Nations Unies

CCPR/C/131/D/2578/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 décembre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2578/2015 * , **

Communication présentée par :

O. D. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

4 décembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 mars 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

25 mars 2021

Objet :

Procès équitable, absence de représentation pendant l’audience en appel, torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Question(s) de procédure :

Recevabilité (examen de la même question par une autre instance internationale de règlement) ; recevabilité (abus du droit de présenter des communications) ; recevabilité (épuisement des recours internes) ; recevabilité (griefs insuffisamment étayés)

Question(s) de fond :

Torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; conditions de détention ; procès équitable ; procès équitable (assistance d’un avocat) ; procès équitable (recours) ; non‑discrimination

Article(s) du Pacte :

7, 14 (par. 1, 3 d) et 5)) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteur de la communication est O. D., ressortissant de la Fédération de Russie, né en 1969. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 14 (par. 1, 3 d) et 5)) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 30 juillet 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande du 19 mai 2015 par laquelle l’État partie le priait d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Exposé des faits

2.1Le 27 août 2007, la Cour suprême de la République du Tatarstan, en Fédération de Russie, a déclaré l’auteur et ses coaccusés coupables de participation à un groupe criminel organisé et de la commission d’un certain nombre d’autres infractions, et les a condamnés à la réclusion à perpétuité.

2.2Le 19 mars 2009, la Chambre des affaires pénales de la Cour suprême de la Fédération de Russie, siégeant en tant que cour de cassation, a confirmé la déclaration de culpabilité et la réclusion à perpétuité.

2.3L’audience en cassation s’est tenue sans la présence d’un défenseur. Mme N., l’avocate de l’auteur qui aurait dû le représenter, ne s’y est pas présentée pour des raisons inconnues. L’auteur a refusé les services de l’avocat de la défense désigné pour lui par les autorités judiciaires, au motif que Mme N. avait assuré sa défense depuis le stade de l’enquête préliminaire et connaissait parfaitement le dossier, alors que, selon lui, l’avocat commis d’office n’aurait pas été en mesure d’étudier le volumineux dossier en si peu de temps et de le défendre efficacement.

2.4L’auteur soutient qu’en vertu de l’article 51 (par. 1 5)) du Code de procédure pénale, la représentation par un avocat est obligatoire lorsque les accusations portées contre l’accusé exposent celui-ci à une peine d’emprisonnement de plus de quinze ans, à la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort, et que, par conséquent, la cour de cassation était tenue d’assurer la participation d’un défenseur à l’audience. Le 4 décembre 2012 − soit environ trois ans et huit mois et demi après la décision de la cour de cassation − l’auteur a saisi la Cour suprême de la Fédération de Russie d’une demande de réexamen aux fins de contrôle tant du jugement rendu le 27 août 2007 que de la décision rendue en cassation le 19 mars 2009, affirmant, entre autres choses, que la cour de cassation avait violé son droit à la défense en examinant le recours sans la présence d’un avocat de la défense. Le 13 mars 2013, la Cour suprême a rejeté la demande, invoquant l’article 51 (par. 1 1)) du Code de procédure pénale et la déclaration écrite par laquelle l’auteur avait refusé les services du défenseur proposé pour conclure qu’il n’y avait aucune raison de considérer que le droit de l’auteur à la défense avait été violé.

2.5Le 6 mai 2013, l’auteur a saisi la Cour constitutionnelle d’une requête dans laquelle il dénonçait une violation de son droit à la défense par la cour de cassation et lui demandait de déclarer que l’article 51 (par. 1 5)) du Code de procédure pénale ne respectait pas un certain nombre de dispositions constitutionnelles. La Cour constitutionnelle a rejeté la requête le 17 juin 2013, mais l’auteur affirme qu’elle a quand même reconnu de facto son droit, inscrit dans la loi, à la participation obligatoire d’un défenseur en cassation et la violation de son droit à la défense, sans toutefois déterminer quel fonctionnaire ou quelle autorité devrait remédier à la violation établie.

