Nations Unies

CCPR/C/132/D/3238/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

24 août 2022

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 3238/2018 * , ** , ***

Communication présentée par :

F. F. J. H. (représenté par une avocate, S. L. I.)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Argentine

Date de la communication :

28 août 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 septembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

8 juillet 2021

Objet :

Extradition vers le Chili

Question ( s ) de procédure :

Examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; quatrième instance ; défaut de fondement ; non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains ; droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ; garanties procédurales ; protection des minorités

Article(s) du Pacte :

7, 9, 14 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteur de la communication est F. F. J. H., né le 9 mai 1986, de nationalité argentine. Il est membre du peuple mapuche et autorité coutumière (lonco) de sa communauté. Il affirme que l’État partie violerait les droits qu’il tient des articles 7, 9, 14 et 27 du Pacte si la mesure d’extradition vers le Chili prononcée à son encontre était exécutée. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 8 novembre 1986. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et conformément à l’article 94 de son Règlement, a enregistré la communication le 4 septembre 2018 et a prié l’État partie de prendre des mesures provisoires pour surseoir à l’extradition de l’auteur vers le Chili tant que la communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, qui appartient au peuple mapuche, est membre et lonko de la communauté Pu‑Lof située dans le département de Cushamen (province de Chubut, en Argentine). Étant donné qu’il n’y pas de médecins traditionnels mapuche (connus sous le nom de machi) sur le territoire argentin, les membres du peuple mapuche qui résident en Argentine traversent fréquemment la frontière avec le Chili pour consulter des médecins traditionnels installés sur le territoire chilien et recevoir des soins médicaux traditionnels. C’est pourquoi, le 30 janvier 2013, l’auteur se trouvait au Chili au domicile de la m achi M. H. P., membre de la communauté Roble Carimallín, dans la commune de Río Bueno (région de Los Ríos) pour y recevoir des soins médicaux.

2.2Alors que la séance de médecine traditionnelle était en cours, des carabiniers chiliens ont fait irruption chez la machi et l’ont arrêtée, ainsi que l’auteur et trois autres membres du peuple mapuche. Ils ont tous été accusés d’avoir incendié volontairement, le 9 janvier 2013, une maison d’habitation située dans une exploitation agricole et d’avoir fabriqué des armes à feu et des munitions. L’auteur a également été accusé d’être entré illégalement au Chili.

2.3L’auteur a été placé en détention provisoire au Chili le 30 janvier 2013, jour de son arrestation, et il est resté détenu à ce titre jusqu’au 7 janvier 2014.À partir du 7janvier 2014, il a bénéficié d’un régime de détention de nuit (à savoir qu’il était autorisé à sortir pendant la journée mais devait dormir en prison). Il a par la suite été assigné à résidence au Chili jusqu’au procès prévu en octobre 2014. Cependant, comme il ne disposait pas des moyens financiers nécessaires pour couvrir les frais d’un séjour prolongé dans ce pays, lequel risquait en outre d’aggraver le profond déracinement qu’il ressentait du fait d’être séparé de sa communauté et de sa famille du côté argentin, il est retourné en Argentine en empruntant un passage culturel mapuche ancestral.

2.4En octobre 2014, l’auteur ne s’est pas présenté à son procès devant le tribunal pénal de Valdivia (Chili), et a donc été considéré comme un fugitif par les autorités chiliennes.

2.5Le 5 février 2015, des informations extorquées par la torture à un membre du peuple mapuche ont permis à la police de Chubut (Argentine), de découvrir l’endroit où s’était réfugié l’auteur. Le 9 février 2015, le Bureau du Procureur de Rio Bueno (Chili), qui avait été informé du lieu où se trouvait l’auteur grâce à des renseignements fournis par l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) et la Direction générale de coopération régionale et internationale du Bureau du Procureur général (Argentine), a demandé son extradition.

2.6À compter du 24 mai 2016, le Groupe des opérations spéciales de la police d’Argentine a filmé la communauté de l’auteur dans ses activités quotidiennes, dans le but de le localiser. Le 27 mai 2016, ce groupe a mené une intervention au sein de la communauté, expulsé violemment tous ses membres et arrêté l’auteur.

2.7L’auteur a été placé en détention provisoire et y est demeuré jusqu’au 6 septembre 2016, date à laquelle le tribunal fédéral de première instance d’Esquel (province de Chubut) a déclaré irrecevable le rapport de police du 5 février 2015 qui faisait état du lieu où se trouvait l’auteur car il avait été établi sur la base d’informations obtenues par la torture (par. 2.5). Le tribunal a donc ordonné la libération de l’auteur.

2.8Le 22 septembre 2016, le procureur fédéral d’Esquel a fait appel de cette décision devant la Cour suprême de justice.

2.9Le 27 juin 2017, alors que l’appel était encore en instance, l’auteur a de nouveau été arrêté, sur la base du même mandat d’arrêt international, et une deuxième procédure judiciaire d’extradition a été ouverte devant le tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche − (Argentine).

2.10Le 3 août 2017, la Cour suprême de justice a finalement statué sur le recours introduit par le procureur fédéral d’Esquel dans le cadre de la première procédure d’extradition (par. 2.8), confirmant la décision de première instance ordonnant la libération de l’auteur au motif que le rapport de police était irrecevable.

2.11Le 5 mars 2018, le tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche a toutefois décidé d’accéder à la demande d’extradition.

2.12Le 16 avril 2018, l’auteur a fait appel devant la Cour suprême de justice. Le 23 août 2018, la Cour a confirmé la décision d’extradition.

