Nations Unies

CCPR/C/131/D/2960/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 mai 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2960/2017* , **

Communication présentée par :

N. U. (représenté par Leonid Sudalenko)

Victime(s) présumée(s ) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

4 janvier 2017 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 février 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

25 mars 2021

Objet :

Non-publication par les médias du programme électoral de l’auteur ; défaut d’accès à la justice

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes

Questions de fond :

Accès à la justice ; liberté d’expression ; droit de voter et d’être élu ; discrimination fondée sur l’opinion politique ou une autre opinion

Article(s) du Pacte :

14 (par. 1), 19, 25 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est N. U., de nationalité bélarussienne. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 14 (par. 1), 19, 25 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est membre du parti politique d’opposition « Parti des citoyens unis ». En 2016, des membres de ce parti, dont l’auteur, se sont présentés aux élections législatives. L’auteur, en sa qualité de candidat dans la circonscription électorale no 59 de Smorgonsk, a demandé au journal Astravetskaya Prauda de publier son programme électoral et à la société de radio-télévision Grodno de diffuser son message à l’intention des électeurs ; il y fournissait des informations concernant la campagne de son parti, intitulée « Pour des élections libres ! », et affirmait qu’au Bélarus les élections n’étaient ni libres ni transparentes. Grodno est une subdivision régionale de la télévision nationale bélarussienne, propriété de l’État. Les deux médias ont refusé − sans donner d’explication − de publier le programme de l’auteur et de diffuser son message. Le 26 août 2016, l’auteur a demandé par courrier électronique à la direction de Grodno pourquoi son discours n’avait pas été diffusé mais n’a pas obtenu de réponse. Il soutient que les faits décrits constituent une violation de son droit d’exprimer son opinion et de la partager avec l’électorat.

2.2Comme son programme critique ouvertement le régime en place, l’auteur a considéré que le refus de le publier constituait une discrimination fondée sur l’opinion politique et qu’il faisait l’objet d’une censure politique. Pour ces raisons, le 7 septembre 2016, il a saisi le tribunal du district d’Astraviets, dans la région de Grodno. Le 8 septembre 2016, le tribunal, se déclarant incompétent, a refusé d’inscrire l’action civile au rôle. Il a renvoyé au Code électoral, qui prévoit un mécanisme extrajudiciaire pour les plaintes relatives aux élections. Selon l’article 74 (par. 1) du Code électoral, tous les candidats aux élections législatives ont droit à un accès égal aux médias. Les plaintes concernant la violation de ce droit peuvent être portées devant les commissions électorales de district, les commissions électorales territoriales et la Commission électorale centrale. Les recours dont l’auteur a saisi le tribunal régional de Grodno ont été rejetés le 28 septembre 2016, pour les mêmes motifs. Les demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle formées par l’auteur ont été rejetées par le Président du tribunal régional de Grodno le 1er novembre 2016 et par la Cour suprême le 21 décembre 2016.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que le refus des médias publics de diffuser son programme électoral et son message ainsi que l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de faire examiner ses griefs par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi constituent une violation des droits qu’il tient des articles 14 (par. 1), 19, 25 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale du 20 avril 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité, dans lesquelles il affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. Il indique que, conformément au règlement no 32 sur l’utilisation des médias par les candidats aux élections législatives, adopté le 26 juin 2016 par la Commission centrale chargée des élections et des référendums, l’auteur, en tant que candidat aux élections à l’Assemblée nationale du Bélarus, avait le droit de faire diffuser ou publier gratuitement son programme électoral dans les médias.

4.2Le 19 août 2016, l’auteur a remis son programme électoral pour publication dans le journal Astravetskaya Prauda. Le 22 août 2016, il a enregistré le message qui devait être diffusé à la télévision et à la radio. Dans son programme comme dans son message, l’auteur accusait l’autre candidat de la circonscription, M. K., d’infractions à caractère économique, sans pour autant présenter de preuve. C’est pourquoi la direction des médias en question a demandé à l’auteur de modifier son programme électoral et son message, ce qu’il n’a pas fait.

4.3L’État partie fait valoir que l’article 74 du Code électoral prévoit un mécanisme extrajudiciaire pour l’examen des plaintes relatives aux violations du droit de diffusion et de publication des candidats aux élections législatives. Le Code électoral ne prévoit pas de recours devant les tribunaux pour ce type de violation parce que les campagnes électorales sont brèves et qu’il importe de disposer d’un moyen rapide et simple d’examiner les plaintes qui n’ont pas d’effet direct sur le processus électoral et sur son résultat.

4.4L’auteur a déposé deux plaintes auprès de la commission électorale du district et deux autres auprès de la Commission électorale centrale concernant le refus de l’Astravetskaya Prauda de publier son programme. Aucune des deux commissions n’a trouvé d’élément portant à croire que le journal avait agi de manière illégale. L’auteur n’a pas déposé de plainte concernant le refus de la société de télédiffusion de diffuser son message.