2.6Le 23 septembre 2014, l’auteur a déposé un recours devant le Président de la Cour suprême, demandant que sa déclaration de culpabilité soit reconsidérée en raison de la découverte de faits nouveaux, et que la réclusion à perpétuité soit commuée en peine d’emprisonnement à durée déterminée. Le recours a été rejeté le 16 octobre 2014 au motif que les arrêts invoqués de la Cour constitutionnelle ne contenaient aucun fait nouveau au sens de l’article 413 (par. 4) du Code de procédure pénale.

2.7Dans une autre communication datée du 31 mai 2015, l’auteur a informé le Comité que les requêtes ultérieures qu’il avait déposées les 24 septembre et 20 novembre 2014 devant la Cour constitutionnelle avaient été rejetées, respectivement, les 30 octobre et 26 décembre 2014. Dans une nouvelle requête datée du 2 février 2015, il a demandé à la Cour de corriger, dans l’arrêt du 17 juin 2013, l’omission d’une référence à la nécessité d’un réexamen obligatoire des décisions judiciaires adoptées dans son affaire pénale, une telle omission l’empêchant de rétablir son droit à l’assistance d’un conseil. Dans un arrêt définitif du 24 mars 2015, la Cour constitutionnelle a dit n’avoir trouvé aucune raison de modifier ses décisions antérieures et rappelé que ses décisions n’étaient pas susceptibles d’appel, puis a cessé de correspondre avec l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a été privé de son droit à un défenseur pendant l’audience en cassation, en violation des droits garantis par les articles 14 (par. 1, 3 d) et 5)) et 26 du Pacte. La cour de cassation était tenue d’assurer la participation d’un avocat de la défense à l’audience devant elle, en vertu de l’article 51 (par. 1 5)) du Code de procédure pénale, qui dispose que la représentation par un avocat est obligatoire lorsque les accusations portées contre l’accusé exposent celui-ci à une peine d’emprisonnement de plus de quinze ans, à la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort.

3.2L’auteur soutient qu’à l’audience, il a été mis dans une position d’inégalité vis-à-vis de juristes professionnels, n’a pas été en mesure de se défendre pleinement sans l’assistance d’un conseil, en raison de son manque de formation juridique, et n’a pu s’opposer à l’accusation sur des points de droit. Le fait que la cour de cassation n’ait pas assuré la participation d’un défenseur à l’audience alors que les intérêts de la justice l’exigeaient constitue donc une violation des droits à l’assistance d’un conseil et à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial et du droit sans discrimination à une égale protection de la loi, garantis par les articles 14 (par. 1 et 3 d)) et 26 du Pacte.

3.3L’auteur affirme en outre que la Cour suprême, en rejetant ses demandes de réexamen des décisions rendues en première instance et en cassation (voir supra, par. 2.4 et 2.6), l’a privé du droit de faire réviser le jugement portant condamnation le concernant par une juridiction supérieure, en violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

3.4L’auteur demande que l’État partie reconnaisse la violation de son droit à une représentation en justice et à un procès équitable, que le jugement portant condamnation le concernant soit réexaminé et que la réclusion à perpétuité soit remplacée par une peine d’emprisonnement de vingt-cinq ans.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 19 mai 2015, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, soutenant qu’elle constituait un abus du droit de présenter des communications au regard de l’article 99 (al. c) du règlement intérieur du Comité. L’auteur dénonce une violation du droit à la défense que lui garantit l’article 14 (par. 3 d), en raison de l’absence d’un conseil à l’audience en cassation. L’État partie rappelle que la Chambre des affaires pénales de la Cour suprême a statué sur le pourvoi en cassation de l’auteur le 19 mars 2009, tandis que l’auteur a soumis sa communication au Comité le 4 décembre 2014 seulement, plus de cinq ans après l’examen en cassation de son affaire pénale. L’auteur ne dit rien des circonstances qui justifieraient une soumission aussi tardive de sa communication au Comité.

4.2En vertu de l’article 52 du Code de procédure pénale, un suspect ou un accusé peut, à tout stade de la procédure pénale, renoncer à son droit d’être représenté par un avocat ; cette renonciation n’est valable que si c’est le suspect ou l’accusé qui en prend l’initiative et si elle est faite par écrit. Lorsque la Cour suprême a examiné la demande de l’auteur aux fins de réexamen au titre de la procédure de contrôle, elle a établi que l’auteur avait renoncé par écrit aux services du défenseur à l’audience en cassation, et que cette renonciation n’était pas due à un manque de moyens, ce que confirmait sa déclaration du 4 mars 2009.