2.13Au moment de la présentation de la communication, l’auteur était détenu dans l’établissement pénitentiaire no 14 de la ville d’Esquel, en attendant d’être extradé vers le Chili.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la communication s’inscrit dans un contexte de criminalisation du peuple mapuche liée à la revendication par celui-ci de ses droits fonciers traditionnels face à l’acquisition illégale de terres faisant partie de son territoire par la Compañía de Tierras Sud Argentino S.A. et par l’homme d’affaires italien Luciano Benetton, fondateur de la société transnationale Benetton. L’auteur précise que l’une des principales organisations à l’origine de cette revendication territoriale est le Mouvement mapuche autonome du Puelmapu, dont il est l’un des dirigeants. Il indique qu’il est également inculpé dans l’État partie dans le cadre de trois autres affaires pénales (usurpation, vol de bétail et possession d’une arme à feu ; incitation à la violence collective et incitation à la violence collective et acte d’intimidation), inculpations qu’il considère comme de la persécution en représailles à ses activités de défense du territoire. L’auteur fait mention en outre des poursuites pénales dont est l’objet la communauté de la m achi au Chili en raison de l’action qu’elle mène pour défendre son territoire traditionnel contre la construction d’un barrage hydroélectrique décidée sans le consentement préalable, formulé librement par les personnes concernées en toute connaissance de cause.

3.2L’auteur affirme que les recours internes ont été épuisés et qu’il est sur le point d’être extradé vers le Chili, où sa santé et son intégrité physique et spirituelle risquent d’être menacées, et prie donc le Comité de demander que des mesures provisoires soient prises pour surseoir à son extradition tant que l’affaire est à l’examen.

3.3En particulier, l’auteur affirme qu’en cas d’extradition, il y aurait violation de l’article 7 du Pacte, car il risquerait d’être torturé au Chili. Il rappelle que le Comité contre la torture, dans ses observations finales concernant le Chili, s’est notamment inquiété de l’application abusive de la loi antiterroriste pour poursuivre les activistes mapuches qui commettent des actes violents contre la propriété privée, de la brutalité policière et de l’usage excessif de la force contre des membres du peuple mapuche ainsi que des mauvaises conditions sanitaires et d’hygiène en milieu carcéral. L’auteur affirme avoir déjà subi des traitements cruels et dégradants alors qu’il était en détention provisoire dans ce pays, notamment des châtiments corporels et des insultes, avoir été harcelé par les gendarmes en raison de sa nationalité argentine et avoir été exposé au froid parce que la prison n’est pas chauffée et qu’il n’y a pas de vitres aux fenêtres.

3.4L’auteur affirme en outre que les droits qu’il tire de l’article 9 du Pacte ont été violés, avançant que même si les deux États ont ratifié la Convention de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux (no 169) de l’Organisation internationale du Travail, dont l’article 10 encourage la préférence pour des peines autres que l’emprisonnement pour les membres de ces peuples, cette spécificité n’est pas prise en compte par les autorités judiciaires, qu’elles soient chiliennes ou argentines, et qu’en conséquence, il subit un déracinement familial, communautaire et culturel. Selon l’auteur, les attaques de panique ainsi que les ulcères chroniques, les vomissements de sang et les douleurs dans différentes parties du corps dont il souffre en détention résultent du fait que son esprit « n’est pas dans la demeure qui est la sienne et étouffe à être enfermé ».

3.5L’auteur affirme également qu’il y a violation de l’article 14 du Pacte, indiquant que la décision d’extradition n’est pas conforme au droit étant donné qu’elle se fonde sur un rapport de police faisant état d’informations obtenues par la torture, que la deuxième procédure d’extradition a été engagée alors que la première était encore en cours et que le juge de Bariloche n’était pas le juge naturel.

3.6Enfin, l’auteur estime que son absence déséquilibre et prive de protection la communauté tout entière, du fait du lien intrinsèque qui s’établit entre le lon c o, sa communauté et son territoire, et qu’il résulte de cette situation une violation de l’article 27 du Pacte. Il souligne que les lon c os sont considérés comme les dépositaires de la sagesse ancestrale, qu’ils dirigent le processus de décision et président à d’importantes cérémonies religieuses.

3.7L’auteur demande, à titre de réparation, que l’État partie mette fin aux poursuites à l’encontre des membres du peuple mapuche, cesse de les déposséder de leurs terres ancestrales au profit de sociétés transnationales, qu’il leur garantisse l’égalité de traitement devant les tribunaux et les instances judiciaires et qu’il prenne des sanctions contre les agents de l’État qui se rendent coupables de violences à l’encontre des personnes appartenant au peuple mapuche.

Informations complémentaires communiquées par les parties après l’enregistrement et l’octroi de mesures provisoires

4.1Dans des lettres datées des 10 et 23 septembre et du 7 octobre 2018, l’auteur fait savoir que sa demande de libération avait été rejetée par le tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche au motif qu’il pourrait tenter d’échapper à la justice. Il a indiqué également avoir été extradé le 11 septembre 2018, sans carte d’identité nationale ni passeport, sans vêtements de rechange et alors que ceux qu’il portait n’étaient pas suffisamment chauds pour faire face à un climat rigoureux, et sans ses produits de médecine traditionnelle (lawen) ni articles d’hygiène personnelle. L’auteur a précisé que la prison de Valdivia (Chili) dans laquelle il est détenu, est souvent inondée, qu’il n’y a pas de vitres aux fenêtres et qu’elle n’est pas chauffée.

4.2L’auteur a également indiqué que son extradition avait été prononcée lors d’un procès qui s’était déroulé le 4 décembre 2018 et a rappelé que le Comité contre la torture s’était inquiété du caractère large et vague de la définition des infractions terroristes au Chili et de leur application abusive pour poursuivre des militants mapuches accusés d’avoir commis des actes violents ayant entraîné des dommages à la propriété privée, ainsi que du nombre de décès en détention, qui avait atteint 1 262 entre 2010 et juin 2018.

