Nations Unies

CCPR/C/133/D/3278/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no3278/2018 * , ** , ***

Communication présentée par :

Dorin Șeremet et consorts (représentés par des conseils, Sorina Macrinici, Veronica Mihailov Moraru et Eduard Digore)

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie :

République de Moldova

Date de la communication:

10 août 2018 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 5 mars 2019 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

21 octobre 2021

Objet:

Participation des nationaux résidant à l’étranger aux élections présidentielles

Question(s) de procédure:

Incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Question(s) de fond:

Droit de vote ; droit à un recours utile ; accès à la justice

Article(s) du Pacte:

2 (par. 1), 14 (par. 1) et 25 (al. b))

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 3

1.Les auteurs de la communication sont Dorin Șeremet (né en 1998), Simion Doibani (né en 1988), Oleg Dolganiuc (né en 1988), Mihail Plugaru (né en 1987), Natalia Plugaru (née en 1983), Andrei Cebotari (né en 1988), Petru Maxian (né en 1983), Natalia Maxian (née en 1986), Viorica Muntean (née en 1987), Veronica Botnaru (née en 1988), Liuba Botnaru (née en 1978), Vlada-Valeria Botnaru (née en 1998), Sergiu Botnaru (né en 1969), Alexei Botnaru (né en 1975), Maria Cotea (née en 1962) et Valeriu Lupu (né en 1976). Tous sont des ressortissants de la République de Moldova vivant en Italie ou au Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 1), 14 (par. 1) et 25 (al. b)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 avril 2008. Les auteurs sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Jusqu’à une date relativement récente, en République de Moldova, le président était élu par le Parlement. Cependant, à la suite d’une décision du 4 mars 2016 de la Cour constitutionnelle, l’État partie a adopté le suffrage direct. La première élection présidentielle au suffrage direct devait avoir lieu fin 2016.

2.2Le vote des ressortissants moldoves à l’étranger est régi par le Code électoral. Le nombre de bureaux de vote à l’étranger et leur répartition géographique devaient faire l’objet d’une décision du Gouvernement, prise en collaboration avec le Ministère des affaires étrangères et de l’intégration européenne sur la base de deux éléments : a) la préinscription en ligne des citoyens vivant en dehors du pays ; b) la participation des électeurs de l’étranger aux précédentes élections parlementaires (2014). Conformément à l’article 49 (par. 3) du Code électoral, chaque bureau de vote à l’étranger reçoit un maximum de 3 000 bulletins.

2.3Entre le 10 mai et le 19 septembre 2016, 3 570 citoyens de la République de Moldova résidant à l’étranger se sont préinscrits pour voter. Le 26 septembre 2016, le Gouvernement a décidé du nombre de bureaux de vote à mettre en place à l’étranger et de leur emplacement. Suite à cette décision, 100 bureaux de vote ont été installés à l’étranger.

2.4Le premier tour de l’élection présidentielle a eu lieu le 30 octobre 2016. Aucun candidat n’ayant obtenu plus de 50 % des suffrages, un second tour a été organisé. Pour le premier tour, la Commission électorale centrale a distribué 270 350 bulletins de vote aux bureaux de vote de l’étranger, dans lesquels 67 205 électeurs se sont rendus pour exercer leur droit de vote.

2.5Lors du premier tour, dans huit des bureaux de vote de l’étranger, environ 2 000 votes ont été exprimés. Dans un bureau de vote, les bulletins sont venus à manquer avant la clôture du scrutin. Après le premier tour, l’une des deux principaux candidats à l’élection présidentielle, Maia Sandu, a informé les autorités moldoves que la mobilisation des électeurs de l’étranger était importante et que les bulletins de vote allaient manquer. Le 2 novembre 2016, elle a adressé un courrier officiel au Gouvernement, au Ministère des affaires étrangères et de l’intégration européenne et à la Commission électorale centrale pour demander que le nombre de bureaux de vote à l’étranger soit revu à la hausse pour le second tour. Les médias et les médias sociaux se sont fait l’écho de la mobilisation sans précédent des citoyens moldoves de l’étranger au second tour de l’élection. Le 3 novembre 2016, Mme Sandu a publié dans les médias sociaux un courrier adressé au Parlement, au Gouvernement, au Ministère des affaires étrangères et de l’intégration européenne et à la Commission électorale centrale, dénonçant la responsabilité de ces institutions dans l’obstruction faite au droit de vote des citoyens de l’étranger au second tour de l’élection présidentielle. Les autorités n’ont cependant pris aucune mesure pour revoir le nombre de bureaux de vote à l’étranger pour le second tour.

2.6Le second tour a eu lieu le 13 novembre 2016. La Commission électorale centrale avait légèrement augmenté le nombre de bulletins de vote distribués aux bureaux de vote à l’étranger, de 270 350 à 288 850, mais sans prendre aucune disposition concernant le nombre de bureaux de vote. Le jour du second tour de scrutin, quelque 138 720 électeurs de l’étranger se sont rendus aux urnes, soit près du double du nombre enregistré au premier tour. Dans 18 bureaux de vote de l’étranger, un nombre important de citoyens n’ont pas pu exprimer leur vote parce que les 3 000 bulletins alloués n’avaient pas suffi. Les auteurs font partie des citoyens qui n’ont pas pu voter pour cette raison à Londres et à Bologne, Mestre et Parme, en Italie.

2.7Le 13 novembre 2016, 4 031 citoyens moldoves, dont les auteurs, ont déposé des réclamation dans des bureaux de vote de l’étranger pour dénoncer une violation de leur droit de vote résultant de la quantité insuffisante de bulletins. Les bureaux électoraux des bureaux de vote de l’étranger ont décliné leur compétence et ont renvoyé ces réclamations au Conseil électoral du district de Chisinau, qui est l’organe électoral hiérarchiquement supérieur, sans en informer les plaignants. Les citoyens moldoves de l’étranger ont organisé des manifestations en divers endroits pour exprimer leur mécontentement à l’égard de la mauvaise organisation et des résultats du second tour de l’élection présidentielle.

