Nations Unies

CCPR/C/130/D/3246/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 août 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 3246/2018 * , **

Communication présentée par :

M. I. (représenté par un conseil, Erik Rosshagen)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Suède

Date de la communication :

18 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 septembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

6 novembre 2020

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Questions de procédure :

Défaut de fondement

Questions de fond :

Non-refoulement

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est M. I., de nationalité afghane, né en 1997. Il est né en Afghanistan, mais lorsqu’il avait 4 ans, sa famille et lui sont partis s’installer en République islamique d’Iran. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 24 septembre 2018, conformément à l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Afghanistan tant que la communication serait à l’examen. Le même jour, l’État partie a décidé de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a demandé l’asile en Suède, mais a été débouté. Au cours de la procédure, il a fait valoir qu’il était membre de l’ethnie hazara ; que, en République islamique d’Iran, il avait eu des problèmes avec un autre homme ; que les conditions générales de sécurité en Afghanistan étaient mauvaises ; et qu’il s’était converti au christianisme. Les autorités de l’État partie ont refusé de lui accorder l’asile et il a fait l’objet d’une décision d’expulsion entrée en vigueur en août 2017. En mai 2018, il a été interpellé en Autriche, à la suite de quoi il a renvoyé en Suède, où il a été placé en détention. Les autorités ont tenté de l’expulser à deux reprises, mais sa santé et son « comportement » les ont empêchées de le faire.

2.2À son retour en Suède, l’auteur a pris contact avec un avocat et une organisation de défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes. Le 25 mai 2018, il a déposé une demande dans laquelle il faisait valoir que des obstacles s’opposaient à l’exécution de la décision d’expulsion, en particulier son orientation sexuelle, son identité de genre et sa santé mentale. L’auteur disait avoir eu peur d’invoquer ces circonstances plus tôt parce que, en République islamique d’Iran, son orientation sexuelle lui avait valu des mauvais traitements. Selon lui, il ressortait des informations sur le pays d’origine que, en Afghanistan, il serait aussi exposé à des mauvais traitements, ainsi qu’à la persécution, à cause de son orientation sexuelle, ce qui justifiait l’octroi d’une protection internationale. Bien qu’il ait fourni des informations détaillées sur ce qu’il avait vécu en tant qu’homosexuel en République islamique d’Iran et sur la relation qu’il avait eue avec un garçon dans ce pays et ait expliqué pourquoi il avait attendu pour soulever ces arguments, le 28 juin 2018, l’office des migrations a rejeté sa demande. Au tribunal de l’immigration, auprès duquel il a interjeté appel, l’auteur a déclaré que, après avoir été en contact avec une organisation d’aide aux demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, il avait réfléchi à son identité de genre, et qu’il s’identifiait non plus comme un homme, mais comme une personne non binaire. De surcroît, il a fourni des photos sur lesquelles on le voit s’exprimer de manière non traditionnelle pour son sexe, et a explicité la réflexion qu’il avait eue sur son orientation sexuelle. Le 20 juillet 2018, le tribunal l’a débouté et refusé de faire droit à sa demande de réexamen au motif que son récit n’était pas crédible, sans toutefois détailler le raisonnement qui l’avait conduit à cette décision. Le 14 août 2018, la cour d’appel de l’immigration a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel. L’auteur n’a jamais été convoqué à un entretien par les autorités judiciaires, ce qui lui aurait pourtant permis de donner des précisions sur les circonstances dont il tirait argument. Depuis, il s’est fiancé à un homme. Son dossier n’a pas été réexaminé à la lumière de cette circonstance et du fait qu’elle l’exposerait à des mauvais traitements.