5.Le 11 septembre 2018, l’État partie a signalé, dans une note verbale, qu’il avait examiné la demande de mesures provisoires à la lumière des dispositions du Protocole facultatif et qu’il ne ressortait de la communication aucun argument ni fait nouveau sur lesquels la Cour suprême de justice de la nation n’ait déjà statué. L’État partie a précisé que l’auteur avait pu exercer son droit à la défense sans restriction tout au long de la procédure judiciaire d’extradition, et que son affaire avait même été examinée par la Cour suprême de la nation. Cependant, toutes les instances judiciaires avaient déjà rejeté les arguments que l’auteur avançait dans la communication et avaient conclu que la demande d’extradition était recevable car les pièces du dossier ne permettaient pas d’établir que l’auteur risquait d’être persécuté, maltraité, torturé ou de subir une violation de son droit à une procédure régulière une fois qu’il serait remis aux autorités chiliennes. Pour cette raison, l’État partie a indiqué qu’il considérait la demande d’extradition de l’auteur recevable, mais qu’il formulerait des observations sur la recevabilité et le fond dans le délai fixé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

6.1Le 5 novembre 2018, l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable au motif qu’il ne peut jouer le rôle de quatrième instance et que la même affaire était en cours d’examen devant le système interaméricain des droits de l’homme.

6.2En ce qui concerne l’allégation d’irrecevabilité au regard de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, l’État partie fait valoir que tous les griefs dont le Comité est actuellement saisi ont déjà été soumis à la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans le cadre de la demande de mesures de protection no MC‑18‑17 du 13 janvier 2017. Cette demande a été présentée par le lonco en qualité de requérant et au nom des membres de la communauté Pu-Lof, dans le cadre de la revendication d’un territoire ancestral, et porte sur la procédure d’extradition requise à l’encontre de l’auteur et la prétendue criminalisation de ses activités. L’État partie précise que, dans ses réponses à la Commission, il a déjà fait référence en détail au mandat d’arrêt international aux fins d’extradition et aux mesures prises par les tribunaux argentins en ce qui concerne la procédure d’extradition.

6.3S’agissant du grief d’irrecevabilité lié à la question de la quatrième instance, l’État partie affirme que du fait du mandat d’arrêt international émis le 27 octobre 2014 (l’auteur avait enfreint les règles de son assignation à résidence pour rentrer en Argentine et ne s’était pas présenté devant le tribunal chilien), la première procédure d’extradition n’a été engagée que le 27 mai 2016 devant le tribunal fédéral d’Esquel et que, le même jour, l’auteur a été traduit devant le collège de juges pénaux d’Esquel pour une affaire concernant des infractions commises en Argentine (délits présumés d’usurpation et de vol aggravé de bétail au détriment de la Compañía de Tierras Sud Argentino S.A.). Toutefois, le 6 septembre 2016, le tribunal fédéral d’Esquel a déclaré irrecevable la requête dont il était saisi et ordonné la libération de l’auteur, au motif que les forces de sécurité de la police avaient été informées de manière non conforme à la loi de la présence de l’auteur en Argentine dans le cadre d’une action en justice intentée contre un autre membre de la communauté mapuche (par. 2.7). L’ordonnance de mise en liberté est devenue définitive le 3 août 2017 lorsque la Cour suprême de justice a déclaré irrecevable l’appel formé par le parquet (par. 2.10).

6.4L’État partie souligne également que la deuxième procédure d’extradition a été déclenchée le 27 juin 2017 lorsque l’auteur a été arrêté dans le cadre d’une opération de sécurité routière parce qu’il circulait à bord d’un véhicule dont le nombre de passagers dépassait la capacité autorisée. Comme il existait un mandat d’arrêt international, le juge en charge du tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche qui était le juge compétent de permanence cette nuit-là, a été notifié. Le 7 septembre 2017, le tribunal a décidé que puisque dans la première affaire d’extradition le tribunal fédéral d’Esquel ne s’était pas prononcé sur le fond ou sur la recevabilité de la demande d’extradition du Chili, mais seulement sur la validité du rapport de police de Chubut, il n’y avait pas identité d’objet entre les deux procédures, de sorte que la clôture du premier dossier autorisait la poursuite de la deuxième et unique procédure d’extradition.

6.5L’État partie souligne que le tribunal fédéral d’Esquel, en se prononçant sur une exception d’incompétence présentée par l’avocat commis d’office d’Esquel afin que le juge de cette section se saisisse de la nouvelle procédure d’extradition, a estimé que rien n’empêchait le tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche de procéder à l’extradition. En effet, la décision du tribunal fédéral d’Esquel d’invalider la demande d’extradition dans la première procédure n’entraînait pas son rejet en tant que tel, lequel devrait être fondé sur le non-respect des conditions de fond de l’accord d’assistance internationale applicable, ce qui n’avait pas fait l’objet d’une décision.

