Nations Unies

CCPR/C/135/D/3125/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 octobre 2022

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3125/2018 * , **

Communication présentée par :

Hacène Ferhati et Fatna Ferhati (représentés par un conseil, Nassera Dutour, du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et Mustapha Ferhati (frère de Hacène Ferhati et fils de Fatna Ferhati)

État partie :

Algérie

Date de la communication :

19 octobre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 février 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

8 juillet 2022

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté et sécurité de la personne ; dignité humaine ; reconnaissance de la personnalité juridique

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 6, 7, 9, 10, 12, 14 et 16

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2)

1.Les auteurs de la communication sont Hacène Ferhati et sa mère Fatna Ferhati, tous deux de nationalité algérienne. Ils font valoir que Mustapha Ferhati, frère du premier et fils de la seconde, né le 26 janvier 1972, également de nationalité algérienne, est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, en violation des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte. Les auteurs soutiennent par ailleurs être victimes d’une violation de leurs droits au titre des articles 2 (par. 2 et 3), 7, 9, 12 et 14 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989. Les auteurs sont représentés par un conseil du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 9 novembre 1996, des agents de police du commissariat de Belouizdad, dans la daïra d’Hussein Dey, wilaya d’Alger, ont abattu Hocine Ferhati − le frère de Hacène Ferhati − lors d’un accrochage dans le quartier de Cervantès, à Belouizdad. Le même jour, des agents de la sécurité militaire du centre militaire de Ben Aknoun se sont présentés au domicile de la famille Ferhati, souhaitant parler à l’épouse de Hocine, qui avait assisté à l’exécution de son mari. Celle-ci n’étant pas présente, les agents ont alors arrêté Mustapha Ferhati, le jeune frère de Hocine et de Hacène Ferhati. À sa libération, après avoir été détenu pendant vingt-quatre heures et subi des mauvais traitements, Mustapha, effrayé, s’est réfugié chez un ami.

2.2En avril 1998, des agents de la sécurité militaire sont revenus chercher Mustapha Ferhati au domicile familial, sans le trouver. Le 28 mai 1998, lorsque Mustapha se trouvait avec un ami dans la rue des Annassers dans la commune de Kouba, à Alger, des agents de la brigade de la police judiciaire accompagnés par des agents du Département du renseignement et de la sécurité ont tiré des coups de feu, qui ont provoqué un mouvement de foule, et Mustapha Ferhati s’est lui aussi mis à courir. Les agents lui ont alors tiré dessus, le blessant à la jambe, et l’ont emmené vers un endroit inconnu. Depuis ce jour-là, la famille n’a jamais eu de ses nouvelles.

2.3La famille Ferhati n’a jamais été informée de l’arrestation de Mustapha, elle n’en a eu connaissance que par le biais d’un article du journal El Khabar daté du 1er juin 1998, qui rapportait les événements du 28 mai 1998 et précisait que les services de sécurité avaient arrêté Mustapha Ferhati. Ensuite, un voisin qui était présent le 28 mai 1998 sur le lieu de l’accrochage a informé la famille Fehrati que Mustapha avait été arrêté par les agents du Département du renseignement et de la sécurité et qu’il était blessé. Deux jeunes hommes, arrêtés également le même jour, ont témoigné à la famille de Mustapha qu’il avait été arrêté.

2.4Par la suite, la famille Ferhati a continué les recherches concernant Mustapha et a été confrontée à des positions contradictoires de la part des autorités, qui le considéraient tantôt en vie, tantôt décédé. Ainsi, une convocation datée du 23juillet 2001 a été envoyée au domicile familial pour Mustapha Ferhati, indiquant qu’il devait se rendre à la gendarmerie de la commune d’El Mouradia, à Alger. Pourtant, le 20octobre 2002, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme a informé la famille Ferhati de l’existence d’une déclaration d’inhumation (no98/73) au nom de Mustapha, faite par le Procureur de la République près le tribunal d’Hussein Dey, le 14juin 1998.