Teneur de la plainte

3.L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte en décidant de l’expulser vers l’Afghanistan sans tenir compte de son orientation sexuelle et de son identité de genre alors pourtant qu’il avait fourni des informations détaillées sur, notamment, son processus de réflexion, la relation qu’il avait eue avec un garçon et son expérience en tant qu’homosexuel en République islamique d’Iran, où le fait d’être gay l’exposait constamment à de graves sanctions. Il avance que les décisions des autorités de l’État partie ne sont pas détaillées et ne font apparaître aucune incohérence dans ses propos. En outre, il fait valoir que, selon les informations sur le pays d’origine, en Afghanistan, la violence contre les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes est généralisée. Il soutient que, comme l’homosexualité est considérée comme contraire aux principes de l’islam, s’il était renvoyé dans ce pays, il courrait le risque que des acteurs non étatiques le tuent à cause de son orientation sexuelle et de son identité de genre. L’État ne lui offrirait aucune protection puisque, selon certaines informations, la police afghane arrête et détient des personnes sur la base de leur orientation sexuelle, réelle ou perçue. L’auteur soutient que, étant donné la lourde sanction et les mauvais traitements auxquels il serait exposé en Afghanistan parce qu’il est homosexuel et de genre non conforme aux catégories établies et compte tenu de ses problèmes de santé mentale, sa demande devrait être examinée au fond et, comme elle n’est pas dénuée de fondement et touche à des sujets très personnels, il devrait être convoqué à un entretien.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre du 2 juillet 2019, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il ne conteste pas que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, mais avance que la communication est manifestement dénuée de fondement.

4.2Si, sur le fond, l’État partie reconnaît que des préoccupations légitimes peuvent être exprimées au sujet de la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan, il estime néanmoins que cette situation ne suffit pas en soi à établir que l’expulsion de l’auteur serait contraire à l’article 7 du Pacte.

4.3L’État partie soutient que l’auteur n’a pas démontré qu’il serait personnellement exposé à un risque réel de traitement contraire à l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé en Afghanistan. Premièrement, l’État partie argue que les autorités suédoises ont explicitement appliqué les dispositions de droit interne qui consacrent les principes énoncés aux articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte et ont aussi envisagé d’autres motifs d’octroi de l’asile que ceux découlant de ces articles. Les autorités nationales sont bien placées pour apprécier les demandes d’asile, et l’office des migrations et le tribunal de l’immigration ont tous deux procédé à un examen approfondi du dossier de l’auteur. L’intéressé a eu un entretien initial, puis un entretien plus poussé avec l’office des migrations et a aussi été entendu par le tribunal, toujours en présence d’un avocat et d’un interprète. De surcroît, par l’intermédiaire de son avocat, il a été invité à présenter des observations écrites, et a donc eu amplement l’occasion d’expliquer sa situation. Les autorités disposaient d’informations suffisantes pour apprécier le dossier et, compte tenu de leur expertise en matière d’asile, rien ne permet de conclure que les décisions qu’elles ont prises sont inadéquates ou arbitraires ou constituent un déni de justice. Partant, l’État partie estime qu’il faut accorder un poids considérable à leurs appréciations.

4.4Deuxièmement, l’État partie fait observer que l’auteur a demandé l’asile en Suède le 25 juillet 2015. À l’appui de sa demande, l’intéressé faisait valoir que, s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, il serait exposé à un risque de mauvais traitements car il avait été menacé par la famille d’une personne qui avait perdu la vie dans un accident de moto dans lequel il était impliqué, et ce risque justifiait l’octroi d’une protection. En outre, il soutenait qu’il serait aussi exposé à un risque s’il était renvoyé en Afghanistan en raison des conditions générales de sécurité dans le pays et de son appartenance à l’ethnie hazara. L’État partie fait observer que l’auteur n’invoque pas ces circonstances devant le Comité et que, hormis la preuve de sa nationalité afghane, il n’a présenté aux autorités suédoises aucun élément plausible permettant d’établir son identité. L’auteur ne fait pas non plus valoir devant le Comité que la situation générale de sécurité en Afghanistan ou la situation des Hazaras sont telles que toute personne renvoyée dans ce pays risquerait d’être exposée à des mauvais traitements. Étant donné qu’aucune de ces situations ne constitue un motif de protection, le 13 avril 2016, l’office des migrations a rejeté la demande d’asile de l’auteur et décidé d’expulser celui-ci vers l’Afghanistan.