6.6L’État partie a confirmé que, le 5 mars 2018, le tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche avait déclaré recevable la demande d’extradition (par. 2.11) au motif des poursuites pénales engagées pour incendie criminel dans un lieu d’habitation et détention illégale d’une arme à feu, mais irrecevable pour détention illégale de munitions et violation de la loi sur les étrangers résultant de l’entrée illégale dans le pays. En examinant l’opportunité d’accorder ou de refuser l’extradition, le tribunal a vérifié que les motifs de refus ne s’appliquaient pas, à savoir la prescription de l’action pénale et de la peine, que l’auteur ne serait pas jugé en Argentine à raison des mêmes faits et que la demande ne visait pas des infractions considérées comme des infractions politiques, en application de l’article 8 (al. d)) de la loi sur la coopération internationale en matière pénale, qui interdit l’extradition lorsqu’il est avéré que celle-ci est utilisée à des fins de persécution en raison des opinions politiques de la personne visée. L’État partie indique que le tribunal a déjà largement étayé les raisons pour lesquelles les allégations de l’auteur concernant les persécutions dont il serait l’objet en raison de ses opinions politiques et de son appartenance au peuple mapuche n’ont pas été retenues, en indiquant notamment que l’appartenance au peuple mapuche a été invoquée dans le procès qui s’est tenu au Chili non pas comme une circonstance aggravante − qui donnerait foi à la version de l’accusation − mais comme une circonstance atténuante s’agissant de la peine infligée à un autre des accusés. La Cour a estimé, après un examen approfondi, que la procédure menée au Chili présentait les caractéristiques d’une procédure régulière, pour laquelle la loi antiterroriste ne s’applique pas puisque les accusés sont poursuivis pour des crimes de droit commun. De même, en raison des allégations de l’auteur concernant les mauvais traitements qu’il risquait de subir en cas d’extradition vers le Chili, le tribunal a également évoqué la situation carcérale et a noté que non seulement le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste avait constaté que des adaptations avaient été faites pour répondre aux besoins spécifiques des détenus mapuches, mais aussi que l’auteur n’avait fourni aucun élément qui aurait pu faire présumer de tels mauvais traitements.

6.7L’État partie a également relevé que le 23 août 2018, la Cour suprême de justice avait confirmé la décision en appel (par. 2.12), déclarant que la demande d’extradition de l’auteur aux fins de jugement était recevable, à condition que les autorités chiliennes tiennent compte de la période de détention déjà purgée dans le cadre de la précédente procédure d’extradition. L’État partie a indiqué que la Cour suprême avait également répondu à chacun des points réitérés par l’auteur devant le Comité, en notant qu’il s’était vu garantir l’exercice de diverses pratiques de la culture mapuche − telles que les soins de santé et la tenue régulière de cérémonies ancestrales − pendant sa détention provisoire. En autorisant l’extradition, les autorités de l’État partie ont également indiqué que le transfert des éléments cérémoniels du requérant devait être assuré. Enfin, l’État partie a souligné que l’auteur n’ayant pas de carte d’identité nationale en sa possession, le juge avait demandé au bureau national de l’enregistrement de l’aéroport de lui délivrer ce document en urgence le jour de l’extradition, de sorte qu’il avait effectivement voyagé avec un document d’identité, contrairement à ses affirmations (par. 4.1).

6.8L’État partie a donc fait valoir que le système judiciaire argentin avait agi en pleine conformité avec les normes internationales s’agissant de la procédure d’extradition, puisque les juges compétents avaient fait preuve d’impartialité et étaient intervenus dans un délai raisonnable et dans le plein respect des garanties d’une procédure régulière, en tenant compte de la norme internationale qui oblige les États à ne pas extrader une personne lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable, élément qui a été dûment et rigoureusement examiné avant d’être exclu. L’État partie conclut que l’auteur ne fait que répéter devant le Comité des arguments qui ont été présentés et rejetés par les tribunaux nationaux de manière légale et dûment motivée, et que le Comité ne peut jouer le rôle de quatrième instance.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

7.1Le 10 janvier 2019, l’auteur a affirmé que l’État partie avait violé le Protocole facultatif en ne se conformant pas à la mesure provisoire demandée par le Comité, car si l’examen de la communication devait conclure à l’existence des déficiences alléguées dans la procédure d’extradition, le préjudice causé ne pourrait pas être réparé, ce qui affecterait de manière irréversible le droit de soumettre une communication.

7.2Selon l’auteur, la communication devrait être déclarée recevable car, lorsque la Commission interaméricaine des droits de l’homme est saisie d’une demande de mesures provisoires de protection, elle apprécie uniquement l’existence d’un risque grave et imminent et n’examine pas les violations.

7.3Enfin, l’auteur indique qu’il a été condamné par l’État chilien à une peine de neuf ans d’emprisonnement pour incendie criminel et possession illégale d’une arme à feu, dans un jugement en date du 21 décembre 2018, et que l’Argentine a également déposé une demande d’extradition, étant donné qu’elle a décidé de le juger pour l’une des trois affaires pour lesquelles des poursuites ont été engagées à son encontre (par. 3.1).

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Le 4 mars 2019, l’État partie a réaffirmé que les griefs soulevés par l’auteur dans la communication soumise au Comité, concernant la violation des articles 7, 9 et 14 du Pacte dans le cadre de la procédure d’extradition, avaient déjà été dûment examinés par le système judiciaire argentin, qui avait statué dans le plein respect des normes internationales pertinentes, et que l’auteur cherchait donc à obtenir du Comité qu’il se prononce en quatrième instance. L’État partie rappelle également qu’il s’est employé à prendre en considération les besoins spécifiques de l’auteur, qu’il lui a garanti l’exercice de diverses pratiques culturelles dans son lieu de détention en Argentine (soins de santé par la médecine traditionnelle et pratique de cérémonies ancestrales en vue de préserver son lien avec sa communauté) et qu’il a demandé que lors de l’extradition les éléments cérémoniels de l’auteur soient également transférés. Par conséquent, l’État partie estime qu’il n’y a pas de violation de l’article 27 du Pacte.

