Nations Unies

CCPR/C/132/D/2814/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 mars 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2814/2016*,**

Communication présentée par :

Farkhad Kakharzhanov (représenté par le Human Rights Advocacy Centre)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

2 mai 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 septembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

19 juillet 2021

Objet :

Peine ou traitement inhumain ou dégradant ; enquête efficace

Question(s) de procédure :

Aucune

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

Aucun

1.L’auteur de la communication est Farkhad Kakharzhanov, de nationalité kirghize et d’origine ouzbèke, né le 13 novembre 1987. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kirghizistan le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par l’organisation Human Rights Advocacy Centre.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 19 juin 2011, l’auteur, qui voyageait en voiture avec ses parents depuis Jalal-Abad, a été arrêté par deux agents de la police routière à un poste de contrôle. Bien qu’aucune irrégularité n’ait été constatée, un policier portant le numéro d’identification personnel « OB 097 » a exigé un pot-de-vin. L’auteur a proposé de payer 20 soms kirghizes, mais le policier a refusé de les prendre. Au lieu de cela, il a éloigné de force l’auteur de la voiture et l’a frappé plusieurs fois à la poitrine, tout en lui criant des insultes raciales.

2.2Le 20 juin 2011, l’auteur a consulté son médecin de famille pour des douleurs à la poitrine. Le diagnostic du médecin mentionnait des ecchymoses sur la poitrine. Le 21 juin 2011, l’auteur a déposé une plainte officielle pour mauvais traitements et sollicitation de pot‑de-vin auprès de la police de la ville d’Uzgen. Un examen médico-légal (rapport no 517), effectué par un médecin légiste le 21 juin 2011, a conclu que l’auteur ne présentait aucune trace de blessure. L’expert a également examiné le diagnostic du médecin de famille et a noté qu’il n’était étayé par aucun élément de preuve et qu’il avait été établi uniquement sur la base des plaintes orales de l’auteur.

2.3Le 2 juillet 2011, le bureau du procureur du district d’Uzgen a décidé de ne pas engager de poursuites pénales dans cette affaire en raison de l’absence de preuves. Dans le même temps, il a ordonné des sanctions disciplinaires contre l’agent de police portant le numéro d’identification « OB 097 » pour non-respect des règles de conduite internes de la police. L’auteur a fait appel de cette décision.

2.4Le 12 juillet 2011, le bureau du procureur régional d’Osh a informé l’auteur que le refus d’engager des poursuites pénales prononcé le 2 juillet 2011 avait été annulé et que l’affaire avait été renvoyée pour un complément d’enquête. À la demande de l’auteur, un examen médical supplémentaire a été effectué par un groupe d’experts médico-légaux le 14 juillet 2011. L’auteur a notamment fait valoir que le rapport médico-légal no 517 ne tenait pas compte de photographies personnelles montrant des ecchymoses sur sa poitrine. L’examen (rapport no 16) n’a révélé aucune trace de blessure sur le corps de l’auteur. Selon le rapport, les photos présentées par l’auteur ne portaient aucune indication de nom, de date ou d’heure. Elles ne montraient que le haut de la poitrine d’un individu, avec neuf taches rondes sombres. Les experts n’ont pas été en mesure de déterminer s’il s’agissait d’ecchymoses. Le visage de l’individu n’apparaissait pas sur ces photos. Le 22 juillet 2011, le bureau du procureur du district d’Uzgen a refusé d’engager des poursuites pénales dans cette affaire.

2.5L’auteur a fait appel du refus du bureau du procureur du district d’Uzgen d’ouvrir une enquête pénale devant le tribunal du district d’Uzgen. Le 2 novembre 2012, le tribunal a rejeté l’appel pour défaut de fondement. L’auteur a formé un recours auprès du tribunal régional d’Osh, qui l’a débouté le 8 avril 2013. Le 27 octobre 2015, la Cour suprême a confirmé les décisions des juridictions inférieures et rejeté l’appel de l’auteur.