2.8Par deux décisions, des 16 et 17 novembre 2016, le conseil électoral du district de Chisinau a pris note des griefs exprimés par les citoyens qui n’avaient pas pu voter dans les bureaux de vote à l’étranger et, sans se prononcer sur la violation du droit de vote alléguée, a transmis ces réclamations à la Cour constitutionnelle pour examen, tout en confirmant les résultats de l’élection. Ce n’est que le 18 novembre 2016, lorsque les deux décisions ont été publiées sur le site Web officiel de la mairie, que les plaignants, dont les auteurs, en ont eu connaissance. Cependant, la Cour constitutionnelle a refusé de recevoir les réclamations et les a renvoyées au Conseil électoral de district, qui lui-même les a redirigées vers la Commission électorale centrale pour examen.

2.9Le 18 novembre 2016, la Commission électorale centrale a approuvé son rapport sur les résultats de l’élection présidentielle. Dans le rapport, elle a indiqué, au sujet des réclamations faites par les citoyens qui n’avaient pas pu voter dans les bureaux de l’étranger, qu’il appartenait à la Cour constitutionnelle d’évaluer les allégations et les conséquences qu’elles pourraient avoir sur les résultats du vote.

2.10Le 21 novembre 2016, les représentants de 133 citoyens moldoves résidant à l’étranger, dont les auteurs, ont intenté une action en justice dans le but d’obtenir l’annulation des décisions des 16 et 17 novembre 2016 du Conseil électoral du district de Chisinau sur la question de la manière dont leurs réclamations avaient été examinées. Ils dénonçaient une violation de leur droit de vote et une discrimination fondée sur le lieu de résidence, tenant au fait que les autorités n’avaient pas pris de mesures pour garantir leur droit de vote. Au cours des audiences, les plaignants ont également soulevé la question de la constitutionnalité de l’article 49 (par. 3) du Code électoral, qui limite à 3 000 le nombre de bulletins distribués à chaque bureau de vote à l’étranger, alors qu’une telle limite n’est pas imposée aux bureaux de vote mis en place à l’intérieur du pays. Par une décision incidente du 28 novembre 2016, le tribunal de première instance du centre-ville de Chisinau a rejeté la demande des plaignants tendant à ce que l’ensemble de la procédure soit retransmise en direct. Par une autre décision incidente, le 29 novembre 2016, le tribunal a refusé de renvoyer à la Cour constitutionnelle la plainte relative à la constitutionnalité de l’article 49 (par. 3) du Code électoral car la Cour s’était déjà prononcée à deux reprises sur cette question. Enfin, par une décision incidente du 30 novembre 2016, le tribunal de première instance a rejeté la demande des plaignants de faire comparaître un journaliste et l’un des auteurs en leur qualité de témoins des événements en Italie.

2.11Le 1er décembre 2016, le tribunal de première instance du centre-ville de Chisinau a rejeté la plainte. Il n’a trouvé aucun motif de droit justifiant d’annuler ses propres décisions des 16 et 17 novembre 2016. Il a rejeté les enregistrements vidéo produits comme preuves des longues files d’attente devant les bureaux de vote à l’étranger, au motif que les plaignants n’avaient pas donné l’identité de la personne qui les avait réalisés, ni indiqué à quel moment et dans quelles conditions ils avaient été faits, comme il était exigé. Le tribunal a déclaré que les bureaux de vote à l’étranger avaient été installés et les bulletins de vote répartis conformément à la législation. Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal s’était appuyé sur une décision antérieure de la Cour constitutionnelle reconnaissant à l’État la prérogative de l’organisation des bureaux de vote à l’étranger sur la base d’un ensemble de critères, dont la préinscription des électeurs de l’étranger, ainsi que sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’imposait pas aux États parties au premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) l’obligation de permettre aux citoyens résidant à l’étranger d’exercer leur droit de vote. Le tribunal de première instance a considéré que les citoyens moldoves résidant à l’étranger étaient traités sur un pied d’égalité avec les Moldoves vivant dans le pays, à savoir qu’ils jouissaient de leur droit de vote et avaient la possibilité de soumettre des plaintes individuelles ou collectives. De plus, les citoyens moldoves résidant à l’étranger étaient autorisés à voter en présentant un passeport périmé et pouvaient se rendre dans n’importe lequel des 100 bureaux de vote installés à l’étranger. Ces 100 bureaux avaient la capacité d’accueillir 288 850 électeurs, alors que 139 066 électeurs seulement avaient participé au second tour. Mettre en place davantage de bureaux de vote pour le second tour aurait été contraire à la loi puisque les deux tours doivent se dérouler dans les mêmes conditions. Enfin, le tribunal de première instance a pris note du fait que les électeurs qui n’avaient pu voter dans les bureaux de vote où les bulletins manquaient avaient été redirigés vers des bureaux de vote voisins.

2.12Les auteurs, ainsi que les autres plaignants, ont fait appel de cette décision. Ils ont fait valoir, entre autres, que fixer un nombre maximum de 3 000 bulletins par bureau de vote revenait à limiter leur droit de vote. Le 6 décembre 2016, la Cour d’appel de Chisinau a confirmé la décision prise en première instance, estimant que les décisions des 16 et 17 novembre 2016 du Conseil électoral du district de Chisinau étaient légales car il appartenait à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la violation alléguée du droit de vote lors de la confirmation des résultats de l’élection. La décision établissant le nombre de bureaux de vote à l’étranger et fixant à 3 000 le nombre maximum de bulletins de vote à distribuer à chacun de ces bureaux était également conforme aux dispositions légales en vigueur. La Cour d’appel a fait observer que, lors du premier tour, les électeurs n’avaient pas contesté le nombre de bureaux de vote ou le nombre de bulletins de vote distribués à chacun de ces bureaux. Concernant l’argument des plaignants selon lequel la possibilité de se rendre dans un bureau de vote voisin était discriminatoire en raison des frais de déplacement qu’elle supposait, la Cour d’appel a rappelé que le droit de vote n’était pas un droit absolu et que ceux qui avaient voulu exercer ce droit avaient eu une possibilité réelle de le faire. Enfin, la Cour d’appel a estimé que les plaignants n’avaient pas expressément contesté la décision incidente de première instance du 30 novembre 2016 par laquelle leur demande de comparution de deux témoins avait été rejetée.