8.2L’État partie souligne que les tribunaux chiliens ont pleinement respecté les conditions auxquelles l’extradition a été accordée : l’auteur a été poursuivi par les tribunaux argentins pour des infractions passibles d’extradition et le temps passé en détention provisoire a été pris en compte dans la condamnation. En outre, il semble que cette procédure a été menée par des juges compétents, indépendants et impartiaux, et que l’auteur a pu bénéficier des garanties d’une procédure régulière et exercer son droit à la défense. La condamnation pénale a également été réexaminée par la Cour suprême de justice chilienne à la suite d’un recours en annulation formé par l’auteur. Enfin, l’État partie fait valoir que l’auteur bénéficie de conditions de détention respectueuses des normes internationales, de sorte qu’il n’existe pas de risque de préjudice irréparable comme cela a été allégué.

Informations complémentaires des parties

9.Le 9 avril 2019, l’auteur a demandé au Comité de purger en Argentine la peine à laquelle il a été condamné au Chili, afin qu’il puisse être près de sa communauté et de sa famille. Il a également demandé une indemnisation pour les dommages subis du fait du non‑respect de la mesure provisoire demandée par le Comité.

10.Le 19 juin 2019, l’État partie a fait savoir que le dossier concernant la demande de mesures de protection avait été clos le 10 avril 2019 par la Commission interaméricaine des droits de l’homme.

11.Le 13 juillet 2019, l’auteur a réaffirmé que l’État partie avait enfreint le Protocole facultatif en ne respectant pas la mesure provisoire et a répété que la procédure d’extradition serait illégale en raison de l’absence de garanties minimales.

12.Le 10 août 2019, l’auteur a fait valoir que la demande d’extradition que l’État partie avait soumise afin de l’entendre dans l’affaire ouverte à son encontre pour usurpation et vol de bétail au détriment de l’entreprise Compañía de Tierras Sud Argentino S.A. était restée sans suite car les conditions à cet effet n’avaient pu être réunies : l’usurpation n’est pas une infraction passible d’extradition car elle est punie d’une peine minimale de six mois de prison et non d’un an. De même, il a soutenu que l’État partie avait rejeté sa demande d’abandon définitif des poursuites dans cette affaire au motif que le délai légal de trois ans prévu à l’article 146 du Code de procédure pénale de Chubut était écoulé.

13.Le 10 octobre 2019, l’État partie a invoqué l’absence de lien entre les poursuites pénales à l’encontre de l’auteur pour les griefs d’usurpation et de vol de bétail au détriment de Compañía de Tierras Sud Argentino S.A. et l’objet de la communication, laquelle concerne la violation présumée des droits lors de l’extradition. Toutefois, l’État partie précise qu’un recours extraordinaire a été formé pour contester la décision de rejet de la demande d’abandon définitif des poursuites présentée par l’auteur, lequel est toujours en cours, et que par conséquent les voies de recours internes à cet égard n’ont pas encore été épuisées.

14.Le 25 avril 2020, l’auteur a fait savoir que la veille, il avait été placé à l’isolement à titre préventif dans la prison de Temuco, où il purgeait sa peine, parce qu’il avait été en contact avec une psychologue porteuse du virus responsable de la COVID-19, et qu’il craignait que ses soins de santé par la médecine traditionnelle et son alimentation culturellement adaptée ne puissent plus être assurés.

15.Le 29 mai 2020, l’État partie a invoqué l’incompétence ratione loci pour les griefs mentionnés au paragraphe 14 parce qu’ils concernaient la juridiction du Chili. Sans préjudice de ce qui précède, l’État partie indique que le consulat argentin de la ville de Concepción (Chili) a contacté la prison de Temuco par téléphone le 13 mai 2020 et a été informé qu’une quarantaine générale avait été imposée parce que la psychologue qui intervenait dans le cadre du programme de réinsertion sociale des détenus était asymptomatique mais avait été testée positive au virus de la COVID‑19, et que l’auteur avait été testé négatif au coronavirus. Le consulat a également été informé que l’auteur passait deux à cinq appels téléphoniques par semaine à sa famille et à ses avocats, et que les détenus disposaient de trois ordinateurs et pouvaient utiliser des plateformes telles que Facebook et Skype. Le 15 mai 2020, le Consul a pu joindre l’auteur directement par téléphone, lequel a déclaré qu’il était en bonne santé et qu’il pouvait communiquer avec sa famille en passant des appels téléphoniques internationaux depuis le téléphone de garde du pavillon des Mapuches, qu’il recevait des appels d’Argentine tous les jeudis et que des appels vidéo de quinze à vingt minutes avaient lieu tous les vendredis. Enfin, il a déclaré qu’il consultait actuellement ses avocats s’agissant de l’application du Traité sur le transfèrement des ressortissants condamnés et l’exécution des jugements répressifs.

Délibérations du Comité

Inobservation par l’État partie des mesures provisoires demandées

16.1Le Comité note qu’adopter des mesures provisoires en application de l’article 94 de son règlement intérieur, conformément à l’article premier du Protocole facultatif, luiest indispensable pour exercer la fonction qui lui est assignée par cet article. Le refus de faire droit à une demande de mesures provisoires qu’il a formulée dans le but de prévenir un préjudice irréparable compromet la protection des droits consacrés par le Pacte.

16.2Comme il est indiqué au paragraphe 19 de l’observation générale no 33 (2008) du Comité, sur les obligations des États parties en vertu du Protocole facultatif, l’inobservation des mesures provisoires est incompatible avec l’obligation de respecter de bonne foi la procédure d’examen des communications soumises par des particuliers établie par le Protocole facultatif. Le Comité considère donc qu’en ne donnant pas effet à la demande de mesures provisoires qui lui a été transmise le 4 septembre 2018, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en application de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

17.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

17.2Le Comité, conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, dans le cadre de la demande de mesures de précautions no MC‑18‑17 déposée le 13 janvier 2017 devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, tous les griefs soumis au Comité ont déjà été notifiés, de sorte que l’État partie, dans ses différentes réponses à la Commission, a déjà fait référence de manière détaillée à la criminalisation présumée des activités de l’auteur, au mandat d’arrêt international aux fins d’extradition et aux mesures prises par les tribunaux argentins dans le cadre du processus d’extradition. Le Comité note également l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif n’empêche pas le Comité d’examiner la communication étant donné que lorsqu’elle est saisie d’une demande de mesures provisoires, la Commission n’enquête pas sur les violations des droits de l’homme et ne les examine pas, mais apprécie uniquement l’existence d’un risque grave et imminent. Le Comité note également que, selon les informations fournies par l’État partie, la Commission a clos le dossier de demande de mesures de protection.