4.5En appel devant le tribunal de l’immigration, l’auteur a soulevé de nouveaux arguments, faisant valoir qu’il s’était intéressé au christianisme, avait participé à des activités religieuses et s’était fait baptiser et que, en Afghanistan, il vivrait comme un chrétien et porterait une croix. Le tribunal a toutefois constaté que l’intérêt de l’auteur pour le christianisme semblait s’être considérablement accru depuis le prononcé de la décision d’expulsion, ce qui jetait le doute sur la crédibilité de la conversion. En outre, l’explication de l’intéressé selon laquelle il n’avait pas fait valoir ces arguments plus tôt parce qu’il souhaitait préserver l’intimité de sa vie privé était contredite par le fait qu’il avait déclaré porter ouvertement une croix depuis un an. Le tribunal a jugé que la thèse de la conversion et de la réflexion sur l’islam et le christianisme était vague et a constaté que l’auteur était incapable de donner des détails sur les convictions qui l’auraient amené à se convertir. Concluant que l’auteur n’avait présenté aucun élément plausible permettant d’établir que sa conversion découlait d’une conviction religieuse personnelle et authentique, le 15 juin 2017, il a débouté l’intéressé. La décision d’expulsion est devenue définitive le 25 août 2017, lorsque la cour d’appel de l’immigration a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel. L’auteur est ensuite allé demander l’asile en Autriche, mais, le 16 mai 2018, il a été renvoyé en Suède, en application du Règlement Dublin III.

4.6Troisièmement, en ce qui concerne la protection dont l’auteur aurait besoin en raison de son orientation sexuelle, l’État partie fait observer que l’intéressé a dit qu’il se considérait homosexuel et que son homosexualité n’était pas un secret sur Internet, où on pouvait de surcroît voir son nom et sa photo. L’auteur a en outre déclaré que, en République islamique d’Iran, il avait eu une relation amoureuse avec un garçon et avait subi des événements traumatisants liés à son orientation sexuelle, ce qui avait nui à sa santé mentale. Pour expliquer le fait qu’il n’avait pas invoqué ces circonstances plus tôt, il a avancé que, après son arrivée en Suède, il avait eu l’impression que l’homosexualité était honteuse et n’avait donc pas osé en parler à qui que ce soit. Toutefois, au centre de détention, on avait accepté son orientation sexuelle et son identité de genre.

4.7L’État partie fait observer que, dans sa décision du 28 juin 2018, l’office des migrations a constaté que l’auteur n’avait tiré argument de son orientation sexuelle et de son identité de genre qu’une fois la décision d’expulsion devenue définitive et la veille du jour où il devait quitter le pays, adressant à l’office une demande de permis de séjour présentée au titre de la section 18 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers et une demande de réexamen présentée au titre de la section 19 de la même disposition au motif que certains éléments s’opposaient à l’exécution de la décision d’expulsion. L’office des migrations a estimé que ces demandes avaient été présentées trop tardivement pour être crédibles, comme c’était d’ailleurs aussi le cas de la thèse de la conversion, et que les arguments avancés par l’auteur pour expliquer pourquoi il avait attendu si longtemps pour les soumettre n’étaient pas satisfaisants. L’office a de surcroît jugé que, comme l’auteur vivait en Suède depuis trois ans et avait fréquenté une école suédoise, il ne pouvait guère lui avoir échappé que la situation des homosexuels était différente en Suède et en Afghanistan. En outre, l’argument selon lequel l’auteur avait eu honte était d’autant moins plausible que l’intéressé avait fait valoir sa conversion malgré la stigmatisation et la honte associées au renoncement à l’islam. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle, en République islamique d’Iran, l’auteur avait vécu des événements traumatisants du fait de son orientation sexuelle, ce qui avait eu des répercussions sur sa santé mentale, l’office des migrations a constaté que, au cours de la procédure d’asile, l’auteur avait déclaré être en bonne santé et n’avait fourni aucune preuve documentaire de quelconques problèmes de santé mentale, alors pourtant qu’il avait été informé dès le début de l’importance de faire valoir tous les motifs de protection possibles. Étant donné que l’auteur n’avait pas mentionné son orientation sexuelle avant son placement en détention et faute d’explication acceptable, l’office des migrations a jugé que le récit qui lui était présenté n’était pas crédible et conclu qu’aucun obstacle ne s’opposait à l’exécution de la décision d’expulsion, en conséquence de quoi il a rejeté les demandes de permis de séjour et de réexamen.