2.13Le 12 décembre 2016, la Cour suprême a déclaré irrecevable le recours en cassation formé par les auteurs et les autres plaignants car leurs arguments étaient centrés sur la conclusion à laquelle la Cour d’appel était parvenue plutôt que sur une application erronée de la loi.

2.14Le 13 décembre 2016, la Cour constitutionnelle a confirmé les résultats de l’élection présidentielle et validé le mandat du Président. Elle a relevé qu’à la suite du dépôt, le 13 novembre 2016 dans des bureaux de vote à l’étranger, de réclamations individuelles et collectives pour violation du droit de vote, la Commission électorale centrale, au lieu de se prononcer sur l’existence d’une violation, avait décliné sa compétence. Elle a précisé qu’il appartenait aux organes électoraux et aux tribunaux ordinaires d’examiner les réclamations soumises le jour du scrutin et qu’ils n’auraient pas dû décliner leur compétence. En n’examinant pas les circonstances de ces affaires, ces juridictions inférieures l’avaient empêchée de disposer d’une évaluation juridique des faits ; la Cour constitutionnelle examine seulement des points de droit, et non des éléments de fait. Par conséquent, la Cour constitutionnelle a recommandé au Parlement de clarifier la législation applicable à l’examen des plaintes portant sur l’organisation et la tenue des élections. Elle a en particulier recommandé au Parlement d’établir expressément des procédures de plainte distinctes pour les différents types d’élections, ainsi que des procédures différentes en cas de scrutin à deux tours.

2.15La Cour constitutionnelle a également soutenu que le droit de vote était un droit relatif, et non un droit absolu ; que l’État jouissait donc d’une large marge d’appréciation et que des limites implicites pouvaient être imposées à l’exercice de ce droit. Elle a également estimé que l’égalité en matière de droit de vote n’impliquait pas que ce droit puisse être exercé dans des conditions identiques à l’intérieur et à l’extérieur du pays, compte tenu de la situation juridique distincte des citoyens résidant dans le pays ou en dehors. Elle a ensuite fait observer que le premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ne garantissait pas aux ressortissants d’un État partie le droit de voter depuis l’étranger. De même, dans le Code de bonne pratique en matière électorale, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) avait reconnu que le lieu de résidence pouvait avoir une influence sur l’exercice du droit de vote.

2.16Tout en supposant que les 4 031 citoyens qui s’étaient plaint n’avaient pas pu exercer leur droit de vote, la Cour constitutionnelle n’a pu identifier aucun élément objectif démontrant que les autorités de l’État n’avaient pas agi de bonne foi en fixant le nombre de bureaux de vote à installer à l’étranger. Par exemple, eu égard au fait que les plaintes les plus nombreuses provenaient de ressortissants moldoves résidant en Italie, la Cour a noté que 25 bureaux de vote avaient été installés dans ce pays. Ces bureaux avaient reçu au total 75 000 bulletins, et 51 738 électeurs s’étaient rendus aux urnes au second tour. Toutefois, compte tenu du fait que de nombreux ressortissants moldoves de l’étranger n’avaient pas pu exprimer leur vote le 13 novembre 2016, la Cour constitutionnelle a recommandé au Parlement de modifier la législation sur les modalités de vote à l’étranger et de prendre en compte de nouveaux critères pour calculer le nombre de bulletins de vote à distribuer et décider de leur répartition géographique entre les bureaux de l’étranger, et de prévoir une réserve de bulletins de vote pour ces derniers.

2.17À la suite de cette décision de la Cour constitutionnelle, les auteurs et les autres plaignants ont demandé à la Cour suprême de revoir sa décision du 12 décembre 2016, arguant qu’ils n’avaient pas bénéficié d’un contrôle juridictionnel effectif des décisions du conseil électoral du district de Chisinau en date des 16 et 17 novembre 2016 et que les organes électoraux et les tribunaux n’avaient pas garanti leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement conformément à la législation et au principe de la bonne foi dans l’intérêt du citoyen. Le 22 mars 2017, la Cour suprême a déclaré irrecevable la demande de réexamen, car faire droit à une telle demande aurait supposé que la Cour constitutionnelle ait déclaré inconstitutionnelle une loi que les juridictions inférieures auraient précédemment appliqué pour statuer en l’espèce.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 25 (al. b)), lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 1), et de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

3.2Les auteurs indiquent que le Code électoral fixe une limite de 3 000 bulletins par bureau de vote. En conséquence, ils n’ont pas pu exprimer leur vote au second tour de l’élection présidentielle car dans cinq bureaux de vote de l’étranger où ils se sont rendus pour voter, les bulletins étaient épuisés avant l’heure de la fermeture. Ils estiment que le non‑respect et la non-réalisation de leur droit de vote sont la conséquence d’un manque de planification et d’une mauvaise organisation du vote à l’étranger lorsque les autorités avaient décidé du nombre et de la répartition géographique des bureaux de vote à l’étranger. La République de Moldova connaît un phénomène d’émigration de masse et ne dispose pas de données exactes et fiables sur le nombre de Moldoves résidant à l’étranger. Selon diverses études et données publiées par les autorités nationales, entre 800 000 et un million de Moldoves vivraient en dehors du pays. Le pays comptant une population totale de 3,6 millions de personnes, cette émigration a, y compris sur le plan électoral, d’importantes répercussions que les autorités auraient dû prendre en considération dans les préparatifs du scrutin à l’étranger et dans l’adoption des lois et documents de politique en la matière.

