Nations Unies

CCPR/C/136/D/3024/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 décembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 3024/2017 * , **

Communication soumise par :

X. et consorts (représentés par un conseil, Tomaz Petrovic)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Slovénie

Date de la communication :

5 décembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 (par. 2) du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 26 septembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

4 novembre 2022

Objet :

Égale protection de la loi ; accès à la nationalité en tant que condition préalable à la dénationalisation de biens ; non-discrimination

Question ( s ) de procédure :

Irrecevabilité − la même question a été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes ; défaut de fondement des griefs

Question ( s ) de fond :

Droit à l’égalité devant les tribunaux ; égale protection de la loi ; non-discrimination

Article(s) d u Pacte :

2 et 26

Article(s) du P rotocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.1Les auteurs de la communication, datée du 5 décembre 2013 et complétée par de nouvelles observations reçues en 2015, 2016 et 2017, sont X, de nationalité autrichienne, né le 9 mai 1926 à Maribor (Slovénie) ; Y, de nationalité autrichienne, né le 7 mai 1934 à Ptuj (Slovénie) ; et Z, de nationalité franco-autrichienne, né le 30 juillet 1936 à Graz (Autriche). Les auteurs (enfants des propriétaires initiaux) affirment que la Slovénie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 et 26 du Pacte durant la procédure judiciaire concernant la reconnaissance de la nationalité de leurs ascendants, qui s’inscrivait dans le cadre de la demande de dénationalisation de biens ayant appartenu à ces derniers. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 16 octobre 1993. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 14 mai 2018, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner simultanément la recevabilité et le fond de la communication.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 7 décembre 1993, les auteurs ont présenté une demande de dénationalisation (restitution) des châteaux de Ptuj, Hrastovec et Vurberk, et de la villa Herberstein sise à Velenje, comme le prévoit la loi sur la dénationalisation. Ces biens appartenaient à leurs ascendants et ont été nationalisés par les comités de confiscation locaux en 1945, après que la famille avait fui le pays pendant la Seconde Guerre mondiale. Le 23 février 2010, le Ministère de la culture a rejeté la demande de dénationalisation soumise par les auteurs au motif que ni les ayants cause ni leurs épouses n’étaient de nationalité slovène, comme l’exige la loi sur la dénationalisation.

2.2Le 1er avril 2010, les auteurs ont contesté la décision du Ministère de la culture devant le tribunal administratif. Le 7 décembre 2010, le tribunal administratif a rejeté leur recours. Les auteurs ont sollicité un réexamen par la Cour suprême, qui les a déboutés de leur demande le 9 mars 2011. Ils ont ensuite saisi la Cour constitutionnelle, affirmant que leurs droits à l’égalité devant la loi, à l’égale protection de leurs droits, à la protection judiciaire, aux recours en justice, à la propriété et à une nationalité avaient été violés par l’arrêt de la Cour suprême du 9 mars 2011. Le 9 décembre 2011, la Cour constitutionnelle a déclaré leur recours irrecevable.

2.3En parallèle de la procédure engagée au titre de la loi sur la dénationalisation, les auteurs ont entamé, en 2006, deux procédures visant à faire reconnaître la nationalité slovène de Magdalena von Herberstein (mère de X) et Wilhelmina von Herberstein (mère de Y). Il était nécessaire d’établir leur nationalité, étant donné que les registres de Ptuj et Maribor, où étaient conservés leurs données, avaient été perdus pendant la Seconde Guerre mondiale.

2.4Le 14 mai 2007, l’unité administrative de Ptuj a statué que Magdalena von Herberstein n’était pas de nationalité slovène, car : a) il n’avait pas été prouvé qu’elle était yougoslave avant son mariage ; et b) même si elle l’avait été, elle aurait perdu sa nationalité yougoslave en épousant un ressortissant étranger (Johann Joseph von Herberstein), comme le prévoit la loi sur la nationalité. Il a été fait appel de cette décision devant toutes les juridictions supérieures, jusqu’à la Cour suprême, qui a rejeté le pourvoi le 26 mars 2009. Les juridictions ont refusé d’admettre comme document officiel la carte d’identité yougoslave de Magdalena von Herberstein délivrée en 1945, que les auteurs avaient produite comme élément de preuve, au motif que pendant la guerre, des cartes d’identité avaient été délivrées sans que toutes les vérifications préalables nécessaires concernant la nationalité aient été effectuées. Les auteurs ont ensuite introduit un recours devant la Cour constitutionnelle, qui l’a rejeté le 19 novembre 2009, au motif que les faits ne révélaient aucune violation des droits garantis par la Constitution.

2.5Le 15 mai 2007, l’unité administrative de Ptuj a statué que Wilhelmina von Herberstein n’était pas slovène, car elle avait perdu sa nationalité yougoslave en épousant un ressortissant étranger (Johann Gundeger Herberstein) le 25 juin 1930, comme le prévoit la loi sur la nationalité. Il a été fait appel de cette décision devant toutes les juridictions supérieures, jusqu’à la Cour suprême, qui a rejeté le pourvoi le 20 mars 2008. La Cour constitutionnelle a rejeté le recours des auteurs le 6 octobre 2008, au motif que les faits ne révélaient aucune violation des droits garantis par la Constitution.

2.6Les auteurs renvoient, à titre de comparaison, aux décisions du Comité dans les affaires de restitution opposant des auteurs à la Tchéquie.