4.8En appel devant le tribunal de l’immigration, l’auteur a ajouté qu’il ne se considérait plus comme un homme et que le fait que son identité de genre n’était pas conforme aux catégories établies constituait un obstacle à l’exécution de la décision d’expulsion. Le tribunal a estimé que l’auteur aurait pu arguer de son orientation sexuelle et son identité de genre plus tôt et que le recours tardif à ces arguments mettait sérieusement en doute leur véracité. Il a également estimé que la thèse de l’identité de genre ne faisait que s’inscrire dans le prolongement des moyens déjà avancés à l’appui de la demande de l’asile et était de surcroît insuffisamment étayée. Le 20 juillet 2018, il a débouté l’auteur. Le 14 août 2018, la cour d’appel de l’immigration a refusé de se saisir du dossier.

4.9L’auteur a demandé un permis de séjour ou un réexamen à trois autres reprises, alléguant que la nouvelle de son orientation sexuelle s’était répandue sur Internet et que certaines personnes en Afghanistan en avaient eu connaissance et l’avaient menacé sur les réseaux sociaux. Il a aussi soutenu qu’il était fiancé à un homme et que, en Afghanistan, on avait pris note de cette information. Les 30 juillet, 14 août et 29 août 2018, l’office des migrations a rejeté ses demandes, estimant que les arguments avancés s’inscrivaient dans le prolongement de ceux déjà invoqués et n’étaient pas nouveaux, que rien n’indiquait que les information susmentionnées étaient venues à la connaissance de tiers et exposeraient l’intéressé à un risque réel et actuel s’il était renvoyé en Afghanistan, qu’aucun détail n’avait été fourni sur l’identité des tiers en question et que rien ne venait étayer la thèse selon laquelle, en Afghanistan, l’auteur serait recherché. Le 13 septembre 2018, le tribunal de l’immigration a rejeté l’appel interjeté par l’auteur contre la décision définitive qui le visait.

4.10L’État partie soutient que, à chaque étape de la procédure d’asile, l’auteur a dépeint sa situation de manière un peu plus dramatique, y compris à des stades très tardifs. Le fait que l’auteur n’ait pas mentionné sa conversion présumée dans la communication présentée au Comité porte fortement à croire qu’il ne s’est pas converti par conviction religieuse personnelle et authentique. En outre, la thèse de l’orientation sexuelle et l’identité de genre est douteuse. La plupart des photos que l’auteur a soumises ont été prises avec des filtres accessibles à toute personne possédant un smartphone et ne viennent pas suffisamment étayer les allégations de l’intéressé. L’État partie conclut que le récit de l’auteur ne permet pas de conclure que celui-ci courrait un risque prévisible, réel et personnel de subir un traitement contraire au Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une lettre du 10 septembre 2019, l’auteur présente des commentaires sur les observations de l’État partie. Il nie que la communication soit manifestement dénuée de fondement, arguant qu’il a fourni des informations détaillées et des photos qui viennent étayer les arguments mis en avant concernant son orientation sexuelle, son identité de genre et sa religion. Il réaffirme qu’il a été privé à tort du réexamen de sa demande et de l’entretien que la présentation de ces circonstances nouvelles aurait dû lui valoir. En outre, il soutient que ce n’est pas parce que, dans sa lettre initiale, il a uniquement fait valoir son orientation sexuelle et son identité de genre que les informations soumises aux autorités suédoises concernant sa conversion ne sont pas valables, et présente une attestation selon laquelle il est membre de la paroisse de Vallersvik, au sein de laquelle il est actif. En ce qui concerne le moment auquel il a mentionné son orientation sexuelle, l’auteur avance que, suivant la pratique de la police des frontières suédoise, il n’avait pas été informé de la date fixée pour son expulsion.