3.3Les auteurs indiquent que, selon la législation en vigueur au moment des faits, le nombre de bureaux de vote à l’étranger et leur répartition géographique devaient faire l’objet d’une décision du Gouvernement, prise en collaboration avec le Ministère des affaires étrangères et de l’intégration européenne sur la base de deux éléments : la préinscription en ligne des citoyens résidant à l’étranger et la participation des électeurs vivant à l’étranger aux précédentes élections parlementaires. La préinscription en ligne est un dispositif relativement nouveau en République de Moldova ; il a été adopté pour les élections parlementaires de 2014 et a été utilisé pour la deuxième fois lors de l’élection présidentielle de 2016. Au cours du dernier mois de la période de préinscription, de nombreux utilisateurs avaient signalé sur les réseaux sociaux des dysfonctionnements du système de préinscription en ligne. En outre, les autorités n’ont pas organisé de campagne d’information de masse sur la procédure de préinscription pour les Moldoves vivant à l’étranger.

3.4En ce qui concerne le deuxième critère, les auteurs soutiennent que les autorités ont ignoré la recommandation de l’association Promo-LEX d’ouvrir des bureaux de vote supplémentaires dans les zones où le nombre d’électeurs avait dépassé 2 000 par bureau lors des élections parlementaires de 2014. Dans presque tous ces bureaux, le 13 novembre 2016 les bulletins avaient été épuisés avant l’heure de clôture du scrutin. Les auteurs estiment donc que le nombre de bureaux de vote à l’étranger était insuffisant. Par exemple, les données disponibles ont montré qu’à l’époque, 142 266 citoyens moldoves vivaient en Italie. Les autorités avaient installé 25 bureaux de vote dans le pays, ce qui permettait seulement de garantir le droit de vote de 75 000 de ces ressortissants.

3.5Les auteurs signalent qu’à la suite de modifications apportées à la législation en 2017, le nombre maximum de bulletins de vote distribué à chaque bureau a été relevé de 3 000 à 5 000 et de nouveaux critères ont été ajoutés aux éléments pris en compte dans la décision concernant l’installation des bureaux de vote.

3.6Les auteurs affirment que les organes électoraux n’ont pas examiné leurs réclamations et n’y ont pas donné suite convenablement, ainsi que la Cour constitutionnelle l’a également relevé dans sa décision du 13 décembre 2016. Le dispositif de règlement des différends électoraux, notamment le mécanisme d’examen des réclamations concernant le vote depuis l’étranger, manque de clarté. En outre, la mission d’observation des élections dépêchée par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a recommandé que le dispositif de règlement des différends électoraux soit révisé afin d’en combler les lacunes et de remédier aux incohérences qu’il présentait et de garantir un recours juridique utile. Elle a souligné qu’il faudrait envisager d’établir des procédures claires et de délimiter clairement les compétences en ce qui concernait le traitement des réclamations portant sur le vote à l’étranger. Cependant, le Parlement n’a toujours pas modifié le chapitre du Code électoral consacré à la procédure de réclamation. Seule la Commission électorale centrale a modifié son règlement, décidant que les plaintes relatives à l’exercice du droit de vote dans les bureaux de vote à l’étranger devaient impérativement être soumises aux tribunaux nationaux le jour du scrutin.

3.7Les auteurs affirment en outre qu’ils ont fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport aux citoyens exprimant leur vote en République de Moldova, car ceux-ci n’ont pas rencontré de problèmes liés au nombre de bureaux de vote ou de bulletins. Cette différence de traitement constitue une discrimination directe fondée sur le lieu de résidence. Le jour du second tour de l’élection présidentielle, au moins huit bureaux de vote situés sur le territoire de la République de Moldova ont reçu un nombre de bulletins supérieur à la limite de 3 000 prévue dans le Code électoral, ce qui constitue une différence de traitement entre les électeurs votant dans le pays et les électeurs exprimant leur vote à l’étranger.

3.8Les auteurs dénoncent également une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte, résultant d’un déni d’accès à la justice et du non‑respect des principes d’égalité des armes, du procès équitable et de publicité. Les organes électoraux se sont déclarés incompétents pour examiner les réclamations déposées par les auteurs le jour de l’élection et ont renvoyé celles‑ci à la Cour constitutionnelle pour qu’elle les examine dans le cadre de son mandat de validation des élections. Les juridictions nationales ont rejeté les plaintes des auteurs à la fois pour des motifs de fond et des questions de procédure, déclarant que ces plaintes auraient dû être portées devant les organes électoraux le jour du scrutin, et non devant les tribunaux. Toutefois, la Cour constitutionnelle a estimé que ni les organes électoraux ni les tribunaux nationaux n’auraient dû décliner leur compétence, mais qu’ils auraient dû enquêter sur les violations signalées le jour de l’élection. Par conséquent, les auteurs n’ont pas bénéficié d’un accès équitable à la justice, en raison de leur lieu de résidence.

3.9Le tribunal de première instance du centre-ville de Chisinau a enfreint le principe de l’égalité des armes en n’acceptant pas d’entendre deux témoins de deux bureaux de vote à l’étranger à la demande des plaignants. Le tribunal a refusé d’accepter comme preuves des enregistrements vidéo et des photographies montrant les longues files d’attente devant les bureaux de vote à l’étranger, bien que les avocats aient respecté les règles de procédure concernant la production de ce type de preuves. Les différentes juridictions qui sont intervenues ont toutes rejeté arbitrairement les demandes des auteurs et des autres plaignants, sans motiver ce rejet, ce qui est contraire au principe de l’accès effectif et équitable à la justice. Enfin, les tribunaux ont violé le principe de publicité car ils n’ont pas publié les décisions sur leur page Web, bien qu’ils aient l’obligation de le faire. Le tribunal de première instance du centre-ville de Chisinau a également rejeté la demande des plaignants tendant à ce que le procès soit retransmis en direct.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 3 mai 2019, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond, dans lesquelles il soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable pour incompatibilité ratione materia avec les dispositions du Pacte. Dans l’éventualité où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie affirme que celle-ci est dénuée de fondement.