2.7Les auteurs ont introduit plusieurs requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui, statuant chaque fois à juge unique, les a toutes déclarées irrecevables. Dans sa dernière décision, datée du 21 septembre 2012, la Cour a jugé la requête irrecevable au motif que les conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) n’étaient pas remplies. Dans ses autres décisions, la Cour a conclu à l’irrecevabilité des requêtes pour défaut de fondement des griefs. Les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que les droits qu’ils tiennent des articles 2 et 26 du Pacte (égalité devant la loi et non-discrimination) ont été violés de manière aggravée par les autorités administratives et judiciaires dans le cadre de la procédure judiciaire visant à faire reconnaître la nationalité des membres de la famille Herberstein, la détermination de la nationalité constituant une question préliminaire à trancher dans la procédure de dénationalisation. Les auteurs ajoutent qu’ils ont été victimes de discrimination pendant l’ensemble de la procédure judiciaire et que les juridictions n’ont pas sérieusement pris leurs demandes en considération ni ne les ont examinées au fond.

3.2En particulier, les auteurs affirment que la procédure judiciaire visant à faire reconnaître la nationalité slovène de Magdalena von Herberstein (mère de X) a été inéquitable, notamment du fait du rejet de l’authenticité de certains documents produits comme éléments de preuve par les auteurs, en particulier la carte d’identité de l’intéressée, émise en 1945, qui indiquait qu’elle était yougoslave. Les auteurs se disent en outre victimes d’une discrimination fondée sur leur origine nationale, et d’une discrimination par rapport à d’autres personnes ayant soumis une demande de dénationalisation, qui n’ont eu aucun problème à prouver la nationalité de leurs ascendants, puisque les données de ces derniers n’avaient pas été perdues pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils affirment également que, puisque les données de Magdalena avaient disparu pendant la guerre, ce n’est pas à eux qu’aurait dû incomber la charge de prouver sa nationalité, mais bien à l’État partie celle de prouver qu’elle n’était pas yougoslave.

3.3Les auteurs affirment que l’allégation de discrimination est étayée par le fait que, pour déterminer la nationalité de leurs ascendants, Magdalena et Wilhelmina von Herberstein, l’unité administrative de Ptuj n’avait pas pris certains éléments de preuve en considération, notamment des certificats de résidence et des copies certifiées conformes d’une carte d’identité provisoire délivrée après la Seconde Guerre mondiale. En appel, toutes les instances se sont contentées d’aller dans le sens de l’unité administrative et de rejeter les objections formulées et les recours déposés par les auteurs, sans motiver leurs décisions.

3.4Parce que les juridictions ont refusé de reconnaître les éléments de preuve produits par les auteurs, l’espèce révèle un manque de clarté quant à la législation applicable en matière de droit à une nationalité dans l’État partie. Les auteurs affirment que nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ou se voir refuser le droit d’en changer. La conclusion de l’unité administrative de Ptuj, selon laquelle les ascendants des auteurs n’étaient pas de nationalité yougoslave, constitue en outre une violation de l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, car elle viole le droit de Magdalena von Herberstein à une nationalité.

3.5Les auteurs affirment également que l’État partie a violé le droit de Magdalena von Herberstein d’acquérir une nationalité, droit que tout enfant possède au titre de l’article 24 (par. 3) du Pacte. Ils ajoutent que les décisions et actes de la procédure ont constitué une violation des droits à une protection égale de leurs droits devant les tribunaux, que tiennent Magdalena et Wilhelmina von Herberstein de l’article 22 de la Constitution de l’État partie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 18 décembre 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et demandé au Comité d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

4.2L’État partie relève le caractère exceptionnel de la communication, qui renvoie à 13 procédures distinctes portées devant la Cour constitutionnelle et à de nombreuses actions engagées devant les autorités administratives et judiciaires nationales entre 2005 et 2011, ainsi qu’à six affaires tranchées par la Cour européenne des droits de l’homme. Comme source des violations alléguées des droits garantis par le Pacte, les auteurs ne nomment pas un fait isolé ni des faits répétés, mais plusieurs procédures distinctes et sans lien entre elles engagées devant diverses instances nationales. De ce fait, l’examen au fond de la communication serait extrêmement complexe, puisque chaque allégation de violation devrait être évaluée séparément dans le cadre de chaque procédure administrative ou judiciaire.

4.3L’État partie rappelle que le Comité n’est pas compétent pour connaître des affaires relatives au droit à la propriété ou au droit à la nationalité d’un État donné. Le Comité n’ayant pas compétence ratione materiaepour connaître de ces griefs, cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4L’État partie considère que les auteurs ont formulé les allégations de violation des droits qu’ils tiennent des articles 2 et 26 du Pacte en des termes généraux, et qu’ils n’ont pas expliqué en quoi ils n’avaient pas bénéficié d’un traitement égal concernant le droit à un recours effectif, par exemple en citant des affaires comparables dans lesquelles les autorités slovènes avaient statué différemment. Il fait observer que ni l’origine nationale ni la nationalité des auteurs n’ont été déterminantes dans les procédures nationales, puisque l’élément clef pour l’obtention de la nationalité est l’existence ou non d’un « droit à la patrie ».

4.5Bien que les auteurs aient avancé une argumentation très complexe en renvoyant à de multiples procédures, faits et preuves, la communication devrait être jugée irrecevable pour plusieurs motifs. Premièrement, les griefs ne sont pas suffisamment étayés, comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif ; deuxièmement, le Comité n’est pas compétent pour apprécier des faits ou des éléments de preuve qui ont fait l’objet d’une décision des tribunaux nationaux, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

4.6L’État partie rappelle qu’il a formulé une réserve à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif et déclaré que le Comité ne serait pas compétent pour examiner une communication émanant d’un particulier si la même question était en cours d’examen ou avait « déjà été examinée » par une autre instance internationale d’enquête de règlement. Dans au moins quatre des six requêtes que les auteurs ont déposées devant elle, la Cour européenne des droits de l’homme, statuant à juge unique, a déclaré qu’après examen de tous les éléments reçus, elle n’avait constaté aucun signe de violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et par ses protocoles. La même question ayant déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, compte tenu de la réserve à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif que l’État partie a formulée lors de la ratification, le Comité n’est pas compétent pour connaître de l’espèce.

