Nations Unies

CCPR/C/132/D/2787/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 mai 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4)) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2787/2016 * , ** , ***

Communication présentée par :

J. R. R. et L. A. A.(représentés par un conseil, Kale Anwar, du Conseil danois pour les réfugiés)

Victime ( s ) présumée ( s ) :

Les auteurs et leurs deux enfants mineurs

É tat partie :

Danemark

Date de la communication :

15 juillet 2016 (date de la lettre initiale)

Ré f é rences:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 juillet 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

22 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers le pays d’origine (non‑refoulement)

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Risque de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ; intérêt supérieur de l’enfant

Article ( s ) du Pacte :

7 et 24

Article ( s ) du Protocol e facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont J. R. R., né le 29 octobre 1976, et son épouse, L. A. A., née le 20 janvier 1982, tous deux de nationalité syrienne. Ils présentent la communication en leur nom propre et au nom de leurs deux enfants mineurs, A. J. R., née en octobre 2005, et R. J. R., né en janvier 2004. Ils devaient être expulsés vers la Bulgarie le 19 juillet 2016.

1.2Les auteurs affirment que leur expulsion vers la Bulgarie les exposerait, eux et leurs enfants, à un risque de préjudice irréparable en violation des droits qu’ils tiennent des articles 7 et 24 du Pacte. Ils ont prié le Comité de demander à l’État partie de prendre des mesures provisoires pour suspendre leur expulsion. Le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. Les auteurs sont représentés par un conseil, Kale Anwar, du Conseil danois pour les réfugiés.

1.3Le 18 juillet 2016, le Comité a demandé à l’État partie, à titre de mesure provisoire, de ne pas expulser les auteurs vers la Bulgarie tant que leur communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont originaires d’Alep et d’Afrin, en République arabe syrienne, et appartiennent à la communauté ethnique kurde. Le 5 octobre 2014, ils ont fui la République arabe syrienne pour se rendre en Turquie après que les autorités syriennes se furent présentées à leur domicile à la recherche J. R. R. Les auteurs ont ensuite quitté la Turquie pour la Bulgarie.

2.2Les auteurs sont arrivés en Bulgarie le 26 octobre 2014 et y sont restés jusqu’au début de juin 2015. Un passeur, qui les aidait à rejoindre le Danemark depuis la Turquie puis la Bulgarie, a demandé à recevoir le solde de la somme due, mais J. R. R. a refusé de le payer avant d’arriver au Danemark. Le passeur a alors menacé les auteurs et leur a posé un ultimatum : soit ils le payaient, soit il se vengeait sur L. A. A. et leur fille mineure.

2.3Pendant leur séjour en Bulgarie, les auteurs ont vécu dans des conditions très difficiles parce qu’ils n’ont reçu aucune aide des autorités pour trouver un logement, un emploi et une école pour leurs enfants.

2.4Après avoir obtenu une protection en Bulgarie, la famille a continué d’être hébergée dans un centre pour demandeurs d’asile, faute d’autre solution. La principale raison ayant poussé les auteurs à quitter la Bulgarie pour le Danemark et à y déposer une demande d’asile était leur crainte d’être forcés de vivre dans la rue sans bénéficier d’aucune aide de la part des autorités bulgares.

2.5En juin 2015, la famille a quitté la Bulgarie. Le 4 juin 2015, elle est entrée au Danemark et les auteurs y ont déposé une demande de protection internationale.

2.6Le 1er juin 2016, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile des auteurs au motif que la Bulgarie leur avait délivré un permis de séjour. Les auteurs ont reçu l’ordre de quitter immédiatement le Danemark, en application d’un article de la loi sur les étrangers renvoyant au Règlement Dublin. La police danoise les a informés de la décision du Service le 10 juin 2016. Ils ont fait appel devant la Commission de recours des réfugiés le 6 juillet 2016, mais cet appel n’avait pas d’effet suspensif. La police a informé le conseil des auteurs que leur expulsion vers la Bulgarie était prévue pour le 19 juillet 2016. Les auteurs ont prié le Comité de demander, à titre de mesure provisoire, la suspension de leur expulsion, qui était imminente.

2.7En ce qui concerne les obligations de l’État partie au titre de l’article 7 du Pacte, les auteurs renvoient aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires M. S. S. c . Belgique et Grèce, Samsam Mohammad Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, et Tarakhel c . S uisse . En l’espèce, ce n’est pas parce que les auteurs ont obtenu une protection en tant que réfugiés et sont protégés contre le refoulement en Bulgarie qu’ils ne risquent pas de devoir vivre dans des conditions difficiles, sans domicile ni ressources et sans réel espoir de trouver une solution humanitaire durable, situation qui constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

2.8Les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. La même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’en les expulsant vers la Bulgarie, le Danemark porterait atteinte aux droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte. L’État partie ne doit pas les expulser vers un autre État s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte.

3.2Compte tenu de leur expérience, les auteurs craignent qu’un renvoi en Bulgarie les expose, eux et plus particulièrement leurs enfants mineurs, à des traitements inhumains ou dégradants contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant parce qu’ils se retrouveraient sans abri et dans le dénuement, auraient des difficultés à se nourrir et à avoir accès aux soins de santé et ne seraient pas en sécurité dans ce pays, où ils n’ont pas pu trouver de solution humanitaire durable. Ils craignent également que ceux qui les ont fait passer clandestinement dans le pays ne s’en prennent à eux. Il existe donc des motifs sérieux de croire que le renvoi des auteurs et de leurs enfants en Bulgarie leur ferait courir un risque réel de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte.

3.3Les auteurs invoquent la décision rendue en l’affaire Warda Osman Jasin et consorts c. D a n e mark, dans laquelle le Comité a considéré que le renvoi d’une mère célibataire sans abri ni moyens de subsistance en Italie, où on lui avait précédemment accordé une protection subsidiaire, constituait une violation de l’article 7 du Pacte. Il a estimé que bien qu’ayant obtenu un permis de séjour en Italie, l’auteure de la communication s’était retrouvée par deux fois dans une situation de dénuement et de précarité extrême. Les auteurs affirment que leur renvoi en Bulgarie les exposerait, eux et plus particulièrement leurs enfants mineurs, à des traitements inhumains ou dégradants contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant, car il existe un risque réel qu’ils se retrouvent à la rue sans aucune assistance de la part des autorités bulgares.

3.4Les auteurs renvoient à des rapports généraux afin d’étayer leurs griefs selon lesquels les demandeurs d’asile et les réfugiés ne sont pas accueillis dans de bonnes conditions en Bulgarie et ne reçoivent pas d’aide des autorités bulgares. Les informations présentées dans ces rapports indiquent clairement qu’il n’existe pas, en Bulgarie, de programme d’intégration efficace pour les réfugiés ou les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire, qui vivent dans un grand dénuement, sont sans abri et n’ont qu’un accès limité aux soins de santé. La législation nationale dispose que ces personnes ont accès au marché du travail, au système de santé et aux services sociaux et bénéficient d’une aide pour trouver un logement. Toutefois, dans la réalité, il leur est presque impossible de trouver un emploi ou un logement. Pour pouvoir bénéficier des services sociaux, les réfugiés doivent fournir une adresse, ce qui est également impossible pour la plupart d’entre eux. En outre, la Bulgarie connaît de graves problèmes de violence et de harcèlement xénophobes et les autorités ne font souvent rien pour y remédier. Dans ce contexte, les demandeurs d’asile et les réfugiés sont en danger et courent un risque non négligeable d’être soumis à des violences à caractère raciste, contre lesquelles ils ne peuvent pas attendre des autorités bulgares qu’elles les protègent efficacement.

