Nations Unies

CCPR/C/133/D/2510/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2510/2014 * , **

Communication présentée par :

M. R. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

14 décembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 décembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

19 octobre 2021

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Question(s) de procédure :

Recevabilité r atione materiae; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture ou d’autres peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; non‑refoulement

Article(s) du Pacte :

7, 18 et 19

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est M. R., de nationalité iranienne, né le 29 août 1981. Il fait l’objet d’une mesure d’expulsion vers la République islamique d’Iran à la suite du rejet par les autorités danoises de sa demande de statut de réfugié. Il affirme qu’en l’expulsant de force vers la République islamique d’Iran, le Danemark violerait les droits qu’il tient des articles 7, 18 et 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 17 décembre 2014, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a grandi dans une famille monarchiste, mais a décidé d’agir contre le régime après avoir subi deux peines de flagellation, l’une pour s’être assis dans un parc avec sa petite amie et l’autre pour avoir bu de l’alcool. En 2006, il a rejoint la milice bassidj afin de disposer d’une couverture pour distribuer l’alcool qu’il produisait. Au début, il était chargé de tâches modestes, comme la surveillance d’un poste de contrôle. Il a également été le garde du corps de personnalités importantes. Il est aussi intervenu lors des manifestations qui se sont déroulées après les élections de 2009, mais a refusé de frapper les manifestants alors qu’il en avait reçu l’instruction, et s’est abstenu de porter des armes et de participer aux arrestations parce qu’il savait de quelle manière les détenus étaient traités. En octobre 2013, il a reçu l’ordre de partir combattre en République arabe syrienne et a suivi un entraînement militaire de deux semaines. Ne voulant pas partir en Syrie, il a fui la République islamique d’Iran le 22 novembre 2013. Les autorités ont ensuite perquisitionné le domicile de ses parents et ont découvert du matériel servant à la production d’alcool.

2.2L’auteur s’est rendu en voiture de Téhéran à Khowy, dans le nord-ouest de la République islamique d’Iran. Il a changé de voiture et a roulé jusqu’à la frontière turque, et a ensuite poursuivi sa route jusqu’à un petit village près d’Istanbul, où il est resté chez une dame âgée pendant un mois ou un mois et demi. Il a ensuite été pris à bord d’un poids lourd et conduit jusqu’au Danemark, où il a été déposé à un grand rond-point.

2.3L’auteur est entré au Danemark le 15 janvier 2014 sans documents de voyage valides et a demandé l’asile le même jour. Il a dit craindre d’avoir des problèmes avec les bassidji s’il retournait en République islamique d’Iran, parce qu’il avait quitté la milice et fui le pays, et aussi parce que les autorités avaient découvert qu’il produisait et vendait de l’alcool. Il craignait également d’être obligé par la milice de tirer sur des gens. Le 22 mai 2014, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande.

2.4Le 27 août 2014, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande d’asile de l’auteur. La Commission a admis le fait que l’auteur avait été membre de la milice bassidj, mais a considéré que cet élément ne pouvait à lui seul justifier l’octroi de l’asile. La majorité des membres de la Commission a refusé d’accorder foi aux déclarations de l’auteur concernant ses activités au sein de la milice et la perquisition de son domicile après son départ de la République islamique d’Iran, car ces faits semblaient peu crédibles et inventés pour les besoins de la cause. En outre, les déclarations de l’auteur étaient incohérentes et évasives sur plusieurs points, par exemple en ce qui concerne le moment où il avait commencé à vendre de l’alcool, ou la question de savoir si sa famille était au courant de son appartenance à la milice bassidj. La majorité des membres de la Commission a considéré qu’il n’était pas vraisemblable que la famille de l’auteur ait ignoré pendant sept ans qu’il était membre de cette milice. La déclaration de l’auteur selon laquelle il était un membre de rang inférieur de la milice bassidj était en contradiction avec ses déclarations concernant les tâches qu’il effectuait pour la milice, parmi lesquelles des missions que lui auraient confiées un bassidji de haut rang et son rôle de garde du corps de personnalités importantes. L’auteur avait aussi fait des déclarations contradictoires sur la question de savoir s’il avait frappé des personnes avec une matraque lors des manifestations de 2009, sur ce qu’il avait fait exactement lors de ces manifestations et sur ce qu’il savait des actes de torture infligés aux personnes arrêtées. Enfin, il avait fait des déclarations incohérentes et évasives sur ses contacts avec sa famille après son départ.

2.5Après le rejet de sa demande d’asile, l’auteur a été détenu dans l’établissement fermé d’Ellebæk du 22 octobre 2014 au 26 mai 2015 en attendant son expulsion du Danemark. Le 3 décembre 2014, il a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir la procédure d’asile le concernant. Il a notamment mentionné le fait qu’un ange et d’autres symboles contraires à l’enseignement de l’islam étaient tatoués sur son corps, raison pour laquelle il craignait d’être persécuté par les autorités iraniennes. Il s’est référé à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M . A . c . Suisse.

2.6Le 12 décembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a conclu qu’il n’y avait aucune raison de rouvrir la procédure d’asile. En ce qui concerne l’argument des tatouages avancé par l’auteur, la Commission a estimé que les circonstances de l’espèce n’était pas comparables à celles de l’affaire M . A . c . Suisse, puisque le récit fait par le requérant dans cette dernière affaire avait été jugé digne de foi.