4.2En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré que les droits consacrés par l’article 3 du premier Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas absolus, qu’il y a place pour des limitations implicites et que les États contractants doivent se voir accorder une marge d’appréciation en la matière. L’État partie fait valoir que la même approche a été suivie par le Comité, qui a rappelé son observation générale no 25 (1996), dans laquelle il indique que le droit de voter et d’être élu n’est pas un droit absolu, et que des restrictions peuvent lui être imposées à condition qu’elles ne soient pas discriminatoires ou déraisonnables.

4.3Selon l’État partie, l’article 25 du Pacte garantit le droit de vote, mais pas le droit de voter à l’étranger. Ce dernier relève du pouvoir discrétionnaire des États, qui jouissent d’une large marge d’appréciation quant à l’organisation de leur système électoral. À cet égard, la Commission européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable une série d’affaires dénonçant des restrictions au droit de vote fondées sur le critère de la résidence.

4.4L’État partie explique que la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que l’article 3 du premier Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme n’oblige pas les États contractants à mettre en place un système qui permette aux citoyens résidant à l’étranger de voter en dehors du territoire national. La Cour européenne a également constaté que ni les traités internationaux et régionaux pertinents, tels le Pacte, la Convention américaine relative aux droits de l’homme ou la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ni leur interprétation par les organes internationaux compétents ne permettaient de conclure que le droit de vote des personnes absentes à titre temporaire ou permanent du territoire de l’État dont elles sont les ressortissants irait jusqu’à imposer aux États concernés d’organiser les modalités de son exercice à l’étranger.

4.5L’État partie considère donc que le « droit de vote des expatriés depuis leur lieu de résidence » n’est pas garanti par le Pacte, mais relève de la marge d’appréciation accordée aux États, qui sont libres de choisir selon quelles modalités ils souhaitent permettre ce vote. Le Pacte n’impose pas aux États parties une obligation positive de garantir aux citoyens vivant en dehors du territoire national l’exercice de leur droit de vote depuis leur pays de résidence. Ne pas pouvoir exercer le droit de vote depuis le pays où l’on réside, lorsque ce droit peut être exercé dans le pays d’origine, ne modifie pas la substance du droit de vote.

4.6Sur le fond, l’État partie rappelle que dans l’affaire Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce, la Cour européenne des droits de l’homme a analysé la législation des États membres du Conseil de l’Europe relative au vote à l’étranger. L’analyse a révélé que dans la majorité des États autorisant à voter en dehors du territoire national, les citoyens qui souhaitent bénéficier de cette possibilité devaient s’inscrire sur les listes électorales avant une certaine date. En l’espèce, l’organisation des bureaux de vote à l’étranger était basée sur la préinscription des citoyens et sur les chiffres de la participation aux précédentes élections.

4.7La préinscription a permis d’établir le nombre d’électeurs vivant à l’étranger, afin de déterminer le nombre de bureaux de vote nécessaires et le nombre de bulletins nécessaires pour chaque bureau. Pendant la période de préinscription en vue de l’élection présidentielle de 2016, qui a duré plus de quatre mois, 3 570 électeurs se sont inscrits. En s’appuyant sur cette information, et sur le fait que 73 311 électeurs avaient participé aux élections parlementaires de 2014, le Gouvernement a approuvé l’installation de 100 bureaux de vote à l’étranger pour l’élection présidentielle de 2016. Un total de 270 350 bulletins a été distribué à ces bureaux pour le premier tour et, en réponse à la demande des électeurs, 288 850 bulletins ont été distribués pour le second tour. Sur les 100 bureaux de vote de l’étranger, 95 ont reçu les 3 000 bulletins maximum prévus à l’article 49 (par. 3) du Code électoral.

4.8L’État partie considère donc qu’il a agi avec diligence dans les circonstances de l’espèce. Il soutient également que dans certains bureaux de vote, le nombre d’électeurs a considérablement augmenté au second tour par rapport au premier. Au total, 67 205 électeurs résidant à l’étranger ont participé au premier tour, tandis qu’ils ont été deux fois plus nombreux au second tour, leur nombre s’établissant à 138 720. Cette différence dans le nombre de participants entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2016 n’était pas prévisible par les autorités, qui ont pris leurs décisions en se fondant sur la participation des électeurs de l’étranger aux précédentes élections. Les résultats des élections présidentielles à deux tours dans d’autres pays indiquent que la participation est souvent plus élevée au premier tour qu’au second.

4.9Pour l’État partie, le cas des auteurs est donc un cas isolé et sans précédent, qui n’est pas révélateur d’un problème récurrent ou systémique. Depuis les élections de 2016, plusieurs mesures ont été prises pour améliorer et garantir efficacement le droit de vote des citoyens résidant à l’étranger. Ces mesures comprennent des changements dans le système de préinscription et dans les critères pris en considération pour décider de l’établissement des bureaux de vote à l’étranger, ainsi que le relèvement de 3 000 à 5 000 du nombre de bulletins pouvant être distribués à chaque bureau de vote. Toutefois, l’État partie rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les lois et pratiques des États membres n’étaient pas encore tels qu’il s’en dégagerait une approche commune ou un consensus en faveur de la reconnaissance d’un droit de vote illimité pour les non-résidents.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 5 août 2019, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie, notant que contrairement à la situation dans certains autres États membres du Conseil de l’Europe (voir par. 4.6 ci-dessus), l’État partie a reconnu à ses ressortissants résidant en dehors du territoire national le droit de voter à l’étranger, et a établi des procédures détaillées pour ce faire dans le Code électoral. De plus, au paragraphe 3 de son observation générale no 25 (1996), le Comité dit que, contrairement aux autres droits et libertés reconnus par le Pacte, les droits protégés par l’article 25 sont ceux de « tout citoyen », et tout citoyen doit jouir de ces droits sans discrimination aucune.