3.5Les auteurs ont déjà enduré de nombreuses épreuves dans leur pays d’origine et pendant leur fuite vers l’Europe et sont donc extrêmement vulnérables. Dans ce contexte, ils affirment que leurs enfants courent eux aussi le risque que les droits que leur reconnaît l’article 24 (par. 1), lu conjointement avec l’article 3 (par. 1), de la Convention relative aux droits de l’enfant, soient violés.

3.6Les auteurs renvoient aussi à l’interprétation de la vulnérabilité que fait le Comité des droits de l’enfant, selon lequel, parmi les éléments importants dont il convient de tenir compte figure la vulnérabilité de l’enfant du fait, par exemple, d’un handicap ou de son appartenance à un groupe minoritaire ou bien du fait qu’il est migrant ou demandeur d’asile, est victime de mauvais traitements ou vit dans la rue. La détermination de l’intérêt supérieur d’un enfant en situation de vulnérabilité ne doit pas se faire dans la seule optique de la pleine jouissance de l’ensemble des droits visés par la Convention, mais aussi au regard des autres normes relatives aux droits de l’homme visant ces situations particulières, dont celles qu’envisagent la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention relative au statut des réfugiés.

3.7Les auteurs avancent en particulier que leur renvoi en Bulgarie serait contraire à l’intérêt supérieur de leurs enfants. Or les autorités danoises n’ont pas tenu compte de l’intérêt supérieur de ces enfants, contrevenant ainsi aux dispositions de l’article 24 du Pacte et à celles de la Convention relative aux droits de l’enfant.

3.8Pour conclure, les auteurs demandent au Comité de déclarer leur communication recevable et de constater que leur expulsion vers la Bulgarie, si elle se concrétisait, violerait les droits qu’eux et leurs deux enfants mineurs tiennent des articles 7 et 24 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 23 décembre 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2Pour ce qui est des faits, les auteurs sont arrivés au Danemark le 4 juin 2015 sans documents de voyage valides et ont déposé le jour même des demandes d’asile pour eux et leurs enfants.

4.3Le 1er juin 2016, le Service danois de l’immigration a rejeté les demandes d’asile des auteurs et de leurs enfants en application d’un article de la loi sur les étrangers renvoyant au Règlement Dublin au motif que les intéressés, ayant obtenu le statut de réfugié en Bulgarie, avaient le droit d’y résider. Les auteurs ont fait appel de la décision auprès de la Commission de recours des réfugiés. Le 15 février 2016, ils ont saisi le Comité, affirmant que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation des articles 7 et 24 du Pacte. Le 18 juillet 2016, la Commission a confirmé la décision du Service danois de l’immigration.

4.4Le 19 juillet 2016, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ des auteurs et de leurs enfants.

4.5Dans sa décision du 18 juillet 2016, la Commission de recours des réfugiés a considéré comme un fait établi que le 2 avril 2015 un permis de séjour bulgare valable jusqu’au 17 avril 2020 avait été délivré à J. R. R. et L. A. A. du fait de leur statut de réfugié au titre de la Convention relative au statut des réfugiés. L’article de la loi sur les étrangers renvoyant au Règlement Dublin dispose que le droit de séjour ne peut être refusé en application de cette disposition que si les critères permettant de considérer le pays concerné comme premier pays d’asile sont remplis, en particulier si l’étranger a déjà obtenu une protection dans ce pays. Une demande de permis de séjour peut notamment être rejetée si l’étranger est protégé contre le refoulement et s’il est autorisé à retourner et à séjourner dans le premier pays d’asile. L’intégrité physique et la sécurité de l’étranger doivent également être protégées, mais on ne saurait exiger que l’intéressé ait exactement le même niveau de vie que les ressortissants du premier pays d’asile. Les réfugiés doivent toutefois être traités conformément aux normes humanitaires de base reconnues dans le premier pays d’asile.

4.6Dans ses décisions, la Commission de recours des réfugiés tient notamment compte de la possibilité pour l’étranger d’avoir accès à un logement et à des soins médicaux, d’être employé dans le secteur privé ou public, de s’installer librement dans le pays et d’y être propriétaire d’un bien immobilier. En l’espèce, elle a estimé que les auteurs et leurs enfants avaient la possibilité de retourner en Bulgarie, où ils seraient autorisés à rester, et qu’ils y seraient protégés contre le refoulement. Les auteurs et leurs enfants ont obtenu une protection en Bulgarie, un État membre de l’Union européenne tenu d’appliquer la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention relative au statut des réfugiés, notamment de respecter le principe de non-refoulement.

4.7En ce qui concerne la situation personnelle des auteurs et ce qu’ils ont vécu pendant leur séjour en Bulgarie, l’État partie affirme que la Commission de recours des réfugiés a considéré comme des faits établis que les auteurs et leurs enfants étaient globalement en bonne santé, même si les enfants avaient été affectés par les épreuves endurées en République arabe syrienne, et qu’ils n’avaient eu aucun différend personnel en Bulgarie. Les auteurs n’ont fourni aucune information précise sur les circonstances de leur séjour en Bulgarie, ni sur leur situation personnelle. L. A. A. a simplement indiqué qu’elle souffrait de douleurs aux jambes et au dos qui étaient des manifestations de son inquiétude pour l’avenir de sa famille, raison pour laquelle elle n’avait pas demandé de traitement. Elle a aussi déclaré le 14 juillet 2015, lors de l’entretien mené dans le cadre de la procédure d’asile, qu’elle avait choisi de quitter la Bulgarie parce qu’elle avait un cousin et une cousine au Danemark et que, se sentant seule en Bulgarie, elle voulait vivre plus près des membres de sa famille. Les auteurs ont ajouté que la vie dans le centre pour demandeurs d’asile était difficile (mauvaises conditions sanitaires et manque d’intimité) et que la nourriture y était immangeable. À cet égard, la Commission a estimé que la situation personnelle des auteurs et de leurs enfants et ce qu’ils avaient vécu en Bulgarie ne permettaient pas de conclure qu’il serait impossible pour eux de s’installer dans ce pays, qui était leur premier pays d’asile. Elle a considéré que la situation socioéconomique globale des réfugiés titulaires d’un titre de séjour bulgare était certes difficile mais ne permettait pas à elle seule de conclure que les auteurs et leurs enfants ne pouvaient se voir refuser l’entrée au Danemark et être expulsés vers la Bulgarie, qui était leur premier pays d’asile.