4.3L’État partie rappelle également que la cour de cassation a examiné l’acte d’appel en cassation déposé par l’auteur et son conseil, Mme N.

4.4Sur la base de ce qui précède, l’État partie soutient que la communication de l’auteur constitue un abus du droit de présenter des communications et que, partant, le grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 3 d)) devrait être déclaré irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.5Quant à l’allégation de l’auteur selon laquelle il a été privé de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, l’État partie soutient que la communication de l’auteur ne contient aucune information sur la violation alléguée de ce droit. Comme il ressort de la décision rendue par la cour de cassation le 19 mars 2009, ni l’auteur ni son conseil, Mme N., n’ont dénoncé une violation du droit à un procès équitable par le tribunal de première instance ; ils ont contesté l’appréciation que le tribunal avait faite des faits. Dès lors, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes en ce qui concerne le grief qu’il tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte, que ce grief est manifestement dénué de fondement et qu’il devrait être déclaré irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.6S’agissant de la violation alléguée de l’article 14 (par. 5) du Pacte, l’État partie rappelle que le jugement du 27 août 2007 a été examiné en appel le 19 mars 2009 par la Chambre des affaires pénales de la Cour suprême. Par conséquent, le grief de l’auteur est infondé et irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.7En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 26 du Pacte, et en référence à la définition de la discrimination, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas montré en quoi le fait de ne pas lui fournir de conseil pendant l’audience en cassation, conseil dont il a délibérément refusé les services, constituait une discrimination. Par conséquent, il considère que ce grief est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 29 juin 2015, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. S’agissant du temps écoulé avant qu’il saisisse le Comité, l’auteur affirme qu’il n’a cessé de saisir les tribunaux afin d’obtenir réparation, notamment par une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle devant la Cour suprême en 2012 et par des requêtes devant la Cour constitutionnelle. L’arrêt le plus récent de la Cour constitutionnelle a été rendu le 24 mars 2015, ce qui invalide l’argument de l’État partie concernant la soumission tardive de la communication.

5.2L’auteur confirme qu’il a effectivement refusé les services de l’avocat commis d’office et rappelle les raisons de son refus (voir supra, par. 2.3). Il affirme que la participation d’un conseil de la défense est obligatoire lorsque l’accusé lui-même refuse l’assistance d’un avocat ou d’un autre défenseur. La cour de cassation aurait de toute façon dû assurer la présence d’un avocat de la défense, conformément à l’article 51 (par. 1 5)) du Code de procédure pénale. Selon l’article 381 (par. 2 4)) du même Code, l’examen d’une affaire pénale en l’absence d’un défenseur dont la participation est obligatoire constitue l’un des motifs qui permettent à une cour de cassation d’annuler ou de modifier une décision judiciaire.

5.3L’auteur rejette l’argument selon lequel sa communication ne contient pas d’informations sur la violation alléguée de l’article 14 (par. 1) du Pacte ; il affirme que l’absence d’un défenseur dont la participation était obligatoire, et le fait que la décision du tribunal n’a été ni annulée ni modifiée conformément à l’article 381 (par. 2 4)) du Code de procédure pénale constituent des violations de son droit à ce que sa cause soit équitablement entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial, et de son droit à l’égalité devant les tribunaux et à l’égalité des armes.

5.4Quant à l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas démontré en quoi le fait de ne pas lui fournir un conseil constituait une discrimination, l’auteur rappelle sa position d’inégalité vis-à-vis de l’accusation et du juge pendant l’audience et son incapacité à se défendre pleinement sans l’assistance d’un conseil, en raison de son manque de formation juridique (voir supra, par. 3.2).

5.5L’auteur rappelle le libellé de l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte et fait une nouvelle fois référence aux décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Artico c . Italie et Pakelli c . République fédérale d ’ Allemagne (voir supra, par. 3.2).

Observations complémentaires de l’auteur

6.1Le 24 juin 2015, l’auteur a ajouté de nouveaux griefs à sa communication initiale du 4 décembre 2014 : il affirme que le juge de première instance n’a pas pris en considération ses objections aux parties 3, 4 et 5 du compte rendu d’audience et les a transmises à la Cour suprême de la Fédération de Russie sans examen, en violation de l’article 260 (par. 2 et 3) du Code de procédure pénale.