4.7Outre l’objection susmentionnée concernant les autres procédures devant des instances internationales, l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles, car ils n’ont pas toujours dénoncé des violations substantielles des mêmes droits de l’homme dans le cadre des procédures engagées devant les autorités slovènes. Dans une affaire portée devant la Cour constitutionnelle, les auteurs ont affirmé que leur droit à un traitement égal avait été violé ; cependant, l’État partie estime que ce grief n’a pas été étayé. Il est d’avis que l’argumentation des auteurs a évolué au fur et à mesure qu’ils ont saisi différentes instances et le Comité. Les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif n’ont donc pas été remplies pour tous les griefs ou du moins pour la majorité d’entre eux.

4.8L’État partie soutient que les auteurs ont adressé leurs lettres au Comité après l’expiration des délais de cinq et trois ans prévus par le Règlement intérieur du Comité, sans explication suffisante de cette présentation tardive. Il fait observer qu’avant les lettres des 3 janvier et 4 août 2017, le Comité avait reçu des lettres déclarées irrecevables par son secrétariat ; celles-ci ne peuvent donc servir à définir une date de soumission. Il conclut par conséquent qu’au moment de la soumission de la communication, plus de cinq ans s’étaient écoulés depuis le 9 décembre 2011, date d’épuisement des recours internes, et depuis le 21 septembre 2012, date de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ; il y a donc un abus du droit de présenter une communication.

4.9L’État partie affirme que les auteurs ont soumis cinq lettres différentes au secrétariat du Comité. La communication initiale datée du 5 décembre 2013 a été complétée le 17 octobre 2014, puis le 15 juin 2015, à la demande du secrétariat. En réponse à la deuxième lettre du secrétariat, datée du 24 juin 2015, les auteurs ont fourni des explications complémentaires le 22 septembre 2015. Ils ont reçu une réponse datée du 26 octobre 2016, dans laquelle le secrétariat les informait que la communication ne satisfaisait pas aux exigences d’enregistrement des communications. Le 3 janvier 2017, ils ont soumis une demande de reconsidération de la décision d’irrecevabilité. Le 21 avril 2017, ils se sont vus offrir une nouvelle possibilité d’expliquer davantage leurs griefs. Ils ont soumis des explications complémentaires le 4 août 2017.

4.10C’est au vu de la lettre des auteurs datée du 4 août 2017 que le Comité a finalement enregistré la communication, avant de la transmettre à l’État partie. Celui-ci fait observer qu’il a reçu la communication initiale datée de décembre 2013 et des observations complémentaires importantes, dans lesquelles les auteurs retraçaient le contexte historique et familial en rapport avec les procédures de dénationalisation des biens en Slovénie après la perte de la nationalité yougoslave par leurs ascendants (leurs mères) en 1945. Les auteurs affirment que les autorités administratives et judiciaires slovènes ont systématiquement commis plusieurs violations des droits de l’homme entre 2005 et 2011, alors que les dispositions légales applicables (en particulier la loi sur la dénationalisation) ont été adoptées et modifiées entre 1993 et 2000. L’État partie répète que la communication initiale, datée du 5 décembre 2013, n’a pas été jugée conforme aux conditions préalables d’enregistrement ; pourtant, les auteurs y font référence dans leurs explications complémentaires datées du 4 août 2017, que le secrétariat du Comité a soumises à l’attention de l’État partie. Celui-ci conteste la recevabilité de la communication et insiste sur le fait qu’il considère que les griefs des auteurs se limitent aux allégations de violation mentionnées dans la lettre du 4 août 2017, précédée de celle du 3 janvier 2017, et que la lettre initiale et les deux lettres comprenant des observations complémentaires n’ont été jointes qu’à titre d’information.

4.11Par conséquent, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication entièrement irrecevable ratione temporis ou de la déclarer partiellement irrecevable, en ne tenant compte que des griefs soulevés dans les sept affaires jugées par la Cour constitutionnelle moins de cinq ans avant le 5 décembre 2013 ou dans celles tranchées par la Cour européenne des droits de l’homme moins de trois ans avant la même date.

4.12L’État partie fait observer que les auteurs ont engagé plusieurs procédures devant les juridictions nationales et la Cour européenne des droits de l’homme, dont aucune n’a abouti. Leurs allégations de violations de leurs droits sont faibles et vagues, et ne concernent pas une procédure judiciaire unique ou un acte précis de la procédure. Du point de vue des auteurs, toutes les procédures ont été engagées dans le but de récupérer les biens nationalisés et peuvent donc être vues comme des manières différentes d’atteindre le même objectif. Du point de vue juridique, elles relevaient toutes de décideurs différents et se sont soldées par des décisions différentes contenant chacune des motivations propres aux conclusions tirées. On ne saurait dès lors affirmer, à l’instar des auteurs, que toutes les violations alléguées sont globalement imputables à toutes ces procédures particulières distinctes, sans démontrer à l’aide de preuves solides que les griefs soulevés ne relèvent pas du simple désaccord avec l’établissement des faits, l’appréciation des éléments de preuve et l’application de la loi par les juridictions nationales.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 5 mars 2018, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité.

5.2Les auteurs affirment qu’au niveau national, ils ont mis l’accent sur l’établissement de la nationalité de leurs ascendants dans l’expectative légitime que cela leur permettrait de se voir restituer les biens de leurs parents. Toutefois, les autorités nationales ne leur ont pas fourni la même protection juridique qu’à d’autres personnes dans des affaires comparables. Les auteurs rappellent que, d’emblée, les autorités administratives de Ptuj ont décidé de ne pas admettre comme preuve le contenu d’un document officiel (la carte d’identité de leur ascendante) et que toutes les juridictions supérieures se sont contentées de rejeter leurs objections à cette décision. Ils affirment que l’unité administrative de Ptuj n’était pas en mesure de procéder à un examen objectif de leurs griefs, car il existait un a priori négatif, voire parfois hostile à leur égard, comme en témoignent les commentaires péjoratifs et les critiques formulés par son chef et rapportés dans la presse locale. Aussi les auteurs ont-ils demandé que leur demande soit examinée par une autre unité administrative, ce qui leur a été refusé.