4.8L. A. A. a déclaré au Service danois de l’immigration, une première fois pendant l’entretien d’asile du 14 juillet 2015 puis lors d’une brève consultation le 9 mars 2016, qu’en Bulgarie elle avait été agressée sexuellement par un Syrien qui vivait au centre pour demandeurs d’asile et qu’elle avait pris ses distances avec lui, raison pour laquelle cela ne s’était pas reproduit. En outre, avant chacun de ces deux entretiens, elle avait été dûment informée par le Service que celui-ci et l’interprète concerné étaient soumis au secret professionnel et que les autorités ne transmettraient aucune information à quiconque, y compris à son mari, sans son consentement. L’État partie maintient que L. A. A. n’a pas fourni d’explication valable quant à la raison pour laquelle elle n’avait indiqué avoir de nouveau été agressée sexuellement que lors de son deuxième entretien avec le Conseil danois pour les réfugiés en juillet 2016, une semaine avant la date prévue pour son expulsion vers la Bulgarie.

4.9Selon les informations générales sur la situation des personnes ayant le statut de réfugié en Bulgarie, la loi bulgare dispose expressément que ces personnes doivent être traitées sur un pied d’égalité avec les ressortissants bulgares, à quelques exceptions près. Les personnes qui bénéficient d’une protection subsidiaire (statut humanitaire) ont les mêmes droits que les ressortissants de pays tiers ayant le statut de résident permanent. Les titulaires d’un permis de séjour peuvent prétendre à tous les types d’emploi et de prestations sociales, y compris aux indemnités de chômage, même si, dans la pratique, ils ont du mal à trouver un emploi en raison de la barrière de la langue et du taux élevé de chômage. Les personnes ayant le statut de réfugié bénéficient de l’assurance maladie, pour laquelle elles doivent toutefois cotiser. L’éducation publique est universelle et obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, et gratuite jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire. Il semble de plus que les autorités ont adopté des règles relatives à la conclusion d’accords d’intégration avec les personnes ayant le statut de réfugié, qui définissent les services de base auxquels les intéressés ont accès (logement, éducation, cours de langue, soins de santé, formation professionnelle et aide à la recherche d’emploi) et les obligations des institutions compétentes en la matière.

4.10Pour ce qui est des allégations des auteurs relatives à l’absence de programmes d’intégration efficaces et au risque de vivre dans la rue parce qu’ils n’auraient pas de logement à leur retour en Bulgarie, l’État partie affirme notamment que si à leur retour les étrangers bénéficiant d’une protection internationale signent un accord avec des autorités locales pour recevoir un appui en vue de leur intégration, ces autorités les aident à trouver un logement dans le cadre de leurs attributions et conformément aux articles 9 et 14 de l’ordonnance relative à la conclusion, l’application et la résiliation des accords d’intégration des étrangers ayant obtenu l’asile ou une protection internationale.

4.11L’État partie fait observer que les auteurs sont un couple marié avec deux enfants mineurs qui ne présentent aucune maladie nécessitant un traitement et qu’ils ne sont donc pas particulièrement vulnérables. En outre, ils sont titulaires de permis de séjour valides en Bulgarie. La Commission de recours des réfugiés, ayant procédé à une évaluation approfondie de la situation particulière des auteurs et des informations générales dont elle disposait, a jugé que les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils risquaient de subir des persécutions ou des mauvais traitements justifiant leur demande d’asile, ni qu’ils étaient particulièrement vulnérables et que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait donc une violation de l’article 7 du Pacte. Les auteurs ont eu la possibilité d’expliquer leur situation à plusieurs organes et la Commission a examiné leur dossier de manière approfondie sur la base de ces explications, jugeant que la situation générale des réfugiés titulaires d’un permis de séjour en Bulgarie, y compris les familles avec enfants, n’était pas telle que la Bulgarie ne puisse pas être considérée comme premier pays d’asile. La Commission a aussi constaté qu’aucune information ne lui avait été communiquée concernant la situation personnelle des auteurs et de leurs enfants et qu’elle ne pouvait fonder sa décision que sur ce que les auteurs avaient déclaré au sujet de leur vie en Bulgarie lors de l’entretien avec le Service danois de l’immigration et du premier rendez-vous avec le Conseil danois pour les réfugiés. Il ressort de ces déclarations que les auteurs et leurs enfants n’ont pas eu de conflit personnel en Bulgarie et qu’ils sont globalement en bonne santé.

4.12Renvoyant à la jurisprudence du Comité, l’État partie fait valoir qu’il incombe aux auteurs d’expliquer en quoi la décision de la Commission de recours des réfugiés est manifestement déraisonnable ou arbitraire. Il rappelle aussi que dans leur communication au Comité datée du 15 juillet 2016, les auteurs n’ont fourni aucune information qui n’ait pas été prise en compte par la Commission dans sa décision du 18 juillet 2016. Cette communication montre simplement que les auteurs ne sont pas d’accord avec la manière dont la Commission a évalué leur situation particulière et les informations générales. Les auteurs n’ont mis en évidence aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas tenu compte. Ils tentent en réalité d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour faire réexaminer les faits qu’ils allèguent. Le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions factuelles de la Commission, à savoir que les auteurs n’ont pas établi qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’ils risquent réellement d’être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’ils sont renvoyés en Bulgarie.

4.13Pour conclure, l’État partie affirme que la communication devrait être considérée comme irrecevable au motif que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles. La partie de la communication qui concerne l’article 24 (par. 1) du Pacte devrait être déclarée irrecevable ratione materiaeen application du règlement intérieur du Comité. Au cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie l’invite à conclure que l’existence d’un risque réel de violation de l’article 7 du Pacte n’a pas été établie. Il le prie aussi de reconsidérer sa demande de mesures provisoires parce que les auteurs n’ont pas démontré qu’il était probable qu’ils courent le risque de subir un préjudice irréparable s’ils sont expulsés vers la Bulgarie. Enfin, l’État partie invoque la jurisprudence des autorités danoises de l’immigration, en particulier les taux d’acceptation des demandes d’asile émanant des 10 principaux groupes nationaux de demandeurs d’asile sur lesquelles la Commission de recours pour les réfugiés a statué entre 2013 et 2015 (qui sont élevés dans le cas des Syriens).

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une note en date du 28 février 2017, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie et demandé au Comité de maintenir sa demande de mesures provisoires.

5.2Les auteurs avancent qu’ils ont démontré prima facie le bien-fondé de leurs allégations et qu’ils avaient épuisé les recours internes à la date de la lettre initiale puisque l’appel de la décision du Service danois de l’immigration dont ils ont saisi la Commission de recours des réfugiés n’avait pas d’effet suspensif. La Commission a rejeté cet appel le 18 juillet 2016. Les auteurs ont donc épuisé tous les recours internes utiles dont ils disposaient, ainsi que le prescrit l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

5.3En ce qui concerne la recevabilité des griefs que les auteurs tirent de l’article 24 du Pacte, l’article 2 devrait être compris comme énonçant l’obligation de ne pas renvoyer une personne dans un État où il existe un risque réel de préjudice irréparable. Cette obligation ne se limite pas aux préjudices envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte, car la question du préjudice irréparable peut aussi se poser au regard d’autres dispositions du Pacte. Les auteurs ajoutent que le Comité n’a jamais examiné en détail dans quelle mesure un préjudice irréparable résultant de la violation de droits autres que ceux énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte pouvait donner naissance à l’obligation de non-refoulement. Le Comité n’a toutefois pas exclu la possibilité de reconnaître l’existence d’une telle obligation et n’a pas non plus déclaré que le droit au non-refoulement fondé sur d’autres articles était en soi incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte.