6.2L’auteur affirme que la Chambre des affaires pénales de la Cour suprême de la Fédération de Russie, siégeant en tant que cour de cassation, a ignoré cette violation de son droit à un procès équitable, indiquant dans sa décision du 19 mars 2009 que certaines objections au compte rendu d’audience n’avaient pas été examinées parce qu’elles avaient été reçues après le délai prévu à l’article 260 du Code de procédure pénale. Il soutient qu’il a respecté la date limite du 18 février 2008 fixée par le tribunal et avant laquelle tous les condamnés devaient avoir pris connaissance du compte rendu, et qu’il a soumis ses objections à la troisième partie le 11 février 2008, soit avant la date limite. Il ajoute que le juge à la Cour suprême de la République du Tatarstan qui aurait dû examiner ses objections a pris sa retraite avec effet au 17 janvier 2008.

6.3Le 9 juillet 2012, l’auteur a saisi la Cour constitutionnelle d’une requête alléguant une violation de l’article 260 (par. 2 et 3) du Code de procédure pénale. Le 24 septembre 2012, la Cour a refusé d’examiner la requête, mais l’auteur affirme que la Cour a néanmoins confirmé la disposition juridique susmentionnée et son droit à un procès équitable, sans toutefois déterminer quel fonctionnaire ou quelle autorité devait corriger ces violations.

6.4La demande aux fins de réexamen au titre de la procédure de contrôle, datée du 4 décembre 2012 (voir aussi supra, par. 2.4), dans laquelle l’auteur faisait notamment référence à une violation de l’article 260 (par. 2 et 3) du Code de procédure pénale, a été rejetée par la Cour suprême de la Fédération de Russie le 13 mars 2013.

6.5Le 25 avril 2013, l’auteur a déposé une plainte devant le Bureau du Procureur général, qui l’a rejetée le 1er juillet 2013. Ses recours ultérieurs (date non précisée, 28 août 2013, 22 avril 2014 et 18 août 2014) ont également été rejetés respectivement les 3 septembre 2013, 21 octobre 2013, 21 juillet 2014 et 10 octobre 2014.

6.6Sur la base de la décision rendue le 24 septembre 2012 par la Cour constitutionnelle, l’auteur a déposé une requête le 13 août 2014 devant le Président de la Cour suprême pour que son affaire soit réexaminée en raison de la découverte de faits nouveaux. Le 2 septembre 2014, la Cour suprême a rejeté cette requête.

6.7Les requêtes ultérieures de l’auteur devant la Cour constitutionnelle, datées du 8 octobre 2014 et du 27 janvier 2015, ont été rejetées respectivement le 19 novembre 2014 et le 24 mars 2015.

6.8Le 12 janvier 2015, l’auteur a déposé une requête (enregistrée sous le no 59375/14) devant la Cour européenne des droits de l’homme qui, le 12 mars 2015, l’a déclarée irrecevable en ce qu’elle ne remplissait pas les conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

6.9L’auteur affirme que le fait que ses objections au compte rendu d’audience n’ont pas été examinées constitue une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

6.10Il ajoute que ce fait constitue une violation de la législation relative à la procédure pénale (art. 260 (par. 2 et 3)) et que, conformément à l’article 379 (par. 1 2)) du Code de procédure pénale, une violation de la procédure pénale est un motif qui permet de révoquer ou de modifier le jugement en cassation. Cependant, les tribunaux ont refusé de réexaminer le jugement le concernant, en violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

6.11Enfin, l’auteur dénonce une violation du droit sans discrimination à une égale protection de la loi qu’il tient de l’article 26 du Pacte, en ce que les instances judiciaires n’ont pas examiné ses objections au compte rendu d’audience et ont par la suite refusé de corriger ce déni de justice.

Observations de l’État partie sur le fond des observations complémentaires de l’auteur

7.1Dans une note verbale datée du 21 décembre 2015, l’État partie explique que les tribunaux sont tenus d’établir un compte rendu de la procédure, conformément à l’article 259 du Code de procédure pénale. Les comptes rendus peuvent être établis par parties et celles‑ci, comme les comptes rendus dans leur intégralité, doivent être signées par le Président de la Chambre et le secrétaire. Si elles en font la demande, les parties peuvent prendre connaissance des parties du compte rendu, dès que celles-ci sont prêtes.