5.2Les auteurs soulignent que la préinscription en ligne des électeurs dans l’État partie n’est pas une condition préalable à l’exercice du droit de vote, mais a été introduite dans le Code électoral parmi les critères utilisés pour décider de l’installation des bureaux de vote à l’étranger. Cependant, les autorités n’ont pas organisé de campagne d’information sur la procédure de préinscription à l’intention des ressortissants résidant à l’étranger, et le système électronique ne fonctionnait pas correctement.

5.3Les auteurs notent également que l’État partie n’a pas formulé d’observations sur leur allégation de violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte, et maintiennent celle-ci.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au regard de l’article 3 du Protocole facultatif au motif que l’article 25 du Pacte ne garantit pas le droit de voter depuis l’étranger. Il note que les auteurs répondent à cela qu’il est indiqué dans l’observation générale no 25 (1996) que l’article 25 du Pacte protège les droits de tous les citoyens, et que l’État partie a reconnu à ses ressortissants résidant hors du territoire national le droit de voter depuis l’étranger.

6.4Le Comité note que le texte de l’article 25 (al. b)) du Pacte garantit le droit de vote de « tout citoyen » sans distinction mentionné à l’article 2 du Pacte. Il observe que, dans sa propre législation, l’État partie reconnaît le droit de vote à ses ressortissants résidant à l’étranger. Dans la mesure où la législation interne accorde le droit de vote aux ressortissants résidant à l’étranger, l’État partie est tenu de garantir l’exercice de ce droit, conformément à l’article 25. Par conséquent, le Comité estime que ce grief n’est pas incompatible ratione materiae avec l’article 25 du Pacte et qu’il est donc recevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note du grief soulevé par les auteurs au titre de l’article 25 (al. b)) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 1), à savoir que l’impossibilité de voter dans laquelle ils ont été lors de l’élection présidentielle de 2016 a constitué une discrimination fondée sur le lieu de résidence. L’État partie a fait valoir que le Pacte n’imposait pas aux États parties une obligation positive de garantir aux citoyens vivant en dehors du territoire national l’exercice de leur droit de vote depuis leur pays de résidence. Le Comité considère toutefois que, aux fins de la recevabilité, les auteurs ont convenablement expliqué les raisons pour lesquelles ils estiment avoir subi un traitement discriminatoire fondé sur le lieu de résidence. En conséquence, le Comité estime que ce grief est recevable.

6.6Le Comité prend note des griefs soulevés par les auteurs au titre de la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, à savoir que le tribunal de première instance du centre-ville de Chisinau n’a pas accepté d’entendre deux témoins en leur faveur, qu’il a refusé d’accepter comme preuves les enregistrements vidéo et les photographies prises le jour de l’élection et a rejeté la demande de retransmission en direct du procès, et que les décisions des tribunaux n’ont pas été publiées sur leurs pages Web. Le Comité fait observer que l’allégation relative à la publicité n’est pas étayée. Il ajoute que les autres griefs ont trait à l’application de la législation nationale par les juridictions de l’État partie. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7En revanche, le Comité estime que les griefs soulevés par les auteurs au titre de l’article 25 (al. b)) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 1), concernant la violation de leur droit de voter dans des conditions d’égalité avec les autres citoyens, ainsi que les griefs fondés sur la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 et tenant au fait qu’ils n’ont pas eu accès à la justice pour faire examiner leurs plaintes, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité ; il passe donc à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs soulevés par les auteurs au titre de l’article 25 (al. b)) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 1), à savoir que l’État partie a violé leur droit de voter en qualité de ressortissants résidant à l’étranger et a exercé à leur égard une discrimination fondée sur le lieu de résidence. Les auteurs contestent la manière dont l’État partie a fixé le nombre de bureaux de vote à l’étranger ainsi que la disposition légale limitant à 3 000 le nombre de bulletins qui pouvaient être distribués à chacun de ces bureaux. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie, qui fait valoir que le nombre de bureaux de vote à l’étranger et le nombre de bulletins de vote ont été fixés en se basant sur le système de préinscription des citoyens et sur le nombre des électeurs ayant voté depuis l’étranger aux précédentes élections parlementaires, que l’État partie ne pouvait pas prévoir qu’au second tour de l’élection de 2016, les citoyens résidant à l’étranger seraient plus de deux fois plus nombreux à se rendre aux urnes qu’au premier tour, et qu’il a agi avec diligence dans les circonstances de l’espèce afin de permettre à ses citoyens résidant en dehors du pays d’exercer leur droit de vote depuis l’étranger.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 25 (1996), dans laquelle il indique que le droit de voter n’est pas un droit absolu, et que des restrictions peuvent lui être imposées à condition qu’elles ne soient pas discriminatoires ou déraisonnables. Le Comité observe qu’en l’espèce, la législation de l’État partie reconnaît le droit de vote à ses citoyens vivant à l’étranger. Il relève toutefois que, malgré cette reconnaissance, les auteurs n’ont pas pu voter depuis l’étranger car dans les bureaux de vote de leur ville, la totalité des bulletins reçus, dont le nombre maximum était défini par le Code électoral, étaient épuisés.

7.4Le Comité doit évaluer si les restrictions rencontrées par les auteurs en tant qu’électeurs votant depuis l’étranger lors de l’élection présidentielle de 2016 étaient déraisonnables. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il n’existe pas dans le droit international de disposition prévoyant que le droit de vote des personnes absentes à titre temporaire ou permanent du territoire de l’État dont elles sont les ressortissants irait jusqu’à imposer aux États concernés d’organiser les modalités de son exercice à l’étranger. L’État partie fait valoir également qu’une analyse de la législation des États membres du Conseil de l’Europe relative au vote depuis l’étranger a montré que dans la majorité des États autorisant leurs ressortissants à voter en dehors du territoire national, les personnes qui souhaitent bénéficier de cette possibilité doivent impérativement s’inscrire sur les listes électorales avant une certaine date.