5.4Il ressort de la jurisprudence du Comité dans ce domaine que l’expulsion peut engendrer un risque réel d’atteinte irréparable à d’autres droits que ceux énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte. Il en ressort également que l’expulsion peut exposer la personne concernée à un risque réel de préjudice irréparable au regard de plusieurs articles du Pacte lus conjointement avec les articles 6 et 7. Dans l’affaire A. et B. c. Danemark, le Comité a jugé recevable le grief des auteurs selon lequel leur expulsion vers le Pakistan leur ferait courir un risque réel de préjudice irréparable au regard de l’article 18, en raison de leur appartenance à la communauté musulmane ahmadite. Dans le même esprit, le Comité des droits de l’homme a déclaré dans son observation générale no 35 (2014) que le renvoi d’une personne dans un pays où il existait des motifs sérieux de croire qu’elle courrait un risque réel d’atteinte grave à sa liberté ou à sa sécurité, par exemple sous la forme d’une détention arbitraire prolongée, pouvait, dans des cas extrêmes, constituer une violation de l’article 7. Les auteurs affirment qu’en les expulsant vers la Bulgarie, le Danemark violerait les obligations qui lui incombent au titre de l’article 24 (par. 1) parce qu’il existe des motifs sérieux de croire que leurs enfants mineurs seraient exposés à un risque réel de préjudice irréparable, et que ce grief devrait être jugé recevable.

5.5En outre, les auteurs affirment qu’ils ont démontré prima faciae le bien-fondé de leurs griefs aux fins de la recevabilité puisqu’ils ont présenté suffisamment d’éléments de preuve. Leur grief relatif au risque réel de traitement contraire à l’article 7 auquel ils seraient exposés s’ils étaient renvoyés en Bulgarie est étayé à la fois par leur propre vécu en Bulgarie et par des informations générales sur la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés dans ce pays. Le Comité a récemment, dans les affaires R. A. A. et Z. M. c . D a n e mark et B. M. I. et N. A. K. c. D anemark., jugé recevables des communications invoquant l’article 7 et concernant le renvoi de ressortissants syriens en Bulgarie, leur premier pays d’asile.

5.6En ce qui concerne le refus de l’État partie d’admettre l’existence d’un risque réel de traitement contraire à l’article 7 au motif que la Bulgarie constitue le premier pays d’asile, il convient de rappeler que L. A. A. a été sexuellement agressée dans ce pays. Il ressort de la jurisprudence et des directives internationales que dans les procédures de demande d’asile, le sentiment de honte ou la crainte d’une stigmatisation font obstacle à la divulgation d’informations utiles.

5.7S’agissant des normes humanitaires fondamentales qui s’appliquent aux bénéficiaires d’une protection internationale en Bulgarie, l’État partie fait plusieurs fois référence à l’existence d’un système d’intégration en Bulgarie ; il ressort toutefois des informations générales que ce système est en réalité inexistant. Dans leur note d’information de février 2016, le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés et le Réseau juridique européen sur l’asile indiquaient qu’il n’y avait pas d’aide à l’intégration, et ce depuis deux ans, et que l’hébergement temporaire dans les centres d’accueil ne durait que trois mois et ne donnait pas accès à la plupart des commodités de base. L’allocation de crédits budgétaires en faveur de l’intégration était constamment retardée, ce qui avait pour conséquence que les personnes protégées se retrouvaient sans logement, sans aide sociale, sans assurance médicale et sans accès à la formation professionnelle. Dans un rapport publié en décembre 2015, l’association PRO ASYL indique que les bénéficiaires d’une protection internationale risquent fort de se retrouver sans abri et de ne pas avoir effectivement accès aux soins médicaux.

5.8Dans son rapport 2015/16, Amnesty International déclare ce qui suit : « Il n’existe toujours pas de programme d’intégration des personnes reconnues comme réfugiées ou, plus généralement, bénéficiaires d’une protection internationale. Le Gouvernement a bien adopté en juin une Stratégie nationale sur l’immigration, le droit d’asile et l’intégration pour la période 2015‑2020, mais cette mesure n’avait pas été suivie par la mise en place d’un plan d’action permettant de la mettre en œuvre ». Dans son rapport sur la Bulgarie d’octobre 2015, l’Asylum Information Database fait état d’une absence totale d’aide à l’intégration et indique que toutes les personnes qui obtiennent une protection se retrouvent quelques jours plus tard sans logement, sans aide sociale, sans assurance médicale et sans formation professionnelle. De nombreuses personnes vulnérables, telles que les mineurs non accompagnés et les personnes âgées, malades ou handicapées, courent un risque réel de se retrouver sans abri et dans le dénuement. Il est précisé dans ce rapport qu’une politique « d’intégration zéro » est appliquée depuis 2014.

5.9Les informations générales disponibles montrent que les bénéficiaires d’une protection internationale renvoyés en Bulgarie ne peuvent prétendre à l’hébergement en centre d’accueil. Le Comité a récemment relevé, dans l’affaire R. A. A. et Z. M. c . D ane mark, les insuffisances du système d’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale. Dans ses observations, l’État partie insiste sur le fait que les auteurs ont officiellement accès à l’assistance de l’État en Bulgarie, mais le Comité a souligné à plusieurs reprises que les États parties devaient expliquer comment un permis de séjour accordé aux auteurs les protégerait s’ils étaient renvoyés dans le premier pays d’asile. Il est donc probable que les auteurs n’auraient effectivement accès à aucune aide à l’intégration s’ils étaient renvoyés en Bulgarie, ce qui les exposerait à un risque réel de mauvais traitements, notamment le risque que L. A. A. soit agressée physiquement et que les auteurs se retrouvent sans abri et dans le dénuement, en violation de l’article 7.

5.10Pour conclure, les auteurs rappellent qu’il n’est pas seulement question de la dégradation de leur situation socioéconomique et que les risques qu’ils courent sont bien plus graves. Il ressort des informations générales disponibles que les conditions de vie des bénéficiaires d’une protection internationale en Bulgarie ne répondent pas aux normes prescrites par le principe du premier pays d’asile et exposent les auteurs à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 7.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note en date du 18 août 2017, l’État partie a répété ses arguments initiaux concernant l’irrecevabilité et le défaut de fondement de la communication.

6.2En ce qui concerne les commentaires des auteurs en date du 28 février 2017 concernant l’article 24 du Pacte, l’État partie fait observer que l’invocation par les auteurs de la décision du Comité en l’affaire A. et B. c . D ane mark est erronée : dans cette affaire, le Comité a estimé que le renvoi des auteurs au Pakistan ne constituerait pas une violation des droits qu’ils tenaient des articles 6 et 7 du Pacte, raison pour laquelle il n’a pas examiné les griefs tirés de l’article 18.

6.3S’agissant de l’invocation par les auteurs de l’affaire Warda Osman Jasin et consorts c . D ane mark,dans laquelle le Comité a constaté que l’État partie n’avait pas expliqué comment le permis de séjour de l’auteure les protégerait, elle et ses trois enfants mineurs, des privations et de la misère qu’elle avait déjà connues en Italie, l’État partie note qu’en l’espèce les auteurs n’ont pas enduré d’épreuves en Bulgarie. Il estime qu’on ne peut raisonnablement comparer la présente affaire et l’affaire Warda Osman Jasin et consorts c . D ane mark. En l’espèce, il s’agit de renvoyer en Bulgarie un couple marié et ses deux enfants mineurs.