17.3Le Comité considère qu’étant donné que la Commission interaméricaine des droits de l’homme a mis fin à la procédure de demande de mesures provisoires de protection no MC‑18-17, cette question n’est plus pendante devant l’organe régional susmentionné. Par ailleurs, le Comité considère qu’en l’absence de pétitions individuelles associées à des demandes de mesures provisoires déposées auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme ou dont la Cour interaméricaine des droits de l’homme est saisie, ces organes n’examinent pas le fond de l’affaire, et les procédures concernant ces mesures et pétitions sont donc indépendantes. Ainsi, il n’y a pas « examen » de la question au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Dans ces conditions, et en l’absence d’informations indiquant que la même question a été ou est actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

17.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable parce que l’auteur, se contentant de répéter devant le Comité des arguments que les tribunaux nationaux ont déjà examinés de manière légale et étayée avant de les rejeter, cherche à obtenir que celui-ci joue le rôle de quatrième instance. Àcet égard, le Comité prend note des déclarations de l’État partie qui affirme que les autorités judiciaires sont intervenues dans la procédure d’extradition dans le plus strict respect des normes internationales, par le truchement de juges compétents et impartiaux, agissant dans un délai raisonnable, conformément aux garanties d’une procédure régulière et en tenant compte de l’obligation de ne pas extrader une personne lorsqu’il existe un risque de préjudice irréparable. En particulier, l’État partie avance que la clôture du premier dossier de demande d’extradition au motif que les forces de sécurité de la police avaient été informées de manière non conforme à la loi du lieu où se trouvait l’auteur a permis la poursuite de la deuxième et unique procédure d’extradition, qui a été lancée à la suite de l’arrestation de l’auteur en relation avec une infraction au Code de la route. Il avance également que le tribunal fédéral d’Esquel a jugé que rien n’entravait la procédure d’extradition par le tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche (par. 6.5), qu’en examinant l’opportunité de l’extradition, ledit tribunal l’a autorisée pour certaines infractions mais pas pour d’autres, que le tribunal a vérifié le respect des conditions de non-prescription, à savoir que le requérant n’était pas poursuivi dans l’État partie pour les mêmes faits et que les infractions reprochées n’étaient pas de nature politique. Il fait en outre valoir que le tribunal a motivé de manière détaillée sa décision de rejeter les allégations de persécution liée à l’appartenance au peuple mapuche, qu’il a examiné la procédure au Chili pour s’assurer que les garanties d’une procédure régulière seraient respectées et qu’il a évoqué la situation des prisons chiliennes. L’État partie précise aussi que, pour sa part, la Cour suprême de justice a confirmé le bien-fondé de l’extradition, à condition que les autorités chiliennes comptabilisent le temps déjà passé en détention et a également noté que l’auteur s’était vu garantir l’exercice de diverses pratiques culturelles pendant sa détention provisoire. LeComité prend également note des allégations de l’auteur qui affirme que le peuple mapuche fait l’objet de poursuites parce qu’il revendique des droits fonciers, que ses détentions étaient illégales, qu’il n’a pas bénéficié de garanties minimales ni d’un juge compétent dans le cadre de la procédure d’extradition, et qu’il a déjà subi des traitements cruels et dégradants en prison au Chili, tels que des châtiments corporels et des insultes, qu’il a été victime de harcèlement parce qu’il est argentin et qu’il a été exposé au froid.

17.5Le Comité fait observer que les griefs de l’auteur se rapportent principalement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve et à l’application de la législation nationale par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’appréciation des faits et des éléments de preuve relève en principe de la compétence des tribunaux nationaux, à moins qu’elle ne soit manifestement arbitraire ou constitutive d’un déni de justice. En outre, il convient d’accorder du poids à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les États parties afin de déterminer l’existence du risque allégué de préjudice irréparable en cas d’extradition, d’expulsion ou de refoulement.

17.6Le Comité fait observer que le Comité contre la torture a estimé que, s’il n’existait pas actuellement au Chili un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, la situation en Araucanie (qui comprend la ville de Temuco, où l’auteur est actuellement incarcéré) à l’égard de certains dirigeants mapuches revendiquant leurs droits fondamentaux était préoccupante à maints égards. Le Comité contre la torture et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale se sont eux aussi dits préoccupés par l’utilisation de la loi antiterroriste pour réprimer les manifestations des dirigeants mapuches réclamant la restitution de leurs terres ancestrales. Le Comité des droits de l’homme note également que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a ordonné au Chili d’annuler les condamnations pénales prononcées à l’encontre de Mapuches et de défenseurs des droits des peuples autochtones pour des actes injustement qualifiés de terroristes.

17.7Toutefois, en plus du contexte général, il doit exister également un risque personnel de préjudice irréparable. En l’espèce, le Comité fait observer que l’auteur ne lui a fourni aucune information digne de foi sur les mauvais traitements qu’il dit avoir subis au Chili pendant sa détention provisoire, et que, d’après des informations communiquées par l’État partie et non démenties par l’auteur, celui-ci, depuis son lieu d’incarcération au Chili, a récemment indiqué au Consul d’Argentine dans la ville de Concepción − qui a pu s’entretenir directement avec l’auteur par téléphone − qu’il était en bonne santé et pouvait communiquer avec sa famille par téléphone et par appel vidéo (par. 15).