2.5De plus, à la suite de l’exécution de Hocine Ferhati et de la disparition de Mustapha Ferhati, les auteurs et l’épouse de Hocine ont été victimes de harcèlement pendant de nombreux mois par les services du Département du renseignement et de la sécurité. Ce harcèlement s’est accompagné de multiples détentions arbitraires et d’actes de torture. Les agents du Département du renseignement et de la sécurité recherchaient l’épouse de Hocine et cherchaient des informations sur Hocine et Mustapha. Les auteurs ont été arrêtés six fois sur la période de 1997 à 1998. Hacène Ferhati, notamment, a été torturé physiquement au cours de sa détention au Centre territorial de recherches et d’investigations de Ben Aknoun, et torturé psychologiquement durant plusieurs années. Les policiers arrivaient en pleine nuit, quadrillaient le quartier ou encerclaient sa maison, et l’arrêtaient devant sa femme et ses enfants. Par exemple, le 23 octobre 1997, les auteurs ont été arrêtés, placés en détention pendant quarante-huit heures au Centre territorial de recherches et d’investigations de Ben Aknoun et torturés. Surtout, Hacène Ferhati a eu le bras cassé en se protégeant le visage contre un coup porté avec une barre en métal alors qu’il était pendu par les pieds. Il a été relâché sur l’autoroute dans la nuit, en plein couvre-feu, les pieds nus et tenant son pantalon sans ceinture. Fatna Ferhati a également été victime de tortures physiques et psychologiques. Elle est aujourd’hui très malade et pleure toujours ses fils.

2.6Le 13 novembre 1999, Fatna Ferhati a déposé deux plaintes : l’une adressée au Procureur de la République du tribunal de Bir Mourad Raïs, l’autre au Procureur général de la cour d’Alger. Aucune réponse n’a été donnée à ces deux plaintes.

2.7Le 10 décembre 2006, Hacène Ferhati a déposé une nouvelle plainte auprès du Procureur de la République du tribunal de Bir Mourad Raïs. Le 3 février 2008, le commissaire de police affecté à la circonscription de Bir Mourad Raïs, faisant suite à une demande du Procureur de la République en date du 4 octobre 2007, a informé Hacène Ferhati qu’il devait suivre les procédures prévues par l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.

2.8Le 3 janvier 2009, Hacène Ferhati a reçu un procès-verbal de notification de la Direction générale de la sûreté nationale l’avisant de la décision du Procureur de la République, en date du 16 décembre 2008, de classer le dossier de la disparition de Mustapha Ferhati au motif qu’il serait mort dans les rangs de l’organisation El Fida le 28 mai 1998, après un échange de tirs entre la brigade mobile de la police judiciaire et cette organisation. Par suite de la réception de ce procès-verbal, Hacène Ferhati a porté plainte auprès du juge d’instruction du tribunal de Bir Mourad Raïs pour éclaircir les contradictions entre les informations données dans le procès-verbal quant au décès de son frère et l’article du journal El Khabar – qui mentionnait son arrestation et non son décès – ainsi que les témoignages qu’il avait pu recevoir. Cette dernière plainte n’a reçu aucune réponse.

2.9Parallèlement à ces démarches auprès des autorités judiciaires, les auteurs ont sollicité l’intervention de diverses instances non juridictionnelles en 11 occasions entre 1999 et 2006. Les sollicitations ont été adressées à l’Observatoire national des droits de l’homme, au Ministère de la justice, au Président de la République algérienne, au Président de la République française, au Conseiller du Président de la République chargé des droits de l’homme, au Ministre de l’intérieur et au Premier Ministre. Outre la réponse susmentionnée du 20 octobre 2002 de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, les auteurs ont reçu seulement deux réponses en date du 14 mars 2007 : l’une de la part du cabinet du Président de la République, qui les a invités à entrer en contact avec le tribunal le plus proche de leur domicile pour suivre la procédure prévue par l’ordonnance no 06-01, l’autre du cabinet du Premier Ministre, qui les a avisés que leur requête avait été transférée aux deux organes compétents en la matière – la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme et le Ministère de la justice – et qu’ils devaient prendre contact avec ces deux offices. Ainsi, ces deux réponses n’ont permis aucune avancée, car elles se limitaient à renvoyer les auteurs auprès d’autorités déjà saisies.