6.4Pour ce qui est de la situation personnelle des auteurs et de ce qu’ils ont vécu en Bulgarie, la Commission de recours des réfugiés a jugé qu’il était établi que les auteurs et leurs enfants étaient globalement en bonne santé et qu’ils n’avaient eu aucun conflit personnel en Bulgarie et qu’ils pouvaient donc s’installer dans ce pays, qui était leur premier pays d’asile.

6.5L’État partie rappelle que L. A. A. a déclaré au Service danois de l’immigration, une première fois lors de l’entretien d’asile du 14 juillet 2015 puis lors d’une brève consultation le 9 mars 2016, qu’elle avait été agressée sexuellement par un Syrien qui vivait au centre pour demandeurs d’asile et qu’elle avait pris ses distances avec lui, raison pour laquelle cela ne s’était pas reproduit.

6.6En ce qui concerne les informations générales relatives à la situation des personnes ayant le statut de réfugié en Bulgarie, il ressort des données les plus récentes, notamment celles figurant dans le rapport actualisé sur ce pays publié en 2017 par l’Asylum Information Database, qu’il est expressément prévu que ces personnes jouissent des mêmes droits que les ressortissants bulgares et les exercent dans des conditions d’égalité, à quelques exceptions près, à savoir la participation aux élections générales et municipales et aux referendums nationaux et régionaux, la participation à la création d’un parti politique et l’appartenance à un tel parti, et l’obligation légale d’avoir la nationalité bulgare pour occuper certaines fonctions. Les personnes qui bénéficient d’une protection subsidiaire (statut humanitaire) ont les mêmes droits que les ressortissants de pays tiers ayant le statut de résident permanent. Dans son rapport intitulé Country Reports on Human Rights Practices for 2016: Bulgaria publié en 2017, le Département d’État des États-Unis d’Amérique indique que l’enseignement public est universel et obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans et gratuit jusqu’à la fin du secondaire. En outre, les autorités ont adopté des règles relatives à la conclusion d’accords d’intégration avec les personnes ayant le statut de réfugié, qui définissent les services de base auxquels les intéressés ont accès (logement, éducation, cours de langue, soins de santé, formation professionnelle et aide à la recherche d’un emploi) et les obligations des institutions compétentes. Au 13 juin 2017, 61 personnes ayant le statut de réfugié ou bénéficiant d’une protection humanitaire s’étaient inscrites auprès d’un bureau de l’agence pour l’emploi, 11 avaient trouvé un emploi et 10 participaient à des programmes de formation. L’État partie maintient donc que la Bulgarie peut être considérée comme premier pays d’asile pour les personnes qui y ont obtenu le statut de réfugié ou y bénéficient d’une protection subsidiaire.

6.7L’État partie renvoie en outre aux constatations du Comité dans l’affaire B. M. I. et N. A. K. c . D ane mark, qui portait sur l’expulsion d’un couple marié et de leurs deux enfants mineurs vers la Bulgarie, où ils avaient obtenu un permis de séjour en tant que réfugiés. L’État partie considère que les auteurs n’ont pas étayé leurs allégations selon lesquelles ils courent individuellement un risque personnel de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Le Comité a constaté que même si les personnes bénéficiant du statut de réfugié ou d’une protection subsidiaire pouvaient rencontrer des difficultés dans leur premier pays d’asile, cela ne signifiait pas qu’elles se trouveraient dans une situation de vulnérabilité particulière à leur retour dans ce pays. L’État partie rappelle que la situation générale des réfugiés titulaires d’un permis de séjour en Bulgarie, y compris les familles avec enfants, n’est pas telle que la Bulgarie ne puisse être considérée comme premier pays d’asile. La Commission de recours des réfugiés a estimé que la situation personnelle des auteurs et ce qu’ils avaient vécu en Bulgarie ne permettaient pas de conclure qu’il leur serait impossible de se réinstaller dans ce pays, leur premier pays d’asile.

6.8Par conséquent, l’expulsion des auteurs et de leurs enfants vers la Bulgarie ne serait pas contraire aux articles 7 et 24 du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 26 mars 2019, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie en date du 18 août 2017.

7.2La demande de l’État partie tendant à ce que les mesures provisoires soient levées ayant été rejetée le 5 mai 2017, les auteurs n’ont pas formulé de nouveaux commentaires au sujet de la recevabilité.

7.3Les auteurs affirment que même si les circonstances de l’espèce sont différentes de celles de l’affaire Warda Osman Jasin et consorts c . D ane mark, les droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte risqueraient d’être violés, au motif que par le passé, les autorités bulgares n’ont pas protégé l’intégrité physique des membres de la famille et que les informations générales les plus récentes confirment que les personnes ayant le statut de réfugié continuent de rencontrer d’immenses difficultés. Qui plus est, les enfants mineurs ont connu la guerre en République arabe syrienne, ont fui le pays dans des conditions dangereuses et ont enduré des épreuves en Bulgarie, raisons pour lesquelles ils devraient être considérés comme extrêmement vulnérables.

7.4Les auteurs rappellent que selon les informations générales disponibles, les bénéficiaires d’une protection internationale en Bulgarie ne sont pas traités conformément aux normes humanitaires fondamentales. Le 3 novembre 2018, le représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Bulgarie a déclaré, en réponse à plusieurs questions du Conseil danois pour les réfugiés, qu’il n’y avait toujours pas de programme d’intégration pour les réfugiés en Bulgarie, celui-ci ayant été suspendu en 2014, et que les possibilités limitées d’intégration et l’absence d’appui des autorités représentaient des difficultés considérables pour les réfugiés. À Sofia, deux centres d’intégration (gérés par Caritas Bulgarie et le HCR/la Croix-Rouge bulgare) fournissent une assistance et des conseils.

7.5Lorsqu’ils cherchent un logement, les bénéficiaires d’une protection internationale rencontrent divers obstacles juridiques et pratiques et risquent de se retrouver sans abri. La législation dispose que toute personne qui obtient le statut de réfugié a quatorze jours pour quitter son centre d’accueil puisqu’elle n’a plus droit à l’aide dont bénéficient les nouveaux arrivants. Dans ce laps de temps, l’intéressé doit trouver un logement pour pouvoir déclarer une adresse, condition nécessaire pour obtenir des documents d’identité. En d’autres termes, il doit trouver un propriétaire privé avec qui signer un contrat de bail. Les propriétaires sont généralement réticents à louer à des réfugiés. La rhétorique antiréfugiés et xénophobe de politiciens et de certains médias sont à l’origine de l’attitude souvent négative de la population à l’égard des réfugiés. Il n’existe aucun programme public visant à aider les réfugiés à trouver un logement. Dans certains cas, l’Agence nationale pour les réfugiés accepte d’héberger dans l’un de ses centres d’accueil, pour une durée maximale de six mois, des réfugiés vulnérables qui n’ont pas d’autre solution. Ceux-ci n’ont toutefois pas droit aux repas proposés dans le centre. En outre, les bénéficiaires d’une protection internationale renvoyés en Bulgarie ne peuvent en aucun cas prétendre à l’hébergement dans un centre d’accueil de l’Agence. L’accès aux logements sociaux est régi par la législation municipale et celle-ci énonce des critères que les bénéficiaires d’une protection internationale ne peuvent pas remplir, par exemple l’obligation, pour l’un des conjoints, d’être de nationalité bulgare et d’avoir résidé dans la municipalité pendant un certain nombre d’années (dix ans sans interruption à Sofia, par exemple).

