réunion. En l’espèce, le comportement de l’auteure n’a pas été assimilé à « l’organisation et la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques ».

Observations complémentaires de l’auteure

5.Le 1er mars 2016, l’auteure a informé le Comité que son appartement avait été saisi par des huissiers de justice parce qu’elle n’était pas en mesure de payer l’amende qui lui avait été infligée en application de l’article 355 (par. 2) du Code des infractions administratives ; elle avait toutefois payé cette amende grâce à l’aide financière fournie par d’autres retraités.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par une note verbale du 27 juin 2016, l’État partie a communiqué des renseignements complémentaires. Il indique que le Procureur général adjoint du Kazakhstan a accueilli la demande présentée par l’auteure au titre de la procédure de contrôle et que la décision de justice du 4 octobre 2013 est susceptible d’appel devant la Cour suprême.

6.2Par une note verbale du 19 juillet 2016, l’État partie a fait savoir que, le 1er juillet 2016, le Bureau du Procureur général avait fait appel, devant la Cour suprême, de la décision de justice du 4 octobre 2013.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 1er octobre 2016, l’auteure a fait savoir que, le 21 juillet 2016, la Cour suprême avait fait droit à l’appel interjeté par le Procureur et annulé les décisions de justice des 4 et 22 octobre 2013.

7.2L’auteure affirme que, dans sa décision du 21 juillet 2016, la Cour suprême n’a pas désigné nommément les personnes qui avaient porté atteinte à ses droits. Elle donne le nom des personnes qu’elle considère responsables de la violation de ses droits. Elle ajoute que, n’ayant pas pris part aux audiences de la Cour suprême par crainte de s’y rendre, elle n’a pas pu y présenter ses arguments et ses griefs.

7.3Le 2 février 2017, l’auteure a informé le Comité que l’État partie ne lui avait assuré aucun recours, contrairement à ce que prévoit l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte. C’est pourquoi elle a saisi le Président du Kazakhstan, le Procureur général et le Président de la Cour suprême, leur demandant de se prononcer sur les actes des fonctionnaires responsables. Les réponses qu’elle a reçues étaient purement formelles.

Observations complémentaires de l’État partie

8.Par une note verbale du 7 février 2017, l’État partie a indiqué que, le 21 juillet 2016, la Cour suprême avait annulé les décisions de justice des 4 et 22 octobre 2013, faute d’éléments matériels caractérisant l’infraction administrative, celle-ci n’ayant pas été commise.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité note que, selon l’État partie, la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 (al. b) et d)) de son règlement intérieur en ce qu’elle a trait à une violation alléguée d’un droit qui n’est pas consacré par le Pacte : en effet, l’auteure a été reconnue coupable de l’infraction administrative visée à l’article 355 (par. 2) du Code des infractions administratives pour avoir « méprisé de manière flagrante les injonctions légitimes d’agents du Ministère de l’intérieur », sans rapport avec les restrictions des droits qu’elle tient des articles 7, 19 et 21 du Pacte. Le Comité prend note des griefs expressément soulevés par l’auteure au titre des articles 2 (par. 3 a)), 7, 19 et 21 du Pacte et signale que celle-ci n’a invoqué aucun autre droit qui n’est pas énoncé dans le Pacte.

9.4Le Comité prend note du grief supplémentaire soulevé par l’auteure le 2 février 2017, selon lequel l’État partie ne lui a pas assuré de recours, contrairement à ce que prévoit l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel le fait de l’avoir reconnue coupable d’une infraction administrative parce qu’elle avait cherché à obtenir des réponses à ses requêtes a constitué d’une violation par l’État partie de l’article 19 (par. 2) du Pacte, et de son argument selon lequel les droits qu’elle tient de l’article 21 ont été violés car, par sa demande d’entrevue avec le maire, elle n’avait en rien menacé la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la protection de la santé ou de la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Le Comité prend note également de la position de l’État partie selon laquelle le fait que l’auteure ait été reconnue coupable de l’infraction administrative visée à l’article 355 (par. 2) du Code des infractions administratives n’a pas limité son droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique. Il prend note en outre des observations de l’État partie et de l’auteure selon lesquelles, le 21 juillet 2016, la Cour suprême a annulé les décisions de justice des 4 et 22 octobre 2013, faute d’éléments matériels caractérisant l’infraction. Il rappelle que les auteurs sont tenus de démontrer dans leurs communications qu’ils ont épuisé tous les recours internes. Il fait observer qu’en l’espèce, l’auteure n’a pas démontré qu’elle avait soulevé, devant les autorités nationales, les griefs qu’elle tire des articles 19 et 21 du Pacte, et qu’elle n’a pas suffisamment étayé l’affirmation selon laquelle son droit à la liberté d’expression et son droit de réunion pacifique ont été violés. Dans ces conditions, le Comité conclut que les griefs que l’auteure tire des articles 19 et 21 du Pacte sont irrecevables au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

9.6Le Comité fait observer que l’auteure affirme avoir subi un traitement inhumain et dégradant constitutif d’une violation de l’article 7 du Pacte, lorsque, durant l’arrestation à la mairie, les policiers lui ont immobilisé les bras derrière le dos, l’ont forcée à sortir du bâtiment et poussée dans un fourgon de police et l’ont conduite (avec d’autres personnes) à un poste de police. Il prend note de la position de l’État partie selon laquelle l’auteure dénonce abusivement une violation de l’article 7 du Pacte au moment de son arrestation, car elle n’a subi aucun traitement inhumain ou dégradant, mais qu’en réaction aux injonctions légitimes des policiers pour qu’elle prenne rendez-vous avec le maire ou dépose sa requête auprès du secrétariat et quitte les lieux, elle a refusé d’obtempérer, s’est mise à gesticuler, a bousculé les policiers et a tenté de leur échapper. Compte tenu des éléments du dossier, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs et, en particulier, n’a présenté aucun élément montrant que le traitement qu’elle avait subi remplissait, même à première vue, les conditions requises pour constituer une violation de l’article 7 et, qu’en tout état de cause, elle n’a pas commenté la description faite par l’État partie du comportement qu’elle avait eu pendant son arrestation. Par conséquent, le Comité déclare les griefs que l’auteure tire de l’article 7 du Pacte irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure de la communication.