2.10Hacène Ferhati a continué son combat pour la vérité et la justice sur les crimes commis dans les années 1990 en Algérie au sein de l’association SOS Disparus. Ce travail lui a valu de nouveaux harcèlements, notamment des appels téléphoniques anonymes, des menaces de mort et de multiples convocations à la gendarmerie d’El Mouradia. Le 25 mars 2013, par exemple, lorsqu’il a voulu se rendre en Tunisie pour participer au Forum social mondial au sein d’une délégation algérienne de défenseurs des droits humains, il a été empêché de quitter le sol algérien par la police des frontières dans la wilaya de Tébessa. Une interdiction de quitter le territoire lui a alors été notifiée sans davantage d’informations. Hacène Ferhati a retenté de se rendre en Tunisie le lendemain et il a été de nouveau empêché de quitter le territoire à l’aéroport d’Alger, sans aucune explication. Le 27 mars 2013, il a fait face à la même situation. Les gardes frontière lui ont alors demandé de s’adresser à la Direction générale de la sûreté nationale pour obtenir des informations.

2.11Le cas de Mustapha Ferhati a également été soumis au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires en septembre 2007. Malgré la saisine des autorités algériennes par le Groupe de travail, celles-ci n’ont jamais répondu.

2.12Malgré tous les efforts des auteurs, aucune enquête n’a été ouverte par les autorités étatiques compétentes. Les auteurs soulignent qu’il leur est aujourd’hui impossible légalement de recourir à une instance judiciaire, après la promulgation de l’ordonnance no 06-01. Les recours internes, qui étaient d’ailleurs inutiles et inefficaces, ne sont de ce fait plus disponibles.

2.13Selon les auteurs, l’ordonnance no 06-01 interdit sous peine de poursuites pénales le recours à la justice, ce qui dispense les victimes de la nécessité d’épuiser les voies de recours internes. Cette ordonnance interdit en effet toute plainte pour disparition ou autre crime, son article 45 disposant qu’« [a]ucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire ». En vertu de cette disposition, toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente. De plus, l’article 46 de la même ordonnance prévoit ce qui suit :

Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 [dinars algériens], quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs allèguent que Mustapha Ferhati est victime d’une disparition, conformément à la définition des disparitions forcées donnée à l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. En dépit du fait qu’aucune disposition du Pacte ne fait expressément mention des disparitions forcées, la pratique implique des violations du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et du droit à la liberté et à la sécurité de la personne. En l’espèce, les auteurs invoquent une violation par l’État partie des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte à l’égard de Mustapha Ferhati, et des articles 2 (par. 2 et 3), 7, 9, 12 et 14 du Pacte à leur égard.

3.2Les auteurs estiment que l’ordonnance no 06-01 constitue un manquement à l’obligation générale de l’État partie consacrée à l’article 2 (par. 2) du Pacte, en ce sens que ladite disposition implique également une obligation négative pour les États parties de ne pas adopter de mesures contraires au Pacte. En adoptant ladite ordonnance, en particulier son article 45, l’État partie aurait donc pris une mesure d’ordre législatif privant d’effet les droits reconnus dans le Pacte, particulièrement le droit d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits humains. Depuis la promulgation de cette ordonnance, les auteurs ont été empêchés d’ester en justice. Ils estiment que le manquement à l’obligation fixée par l’article 2 (par. 2) du Pacte, par action ou par omission, peut engager la responsabilité internationale de l’État partie. Ils affirment qu’en dépit de toutes leurs démarches après l’entrée en vigueur de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, leurs plaintes sont demeurées inefficaces. Ils estiment en conséquence être victimes de cette disposition législative contraire à l’article 2 (par. 2) du Pacte.