7.6Selon le rapport sur la Bulgarie publié dans l’Asylum Information Database, les bénéficiaires d’une protection internationale ont énormément de mal à trouver un logement en raison des dispositions juridiques relatives à l’enregistrement à l’état civil. La situation a empiré depuis que l’Agence nationale pour les réfugiés a interdit aux bénéficiaires de déclarer comme adresse celle du centre d’accueil où ils résidaient pendant l’instruction de leur demande d’asile. Cette interdiction a poussé certains bénéficiaires à des pratiques frauduleuses consistant à signer des contrats de location fictifs.

7.7De multiples acteurs ont fait part de leur préoccupation quant à l’ampleur des propos et crimes de haine visant les réfugiés et les demandeurs d’asile. Certains médias ont commencé à présenter les migrants de manière négative, reprenant des stéréotypes qui ont favorisé l’intolérance sociétale. À plusieurs reprises, des maires ont refusé d’enregistrer des personnes ayant le statut de réfugié et des habitants ont protesté parce que des réfugiés avaient tenté de s’installer dans leur municipalité.

7.8Le 31 mai 2017, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est dit profondément préoccupé par les informations indiquant une augmentation des discours et crimes de haine pendant la période considérée. En novembre 2018, le Comité des droits de l’homme a lui aussi fait part de son inquiétude face aux informations indiquant une multiplication des discours et crimes de haine, notamment des propos racistes, xénophobes et intolérants, visant en particulier les membres de la communauté rom et des minorités religieuses, les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, les migrants et les demandeurs d’asile.

7.9Les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils seraient uniquement motivés par la dégradation de leur situation socioéconomique. Leur vécu en Bulgarie et les informations générales sur le pays prouvent qu’en Bulgarie les conditions de vie des bénéficiaires d’une protection internationale ne répondent pas aux normes prescrites par le principe du premier pays d’asile et les exposent à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 7 et 24 du Pacte.

Nouvelles observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une note en date du 5 juillet 2019, l’État partie a fait valoir qu’en dehors des informations concernant l’examen des demandes d’asile par les autorités danoises, les auteurs n’ont pas fourni, dans leurs commentaires du 26 mars 2019, d’informations qui ne figuraient pas déjà dans leur lettre initiale du 15 juillet 2016 ou dans leurs commentaires du 28 février 2017. Il renvoie donc à ses observations du 23 décembre 2016 et ses observations complémentaires du 18 août 2017.

8.2En ce qui concerne l’invocation par les auteurs de plusieurs rapports d’ordre général sur la situation des réfugiés en Bulgarie, l’État partie fait valoir que la Commission de recours des réfugiés dispose d’un ensemble complet de documents de référence généraux et régulièrement mis à jour sur la situation dans les pays vers lesquels des demandeurs d’asile sont susceptibles d’être renvoyés si les autorités danoises rejettent leur demande en vertu de l’article de la loi sur les étrangers renvoyant au Règlement Dublin. Parmi les documents qui contiennent des informations sur la situation des réfugiés en Bulgarie, on peut citer le document intitulé « Questions for UNHCR Bulgaria regarding the situation for asylum seekers and refugees in Bulgaria − UNHCR Response », ainsi que d’autres documents plus récents tels que les rapports intitulés « Country report: Bulgaria » publié dans l’Asylum Information Database (janvier 2019, actualisé en février 2019), Bulgaria 2018 Human Rights Report publié par le Département d’État des États-Unis (mars 2019) et Country Report : Immigration D etention in Bulgaria − Fewer Migrants and Refugees, More Fencespublié par le Global Detention Project (2019).

8.3La Commission de recours des réfugiés a examiné les informations qu’ont présentées les auteurs sur la situation des réfugiés en Bulgarie, mais les documents cités ne contiennent aucun élément montrant que la situation générale dans le pays a changé au point de la conduire à revoir sa décision du 18 juillet 2016. L’État partie ajoute que le document du HCR invoqué par les auteurs contient des informations concernant uniquement la situation générale en Bulgarie, non la présente affaire.

8.4En ce qui concerne les allégations des auteurs relatives à l’absence de programmes d’intégration efficaces et au risque de se retrouver sans abri faute de logement à leur retour en Bulgarie, l’État partie reprend ses observations du 23 décembre 2016 et joint des informations à jour sur les mesures d’intégration mises en place et les services sociaux proposés par l’Agence bulgare pour les réfugiés. Si les étrangers qui bénéficient d’une protection internationale signent un accord avec des autorités locales pour recevoir un appui en vue de leur intégration, ces autorités les aident à trouver un logement dans le cadre de leurs attributions (voir par. 4.10, supra).

8.5L’État partie fait observer que, le Comité ayant demandé que les auteurs ne soient pas expulsés tant que leur communication serait à l’examen, les intéressés − qui ont le statut de réfugié en Bulgarie − ont continué à vivre pendant près de trois ans au Danemark, depuis que les autorités danoises ont statué, à deux reprises, sur leur demande d’asile. Rappelant que le permis de séjour bulgare des auteurs vient à expiration le 17 avril 2020, l’État partie demande respectueusement au Comité d’examiner la recevabilité et le fond de la communication en temps voulu pour pouvoir se prononcer avant cette expiration.

8.6Dans leurs observations complémentaires, les auteurs n’ont pas apporté d’élément montrant qu’ils ne pourraient pas s’installer en Bulgarie, leur premier pays d’asile. Par conséquent, l’expulsion des auteurs et de leurs enfants vers la Bulgarie ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les auteurs doivent se prévaloir de tous les recours internes pour satisfaire à la condition énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour autant que de tels recours semblent être utiles en l’espèce et leurs soient de facto ouverts. Il note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés parce que les auteurs ont fait appel de la décision de rejet de leurs demandes d’asile devant la Commission de recours des réfugiés et que cet appel était pendant lorsqu’ils ont présenté leur communication au Comité le 16 juillet 2016. Il prend aussi note de l’argument des auteurs selon lequel le recours introduit le 6 juillet 2016 contre la décision du Service danois de l’immigration, qui a rejeté leur demande d’asile le 1er juin 2016 et leur a ordonné de quitter immédiatement le Danemark, n’avait pas d’effet suspensif. Il constate que les auteurs font valoir que leur expulsion vers la Bulgarie était prévue pour le 19 juillet 2016 et qu’ils ne disposaient donc d’aucun autre recours interne, et que l’État partie n’a pas contesté cet argument. Cela étant, il estime que l’État partie n’a pas démontré qu’en l’espèce les auteurs disposaient d’autres recours utiles. Par conséquent, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