5.3Les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle leurs griefs concernent des faits et éléments de preuve examinés par les juridictions nationales et répètent qu’ils portent sur la question de savoir si les autorités administratives et judiciaires ont violé les droits énoncés dans le Pacte au cours des procédures nationales.

5.4En ce qui concerne les décisions prises par la Cour européenne des droits de l’homme, les auteurs affirment que celle-ci n’a pas examiné le fond de l’affaire puisque les requêtes ont été déclarées irrecevables. Ils ajoutent que ces requêtes concernaient des faits et des droits substantiels différents (droit à la propriété).

5.5En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteurs soutiennent avoir expressément fait référence au Pacte lors de la saisine de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle, lorsqu’il était devenu évident que leurs demandes seraient rejetées.

5.6Les auteurs rappellent que, même si en raison de la complexité de l’affaire, ils ont eu besoin de davantage de temps pour élaborer la communication, ils ont présenté celle-ci deux ans après l’épuisement des recours internes.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 28 août 2018, l’État partie a soumis ses observations sur le fond, réitérant les objections précédemment formulées quant à la recevabilité de la communication.

6.2L’État partie souligne le caractère vague des allégations des auteurs et l’absence de nouveaux arguments de fond. Les auteurs se contentent de rappeler leur seul grief précis, au sujet de ce qu’ils considèrent comme une mauvaise appréciation des éléments de preuve par les autorités nationales dans le cadre de la procédure d’établissement de la nationalité, et qui pourrait, selon eux, révéler une discrimination systématique fondée sur leur origine nationale. L’État partie réfute les allégations des auteurs selon lesquelles ses décisions n’étaient pas impartiales en raison de l’importance du patrimoine en jeu. Les auteurs n’ont pas épuisé les recours disponibles quant au fond dans certaines procédures (établissement de la nationalité et décision concernant la demande de dénationalisation). En outre, ils n’ont pas fait état d’une discrimination fondée sur l’origine nationale lorsqu’ils ont formé des recours dans le cadre des procédures d’établissement de la nationalité de leurs ascendants, destinées à trancher cette question préliminaire dans la procédure de dénationalisation, c’est-à-dire lorsqu’ils ont déposé un recours hiérarchique devant l’autorité administrative et lorsqu’ils ont ensuite saisi le tribunal administratif en première instance.

6.3Pour ce qui est des recours en justice, les auteurs ont proposé de transférer la compétence à une autre autorité administrative de même niveau ; il n’était toutefois pas question des motifs du recours, mais d’une proposition dont l’organe d’appel ou le tribunal devrait tenir compte en cas d’annulation potentielle de la décision du premier niveau. Cette proposition n’était par ailleurs pas conforme à la législation applicable. Les auteurs ont en outre dénoncé une certaine partialité dans le cadre des recours en justice, mais non une discrimination fondée sur l’origine nationale. Ils n’ont ni motivé ni étayé ces griefs.

6.4Conformément à la pratique établie de la Cour constitutionnelle, les auteurs auraient dû soulever leurs griefs de fond devant toutes les instances de décision avant de saisir la Cour. Cette dernière n’a pas accepté d’examiner leurs recours constitutionnels quant au fond, car elle a estimé de prime abord qu’aucune violation des droits de l’homme n’avait été commise. Elle ne s’est dès lors pas prononcée sur la question de l’épuisement des recours quant au fond ou à la forme, car elle n’était pas tenue de le faire. Toutes les autorités et juridictions nationales doivent rendre des décisions et des arrêts conformes non seulement à la loi, mais aussi à la Constitution. Les parties sont également tenues de formuler toute allégation concernant des violations de la Constitution ou des droits de l’homme fondamentaux qui contreviendraient aux conventions internationales pertinentes directement applicables dans l’État partie. Dans leurs commentaires du 5 mars 2018, les auteurs admettent indirectement n’avoir pas épuisé tous les recours quant au fond puisqu’ils disent avoir soulevé le grief de discrimination « en particulier » devant la Cour suprême et la Cour constitutionnelle. Au cours de la procédure initiale, ils n’ont pas fait état de discrimination ni produit de preuve dans ce sens ; ils n’ont pas fait référence aux dispositions pertinentes de la Constitution ni aux conventions internationales, qui sont directement applicables. Par conséquent, ils n’ont pas épuisé les recours internes comme l’exige l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.5Évoquant ensuite les griefs de fond de l’auteur, l’État partie demande au Comité, s’il ne les a pas jugés irrecevables pour non-épuisement des recours, de les rejeter comme étant sans fondement puisqu’aucune violation n’a été commise dans le cadre des procédures administratives ou judiciaires. Les allégations de discrimination fondée sur l’origine nationale n’ont pas été étayées. Les auteurs ont été traités équitablement au cours des cinq procédures d’établissement de la nationalité destinées à trancher cette question préliminaire dans la procédure de dénationalisation, laquelle est régie par un cadre juridique garantissant l’égalité.

6.6Les déclarations des auteurs concernant la violation des droits qu’ils tiennent du Pacte et du Protocole facultatif sont vagues et non étayées par des preuves. Les arguments avancés portent en fait sur l’établissement des faits ou l’appréciation des éléments de preuve, en particulier en ce qui concerne la carte d’identité provisoire de Magdalena von Herberstein et le certificat de résidence de Wilhelmina von Herberstein. Ces questions sont du ressort des tribunaux nationaux ordinaires et non de celui d’une cour constitutionnelle ou de mécanismes de protection internationale.