2.6Le 7 juillet 2011, le médecin de famille de l’auteur lui a diagnostiqué une cardionévrose. De plus, l’auteur a suivi des séances de psychothérapie dans un centre de traitement du 6 au 16 août 2011 car, selon ses affirmations, les symptômes de sa dystonie végétative-vasculaire avaient augmenté en raison du stress causé par le conflit de 2010 à Jalal-Abad et par son passage à tabac par la police.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que le Kirghizistan a violé l’article 7 du Pacte pendant l’enquête et la procédure judiciaire le concernant. Il avance qu’il a été maltraité et humilié par un agent des forces de l’ordre et que les autorités nationales n’ont pas enquêté sur cet incident.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 6 avril 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication.

4.2L’État partie affirme que l’enquête préliminaire n’a révélé aucune lésion sur le corps de l’auteur, comme l’ont établi les juridictions nationales dans leurs procédures et décisions. C’est pourquoi, le 22 juillet 2011, le bureau du procureur du district d’Uzgen a refusé d’engager des poursuites pénales dans cette affaire. La décision a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel. Les tribunaux nationaux ont estimé que le refus était à la fois dûment étayé et pleinement conforme aux obligations procédurales nationales.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Le 25 mai 2017, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication.

5.2L’auteur affirme que sa plainte pour brutalités policières n’a pas été traitée avec la diligence requise par l’article 7 du Pacte. Le bureau du procureur du district d’Uzgen a examiné son cas de manière superficielle. Les enquêteurs et les juridictions nationales n’ont pas interrogé les proches et les médecins de l’auteur. Ils n’ont pas non plus demandé des rapports d’expertise médicale et psychologique supplémentaires. L’auteur fait en outre valoir que les juridictions nationales n’ont pas examiné les photographies montrant des ecchymoses sur son corps. Il ajoute que la décision d’imposer à l’agent de police des sanctions disciplinaires pour faute confirme que des mauvais traitements ont eu lieu.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale en date du 10 janvier 2018, l’État partie a soumis des informations complémentaires sur la communication.

6.2L’État partie explique que la voiture de l’auteur a été arrêtée par des agents de la police routière le 19 juin 2011 parce que ses vitres latérales étaient teintées et qu’elle semblait surchargée. La mère de l’auteur a insulté les policiers et une dispute a éclaté. Par la suite, l’auteur et sa mère ont déposé une plainte au sujet de cet incident. En raison du manque de preuves à l’appui des allégations de mauvais traitements de l’auteur, le bureau du procureur du district d’Uzgen a refusé d’engager des poursuites pénales. Dans le même temps, l’un des agents de la police routière a été sanctionné disciplinairement pour avoir arrêté la voiture de l’auteur sans justification valable et pour ne pas avoir suivi la procédure normale de contrôle routier. L’État partie réaffirme que les autorités nationales ont utilisé tous les moyens procéduraux à leur disposition pour enquêter sur l’incident : tous les témoins pertinents ont été interrogés et des rapports médicaux ont été établis. L’État partie explique également que les documents relatifs au refus d’engager des poursuites pénales ont été détruits en raison de l’expiration du délai légal de conservation.

6.3L’État partie rappelle en outre que l’auteur est autorisé par le droit interne à engager une procédure civile au niveau national pour demander à être indemnisé du préjudice matériel et moral subi.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.Le 19 février 2018, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. L’auteur réaffirme ses griefs et fait valoir qu’il existait des preuves médicales suffisantes de ses blessures. Il fait valoir en outre que l’indemnisation pour mauvais traitements est subordonnée à une déclaration préalable de culpabilité dans le cadre d’une procédure pénale. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, l’auteur n’a aucun moyen concret d’obtenir une indemnisation au niveau national.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes dont il disposait. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.4L’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication, pour quelque motif que ce soit. Le Comité constate que l’auteur a fourni suffisamment de détails pour étayer les griefs qu’il tire de l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte ont été violés étant donné qu’il a été agressé physiquement et verbalement par un agent de la police routière et que l’incident n’a fait l’objet d’aucune enquête effective. À l’appui de sa plainte, l’auteur renvoie au diagnostic posé le 20 juin 2011 par son médecin de famille, qui mentionnait des ecchymoses sur sa poitrine. Toutefois, le Comité note que l’expertise médicale réalisée le 21 juin 2011, qui a fait l’objet du rapport no 517, n’a pas révélé d’ecchymoses ou de marques sur le corps de l’auteur. Qui plus est, le rapport no 517 mettait en doute la véracité du diagnostic du médecin de famille de l’auteur, qui n’était pas précis, avait été établi sur la base des déclarations de l’auteur et ne contenait pas de description détaillée des lésions prétendument subies. Le Comité note également que l’examen médical supplémentaire effectué par un groupe d’experts médico-légaux le 14 juillet 2011 a confirmé les conclusions du rapport no 517. Il prend note du fait que l’auteur n’a pas fourni d’explications sur la divergence entre les examens médicaux effectués le 20 juin, par le médecin de famille de l’auteur, et le 21 juin, par un médecin légiste, ni présenté d’éléments de preuve supplémentaires (par exemple, des reçus de médicaments prescrits pour soigner les blessures). L’auteur n’a pas non plus expressément affirmé que les conclusions des experts avaient été falsifiées.