3.3Les auteurs ajoutent que les dispositions de l’ordonnance no 06-01 sont contraires à l’article 2 (par. 3) du Pacte, car elles ont pour effet d’empêcher l’engagement dans le futur de toute poursuite pénale à l’encontre des auteurs présumés de disparitions forcées, lorsque ces personnes sont des agents de l’État. Cette ordonnance interdit aussi, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur le sort des victimes. Les démarches effectuées par les auteurs auprès des autorités algériennes avant et après l’adoption de cette ordonnance se sont avérées inutiles, aucune réponse ne leur ayant été apportée sur le sort de Mustapha Ferhati. Ce refus fait obstacle à l’efficacité des recours exercés par sa famille. Enfin, l’article 2 (par. 3) du Pacte impose l’octroi d’une réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. Les articles 27 à 39 de l’ordonnance no 06-01 ne prévoient qu’une simple indemnisation financière conditionnée à l’établissement d’un jugement de décès établi après une enquête infructueuse, l’article 38 excluant toute autre forme de réparation. Or, en pratique, aucune enquête n’est diligentée sur le sort du disparu ni sur les auteurs de la disparition. Les auteurs rappellent que le Comité a estimé que le droit à un recours utile comportait nécessairement le droit à une réparation adéquate et le droit à la vérité, et a recommandé à l’État partie de s’engager à garantir que les disparus et/ou leurs familles disposent d’un recours utile et que bonne suite y est donnée, tout en veillant au respect du droit à indemnisation et à la réparation la plus complète possible. Selon les auteurs, l’État partie a donc violé l’article 2 (par. 3) du Pacte à leur égard.

3.4Les auteurs rappellent l’évolution de la jurisprudence du Comité en matière de disparitions forcées et estiment que le seul risque pour une personne de perdre la vie dans le contexte d’une telle disparition est suffisant pour conclure à une violation directe de l’article 6 du Pacte. Vu l’absence d’enquête approfondie sur la disparition de Mustapha Ferhati, les auteurs estiment que l’État partie a failli à son obligation de protéger son droit à la vie et de prendre des mesures pour enquêter sur ce qui lui était arrivé, en violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte.

3.5Les auteurs rappellent les circonstances entourant la disparition de Mustapha Ferhati, à savoir l’absence totale d’informations sur sa détention et son état de santé, l’absence d’enquête approfondie sur son sort, ainsi que l’absence de communication avec sa famille et le monde extérieur. Ils rappellent qu’une détention arbitraire prolongée augmente le risque de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Se référant à la jurisprudence du Comité, les auteurs soulignent également que l’angoisse, l’incertitude et la détresse provoquées par la disparition de Mustapha Ferhati et par le fait que les autorités leur ont enjoint de poursuivre la procédure d’indemnisation prévue par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale constituent une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant pour sa famille. Ils rappellent par ailleurs qu’eux-mêmes ont été victimes de tortures physiques au cours de leurs arrestations et de leurs détentions, entre 1996 et 1998, ainsi que de torture psychologique. En conséquence, les auteurs allèguent que l’État partie est responsable d’une violation de l’article 7 du Pacte à leur égard et à celui de Mustapha Ferhati.

3.6Prenant en compte le fait que Mustapha Ferhati a été détenu au secret sans avoir accès à un avocat et sans être informé des motifs de son arrestation ou des charges retenues contre lui, que sa détention n’a pas été mentionnée dans les registres de garde à vue et qu’il n’y a aucune information officielle quant à sa localisation ou à son sort, les auteurs affirment qu’il a été privé de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, et qu’il n’a pas été en mesure d’introduire un recours devant un tribunal. Ils estiment en conséquence que Mustapha Ferhati a été privé des garanties énoncées à l’article 9 du Pacte, impliquant une violation dudit article à son égard.

3.7Les auteurs considèrent que les six arrestations dont ils ont fait l’objet sur la période de 1997 à 1998, sans mandat et sans justification de la part des agents du Département du renseignement et de la sécurité du centre de Ben Aknoun, ont conduit à des détentions sans jugement, donc arbitraires, de douze ou vingt-quatre heures. Ainsi, l’État partie a également violé l’article 9 du Pacte à l’égard des auteurs.