7.5Le Comité note toutefois que l’État partie appartient à cette catégorie d’États qui ont choisi de protéger le droit de vote de leurs citoyens à l’étranger. Concrètement, pour décider du nombre de bureaux de vote requis pour permettre à ses citoyens résidant à l’étranger d’exercer leur droit de vote et de leur emplacement, l’État partie doit évaluer le nombre de citoyens susceptibles de vouloir exercer leur droit de vote. Ce calcul est effectivement basé sur le nombre de citoyens ayant un intérêt à exercer leur droit de vote, que cet intérêt ait été manifesté dans le passé et ressorte des statistiques des précédentes élections ou qu’il s’agisse d’un intérêt manifesté pour de futures élections via une préinscription. Le Comité ne considère pas que l’utilisation de cette méthode pour prévoir le nombre d’électeurs potentiels soit déraisonnable.

7.6Concrètement, le Comité note que 288 850 bulletins de vote ont été distribués aux bureaux de vote établis hors du pays, alors que près de 139 000 ressortissants résidant à l’étranger se sont rendus aux urnes au second tour. Il note également que 73 311 électeurs avaient participé aux élections parlementaires organisées deux ans plus tôt, en 2014, que 67 205 électeurs avaient participé au premier tour de l’élection présidentielle de 2016, sans qu’aucun incident n’ait été signalé, et que seuls 3 570 électeurs s’étaient préinscrits pour les élections de 2016. Au vu de tout ce qui précède, le Comité ne considère pas que le nombre total de bulletins de vote que l’État partie avait estimé nécessaires pour les citoyens souhaitant voter à l’élection présidentielle de 2016 depuis l’étranger était déraisonnable. Il observe que, malgré cette estimation générale, les auteurs n’ont pas pu exprimer leur vote parce que leur bureau de vote était à court de bulletins. Cependant, il note que les auteurs n’ont pas démontré que dans la zone où se trouvaient ces bureaux de vote, l’État partie aurait dû prévoir une participation supérieure à 3 000 électeurs, soit en s’appuyant sur le nombre d’électeurs préenregistrés soit en tenant compte des taux de participation aux élections précédentes. Les auteurs n’ont pas non plus démontré que le fait d’être redirigés vers des bureaux de vote voisins, situés dans un rayon de 30 à 45 kilomètres et où des bulletins étaient encore disponibles, leur aurait imposé une charge excessive. Le Comité prend note également des modifications législatives apportées en 2017 dans l’État partie en ce qui concerne la préinscription et les critères d’établissement de bureaux de vote à l’étranger, qui permettent de relever de 3 000 à 5 000 le nombre de bulletins de vote pouvant être distribués à chaque bureau.

7.7Compte tenu de tout ce qui précède, et considérant que l’élection de 2016 était la première élection présidentielle au suffrage direct organisée depuis 1996, que l’estimation globale des votes à l’étranger était largement suffisante au vu du nombre d’électeurs ayant voté précédemment et des préinscriptions, et que les bulletins de vote semblent n’avoir manqué que dans une minorité de bureaux, où les électeurs se sont vu offrir la possibilité de se rendre dans des bureaux voisins pour exprimer leur vote, le Comité considère que la situation décrite par les auteurs ne fait pas apparaître de violation de leur droit de vote au sens de l’article 25 (al. b)) du Pacte.

7.8Concernant l’allégation des auteurs selon laquelle l’impossibilité d’exprimer leur vote à l’élection présidentielle de 2016 a constitué une discrimination fondée sur leur lieu de résidence, le Comité note que le Code électoral prévoit que les bureaux de vote reçoivent entre 30 et 3 000 électeurs. Cet article fait référence aux bureaux de vote en général, sans faire de distinction entre les bureaux situés à l’intérieur du pays et ceux de l’étranger. Dans les circonstances de l’espèce, sur les 100 bureaux de vote établis à l’étranger, 95 ont reçu les 3 000 bulletins maximum prévus à l’article 49 (par. 3) du Code électoral. Le Comité considère donc que cette limite de 3 000 bulletins par bureau de vote s’applique sans discrimination selon que le bureau de vote est établi à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Le Comité fait observer par conséquent que le nombre insuffisant de bulletins de vote disponibles dans les villes où résidaient les auteurs était la conséquence d’une mauvaise appréciation du nombre d’électeurs au niveau local plutôt que d’une discrimination fondée sur le lieu de résidence inscrite dans la loi. Ayant conclu qu’à la lumière des statistiques et des chiffres provenant du dispositif de préinscription dont disposait l’État partie, l’appréciation générale du nombre de bulletins et de bureaux de vote nécessaires pour l’élection de 2016 n’avait pas été déraisonnable, même si elle avait pu être insuffisante dans des cas très particuliers, et en l’absence d’informations supplémentaires communiquées par les auteurs, le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de traitement discriminatoire imposé aux auteurs en raison de leur résidence à l’étranger au titre de l’article 25 (al. b)), lu conjointement avec l’article 2 (par. 1) du Pacte.

7.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’est pas en mesure de conclure que les informations dont il dispose font apparaître une violation des droits des auteurs au titre de l’article 25 (al. b)), lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 1) du Pacte.

7.10Le Comité prend note en outre des allégations soulevées par les auteurs au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte selon lesquelles les réclamations pour violation de leur droit de vote qu’ils ont déposées le jour de l’élection n’ont pas été examinées par les organes électoraux ni par les tribunaux. À cet égard, le Comité prend note de la décision du 13 décembre 2016 de la Cour constitutionnelle, dans laquelle celle-ci a précisé qu’il appartenait aux organes électoraux et aux tribunaux ordinaires d’examiner les plaintes déposées le jour du scrutin et qu’ils n’auraient pas dû décliner leur compétence. Néanmoins, bien que la Cour constitutionnelle ait relevé des incohérences dans l’examen des plaintes déposées par les auteurs, le Comité note que les juridictions nationales se sont prononcées sur ces plaintes avant que la Cour constitutionnelle ait confirmé les résultats des élections présidentielles et validé le mandat du président de la République de Moldova le 13 décembre 2016. S’il note que le cadre législatif lui-même n’est pas clair s’agissant des autorités compétentes pour examiner les réclamations relatives à l’exercice du droit de vote le jour de l’élection, il note également que les auteurs avaient la possibilité de saisir les tribunaux de l’État partie et de faire entendre leur cause, comme le prévoit l’article 14 (par. 1) du Pacte. En conséquence, il n’est pas en mesure de conclure que l’État partie a manqué à son devoir de veiller à ce que les auteurs aient accès à la justice, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation par l’État partie de l’article 14 (par. 1) ou de l’article 25 (al. b)) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 1).