5.2L’auteur fait observer que, dans l’arrêt F. G. c. Suède, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les États sont tenus de procéder d’office à une évaluation des risques lorsqu’ils sont « informé[s] de faits, relatifs à un individu donné, propres à exposer celui-ci à un risque de mauvais traitements contraires [aux dispositions relatives au droit à la vie et à l’interdiction de la torture] en cas de retour dans le pays en question », en particulier dans « les situations où il a été porté à la connaissance des autorités nationales que le demandeur d’asile fait vraisemblablement partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements et qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de la pratique en question et à son appartenance au groupe visé ». L’auteur soutient que les autorités nationales sont donc tenues d’évaluer le risque de persécution lorsque des faits nouveaux surviennent et qu’elles ne peuvent pas refuser de tenir compte des faits en question au seul motif qu’ils ont été invoqués tardivement. Étant donné qu’un document ne suffit pas à démontrer que telle ou telle personne est lesbienne, gay, bisexuelle ou transgenre, ou chrétienne, seul un entretien pourrait permettre à l’auteur d’apporter la preuve de ce qu’il avance. De surcroît, selon la législation suédoise, les conditions de preuve à remplir pour justifier un réexamen sont minimes : il suffit qu’il y ait « des raisons de penser » que le demandeur d’asile a besoin de protection. L’auteur fait valoir que les informations qu’il a fournies aux autorités nationales répondent largement à ces conditions et que lesdites autorités n’ont donc pas dûment enquêté sur sa situation.

5.3L’auteur réaffirme que, en Afghanistan, les personnes converties au christianisme et les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes sont extrêmement vulnérables et risquent la mort aux mains tant d’acteurs étatiques que d’acteurs non étatiques, et que l’État partie devrait par conséquent faire preuve d’une prudence toute particulière avant de l’expulser.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 5 décembre 2019, l’État partie a fourni des observations complémentaires, dans lesquelles il avance que les commentaires de l’auteur ne renferment aucun élément nouveau et ne changent rien à sa position. L’État partie ajoute que le fait qu’il n’a pas répondu à certains des arguments soulevés par l’auteur ne signifie pas qu’il y adhère. Il fait observer que l’auteur, qui a à peine évoqué sa conversion dans la lettre initiale, avance à présent que les informations soumises aux autorités nationales à ce sujet restent valables, mais sans pour autant expliquer en quoi l’appréciation que ces autorités en ont faite a été inadéquate ou a porté atteinte aux droits consacrés par le Pacte.

6.2L’État partie fait observer que, contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire F. G .  c.  Suède,citée par l’auteur, les autorités suédoises ont en l’espèce considéré les circonstances mises en avant en cours de procédure comme des circonstances nouvelles. Toutefois, elles n’ont pas estimé que ces circonstances étaient de nature à constituer un obstacle durable à l’expulsion de l’auteur et, partant, n’ont pas fait droit à la demande de réexamen. Le cas de l’auteur est donc clairement différent de celui du requérant dans l’affaire F. G. c. Suède.

6.3L’État partie fait observer que, dans l’affaire M. K. N. c. Suède, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le requérant n’avait pas expliqué de manière suffisamment convaincante pourquoi il n’avait mentionné sa relation homosexuelle qu’au moment où il avait fait appel de la décision d’expulsion, soit plus d’un an après son arrivée en Suède, et a jugé que, compte tenu des circonstances de l’affaire, l’argument de la relation homosexuelle n’était pas crédible.