7.2Le Président de la Chambre fixe le délai pour prendre connaissance du compte rendu d’une séance, compte tenu du volume de celui-ci ; le délai ne peut être inférieur à cinq jours. Dans des cas exceptionnels et sur demande, ce délai peut être prolongé. Si l’une des parties à une procédure judiciaire tarde manifestement à prendre connaissance du compte rendu, le juge peut décider de fixer un délai précis à cet effet.

7.3Selon l’article 260 du Code de procédure pénale, une fois qu’elles ont pris connaissance du compte rendu, les parties disposent de trois jours pour présenter des observations.

7.4Dans l’affaire concernant l’auteur, le compte rendu d’audience comprend 1 023 pages. Il a été envoyé en plusieurs parties (cinq au total) à l’auteur et aux autres parties qui ont demandé à en prendre connaissance. La partie 3 du compte rendu (p. 360 a) à 612) a été envoyée à l’auteur le 31 mai 2007, pour qu’il en prenne connaissance dans les sept jours suivant la date de réception. Selon le formulaire pertinent signé par l’auteur, ce dernier a pris connaissance de la partie 3, le 27 novembre 2007. Toutefois, il n’a présenté ses objections que le 11 février 2008 (après plus de deux mois), puis le 7 juillet 2008. Dans sa décision rendue le 19 mars 2019 en cassation, la Chambre des affaires pénales de la Cour suprême de la Fédération de Russie a donc précisé que certaines des objections de l’auteur au compte rendu d’audience avaient été reçues après l’expiration du délai fixé. Les objections de l’auteur ont été versées au dossier de l’affaire sans avoir été examinées par le tribunal de première instance.

7.5L’auteur affirme que le tribunal a fixé le 18 février 2008 comme date limite pour la présentation des observations sur le compte rendu d’audience, et que lui-même n’a donc pas dépassé la date limite pour présenter des objections à la partie 3, mais les éléments de son dossier contredisent ses dires. Comme indiqué plus haut, le compte rendu d’audience se composait de cinq parties qui, dès qu’elles étaient prêtes, étaient transmises aux parties à la procédure pour qu’elles en prennent connaissance. Le tribunal a donc fixé des délais distincts pour la présentation d’observations sur chacune des parties. Le 18 février 2008 était la date limite fixée pour les observations sur la partie 4 du compte rendu (p. 613 à 758).

7.6Compte tenu de ce qui précède, le droit de l’auteur de prendre connaissance du compte rendu d’audience et de présenter des objections à celui-ci n’a pas été violé.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

8.1Dans des commentaires datés du 9 février 2016, l’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel il a pris connaissance de la partie 3 du compte rendu d’audience le 27 novembre 2007 ; il affirme qu’à cette date, il a seulement reçu la troisième partie pour en prendre connaissance, comme le montre le formulaire d’accusé de réception qu’il a signé.

8.2Il réfute également l’argument selon lequel le tribunal a fixé des délais distincts pour la présentation d’observations sur chacune des cinq parties du compte rendu d’audience (voir supra, par. 7.5) et affirme, en se référant à la résolution adoptée le 21 mai 2008 par le juge de la Cour suprême de la République du Tatarstan, que le tribunal a fixé au 18 février 2008 la date limite pour que chaque condamné prenne connaissance du compte rendu d’audience (c’est‑à‑dire de l’ensemble du dossier, et non d’une partie précise).

8.3L’auteur soutient que ses objections aux parties 1 et 2 du compte rendu d’audience ont été examinées par le juge le 15 janvier 2008. Le juge a ensuite pris sa retraite, avec effet au 17 janvier 2008. L’auteur a présenté des objections à la partie 3 du compte rendu d’audience le 11 février 2008, avant la date limite du 18 février 2008. Il a reçu la partie 4 le 11 février et la partie 5 le 15 mai 2008, alors que le tribunal savait déjà que les objections à ces parties ne seraient pas prises en compte en raison du départ à la retraite du juge présidant le procès. Ce n’est que le 18 novembre 2008 qu’il a été informé que ses objections au compte rendu d’audience avaient été envoyées à la Cour suprême sans avoir été examinées.