6.7Les allégations de traitement discriminatoire demeurent générales ; les auteurs soutiennent que toutes les juridictions ont suivi « aveuglément » la décision prise par l’unité administrative sans tenir compte de leurs arguments à eux. Pour étayer leur allégation de partialité (non de discrimination) de la part de l’unité administrative de Ptuj, les auteurs ont précisé, à titre d’exemple, que le chef de l’unité avait refusé de les rencontrer dans un cadre informel et qu’il avait exposé l’affaire dans les médias avant que la décision finale ne soit rendue. Les éléments de preuve ne corroborent pas ces affirmations. Dans leurs commentaires du 5 mars 2018, les auteurs affirment que l’unité administrative de Ptuj avait pris une décision avant le début de la procédure. Ils ajoutent que l’essentiel des biens visés par la procédure de dénationalisation relevait de la compétence territoriale de cette même unité administrative, qui était susceptible de « faire l’objet de pressions diverses, officielles et autres ». Cependant, ils n’étayent ni ne prouvent leurs allégations de discrimination. Leur objectif, dans le cadre de la procédure de dénationalisation, était d’obtenir des biens immobiliers, ce qu’ils ne peuvent faire valoir devant le Comité, puisque les affaires relatives au droit à la propriété relèvent du droit national. Ils ont dès lors choisi de dénoncer une discrimination devant le Comité. Dans ce contexte, dénoncer une erreur dans l’appréciation des éléments de preuve ne suffit pas ; il faut démontrer que les auteurs ont subi un traitement différent en raison de leur origine nationale et que le rejet des éléments de preuve en question n’était ni raisonnable, ni objectif, ni conforme à ce qui avait été décidé dans des affaires comparables. Les autorités administratives et judiciaires ont écarté à juste titre les affirmations des auteurs et expliqué pourquoi elles n’avaient pas tenu compte des éléments de preuve produits par eux.

6.8L’État partie décrit brièvement les procédures administratives et judiciaires concernant la dénationalisation et l’établissement de la nationalité. Il affirme que les auteurs n’ont précisé leurs allégations qu’en ce qui concerne la procédure d’établissement de la nationalité, destinées à trancher cette question préliminaire dans la procédure de dénationalisation. Après la Seconde Guerre mondiale, les autorités ont saisi des biens appartenant aux ascendants des auteurs. Les châteaux de Ptuj, Vurberk et Hrastovec, propriétés de Johann Joseph von Herberstein, ont ainsi été nationalisés par le comité de confiscation de Ptuj le 27 août 1945 (no 64/45), et la villa Herberstein, qui appartenait à Maria Anna von Herberstein, est devenue propriété de l’État sur décision du comité de confiscation de Šoštajn le 8 septembre 1945 (no 158/45). Les auteurs sont les petits-enfants des deux personnes dont les biens ont été confisqués. La procédure de dénationalisation a été engagée le 7 décembre 1993, lorsque les auteurs ont demandé la dénationalisation des biens confisqués. Elle était supervisée par le Ministère de la culture.

6.9Conformément à la législation applicable, pour qu’une dénationalisation puisse avoir lieu, il faut que les personnes dont le bien a été confisqué aient été de nationalité yougoslave. Le Ministère a donc demandé à l’unité administrative de Ptuj de trancher cette question préliminaire et de rendre des décisions déclaratives concernant la nationalité des personnes dont les biens avaient été confisqués. En novembre 1996, l’unité administrative de Ptuj a établi que Johann Joseph von Herberstein (né le 19 mars 1898), Joannes Gundaccarus von Herberstein (né le 4 décembre 1902) et Johann Hubertus von Herberstein (né le 4 mai 1905), considérés comme les bénéficiaires de la dénationalisation, n’étaient ni slovènes ni yougoslaves au moment où l’État les avaient expropriés.

6.10Les auteurs ont déposé un recours hiérarchique contre ces décisions auprès du Ministère de l’intérieur, autorité administrative statuant en second lieu dans la procédure d’établissement de la nationalité. Après avoir étudié le dossier, le Ministère de l’intérieur a rejeté le recours le 4 juin 1997 et confirmé les décisions prises par l’unité administrative. Les auteurs ont alors saisi le tribunal administratif, qui les a déboutés le 12 novembre 1999 et a confirmé les décisions rendues par les instances inférieures. Les auteurs ont déposé une demande en révision devant la Cour suprême, qui a confirmé, le 5 février 2003, la décision rendue par le tribunal administratif. Sur la base de la décision finale concernant la nationalité des ascendants des auteurs (qui constituait une question préliminaire), le 14 avril 2003, le Ministère de la culture a débouté les auteurs de leur demande de dénationalisation des biens saisis par l’État. Les auteurs ont interjeté appel de la décision du Ministère de la culture auprès du tribunal administratif, lequel a fait droit à leur demande le 9 novembre 2004, annulant la décision au motif qu’aucune audience n’avait eu lieu, et renvoyant l’affaire devant le Ministère de la culture pour réexamen.

6.11Dans le cadre de ce réexamen, le Ministère de la culture a suivi le raisonnement du tribunal administratif et élargi le groupe des bénéficiaires potentiels de la dénationalisation des biens. Le 24 octobre 2005, il a demandé à l’unité administrative de Ptuj de statuer sur la question préliminaire de la nationalité de 13 autres personnes, dont les trois auteurs et les mères de deux d’entre eux, Magdalena von Herberstein (mère de X) et Wilhelmina von Herberstein (mère de Y). L’unité administrative de Ptuj s’est prononcée sur la nationalité des 13 intéressés dans des décisions séparées, dont la dernière a été rendue le 16 mai 2007.