17.8En particulier, après avoir examiné les documents soumis par les parties, le Comité estime qu’aucun des éléments portés à sa connaissance ne permet d’affirmer que l’examen des faits et des preuves par les autorités nationales a été entaché d’irrégularités ou contraire aux dispositions du Pacte. Le Comité note en effet que la procédure d’extradition a commencé avec la garde à vue de l’auteur le 27 mai 2016, mais qu’elle a été déclarée nulle et non avenue par le tribunal fédéral d’Esquel au motif que les forces de police avaient été informées du lieu où se trouvait l’auteur en recourant à des pratiques illégales − ce qui a été confirmé par la Cour suprême de justice − et qu’elle a été relancée le 27 juin 2017 à la suite de l’arrestation de l’auteur en relation avec une infraction au Code de la route, relevant de la compétence du juge fédéral qui était de permanence, lequel siégeait au tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche. Le Comité note également que les autorités judiciaires de l’État partie ont motivé de manière approfondie le rejet des allégations de l’auteur concernant l’absence de garanties minimales dans la procédure d’extradition, et ont examiné avec soin l’allégation de risque de mauvais traitements en cas d’extradition.

17.9À cet égard, le tribunal fédéral de San Carlos de Bariloche, avant l’extradition, a analysé de manière approfondie l’allégation de l’auteur concernant la nullité présumée de la procédure d’extradition (p. 13 à 20 du jugement). Le tribunal a également examiné si les conditions requises dans la Convention interaméricaine sur l’extradition pour autoriser une extradition étaient réunies, à savoir que l’infraction ait été commise sur le territoire de l’État requérant et que l’infraction ayant motivé la demande soit punissable d’une peine d’au moins un an de prison. À l’issue de cet examen, le tribunal a déclaré la demande d’extradition recevable au motif des poursuites pénales engagées pour incendie criminel et détention illégale d’une arme à feu, mais irrecevable pour détention illégale de munitions et entrée illégale dans le pays (p. 21 à 34 du jugement). Le tribunal s’est également assuré qu’il n’existait pas de motifs de refus, à savoir que l’action pénale n’était pas prescrite, que l’auteur ne devait pas comparaître devant un tribunal d’exception et que les infractions n’étaient pas de nature politique (p. 34 à 47 du jugement), et a vérifié en outre que les conditions de pure forme étaient remplies (p. 47 et 48 du jugement). Le tribunal a ensuite examiné de façon approfondie les allégations de l’auteur concernant les persécutions liées à ses opinions politiques et à son appartenance ethnique (p. 48 à 59 du jugement). À cet égard, au vu de la doctrine et de la jurisprudence pertinentes − dont il ressort qu’en matière d’extradition, le traitement des dossiers dans le respect des formes régulières est la preuve de l’absence de persécutions dans le pays requérant −, le tribunal a conclu à l’absence de persécution fondée sur l’appartenance au peuple mapuche, observant que l’auteur avait été informé des faits qui lui étaient reprochés et qu’il avait, à cette fin, été assisté d’un avocat, qu’il avait été présenté sans retard devant un tribunal ordinaire compétent, qu’il avait été représenté par un avocat et avait exercé divers recours. Cette conclusion était renforcée par l’analyse qu’avait faite le tribunal de la manière dont le tribunal pénal de Valdivia avait agi durant le procès des autres accusés, à savoir qu’il n’avait pas appliqué la loi antiterroriste, avait rejeté l’allégation de persécution à l’encontre de la machi, considérant que la déclaration de culpabilité était fondée sur la commission d’un acte sanctionné par la loi et non sur l’appartenance ethnique de l’intéressée, et avait même retenu en circonstance atténuante de la peine le fait que la machi occupait une fonction de « chef spirituel et guérisseuse, étant une autorité ancestrale de la nation mapuche digne de mérite », selon les termes du tribunal. Enfin, le tribunal a examiné de manière approfondie la situation carcérale dans le pays requérant, le Chili, en particulier à la lumière du rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste − dans lequel sont analysées les conditions carcérales −, pour conclure qu’il n’en ressortait pas d’éléments permettant de penser que, s’il était extradé, l’auteur serait exposé à un danger réel et certain. À cet égard, le tribunal a indiqué que « malgré la précarité des conditions carcérales dans l’État requérant, qui sont les mêmes dans d’autres établissements de la région », on observait de la part des agents pénitentiaires une volonté constante d’assurer aux détenus un traitement approprié, et notamment un traitement conforme à leurs coutumes (p. 59 à 62 du jugement).

17.10En outre, le Comité note qu’après l’extradition, dans le jugement de condamnation au Chili, la loi antiterroriste n’a pas été appliquée à l’auteur, et que celui-ci n’a pas prétendu, dans sa communication au Comité, ne pas avoir commis les actes pour lesquels il a été jugé et condamné au Chili.