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de Furuya Shuichi

1.Je ne peux souscrire à la conclusion, formulée dans les constatations, selon laquelle l’impossibilité de voter dans laquelle se sont trouvés les auteurs par manque de bulletins de vote ne constitue pas une violation de leur droit de vote garanti à l’article 25 (al. b)) du Pacte.

2.Pour se conformer à l’article 25 (al. b)), les États doivent prendre des mesures efficaces pour que toutes les personnes qui remplissent les conditions pour être électeurs aient la possibilité d’exercer ce droit. Cela signifie que les États parties sont tenus non seulement de s’abstenir d’empêcher l’exercice du droit de vote, mais aussi de prendre des mesures positives pour garantir la libre expression de la volonté des électeurs. L’article 25 n’impose pas aux États parties une obligation de garantir aux citoyens vivant en dehors du territoire national l’exercice de leur droit de vote depuis leur pays de résidence. Néanmoins, tout État partie est tenu de garantir l’exercice de ce droit conformément à l’article 25 dans la mesure où son droit interne accorde un droit de vote à ses ressortissants résidant à l’étranger. Bien que ce droit de vote n’implique pas que les conditions de son exercice doivent être identiques à l’intérieur et à l’extérieur du pays, compte tenu de la situation différente des citoyens vivant à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, tout État partie est tenu de s’acquitter de l’obligation prévue à l’article 25 dans la mesure où la situation le permet.

3.En l’espèce, l’État partie a reconnu aux ressortissants moldoves vivant à l’étranger le droit de voter et a prévu des procédures détaillées pour le vote depuis l’étranger dans le Code électoral. La question qui se pose est donc de déterminer si l’État partie a pris toutes les mesures appropriées pour garantir l’exercice du droit de vote de ses ressortissants vivant en dehors de son territoire conformément à l’article 25.

4.Conformément à la législation de l’État partie, le nombre de bureaux de vote à l’étranger et leur répartition géographique ont été décidés en prenant en considération deux critères : la pré-inscription en ligne des citoyens résidant à l’étranger et la participation des électeurs de l’étranger aux précédentes élections législatives. Toutefois, l’État partie affirme que, bien qu’il ait agi avec diligence dans les circonstances de l’espèce, l’écart dans le nombre de votants entre le premier et le second tour de l’élection présidentielle de 2016 n’était pas prévisible par les autorités, qui avaient pris leurs décisions en s’appuyant sur la participation des électeurs de l’étranger aux précédentes élections.

5.Il me semble cependant qu’il n’est pas certain que l’État partie ait agi avec la diligence requise dans les circonstances. Quatre éléments permettent d’en douter. Le premier est le manque de fiabilité du système de pré-inscription. En l’espèce, la pré-inscription en ligne des électeurs n’était pas un préalable indispensable à l’exercice du droit de vote, mais elle a été utilisée comme critère pour décider de l’installation des bureaux de vote à l’étranger. D’après les statistiques communiquées par l’État partie, 3 570 personnes s’étaient préinscrites, alors que 67 205 électeurs de l’étranger ont participé au premier tour (par. 4.7 et 4.8). Cela signifie que le nombre réel de votants au premier tour a été environ 19 fois plus élevé que le nombre de personnes qui s’étaient préinscrites, ce qui montre bien que la pré-inscription n’était pas un critère approprié pour déterminer le nombre de votants à prévoir au second tour. L’État partie aurait dû prêter davantage attention à cet élément avant le second tour. Deuxièmement, au premier tour déjà, un bureau de vote, à savoir le bureau no 1/336 à Londres Stratford, s’était trouvé à court de bulletins avant l’heure de la fermeture (par. 2.5, note de bas de page 3). À l’époque, l’État partie savait ou aurait dû savoir qu’il était possible qu’au second tour les bulletins de vote viennent à manquer avant l’heure de la fermeture dans d’autres bureaux. Troisièmement, une candidate à l’élection présidentielle, Maia Sandu, a officiellement attiré l’attention du Ministère des affaires étrangères et de l’intégration européenne et de la Commission électorale centrale sur ce point. En outre, les médias et les réseaux sociaux se sont fait l’écho de la mobilisation sans précédent des citoyens moldoves de l’étranger au second tour de l’élection (par. 2.5). L’État partie n’a toutefois pris aucune mesure, en dehors de relever le nombre de bulletins distribués aux bureaux de vote à l’étranger, qui est passé de 270 350 à 288 850, soit une augmentation de seulement 6,8 %. Quatrièmement, bien que la législation prévoyait l’allocation d’un maximum de 3 000 bulletins par bureau de vote, la Commission électorale centrale avait fourni plus de 3 000 bulletins à huit bureaux de vote au second tour (par. 2.6, note de bas de page 5). On peut donc penser que l’État partie aurait pu distribuer aux bureaux de vote un nombre de bulletins supérieur au nombre maximum fixé s’il avait envisagé plus sérieusement la possibilité que le nombre de votants soit plus important au second tour.

6.À la lumière de ces éléments, je ne peux pas considérer que l’État partie a agi avec la diligence requise et qu’il a fait tout son possible pour que les citoyens moldoves vivant à l’étranger, y compris les auteurs, puissent exercer leur droit de vote au second tour. Par conséquent, je dois conclure que les faits dont le Comité était saisi font apparaître une violation de l’article 25 du Pacte.