6.12Les auteurs ont contesté devant le Ministère de l’intérieur, statuant en second lieu, cinq des décisions rendues par l’unité administrative, à savoir celles les concernant et celles concernant les mères de deux d’entre eux. Les cinq recours ont été rejetés, le dernier en date du 17 juillet 2007. Les auteurs ont alors fait appel de ces décisions de rejet devant le tribunal administratif, qui les a déboutés dans une série de cinq décisions, dont la dernière a été rendue le 21 février 2008. Les auteurs ont demandé le réexamen de chacune de ces décisions, et la Cour suprême a rejeté les cinq demandes au motif que des conditions procédurales n’avaient pas été remplies. La dernière demande a été rejetée le 26 mars 2009.

6.13Dans une décision du 23 février 2010, le Ministère de la culture a à nouveau rejeté la demande de dénationalisation soumise par les auteurs. Devant le tribunal administratif, ces derniers ont dénoncé une violation du droit à la propriété privée et du droit de succession qu’ils tiennent de l’article 33 de la Constitution, ainsi qu’une violation de leur droit à une nationalité. Le tribunal administratif, qui statuait en première instance, a confirmé les arguments avancés par le Ministère de la culture. Saisie à son tour, la Cour suprême a rejeté, le 9 mars 2011, la demande de recours extraordinaire en révision déposée par les auteurs, au motif que ceux-ci n’avaient pas respecté les conditions procédurales nécessaires à sa recevabilité. Le 9 novembre 2011, la Cour constitutionnelle a refusé d’examiner le recours constitutionnel introduit par les auteurs, car les violations alléguées des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’avaient pas été prouvées.

6.14En outre, les recours intentés par les auteurs devant la Cour constitutionnelle et les requêtes déposées devant la Cour européenne des droits de l’homme n’ont pas abouti. Ils ont été déclarés a priori sans fondement, aucune des deux cours n’ayant constaté de violations des droits de l’homme, notamment pour ce qui était de la discrimination ou de l’absence d’égalité. Les auteurs ont été déboutés même devant la Cour européenne des droits de l’homme, où ils pouvaient faire valoir leur droit à la propriété, conformément à l’article premier du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme.

6.15Pour établir la nationalité des auteurs, les autorités et instances nationales ont appliqué, conformément à la loi, le principe du jus sanguini et le principe de continuité énoncés dans la législation nationale sur la nationalité. Puisqu’il avait été établi en dernière instance que les pères des auteurs n’étaient pas yougoslaves, ce que les auteurs n’ont pas remis en question dans leur communication, la décision sur la nationalité des auteurs ne pouvait être autre. La nationalité des auteurs est celle de leurs pères.

6.16En ce qui concerne l’établissement de la nationalité de Wilhelmina von Herberstein (mère de Y) et de Magdalena von Herberstein (mère de X), l’État partie explique que les deux femmes étaient des bénéficiaires potentielles de la dénationalisation, mais, conformément au principe du jus sanguini, l’établissement de leur nationalité (question préliminaire à trancher dans la procédure de dénationalisation) n’aurait pas d’effet sur l’établissement de la nationalité des auteurs, puisque les enfants ont la nationalité de leur père. Ces règles d’établissement de la nationalité étaient applicables sur le territoire de l’actuelle Slovénie au cours de la période concernée. Toutes les autorités qui se sont prononcées dans la procédure d’établissement de la nationalité sont arrivées aux mêmes conclusions concernant la carte d’identité provisoire de Magdalena von Herberstein et le certificat de résidence de Wilhelmina von Herberstein et les ont motivées. L’État partie souligne en outre que les auteurs se réfèrent de façon sélective à ces éléments de preuve et utilisent une traduction littérale erronée du terme domovnica, qu’ils rendent par « certificat de nationalité » au lieu de « certificat de résidence ».

6.17L’État partie transmet en outre des éléments de jurisprudence qui démontrent que les auteurs ont été traités de manière égale et n’ont pas été victimes de discrimination.

6.18Au moment de la soumission des observations de l’État partie, l’entreprise de dénationalisation touchait à sa fin dans le pays, 99,6 % des demandes déposées ayant été clôturées. L’État partie fournit des données statistiques montrant que les demandes ont souvent abouti, deux tiers des décisions ayant été rendues en faveur des demandeurs. Aucune discrimination systémique n’a par conséquent été commise.

6.19Dans l’affaire no U-I-23/93, la Cour constitutionnelle est amplement revenue sur le principe d’égalité sans distinction de nationalité, qui constitue une disposition légale dont peut se prévaloir tout prétendant à la dénationalisation. L’État partie n’a pas fait de la nationalité une condition préalable au dépôt d’une demande de dénationalisation, contrairement à ce qu’exige la législation relative à la restitution dans autres pays (par exemple, la Tchéquie et la Slovaquie), que le Comité a examinée dans des affaires comparables. L’État partie n’a pas non plus exigé que les demandeurs reviennent en Slovénie (i.e. obtiennent le statut de résident permanent) ni ne prouvent autrement les liens qu’ils entretiennent avec leur nouveau pays (par exemple, par la résidence fiscale). Compte tenu des dispositions juridiques internationales en matière d’indemnisation, notamment les traités conclus avec d’autres pays, l’État partie a défini la nationalité yougoslave comme condition préalable au dépôt d’une demande de dénationalisation afin de garantir qu’une indemnisation serait accordée aux demandeurs qui ne pourraient pas être (ou ne seraient pas) indemnisés de leur préjudice par d’autres pays, tout en veillant à éviter le risque de double indemnisation, protégeant ainsi ses intérêts économiques légitimes.

6.20Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité de déclarer les griefs des auteurs non fondés.

Commentaires complémentaires des auteurs

7.1Le 28 décembre 2018, les auteurs ont affirmé que les manquements à la procédure en ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve constituaient une violation aggravée de leur droit à un procès équitable, une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte et une violation d’autres droits, comme indiqué dans leur lettre initiale du 5 décembre 2013, et dans les observations et annexes qui la complètent.