8.4L’auteur rappelle que les objections au compte rendu doivent être examinées sans délai par le juge qui, par une résolution, certifie leur exactitude ou les rejette, et que leur examen doit être approfondi et objectif. Il maintient ce qui suit : a) ses objections à la partie 3 du compte rendu d’audience n’ont pas été examinées alors qu’il les avait présentées sept jours avant la date limite du 18 février 2008 ; b) aucun délai précis n’avait été fixé pour prendre connaissance de chacune des cinq parties du compte rendu d’audience ; c) les parties 4 et 5 du compte rendu ont été transmises pour qu’il en prenne connaissance alors qu’il était entendu que toute objection à ces parties ne serait de toute façon pas examinée par le tribunal en raison du départ du juge à la retraite ; d) le fait que ses objections au compte rendu d’audience n’ont pas été examinées constitue un déni de justice. L’auteur soutient donc que les observations de l’État partie sur la violation des droits qu’il tient des articles 14 (par. 1 et 5) et 26 du Pacte sont illégitimes et sans fondement.

8.5.Dans une lettre datée du 15 février 2016, l’auteur a affirmé que le 21 mai 2015, la Cour constitutionnelle avait rejeté sa requête du 3 avril 2015 et que lors de l’examen de son affaire, les tribunaux avaient ignoré la procédure pénale applicable.

Nouvelles observations de l’auteur

9.1Le 19 juin 2016, l’auteur a complété sa communication initiale du 4 décembre 2014 par une nouvelle plainte, alléguant une violation de ses droits lors de l’enquête préliminaire, du 27 septembre 2003 au 14 juin 2006. Il affirme qu’entre le 27 septembre 2003 et le 1er mars 2004, il a passé cent seize jours dans les locaux de détention temporaire de la ville de Naberezhnye Chelny, alors que l’article 13 de la loi fédérale FZ-103 du 15 juillet 1995 (loi sur la détention avant jugement) prévoit que la détention dans les locaux de détention temporaire ne peut dépasser dix jours par mois.

9.2L’auteur dénonce également des conditions inhumaines de détention dans les locaux de détention temporaire, notamment la surpopulation dans des cellules étouffantes, mal ou non ventilées, mal éclairées et privées de lumière du jour, et infestées de punaises de lit, de cafards et de souris ; le manque de promenades en plein air ; une alimentation insuffisante (un repas par jour) ; la privation occasionnelle de colis envoyés par des proches. Le 23 mai 2005, l’auteur et ses compagnons de cellule se sont plaints des conditions de détention auprès du Bureau du Procureur de la ville de Kazan, et une plainte similaire a été déposée devant le tribunal municipal de Naberezhnye Chelny le 14 juillet 2005 (aucune information sur le résultat n’a été fournie).

9.3L’auteur ajoute que, pendant sa détention dans les locaux de détention temporaire, les enquêteurs lui ont soutiré des déclarations, en violation des droits que lui garantissent la Constitution, l’article 13 de la loi sur la détention avant jugement et les règles régissant la collecte et l’utilisation des éléments de preuve. En dépit de l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus en violation de lois fédérales, énoncée à l’article 50 (par. 2) de la Constitution, la Cour suprême de la République du Tatarstan a utilisé contre lui des preuves soutirées à ses complices de manière illégale et en violation de l’article 13 de la loi sur la détention avant jugement. Le tribunal a également rejeté sans raison sa demande aux fins de l’obtention de copies certifiées des registres du centre de détention temporaire de Naberezhnye Chelny, dans lesquels étaient consignées les entrées et les sorties des détenus, des documents qui auraient pu confirmer la violation dudit article. La Cour suprême de la Fédération de Russie (cour de cassation) a également ignoré des demandes similaires faites les 7 novembre 2008 et 12 janvier 2009, et n’en a pas fait mention dans sa décision finale du 19 mars 2009. L’auteur a donc été contraint de recueillir lui-même des preuves de la violation de l’article 13 de la loi sur la détention avant jugement, preuves qu’il a obtenues en 2008.