9.4Le Comité note que les auteurs font valoir que les États devraient s’abstenir d’expulser une personne non seulement lorsque celle-ci risque de mourir ou d’être torturée, mais aussi en cas de risque de violation grave ou « manifeste » des droits qu’elle tient de l’article 24 (par. 1) du Pacte. À cet égard, il note que l’État partie affirme que les griefs que les auteurs tirent de l’article 24 (par. 1) sont irrecevables ratione materiae parce que le renvoi des auteurs et de leurs enfants mineurs vers le premier pays d’asile ne les exposerait pas à un risque de préjudice irréparable contraire à l’intérêt supérieur des enfants. Il prend aussi note de l’argument des auteurs selon lequel il n’a jamais examiné en détail dans quelle mesure un préjudice irréparable résultant de la violation de droits autres que ceux énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte pouvait donner naissance à l’obligation de non-refoulement. Il relève toutefois que les auteurs n’ont pas présenté d’argument précis concernant la situation de leurs enfants pendant leur séjour en Bulgarie d’octobre 2014 à mai 2015 et qu’ils s’en sont tenus à des généralités lorsqu’ils ont évoqué la vulnérabilité supposée de ces enfants, sans indiquer précisément à quels risques réels et prévisibles ceux-ci seraient exposés en cas de renvoi en Bulgarie. Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte implique pour les États parties l’obligation de ne pas expulser une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi. À cet égard, il constate que les auteurs n’ont pas fourni suffisamment d’informations au sujet des risques réels et prévisibles que courraient leurs enfants pour lui permettre de conclure que le renvoi de ceux-ci en Bulgarie constituerait un préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7. Par conséquent, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé le grief qu’ils tirent de l’article 24 (par. 1) aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité des griefs que les auteurs tirent de l’article 7. Il considère que les auteurs ont adéquatement expliqué, aux fins de la recevabilité, pourquoi ils craignent que leur retour forcé en Bulgarie les expose à un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, et il va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2Le Comité note que selon les auteurs, leur expulsion et celle de leurs deux enfants mineurs (âgés respectivement de 10 et 12 ans à la date de la lettre initiale) vers la Bulgarie, premier pays d’asile, les exposerait à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Il note aussi que les auteurs déclarent avoir vécu dans des conditions difficiles en Bulgarie parce qu’ils n’ont reçu aucune aide des autorités pour trouver un logement, un emploi et une école pour les enfants, et qu’ils feraient face aux mêmes difficultés socioéconomiques à leur retour, puisqu’ils se retrouveraient dans le dénuement et sans logement adéquat, auraient des difficultés à se nourrir et à avoir accès aux soins de santé et ne seraient pas en sécurité dans ce pays, où ils n’ont pas pu trouver de solution humanitaire durable. Les auteurs craignent en outre de ne pas pouvoir bénéficier de l’aide sociale et des programmes d’intégration des réfugiés et demandeurs d’asile, compte tenu de leur expérience en tant que demandeurs d’asile puis en tant que réfugiés titulaires d’un permis de séjour, et des conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en Bulgarie, qui ne répondent pas aux normes prescrites par le principe du premier pays d’asile. Le Comité note en outre que les auteurs affirment que, parce qu’ils ont déjà bénéficié du dispositif d’accueil la première fois qu’ils sont arrivés en Bulgarie et ont obtenu le statut de réfugié, ils ne pourraient plus être hébergés dans les centres d’accueil à leur retour ni trouver un logement et un emploi et se retrouveraient par conséquent sans abri et contraints de vivre dans la rue avec leurs enfants mineurs.

10.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il souligne l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Il souligne aussi que le risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux pour établir qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle il convient d’accorder un poids important à l’évaluation faite par l’État partie et qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il est établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou erronée ou constituait un déni de justice.

10.4Le Comité relève qu’il n’est pas contesté que la Bulgarie a accordé aux auteurs le statut de réfugié le 2 avril 2015, que les auteurs ont reçu un permis de séjour valable jusqu’au 17 avril 2020, qu’ils sont restés dans le camp pour demandeurs d’asile après avoir obtenu le statut de réfugié, et que la Bulgarie remplit les conditions attendues d’un premier pays d’asile étant donné que les auteurs y ont obtenu une protection et qu’ils ont la possibilité d’y retourner et d’y séjourner. Il note également que la Commission de recours des réfugiés a considéré que les auteurs n’avaient aucun problème avec les autorités bulgares et qu’ils jouiraient des droits sociaux voulus s’ils étaient renvoyés en Bulgarie. Il note de plus que les auteurs ont cité, à l’appui de leurs allégations, des rapports sur la situation générale des demandeurs d’asile et des réfugiés en Bulgarie, dont il ressort que la durée de l’aide à l’hébergement (deux semaines à six mois) ne suffit pas pour permettre aux intéressés de subvenir par la suite à leurs besoins, faisant valoir qu’il est extrêmement difficile pour les personnes protégées renvoyées en Bulgarie de trouver un logement et un emploi, et que les personnes qui ont obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire en Bulgarie se retrouvent dans le dénuement et sans abri et ont un accès limité aux soins de santé et à l’éducation si elles sont renvoyées dans ce pays. Le Comité note toutefois que l’État partie affirme que lorsqu’on leur a posé des questions sur leur séjour en Bulgarie, les auteurs n’ont présenté aucun élément prouvant qu’ils avaient vécu une quelconque épreuve, que lors des entretiens avec les autorités danoises compétentes en matière d’asile ils n’ont pas donné de détails sur leur expérience en matière d’accès au logement, à l’aide sociale, aux soins de santé et à l’éducation pour leurs enfants, que les auteurs et leurs enfants sont globalement en bonne santé et que, s’ils étaient renvoyés en Bulgarie, les auteurs auraient le droit, en tant que réfugiés, de recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin. Selon la Commission, les auteurs n’ont pas connu de conflits personnels en Bulgarie ni fait face à des menaces importantes contre leur sécurité qui puissent être établies rapidement et avec certitude, et qu’il est généralement admis que les personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou une protection en Bulgarie ont les mêmes droits que les Bulgares.

10.5Le Comité relève que les auteurs avaient obtenu le statut de réfugié en Bulgarie et yétaient titulaires de permis de séjour valides et qu’ils ne risquaient donc pas d’être refoulés vers la République arabe syrienne.