17.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les informations fournies par les parties tout au long de la procédure ne lui permettent pas de conclure que les tribunaux internes de l’Argentine ont apprécié les éléments de preuve ou interprété la législation nationale de manière arbitraire . Par conséquent, le Comité déclare les griefs de l’auteur fondés sur les articles 7, 9 et 14 du Pacte irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

17.12En ce qui concerne le grief de violation de l’article 27 du Pacte, le Comité note que, selon l’auteur, il a été transféré au Chili sans sa médecine traditionnelle (lawen) et que sa communauté se retrouve déséquilibrée et sans protection parce qu’il est en détention. Toutefois, le Comité constate que l’auteur ne donne aucune précision sur les dommages culturels collectifs allégués et que l’État partie a accordé une attention particulière à ses besoins spécifiques en lui garantissant l’exercice de diverses pratiques culturelles dans le lieu de détention (soins de santé par la médecine traditionnelle et célébration de cérémonies ancestrales en vue de maintenir le lien avec sa communauté). Dans ces conditions, et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité conclut qu’en l’espèce, l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief fondé sur l’article 27 aux fins de la recevabilité ; en conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

17.13Le Comité note enfin que, indépendamment de l’objet central de la communication, qui concerne la procédure d’extradition vers le Chili, l’auteur affirme également faire l’objet de persécutions de la part de l’État partie, en raison des poursuites engagées à son encontre dans trois affaires et en particulier du rejet de sa demande d’abandon définitif des poursuites dans l’une d’entre elles. Le Comité note également que l’État partie affirme que les recours internes ne sont pas épuisés car le recours extraordinaire formé par l’auteur contre la décision rejetant sa demande d’abandon définitif des poursuites est toujours pendant (par. 3.1, 12 et 13). Il considère donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

18.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

Annexe

[Original : anglais]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) d’Hélène Tigroudja

1.Deux types de griefs sont soulevés en l’espèce : des griefs quant au fond, ayant trait à la procédure d’extradition entre l’Argentine et le Chili et aux conditions de détention de l’auteur, un dirigeant de la communauté mapuche ; et un grief procédural tenant à la non‑application par l’Argentine des mesures provisoires demandées par le Comité en réponse à la demande de sursis à extradition formulée par l’auteur.

2.Je souscris à la décision d’irrecevabilité adoptée par le Comité sur le fond de l’affaire, et j’estime qu’un juste équilibre a été trouvé entre les préoccupations légitimes concernant la discrimination structurelle et les violations graves des droits de l’homme subies par le peuple mapuche au Chili et la situation individuelle de l’auteur.

3.Il me semble en revanche que la majorité des membres du Comité n’a pas apprécié convenablement la deuxième partie de la communication, concernant la non-application des mesures provisoires demandées par le Comité et la demande de sursis à l’extradition (par. 1.2). Pour être exact, le Comité a bien mentionné le fait que l’Argentine avait ignoré les mesures provisoires demandées par le Comité (par. 16.1 et 16.2) et a conclu qu’en extradant l’auteur vers le Chili, l’État partie avait manqué aux obligations lui incombant au titre de l’article premier du Protocole facultatif. D’un point de vue juridique, cela signifie que l’Argentine a violé une obligation internationale, et la conséquence logique de ce fait illicite est la mise en jeu de sa responsabilité internationale.

4.Dans la plupart des cas, un manquement à cette obligation procédurale s’accompagne d’une ou plusieurs violations du Pacte. Dans de telles circonstances, le Comité adopte des constatations, dans lesquelles il énumère les violations constatées, et demande des mesures de réparation. Toutefois, il peut arriver, comme en l’espèce, que la seule violation imputable à l’État partie soit la non-application des mesures provisoires et que tous les griefs concernant le fond soient rejetés. Dans le cas présent, le Comité a adopté une décision d’irrecevabilité, et c’est là que réside mon désaccord.

5.Cette façon de procéder envoie aux États parties un message flou et incorrect juridiquement. Soit l’État a violé une obligation internationale − que cette obligation soit de nature substantielle ou procédurale − soit il ne l’a pas fait. Si l’État n’est pas en phase avec ses obligations internationales − et le Comité ne cesse de souligner que l’article premier du Protocole facultatif constitue une obligation internationale (par. 16.2) −, le Comité ne saurait adopter une décision d’irrecevabilité. Il devrait plutôt adopter des constatations ou un autre type de décision rejetant comme irrecevables les griefs soulevés par l’auteur sur le fond mais constatant la violation de l’article premier du Protocole facultatif.

6.La majorité des membres du Comité devraient s’inspirer de la pratique du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Dans sa décision concernant la communication no 51/2018, ce Comité a conclu que les griefs de l’auteur quant au fond étaient irrecevables pour divers motifs ; puis, renvoyant à l’observation générale no 33 (2008) du Comité des droits de l’homme et à la jurisprudence d’autres instances internationales, notamment de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité contre la torture, il a exposé en détail l’obligation de donner suite à la demande de mesures provisoires qui incombait à l’État. Les États peuvent contester la nature contraignante de telles mesures, mais la position du Comité des droits économiques, sociaux et culturels est au moins cohérente et juridiquement rigoureuse. Le Comité a en effet conclu en déclarant que, n’ayant constaté aucune violation des droits de l’auteur, il se contenterait de formuler une recommandation générale à l’intention de l’État partie en vue de prévenir de nouvelles violations de l’article 5 du Protocole facultatif. Il a recommandé à l’État partie d’établir un protocole aux fins de donner effet à ses demandes de mesures provisoires et d’informer toutes les autorités concernées que les mesures demandées doivent être appliquées si l’on veut garantir l’intégrité de la procédure.

7.Dans les principes et directives de Nimègue sur les mesures provisoires de protection des droits de l’homme, certains auteurs de doctrine ont expressément demandé que l’on améliore les pratiques judiciaires et, en particulier, que le juge international définisse les conséquences juridiques du non-respect des demandes de mesures provisoires et le type de recours devant être ouvert aux parties lésées. Compte tenu de la gravité et de l’irréversibilité des conséquences de la non-application des mesures provisoires pour l’intégrité du mécanisme d’examen des plaintes émanant de particuliers, il est temps que le Comité des droits de l’homme indique clairement à quelles conséquences juridiques internationales s’exposent les États parties au titre de l’article premier du Protocole facultatif et qu’il adopte une position claire et cohérente sur cette question cruciale.