7.2Le 16 août 2019, les auteurs ont répondu aux observations formulées par l’État partie le 18 mars 2019, réfutant ses affirmations selon lesquelles ils n’avaient pas expliqué en quoi leur traitement avait été discriminatoire et avaient soulevé ces griefs uniquement parce qu’ils étaient mécontents des décisions fondées sur l’appréciation des éléments de preuve dans le cadre de la procédure administrative.

7.3Les auteurs sont d’avis que le comportement discriminatoire qu’ils dénoncent a été le plus flagrant lorsque l’unité administrative n’a pas tenu compte des éléments de preuve produits, comme expliqué dans la lettre précédente. Ils répètent qu’en raison de leur nationalité étrangère, ils ont été traités de manière discriminatoire dans le cadre de la procédure. La discrimination s’est traduite par le refus complet des autorités de suivre les règles régissant l’appréciation de documents officiels produits comme éléments de preuve, en particulier la carte d’identité provisoire et le certificat de résidence. Puisque ces documents sont soumis aux règles de preuve applicables en droit administratif, les autorités doivent considérer les informations qu’ils contiennent comme valides ou expliquer sur le plan juridique pourquoi il n’en a pas été tenu compte, ce que n’a fait ni l’unité administrative de Ptuj ni aucune juridiction supérieure de l’État partie. Cette omission constitue une discrimination concrète de la part des autorités de l’État partie à l’égard des auteurs. Les arguments par lesquels l’État partie réfute l’allégation de discrimination ne sont étayés par aucun élément de preuve et devraient donc être rejetés.

7.4Les auteurs ne disent pas que l’appréciation des éléments de preuve a été incorrecte, mais font valoir que les autorités ont décidé de ne pas prendre en considération les éléments de preuve produits dans le cadre de la procédure initiale, sans motiver cette décision. Un tel manquement dans le déroulement d’une procédure juridique constitue une violation du droit, notamment des droits énoncés dans le Pacte, qui ne concerne pas la seule appréciation de certains éléments de preuve. On ne saurait considérer qu’une simple déclaration selon laquelle la carte d’identité provisoire de Magdalena von Herberstein ne serait pas prise en considération constitue une appréciation des éléments de preuve, qui ne relèverait pas de la compétence du Comité, puisqu’aucune des autorités nationales n’a évalué matériellement la carte d’identité. En effet, la décision des autorités est clairement une décision de fond sur l’application du droit, c’est-à-dire sur le fait de savoir si une carte d’identité provisoire constitue un document authentique au sens de la loi générale sur la procédure administrative. Étant donné que la carte d’identité provisoire produite en l’espèce avait été émise sous une forme réglementaire, alors valide, par une autorité étatique ou une autorité locale autonome agissant dans les limites de ses compétences, il conviendrait de considérer qu’elle constitue une preuve des informations qu’elle contient.

7.5Aucune autorité n’ayant jamais apprécié la carte d’identité provisoire de Magdalena von Herberstein, les auteurs ne peuvent de fait contester une appréciation des éléments de preuve qui n’a jamais eu lieu. Ils auraient réfuté l’appréciation de la carte d’identité provisoire uniquement si les autorités administratives avaient évalué la force probante de celle-ci et avaient expliqué pourquoi elle ne pouvait être considérée comme un document officiel. Puisqu’aucune évaluation de ce genre n’a eu lieu, les autorités administratives ont enfreint le droit matériel lorsqu’ils ont pris des décisions discriminatoires concernant l’irrecevabilité d’éléments de preuve qui étaient à l’avantage des auteurs et avaient été présentés à bon droit dans le cadre de la procédure. Des considérations analogues valent pour la traduction du terme domovnica en « certificat de résidence » et non « certificat de nationalité » dans le cas de Wilhelmina von Herberstein.

7.6Compte tenu de ce qui précède, les auteurs maintiennent leurs observations antérieures.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Le 30 mars 2022, l’État partie a soumis des observations en réponse à la lettre des auteurs datée du 21 août 2021.

8.2L’État partie relève que dans leur dernière lettre, les auteurs se contentent de formuler des déclarations et des arguments déjà soumis et auxquels il a déjà été répondu, et ne présentent aucun fait nouveau ou fait juridique significatif. Il maintient la position qu’il a exposée dans ses observations du 18 décembre 2017 sur la recevabilité et dans ses observations d’août 2018 sur le fond. À aucun moment de la procédure les auteurs n’ont expliqué en quoi les autorités administratives ou les tribunaux nationaux les avaient traités de façon discriminatoire dans le cadre de l’établissement de la nationalité de leurs ascendants. En particulier, ils n’ont mis en lumière aucun acte ou aucune omission qui constituerait une telle discrimination. Avant de saisir le Comité, les auteurs ont en outre été déboutés d’au moins six requêtes portées devant la Cour européenne des droits de l’homme.

8.3D’après l’État partie, les auteurs continuent de contester, aujourd’hui devant le Comité, la décision prise par les autorités administratives et judiciaires nationales sur le fondement de l’appréciation des éléments de preuve faite dans le cadre de la procédure administrative visant à établir la nationalité de leurs ascendants. Dans leur dernière lettre, ils font en outre référence à l’affaire portée devant la Cour supérieure (d’appel) de Ljubljana, qui n’est pas pertinente pour que le Comité prenne une décision en l’espèce. Ainsi qu’il a déjà été souligné, les auteurs n’ont pas produit d’éléments de preuve pertinents dans le cadre de la procédure portant sur la nationalité de leurs ascendants, comme l’exige la législation applicable. Leur allégation de discrimination peut être vue comme l’expression de leur mécontentement face à l’appréciation des éléments de preuve, qui ne relève pas de la compétence du Comité.