9.4Le 21 octobre 2013, l’auteur a déposé un recours devant le Procureur général, dénonçant une violation de l’article 13 de la loi sur la détention avant jugement, dans le cadre de la collecte d’éléments de preuve au stade de l’enquête préliminaire, l’utilisation contre lui d’éléments de preuve obtenus en violation de la loi fédérale, et les conditions inhumaines de détention dans le centre de détention temporaire de la ville de Naberezhnye Chelny. Ce recours a été rejeté le 11 décembre 2013 et un autre déposé le 15 janvier 2014 a été rejeté le 18 mars 2014, sur la base de réponses précédentes fournies à l’auteur.

9.5L’auteur a déposé des recours similaires devant le Bureau du Procureur de la ville de Kazan, de la République du Tatarstan et de la ville de Naberezhnye Chelny, respectivement les 17 janvier, 26 mars et 26 mai 2014. Dans leurs réponses datées des 7 mars, 7 mai et 9 juillet 2014, les bureaux des procureurs ont confirmé qu’au moment où l’auteur y était détenu, les locaux utilisés pour la détention temporaire n’étaient pas conformes aux exigences sanitaires et épidémiologiques légales en vigueur, mais ont considéré que les autres allégations étaient sans fondement parce qu’elles avaient été dûment examinées par les tribunaux. L’auteur a contesté ces réponses devant les tribunaux, mais sans succès. Les requêtes qu’il a déposées les 8 mai 2014 et 15 février 2016 devant le Bureau du Médiateur sont restées sans réponse.

9.6L’auteur affirme que les conditions inhumaines de détention auxquelles il a été soumis au centre de détention temporaire dans le but de lui soutirer des déclarations incriminantes qui ont ensuite été utilisées au tribunal lui ont causé une souffrance morale et mentale. Il dénonce donc une violation de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que les deux requêtes présentées par l’auteur à la Cour européenne des droits de l’homme les 21 juillet 2006 (no 36025/06) et 12 janvier 2015 (no 59375/14) ont été déclarées irrecevables respectivement les 23 février 2012 et 12 mars 2015, en ce qu’elles ne remplissaient pas les conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité rappelle que, lorsqu’il a ratifié le Protocole facultatif, l’État partie n’a pas fait de réserve excluant la compétence du Comité pour connaître d’affaires ayant déjà fait l’objet d’un examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

10.3Le Comité prend note des observations de l’État partie (voir supra, par. 4.1 à 4.4) selon lesquelles, parce que la communication de l’auteur portant sur l’absence de représentation pendant le procès en cassation n’a été soumise au Comité que plus de cinq ans après la fin de ce procès, sans aucune justification pour un tel retard, et que l’auteur avait renoncé par écrit aux services du défenseur lors du procès en cassation, la communication constitue un abus du droit de présenter des communications au regard de l’article 99 (al. c) du règlement intérieur du Comité et de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité note qu’en l’espèce, l’auteur a été déclaré coupable et condamné à la réclusion à perpétuité par la Cour suprême de la République du Tatarstan le 27 août 2007. Ce jugement a été confirmé par la Cour suprême de la Fédération de Russie, siégeant en tant que cour de cassation, le 19 mars 2009. L’auteur a soumis sa communication au Comité le 4 décembre 2014, l’a complétée le 24 juin 2015 puis une nouvelle fois le 19 juin 2016. S’il note que l’auteur justifie ces retards par les demandes qu’il a présentées devant la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle et les requêtes qu’il a déposées à partir de 2012 devant la Cour constitutionnelle pour obtenir réparation (voir supra, par. 2.4 à 2.7 et 5.1), le Comité considère que ces recours extraordinaires ne constituent pas, en eux‑mêmes, une justification convaincante pour le retard avec lequel la communication a été présentée, compte tenu du fait que la condamnation de l’auteur était devenue exécutoire le 19 mars 2019 et que, en outre, la Cour constitutionnelle n’a pas compétence pour réexaminer cette condamnation ni aucune autre décision rendue dans le cadre de l’affaire pénale concernant l’auteur.

10.5Dans les circonstances précises de l’espèce et faute de tout autre argument pertinent expliquant le retard avec lequel tous ces griefs ont été présentés, le Comité considère que la communication constitue un abus du droit de présenter des communications au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 (al. c) de son règlement intérieur.

10.6En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.