3.8Les auteurs affirment ensuite qu’en l’absence d’enquête de la part des autorités algériennes, Mustapha Ferhati a été privé de liberté et n’a pas été traité avec humanité et dignité, en violation de l’article 10 du Pacte à son égard.

3.9Pour ce qui est de l’article 12 du Pacte, Hacène Ferhati fait valoir qu’en raison de son implication pour la défense des droits humains, il a subi une atteinte à sa liberté de circulation puisqu’il a été empêché de quitter le sol algérien par des agents de la police des frontières, alors qu’il souhaitait se rendre en Tunisie pour participer au Forum social mondial. Cette restriction non justifiée à la liberté de circulation de Hacène Ferhati ne semble pas nécessaire et fait apparaître une restriction excessive constituant une violation de l’article 12 du Pacte à son égard.

3.10Rappelant les dispositions de l’article 14 du Pacte ainsi que le paragraphe 9 de l’observation générale no 32 (2007) du Comité, les auteurs affirment que toutes les démarches engagées auprès des autorités judiciaires et non judiciaires sont demeurées infructueuses. Ils ont été fortement incités par les forces de sécurité d’El Mouradia à suivre la procédure d’indemnisation prévue par l’ordonnance no 06-01, de sorte à abandonner toute idée d’enquête quant à la disparition de Mustapha Ferhati. En outre, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et l’article 45 de l’ordonnance no  06-01 font obstacle à toute action judiciaire à l’encontre d’agents de l’État, empêchant les auteurs de faire entendre leur cause. L’État partie a donc violé l’article 14 du Pacte à leur égard.

3.11Les auteurs rappellent ensuite les dispositions de l’article 16 du Pacte et la jurisprudence constante du Comité selon laquelle la soustraction intentionnelle d’une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime est entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition, et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours utiles, y compris devant les cours de justice, sont systématiquement empêchés. Ils renvoient à cet effet aux observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique de l’Algérie au titre de l’article 40 du Pacte, dans lesquelles le Comité a établi que les personnes disparues toujours en vie et détenues au secret voient leur droit à la reconnaissance de leur personnalité juridique, tel que consacré par l’article 16 du Pacte, violé. Ils soutiennent en conséquence qu’en maintenant Mustapha Ferhati en détention sans en informer officiellement sa famille et ses proches, les autorités algériennes l’ont soustrait à la protection de la loi et l’ont privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

3.12Les auteurs demandent au Comité de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes et impartiales en vue : a) de retrouver Mustapha Ferhati et de respecter l’engagement de l’État partie aux termes de l’article 2 (par. 3) du Pacte ; b) de déférer les auteurs matériels et intellectuels de cette disparition forcée devant les autorités civiles compétentes pour qu’ils fassent l’objet de poursuites conformément à l’article 2 (par. 3) du Pacte ; et c) de garantir à Mustapha Ferhati, s’il est encore en vie, ainsi qu’à sa famille, l’accès à une réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi, conformément aux articles 2 (par. 3) et 9 du Pacte, incluant une indemnisation appropriée et proportionnée à la gravité de la violation, une réadaptation pleine et entière, et des garanties de non-répétition. Ils demandent enfin au Comité d’enjoindre aux autorités algériennes d’abroger les articles 27 à 39, 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01.

Observations de l’État partie

4.Le 9 avril 2018, l’État partie a invité le Comité à se référer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, relatif à l’irrecevabilité des communications introduites devant le Comité en rapport avec la mise en œuvre de la Charte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 18 juin 2018, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité. Ils soulignent que ces observations ne font nullement mention de la recevabilité de la communication, des spécificités de l’affaire, ou des recours introduits par la famille de la victime, démontrant le manque de sérieux et le mépris des autorités algériennes pour la procédure en cours devant le Comité. Ils soulignent également le caractère obsolète de ces observations, qui datent de juillet 2009.