4.5L’État partie fournit également des informations relatives à la procédure judiciaire qui concordent avec le récit de l’auteur (par. 2.2). Il soutient qu’il est faux d’affirmer, comme le fait l’auteur, qu’une demande de réexamen des décisions de justice au titre de la procédure de contrôle adressée au bureau du Procureur ne constitue pas un recours utile. En 2016, le bureau du Procureur a transmis 2 957 recours en cassation. Au 1er janvier 2017, les juridictions avaient accédé à 1 567 des demandes en question. Au total, 298 recours avaient été introduits dans le cadre de la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle ; 218 des demandes en question avaient été accueillies.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 18 mai et le 21 juin 2017, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie ; il affirme n’avoir reçu aucune explication concrète de la part de la direction des médias concernés sur les raisons pour lesquelles son programme électoral et son message n’avaient pas été diffusés. La société de télédiffusion n’a pas répondu à la demande de renseignements qu’il lui avait adressée par courrier électronique à ce sujet ; le journal a, pour sa part, répondu en termes généraux que le contenu de son programme électoral n’était pas conforme aux articles 47 et 75 du Code électoral. Ce n’est qu’à la lecture des observations de l’État partie que l’auteur a pris connaissance des motifs pour lesquels la diffusion de son programme et de son message avait été refusée. Concernant l’argument de l’État partie selon lequel les critiques visant son adversaire n’étaient pas étayées, l’auteur soutient que l’autre candidat pouvait défendre ses droits, y compris devant les tribunaux ; celui-ci n’a toutefois déposé aucune plainte contre lui. Il affirme qu’il a étayé ses allégations en envoyant aux médias concernés une copie d’une décision de police concernant l’autre candidat. Il soutient que la principale raison pour laquelle son programme et son message n’ont pas été publiés est qu’il critique le régime au pouvoir.

5.2L’auteur fait valoir que les informations relatives aux recours en cassation transmis par le bureau du Procureur en 2016 ne précisent pas combien de ces recours concernaient des droits civils et politiques consacrés par les articles 14, 19, 25 et 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend tout d’abord note de l’argument de l’auteur selon lequel, en refusant d’examiner ses griefs au motif qu’elles n’étaient pas compétentes, les juridictions l’ont privé du droit d’accès à la justice, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Il renvoie aux paragraphes 16 et 17 de son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il définit la notion de détermination des droits et obligations de caractère civil figurant à l’article 14 (par. 1) du Pacte. Selon cette définition, la notion englobe non seulement les procédures visant à déterminer le bien-fondé de contestations sur les droits et obligations relevant du domaine des contrats, des biens et de la responsabilité civile en droit privé, mais également les procédures concernant des concepts équivalents en droit administratif. Le Comité note que les griefs relatifs à un processus électoral − qui ne concerne aucun droit ou obligation de l’auteur à caractère privé ou administratif − ne peuvent pas être considérés comme relevant de la détermination de droits et obligations de caractère civil et ne relèvent donc pas du champ d’application de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Cette partie de la communication est dès lors irrecevable ratione materiae, en application de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur aurait dû saisir le bureau du Procureur d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. À ce sujet, il rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que l’introduction auprès du bureau du Procureur d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de décisions de justice passées en force de chose jugée, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du Procureur, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En outre, il estime que cet argument n’est pas pertinent en l’espèce, puisque les tribunaux n’étaient pas compétents pour connaître des griefs de l’auteur et que seules les commissions électorales (la commission du district, la commission territoriale et la Commission électorale centrale) l’étaient.

6.5Le Comité prend note à cet égard de l’observation de l’État partie selon laquelle l’article 74 du Code électoral établit un mécanisme extrajudiciaire pour l’examen des griefs relatifs à la violation du droit de diffusion et de publication des candidats aux élections législatives. L’État partie précise que, dans le cadre de ce mécanisme, l’auteur a saisi deux fois la commission électorale du district et deux fois la Commission électorale centrale au sujet du refus du journal Astravetskaya Prauda de publier son programme électoral, et qu’après examen, les commissions électorales n’ont rien constaté d’illégal dans ce refus. L’auteur ne conteste pas les conclusions des commissions électorales ; il se plaint seulement de ne pas avoir été informé des raisons exactes pour lesquelles son message et son programme n’ont pas été diffusés ou publiés (par. 5.1). Dans ces circonstances, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.6Enfin, le Comité note que l’auteur affirme que le refus des médias de publier son programme électoral et de diffuser son message était contraire aux droits que lui reconnaissent les articles 19, 25 et 26 du Pacte. Il observe à cet égard que les allégations de l’auteur sont de nature très générale. Il observe aussi que l’auteur ne conteste pas l’argument de l’État partie selon lequel les commissions électorales n’ont rien constaté d’illégal dans l’action du journal et qu’il ne prétend pas que les commissions ont fait preuve de partialité ou que leurs décisions ont constitué un déni de justice. Dans ces circonstances, et en l’absence d’autre renseignement ou explication, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.