9.3Le Comité note en outre que l’auteur affirme avoir des photographies de ses ecchymoses, prises juste après l’incident. Celles-ci ont été fournies aux autorités nationales et au Comité. Toutefois, elles ne montrent que le torse d’un individu non identifiable et ne portent aucune indication de date et d’heure ni de nom. Il n’est donc pas possible de conclure formellement qu’il s’agit bien de photos de l’auteur prises après l’incident présumé. De plus, comme l’ont également fait observer les experts médicaux nationaux, il n’est pas possible d’affirmer que les taches sombres sur le corps de l’individu photographié sont en effet des ecchymoses.

9.4Le Comité prend également note du grief de l’auteur qui affirme qu’on lui a diagnostiqué une cardionévrose et qu’il a été contraint d’entreprendre un suivi psychologique en 2011 en raison du stress causé par le conflit de 2010 à Jalal-Abad et par son passage à tabac par la police. Si le diagnostic posé peut être confirmé par des preuves médicales, il n’est en revanche pas possible de déterminer si le stress a été causé par les brutalités policières dénoncées.

9.5Le Comité prend aussi note de l’argument de l’auteur selon lequel, en établissant que la responsabilité disciplinaire de l’agent de police était engagée, les autorités nationales ont confirmé que les mauvais traitements avaient eu lieu. Cependant, d’après les informations fournies par l’État partie, le policier a été sanctionné pour le non-respect de règles internes et, principalement, pour avoir arrêté la voiture de l’auteur sans justification valable. Rien dans les documents relatifs à la procédure disciplinaire ne confirme la version des faits de l’auteur.

9.6En ce qui concerne l’obligation de l’État partie de procéder à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de mauvais traitements de l’auteur, le Comité relève que les autorités nationales ont rapidement répondu à la plainte pénale de l’auteur. Un examen médico-légal a été effectué deux jours après l’incident présumé. Un examen médical supplémentaire a été réalisé par un groupe d’experts médico-légaux à la demande de l’auteur. L’enquête sur les actes des policiers a été menée par des fonctionnaires indépendants du bureau du procureur du district d’Uzgen. L’auteur n’a pas fait valoir, et il n’a pas été possible de conclure sur la base des documents présentés, que les enquêteurs avaient un quelconque parti pris personnel.

9.7Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel les autorités nationales n’ont pas interrogé tous les témoins et n’ont pas demandé de rapports d’experts supplémentaires. Les autorités nationales ont recueilli les dépositions de l’auteur et de sa mère, des policiers et de plusieurs civils. L’auteur ne précise pas clairement qui elles auraient dû interroger et quelles informations susceptibles d’influer sur l’issue de la procédure ces témoins potentiels auraient pu fournir. Le Comité ne considère pas, en l’absence de preuves médicales claires et sans équivoque, qu’en n’interrogeant pas les médecins traitants de l’auteur, les autorités nationales ont rendu la procédure pénale inefficace. L’auteur n’a pas indiqué que les témoignages de ses médecins différeraient de leurs diagnostics écrits, qui ont été examinés en détail au cours de la procédure. En ce qui concerne les expertises médicales, le Comité constate que l’auteur n’a pas affirmé, ni au niveau national ni dans les observations qu’il a soumises au Comité, que deux rapports d’experts (le rapport médico-légal no 517, en date du 21 juin 2011, et le rapport no 16, en date du 14 juillet 2011) avaient été falsifiés.

9.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation par l’État partie de l’article 7 du Pacte.