5.2Rappelant qu’aucun recours n’a abouti à l’ouverture d’une enquête diligente ou à des poursuites pénales et que les autorités algériennes n’ont apporté aucun élément tangible laissant penser que des recherches effectives avaient été engagées pour retrouver Mustapha Ferhati et identifier les responsables de sa disparition, les auteurs concluent que les voies de recours internes ont été épuisées et que la requête doit être considérée comme recevable par le Comité.

5.3En se référant à la jurisprudence du Comité selon laquelle la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ne peut être opposée aux individus soumettant une communication individuelle, les auteurs rappellent que les dispositions de la Charte ne représentent en rien une prise en charge adéquate du dossier des disparus, qui supposerait le respect du droit à la vérité, à la justice et à la réparation pleine et entière.

Défaut de coopération de l’État partie

6.Le Comité rappelle que le 9avril 2018, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant référence au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité ayant refusé que la recevabilité de la requête soit examinée séparément du fond, le 21septembre 2018, décision qui a été réitérée les 13mars et 9novembre 2020, l’État partie a été invité à présenter ses observations sur le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse spécifique quant aux allégations des auteurs et regrette l’absence de collaboration de l’État partie quant au partage de ses observations sur la présente plainte. Conformément à l’article4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que la disparition a été signalée au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels du Conseil des droits de l’homme ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Mustapha Ferhati par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.

7.3Le Comité prend note de ce que les auteurs affirment avoir épuisé toutes les voies de recours disponibles et que, pour contester la recevabilité de la communication, l’État partie se contente de renvoyer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. À cet égard, le Comité rappelle qu’il a exprimé, d’une manière répétée, ses préoccupations de ce qu’en dépit de ses multiples demandes, l’État partie continuait de faire systématiquement référence au document général type, dit « aide-mémoire », sans répondre spécifiquement aux allégations soumises par les auteurs de communications. En conséquence, le Comité a invité de manière urgente l’État partie à coopérer de bonne foi dans le cadre de la procédure de communications individuelles en cessant de se référer à l’« aide-mémoire » et en répondant de manière individuelle et spécifique aux allégations des auteurs de communications.

7.4Le Comité rappelle ensuite que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits humains portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi celui de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son égard. En l’espèce, le Comité observe que les auteurs ont, à de nombreuses reprises, alerté les autorités compétentes sur la disparition forcée de Mustapha Ferhati, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête sur cette grave allégation. L’État partie n’a par ailleurs apporté aucun élément d’explication spécifique dans ses observations en réponse au cas de Mustapha Ferhati qui pourrait permettre de conclure qu’un recours efficace et disponible serait ouvert, alors que l’ordonnance no 06-01 continue d’être appliquée, ayant pour effet de réduire le domaine d’application du Pacte, en dépit des recommandations du Comité concernant sa mise en conformité avec le Pacte. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.5Par ailleurs, dans la mesure où il peut y avoir abus du droit de plainte si une communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur – et même si l’État partie ne l’a pas soulevé en l’espèce –, le Comité rappelle le caractère continu d’une disparition forcée, qui implique une obligation d’enquête elle-même continue, ce qui dans le cas d’espèce est annihilé par l’ordonnance nº 06-01 et ses effets. Le Comité considère donc que, dans les circonstances spéciales de l’espèce et en particulier étant donné que l’ordonnance nº 06-01 rend impossible tout recours veillant à demander une enquête sur la disparition de Mustapha Ferhati, la présente communication ne constitue pas un abus de droit.