8.4Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que les allégations des auteurs sont dénuées de fondement, comme il l’a expliqué dans ses observations d’août 2018 sur le fond, et demande au Comité de les rejeter.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif puisque la même question a été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il prend note de l’argument des auteurs selon lequel ils ont invoqué des droits différents, notamment le droit à la propriété, dans plusieurs des requêtes dont ils ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Toutes ces requêtes ont été déclarées irrecevables par la Cour statuant à juge unique, au motif qu’elles ne satisfaisaient pas aux conditions des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme ou que les allégations de violations n’étaient pas suffisamment étayées. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle qu’une décision d’irrecevabilité équivaut à un « examen », aux fins de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, lorsqu’elle suppose l’examen, au moins implicite, d’une plainte quant au fond. Compte tenu du fait que les griefs soumis au Comité se distinguent par leur nature et leur portée de ceux portés devant la Cour européenne des droits de l’homme et du fait que les décisions rendues en 2011 et 2012 par des juges uniques ne permettent pas de savoir si un examen au fond des requêtes a eu lieu, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner les griefs que les auteurs tirent des articles 2 et 26 du Pacte.

9.3Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que les auteurs doivent faire usage de tous les recours internes pour satisfaire à la prescription énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent utiles en l’espèce et leur sont de facto ouverts. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, parmi les trois allégations générales des auteurs, leur grief principal concerne la discrimination fondée sur l’origine nationale dont ils disent avoir été victimes dans le cadre de la procédure administrative d’établissement de la nationalité de leurs ascendants, qui constituait une condition préalable de la demande de dénationalisation des biens saisis. À cet égard, le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’allégation de discrimination soulevée par les auteurs peut être vue comme l’expression de leur mécontentement face à l’appréciation des éléments de preuves qu’a faite l’unité administrative de Ptuj. L’État partie a aussi affirmé que les auteurs n’avaient pas fait état d’une discrimination lorsqu’ils avaient formé des recours dans le cadre des procédures d’établissement de la nationalité de leurs ascendants, destinées à trancher cette question préliminaire dans la procédure de dénationalisation (recours hiérarchique devant l’autorité administrative et saisine du tribunal administratif en première instance). Il a fait valoir que les auteurs n’avaient soulevé les griefs relatifs à l’absence d’égalité devant la loi et de protection égale de la loi que devant la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, qui ont rejeté leurs demandes au motif qu’elles ne remplissaient pas les conditions formelles requises. Il a affirmé que l’allégation de discrimination, fondée sur le prétendu rejet de l’authenticité de deux documents produits en tant qu’éléments de preuve, était une extrapolation faite aux fins de la procédure devant le Comité, et que les auteurs n’avaient pas épuisé tous les recours internes disponibles concernant cette allégation et les autres allégations de violations du Pacte. Le Comité observe toutefois que les auteurs ont dénoncé une violation de leurs droits à l’égalité devant la loi, à l’égale protection par les autorités et les tribunaux, à la propriété et à l’accès à la nationalité dans le cadre des trois types de procédures, y compris devant les juridictions supérieures ordinaires et devant la Cour constitutionnelle ; cependant, les conditions formelles requises n’étaient remplies dans aucun cas. Il observe que les auteurs n’ont pas suffisamment expliqué pourquoi ils n’avaient pas soulevé le grief de discrimination au début de la procédure devant les autorités administratives et judiciaires pertinentes et n’ont pas réfuté l’affirmation de l’État partie sur ce point. Dans ces conditions, il considère que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles, étant donné que le grief de discrimination n’a pas été soulevé dès le début de la procédure, et que, de ce fait, les autorités nationales n’ont pas eu la possibilité de remédier en premier lieu aux violations alléguées du Pacte. Par conséquent, le Comité conclut que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner le grief que les auteurs tirent des articles 2 et 26 du Pacte.

9.4En ce qui concerne l’argument de l’irrecevabilité ratione temporis avancé par l’État partie, et son affirmation selon laquelle les auteurs ont abusé de leur droit de présenter une communication, en violation de l’article 99 (al. c) du Règlement intérieur du Comité, ce dernier prend note des arguments des auteurs selon lesquels leurs griefs concernent les procédures engagées devant les autorités administratives et judiciaires entre 2005 et 2011, dont la dernière a pris fin avec la décision de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2011 et la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 septembre 2012. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs des auteurs sont généralement recevables ratione temporis, puisque ces derniers lui ont soumis leur communication le 5 décembre 2013, complétée ensuite par d’autres observations (soit moins de cinq ans après la dernière décision rendue au niveau national et moins de trois ans après la dernière décision de la Cour européenne des droits de l’homme).

9.5En ce qui concerne l’argument de l’irrecevabilité ratione materiae avancé par l’État partie, le Comité considère que les griefs des auteurs concernant les droits à la propriété et à l’obtention de la nationalité d’un État donné sont incompatibles ratione materiae, puisque ces droits ne sont pas garantis par le Pacte. Il les déclare donc irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.6Sans préjudice de ce qui précède, le Comité fait observer que les griefs des auteurs concernent pour la plupart l’appréciation des éléments de preuve et l’application de la législation nationale par les autorités administratives et judiciaires de l’État partie, en particulier ceux que les auteurs tirent des articles 2 et 26 du Pacte. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Compte tenu de ce qui précède, le Comité déclare qu’il n’est pas en mesure de conclure, sur la base des éléments dont il dispose, que, lorsqu’elles ont statué dans l’affaire concernant les auteurs, les autorités administratives ou les juridictions de l’État partie ont agi d’une façon arbitraire ou que leurs décisions ont constitué un déni de justice.

10.Par conséquent, le Comité considère que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles et que la communication n’est en outre pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et déclare celle-ci irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

11.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.