6.4L’État partie fait de nouveau valoir que l’auteur vivait en Suède depuis au moins trois ans et avait fréquenté une école suédoise avant d’invoquer son orientation sexuelle comme motif de protection. L’intéressé a dit qu’il avait pris conscience au printemps 2016 de la manière dont les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes étaient traités en Suède et ne cachait pas son orientation sexuelle depuis qu’il vivait dans ce pays, or, il n’a pas mentionné son homosexualité avant d’être placé en détention en vue de son expulsion, ce qui fait naître de sérieux doutes quant à sa crédibilité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie ne conteste pas que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles. En conséquence, il estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est manifestement dénuée de fondement au motif que la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan ne fait pas apparaître un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte, non plus que le récit de l’auteur, qui ne suffit pas à conclure que l’intéressé courrait un risque prévisible, réel et personnel s’il était renvoyé dans ce pays. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur selon lequel la communication n’est pas manifestement dénuée de fondement car elle contient des informations détaillées et des photos qui viennent étayer ce qu’il avance au sujet de son orientation sexuelle, son identité de genre et sa religion. L’auteur soutient que, étant donné que le niveau de preuve exigé par le droit suédois est très bas et compte tenu des éléments présentés et de la nature de ses griefs, sa demande aurait dû être réexaminée et il aurait dû se voir accorder un entretien. En ce qui concerne l’argument de la conversion, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré que les autorités de l’État partie avaient commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas prouvé que ses convictions religieuses étaient authentiques et personnelles, car son récit était vague et l’explication avancée pour justifier l’invocation tardive de cet argument ne résistait pas à l’analyse sachant qu’il portait ouvertement une croix depuis un an.

7.5Le Comité note que les autorités suédoises chargées des questions d’immigration n’ont pas accepté l’explication selon laquelle l’auteur craignait d’invoquer son orientation sexuelle, au motif que rien ne prouvait qu’il souffrait de problèmes de santé mentale, qu’il résidait depuis un certain temps en Suède et qu’il y était allé à l’école. Le Comité note en particulier que, d’après l’État partie, l’auteur a reconnu qu’il était conscient de la manière dont les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes étaient traités en Suède depuis le printemps 2016, c’est-à-dire deux ans avant de soulever l’argument de son orientation sexuelle et son identité de genre, et qu’il n’avait jamais caché son orientation sexuelle pendant son séjour en Suède. Dans ces circonstances, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré que l’appréciation des autorités nationales, en particulier leur conclusion selon laquelle les arguments qu’il avait avancés au sujet de son orientation sexuelle et son identité de genre n’étaient pas crédibles, était déraisonnable. En outre, le Comité constate que l’auteur n’argue pas que la note du 16 juillet 2018 qu’il lui a soumise, dans laquelle le travailleur social qui s’occupait de son dossier donne des informations sur sa santé mentale, n’a pas aussi été communiquée aux autorités nationales, ni que celles-ci ne l’ont pas prise en considération.

7.6Le Comité renvoie au paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), dans lequel il fait référence à l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a indiqué que le risque devait être personnel et qu’il devait exister des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Pour évaluer l’existence d’un tel risque, il convient de tenir compte de tous les faits et circonstances pertinents, y compris de la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse à laquelle a procédé l’État partie, et réaffirme que, de manière générale, l’examen et l’appréciation des faits et des éléments de preuve ayant pour but de déterminer s’il existe un risque réel de préjudice irréparable dans tel ou tel cas doivent rester la prérogative des organes des États parties au Pacte, sauf s’il est établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

7.7Le Comité estime que l’auteur n’a pas fourni d’éléments suffisant à démontrer que l’appréciation que les autorités suédoises ont faite de sa demande d’asile était manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Par conséquent, sans préjudice de la responsabilité qui continue d’incomber à l’État partie de tenir compte de la situation actuelle du pays vers lequel l’auteur serait expulsé et sans sous‑estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan, le Comité estime que, à la lumière des informations disponibles quant à la situation personnelle de l’auteur, les griefs formulés au titre de l’article 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.