7.6Le Comité note que les auteurs ont également soulevé une violation distincte de l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte à leur égard. Rappelant sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief distinct au regard du Protocole facultatif du fait qu’elles ne peuvent être invoquées que conjointement avec d’autres articles substantiels du Pacte, le Comité considère que les griefs des auteurs au titre de l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte, invoqués de manière séparée, sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.7Le Comité note ensuite qu’en invoquant les articles 7 et 9 du Pacte, les auteurs allèguent eux-mêmes avoir été victimes de plusieurs détentions arbitraires en 1997 et 1998, au cours desquelles ils ont subi des actes de torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants. Sur cette question, l’État partie n’a apporté aucun élément permettant de réfuter les affirmations des auteurs et de conclure qu’un recours efficace et disponible leur était ouvert. Dans les circonstances de l’affaire, et en l’absence d’explication de l’État partie, le Comité doit donc donner aux conclusions des auteurs tout le crédit voulu. Le Comité estime que, dans le cas présent, rien ne s’oppose à ce qu’il examine les griefs des auteurs conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.8Le Comité note que les allégations soumises par Fatna Ferhati au titre de l’article 7 du Pacte, quant aux actes de torture et aux traitements cruels, inhumains ou dégradants qu’elle aurait subis, n’ont pas été suffisamment étayées. En outre, quant au grief soulevé par Hacène Ferhati au titre de l’article 12 du Pacte, le Comité note qu’il n’a pas contesté son interdiction de quitter le territoire auprès de la Direction générale de la sûreté nationale, comme cela lui avait été conseillé par les gardes frontière. De ce fait, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au titre des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.9Le Comité estime que les auteurs soulèvent en substance une violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9, 10 et 16, à l’égard de Mustapha Ferhati, et de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, à leur égard. En outre, le Comité estime que les auteurs ont suffisamment étayé leurs autres allégations aux fins de la recevabilité, et procède donc à l’examen au fond des griefs formulés au titre des articles 6, 7, 9, 10 et 16, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, à l’égard de Mustapha Ferhati, et de l’article 7 – pour torture physique, angoisse et détresse dans le cas de Hacène Ferhati, et pour angoisse et détresse dans le cas de Fatna Ferhati – lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), ainsi que des articles 9 et 14 du Pacte à l’égard des auteurs.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité note que l’État partie s’est contenté de faire référence à ses observations transmises au Comité en lien avec d’autres communications, afin de confirmer sa position selon laquelle de telles affaires ont déjà été réglées dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de ladite charte à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. En l’absence d’inclusion des modifications recommandées par le Comité, l’ordonnance no 06-01 contribue dans le cas présent à l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.

8.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations des auteurs sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément à l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.

8.4Le Comité rappelle que, si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun article du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument, tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne.

8.5Le Comité note que Mustapha Ferhati a été vu pour la dernière fois par un voisin, le 28 mai 1998, quand il rencontrait un ami dans la rue des Annassers dans la commune de Kouba, à Alger. Des témoins de la scène ont informé la famille de Mustapha Ferhati que des agents de la brigade de la police judiciaire accompagnés par des agents du Département du renseignement et de la sécurité avaient tiré des coups de feu qui avaient blessé Mustapha à la jambe, puis l’avaient emmené vers un endroit inconnu. Le Comité prend également note des nombreuses informations contradictoires sur le prétendu décès de Mustapha Ferhati, ainsi que des convocations qui ont été envoyées à son nom, laissant supposer que les autorités algériennes le considéraient toujours comme vivant à une date ultérieure à son prétendu décès, comme le reflète la convocation datée du 23 juillet 2001 qui lui était adressée. Le Comité prend par ailleurs note de ce que l’État partie n’a fourni aucun élément probant permettant de déterminer ce qu’il est advenu de Mustapha Ferhati. Il rappelle que, dans le cas des disparitions forcées, le fait de priver une personne de liberté, puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque grave et constant, dont l’État est responsable. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément susceptible de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Mustapha Ferhati. En conséquence, il conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de Mustapha Ferhati, en violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte.

8.6Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce qu’après que trois personnes ont pu voir Mustapha Ferhati au moment de son arrestation le 28 mai 1998, sa famille, dont les auteurs, n’a plus jamais eu accès à la moindre information sur son sort ou son lieu de détention, et ce, malgré leurs demandes réitérées aux autorités compétentes de l’État partie. Le Comité note également que le Procureur de la République près le tribunal d’Hussein Dey a émis une déclaration d’inhumation le 14 juin 1998 sans qu’aucune autopsie ou enquête ait été menée. Le Comité note en outre que cette absence d’enquête a persisté malgré les demandes des auteurs auprès du Procureur pour qu’une enquête soit ouverte. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité considère que la disparition de Mustapha Ferhati constitue une violation de l’article 7 du Pacte à son égard.