10.6Le Comité fait observer que les éléments dont il est saisi et les informations générales disponibles publiquement sur la situation des réfugiés et des demandeurs d’asile en Bulgarie montrent que le nombre de places disponibles dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et personnes renvoyées est peut-être insuffisant et que les conditions sanitaires dans ces centres sont souvent médiocres. Il note aussi que, selon les informations dont il dispose, les personnes renvoyées qui, comme les auteurs, ont déjà bénéficié d’une forme de protection et d’un hébergement en centre d’accueil lorsqu’elles étaient en Bulgarie, ne peuvent être hébergées dans les camps de demandeurs d’asile pendant plus de six mois à compter de la date à laquelle elles ont obtenu le statut de personne protégée. Il note en outre que, bien que les bénéficiaires d’une protection aient le droit de travailler et jouissent de droits sociaux en Bulgarie, le système social du pays ne permet généralement pas de prendre en charge toutes les personnes dans le besoin. Il fait néanmoins observer que les auteurs n’étaient pas sans abri avant leur départ de Bulgarie et ne vivaient pas dans le dénuement. Le Comité note aussi que, d’après les déclarations qu’ils ont faites devant la Commission de recours des réfugiés, les auteurs avaient accès aux soins médicaux pendant leur séjour en Bulgarie. De même, ils n’ont aucunement expliqué pourquoi ils ne pourraient pas trouver en emploi en Bulgarie ou demander la protection des autorités bulgares en cas de chômage. Dans ce contexte, le Comité note que les auteurs n’ont pas présenté suffisamment de preuves pour étayer adéquatement leur allégation selon laquelle ils seraient personnellement exposés à un risque réel de traitement inhumain ou dégradant s’ils sont renvoyés en Bulgarie. Il estime que le seul fait que les auteurs puissent rencontrer des difficultés à leur retour en Bulgarie ne signifie pas en soi qu’ils seraient placés dans une situation de vulnérabilité particulière et sensiblement différente de celle de nombreuses autres familles qui vivent en Bulgarie.

10.7Le Comité considère en outre que, bien que les auteurs ne soient pas d’accord avec la décision des autorités de l’État partie de les renvoyer en Bulgarie en tant que premier pays d’asile, ils n’ont pas démontré en quoi cette décision était manifestement erronée ou arbitraire ou constituait un déni de justice. Ils n’ont pas non plus signalé d’irrégularités dans les procédures du Service danois de l’immigration ou de la Commission de recours des réfugiés. En conséquence, le Comité ne peut conclure que le renvoi des auteurs en Bulgarie par l’État partie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que le renvoi des auteurs en Bulgarie ne constituerait pas une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte. Il est toutefois convaincu que l’État partie coordonnera dûment l’expulsion des auteurs avec les autorités bulgares, notamment pour obtenir l’assurance que leurs permis de séjour en Bulgarie seront renouvelés.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de José Manuel Santos Pais, Hélène Tigroudja et Duncan Laki Muhumuza

1.Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à la constatation du Comité selon laquelle le renvoi des auteurs et de leurs enfants en Bulgarie ne violerait pas les droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte.

2.La communication a été présentée par J. R. R. et son épouse, tous deux ressortissants de la République arabe syrienne appartenant à la communauté kurde, en leur nom propre et au nom de leurs deux enfants mineurs nés en octobre 2005 et janvier 2004 (voir par. 1.1). Ils affirment que s’ils sont expulsés vers la Bulgarie, leur famille sera exposée à un risque de préjudice irréparable, en violation des droits qu’ils tiennent des articles 7 et 24 du Pacte (voir par. 1.2).

3.Les auteurs ont quitté la République arabe syrienne en 2014, après y avoir connu la guerre, et sont entrés en Bulgarie depuis la Turquie en octobre de la même année ; en Bulgarie, ils ont été harcelés et menacés, en particulier L. A. A., par le passeur qui devait les aider à gagner le Danemark et voulait être payé d’avance. Ils ont toutefois réussi à entrer au Danemark en juin 2015.

4.Pendant leur séjour en Bulgarie, le statut de réfugié a été accordé aux auteurs et un permis de séjour leur a été délivré. Toutefois, bien qu’hébergés dans un centre pour demandeurs d’asile, les auteurs et leurs enfants ont vécu dans des conditions difficiles et craignaient en permanence de se retrouver à la rue sans aucune assistance des autorités bulgares (voir par. 2.3 et 2.4).

5.À la différence du Comité, nous considérons que s’ils sont renvoyés en Bulgarie, les auteurs et leurs enfants seront exposés à un risque de dommage irréparable, ce pour plusieurs raisons.

6.Les permis de séjour des auteurs sont venus à expiration en avril 2020 (voir par. 4.5 et 8.5) et l’on ne peut prévoir quelles conséquences cela aura à leur retour.

7.Il ne semble pas y avoir de programme d’intégration efficace pour les réfugiés ou les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire en Bulgarie, et il est très probable que les auteurs se retrouveront dans un profond dénuement parce qu’il est extrêmement difficile de trouver du travail dans ce pays, comme le reconnaît l’État partie, en raison non seulement de la barrière de la langue mais aussi du fort taux de chômage (voir par. 3.4 et 4.9). L’accès des auteurs aux centres de santé serait de plus limité (voir par. 3.4) et l’assurance maladie est subordonnée au paiement de cotisations par les bénéficiaires (voir par. 4.9). À leur retour, les auteurs ne pourront plus être hébergés dans les centres d’accueil (voir par. 5.9 et 7.5) et ils risquent donc de se retrouver dans une situation très difficile, sans abri et dans le dénuement.

8.Parce qu’ils sont étrangers, les auteurs auront aussi du mal à trouver un logement sur le marché privé. Leur accès aux services sociaux sera donc compromis puisqu’il faut justifier d’une adresse permanente pour en bénéficier (voir par. 3.4), ce qui sera difficile pour eux.

9.Il est pratiquement certain qu’à leur retour en Bulgarie les auteurs devront faire face à des discours de haine, des violences racistes et des manifestations de xénophobie (voir par. 3.4 et 7.7 et 7.8), lesquels semblent se multiplier de manière alarmante, avec les risques que cela pourrait comporter pour l’intégrité et la sécurité personnelles de toute la famille. Il semble en effet que souvent les autorités restent passives face aux violences de cette nature.

10.Outre ces facteurs de risque, on ne peut exclure de nouvelles menaces et actes de harcèlement de la part des réseaux criminels de « trafiquants d’êtres humains » opérant en Bulgarie, comme l’attestent les menaces du passeur ayant aidé les auteurs à entrer dans le pays, lequel pourrait se manifester de nouveau.

11.En outre, la situation générale des étrangers en Bulgarie semble être insatisfaisante, comme le reconnaît l’État partie (voir par. 4.7), ceux-ci se retrouvant sans logement, sans aide sociale, sans assurance-maladie et sans formation professionnelle, comme l’attestent plusieurs organisations internationales. Même les programmes d’intégration qui existaient au bénéfice des réfugiés ont été suspendus en 2014 (voir par. 4.9, 5.7, 5.8 et 7.4).

12.L’État partie reconnaît que les enfants sont particulièrement affectés par leur expérience de la guerre et les dangers auxquels ils ont été exposés lorsqu’ils ont quitté la République arabe syrienne (voir par. 3.5 et 4.7). Parce qu’ils ont dû fuir leur pays d’origine et en raison des épreuves qu’ils ont endurées en permanence depuis lors, des circonstances dont l’État partie ne semble pas avoir tenu pleinement compte pour protéger leur intérêt supérieur, la vulnérabilité particulière de ces enfants, qui vivent au Danemark et y sont intégrés depuis six ans, s’est encore accrue.

13.Pour toutes ces raisons, dont le Comité semble lui aussi reconnaître l’existence dans ses constatations (voir par. 11), nous aurions conclu que si les auteurs et leurs enfants sont renvoyés en Bulgarie les droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte seront violés, et nous aurions demandé à l’État partie de s’engager à réapprécier adéquatement les risques réels auxquels les auteurs pourraient être exposés personnellement s’ils sont expulsés vers ce pays.