8.7Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 10 du Pacte.

8.8Le Comité note l’allégation des auteurs selon laquelle le 23 octobre 1997, lors d’une détention provisoire de quarante-huit heures au Centre territorial de recherches et d’investigations de Ben Aknoun, Hacène Ferhati a été pendu par les pieds et a eu le bras cassé en se protégeant le visage contre un coup porté avec une barre en métal. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie à cet égard, le Comité considère que le traitement subi par Hacène Ferhati lors de son arrestation le 23 octobre 1997 constitue une violation de l’article 7 du Pacte à son égard.

8.9Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Mustapha Ferhati, depuis plus de vingt-quatre ans, a causées aux auteurs. Il considère à cet égard que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs.

8.10En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles Mustapha Ferhati et eux-mêmes ont été arrêtés arbitrairement, sans mandat, et n’ont été ni inculpés ni présentés devant une autorité judiciaire auprès de laquelle ils auraient pu contester la légalité de leur détention. L’État partie n’ayant communiqué aucune information à ce sujet, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 9 du Pacte à l’égard des auteurs et de Mustapha Ferhati.

8.11Le Comité est d’avis que la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts déployés par ses proches pour exercer leur droit à un recours effectif ont été systématiquement entravés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication probante sur le sort de Mustapha Ferhati, ni sur le lieu où il se trouverait, en dépit des démarches de ses proches et du fait que Mustapha Ferhati était entre les mains des autorités de l’État partie lors de sa dernière apparition. Le Comité conclut que la disparition forcée de Mustapha Ferhati depuis plus de vingt-quatre ans a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

8.12Enfin, le Comité note que même si les auteurs n’ont pas invoqué expressément une violation de l’article2 (par. 3) lu conjointement avec les articles6, 7, 9 et 16 du Pacte, ils font référence à l’obligation imposée aux États parties par cette disposition de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle qu’il attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte. Il rappelle son observation générale no31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

8.13En l’espèce, les auteurs ont alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes sur la disparition de Mustapha Ferhati sans que l’État partie procède à une enquête sur cette disparition, et sans que les auteurs soient informés du sort de Mustapha Ferhati. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 continue de priver Mustapha Ferhati et les auteurs de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte à l’égard de Mustapha Ferhati, et de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7 – pour le traitement subi par Hacène Ferhati lors de son arrestation, ainsi que pour l’angoisse et la détresse causées aux auteurs par la disparition de Mustapha Ferhati – et 9 du Pacte à l’égard des auteurs.

8.14Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 14 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), à l’égard de Mustapha Ferhati. Il constate en outre une violation par l’État partie de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 9 du Pacte à l’égard des auteurs.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition de Mustapha Ferhati et de fournir aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ; b) de libérer immédiatement Mustapha Ferhati s’il est toujours détenu au secret ; c) dans l’éventualité où Mustapha Ferhati serait décédé, de restituer sa dépouille à sa famille ; d) de poursuivre, de juger et de punir les responsables des violations commises avec des sanctions proportionnées à la gravité des violations ; e) de fournir aux auteurs ainsi qu’à Mustapha Ferhati, dans l’éventualité où il serait toujours en vie, une indemnité adéquate ; f) d’assurer l’accès des auteurs à une procédure de réparation du préjudice subi à la suite de leur détention ; et g) d’assurer l’accès de Hacène Ferhati à une procédure de réparation du préjudice subi lors de son arrestation du 23 octobre 1997. Il est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir. L’État partie est tenu de veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de violations graves telles que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. À cet effet, il devrait revoir sa législation en fonction de l’obligation qui lui est faite à l’article 2 (par. 2) du Pacte, et en particulier abroger les dispositions de l’ordonnance no 06-01 qui sont incompatibles avec le Pacte, afin que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés dans l’État partie.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles‑ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.