2.7Le 20 avril 2015, l’auteur a de nouveau demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir la procédure d’asile le concernant. Il a fait valoir, entre autres, qu’il avait été baptisé le 16 avril 2015 et avait donc un nouveau motif de demande de protection apparu « sur place ». Il disait craindre d’être persécuté par les autorités iraniennes parce qu’il avait renoncé à l’islam pour devenir chrétien. L’auteur affirmait également que ses tatouages − un ange et d’autres symboles contraires aux enseignements de l’islam − l’empêcheraient de cacher aux autorités iraniennes qu’il s’était converti au christianisme.

2.8Le 12 mai 2015, la Commission de recours des réfugiés a décidé de rouvrir la procédure d’asile et a organisé une audience devant une nouvelle formation. Elle a également prolongé le délai fixé pour le départ de l’auteur. Celui-ci a produit une déclaration, datée du 7 juin 2015 et écrite par un pasteur officiant à l’église de Grønnevang et dans le centre d’Ellebæk. Selon cette déclaration, l’auteur faisait partie d’une communauté religieuse de réfugiés et d’immigrants (persanophones pour la plupart) rattachée à l’église de Grønnevang, notamment depuis sa sortie du centre d’Ellebæk, en mai 2015. Divers sujets chrétiens et autres étaient enseignés au sein de cette communauté. Le pasteur a déclaré qu’il avait connu l’auteur pendant les dix mois de sa détention au centre d’Ellebæk, et que l’auteur participait très activement et avec dévotion aux offices religieux. En outre, dans une lettre du 31 octobre 2014, l’église de Bethania a confirmé que l’auteur avait régulièrement assisté aux offices religieux célébrés à l’église jusqu’au 12 octobre 2014.

2.9Lors des audiences devant la Commission, le pasteur a déclaré que c’était lui qui avait baptisé l’auteur, lequel avait suivi plus de vingt à trente heures de cours de préparation au baptême, et qu’il ne doutait pas de la sincérité de la conversion de l’auteur. L’auteur a déclaré que, lorsqu’il était en République islamique d’Iran, il faisait des dons à une église chrétienne en secret. Il ne fréquentait pas cette église parce qu’il était musulman et qu’il aurait été condamné à mort s’il l’avait fait. Quant à ses tatouages, l’auteur a déclaré ne pas les avoir mentionnés au Service danois de l’immigration ni à son précédent conseil parce qu’il avait pensé qu’ils n’avaient aucune importance pour sa demande d’asile. À l’origine, les tatouages n’étaient pas censés être un symbole chrétien, et l’auteur n’était pas chrétien lorsqu’il est arrivé au Danemark. Cependant, le style de vie et le comportement des chrétiens qu’il avait pu observer dans son pays d’origine l’avaient conduit à s’intéresser au christianisme, et le fait de rencontrer au Danemark des personnes de son âge qui allaient à l’église avait ravivé son intérêt pour le christianisme.

2.10Le 1er juillet 2015, la Commission de recours des réfugiés a de nouveau confirmé la décision du Service danois de l’immigration de rejeter la demande d’asile de l’auteur. La majorité des membres de la Commission n’était pas convaincue de la sincérité de la conversion de l’auteur. Les membres de la Commission ont considéré le témoignage du pasteur comme un élément venant confirmer le fait que l’auteur était devenu chrétien, mais ont souligné le caractère évasif des réponses de l’auteur à plusieurs questions concernant sa conversion au christianisme. Ils ont également fait observer que l’auteur s’était fait baptiser très tardivement au cours de la procédure d’asile, et seulement après le rejet de sa demande d’asile et de sa demande de réouverture du dossier, ainsi qu’à la suite de ses tentatives très énergiques de s’opposer à son expulsion du Danemark.

2.11Après avoir analysé les informations générales et la jurisprudence de la Commission de recours des réfugiés, la majorité des membres de la Commission a estimé que, même si elle admettait que l’auteur avait quitté illégalement la République islamique d’Iran, le fait qu’il ne possédait pas de documents de voyage valides ne constituait pas un motif suffisant pour supposer qu’il serait persécuté ou maltraité par les autorités iraniennes.

2.12En ce qui concerne la crainte de l’auteur d’attirer l’attention des autorités iraniennes, la majorité des membres de la Commission a en outre fait observer que rien n’indiquait que qui que ce soit fût au courant du baptême de l’auteur, en dehors de sa mère et de sa sœur, et peut-être de quelques amis iraniens sur Facebook. En outre, en République islamique d’Iran, l’auteur n’avait jamais eu auparavant de problèmes liés à ses tatouages, qu’il s’était fait faire dans ce pays et qui n’étaient pas directement visibles. L’auteur n’avait pas démontré pour quelles raisons il en irait autrement s’il retournait en République islamique d’Iran. Le fait que l’auteur ait téléchargé des photos et des textes chrétiens sur la partie privée de son compte Facebook, non visibles sur la partie publique de ce compte, ne pouvait conduire à une conclusion différente.

2.13Le 4 mai 2018, l’auteur a de nouveau demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir la procédure d’asile le concernant. À l’appui de sa demande de protection pour motif apparu « sur place », l’auteur a cette fois déclaré qu’il s’était fait faire d’autres tatouages au Danemark, qu’il était devenu un converti très exposé, dont le nom et la photo avaient été diffusés dans plusieurs articles de presse, qu’il avait participé à une émission de radio et qu’il était maintenant certain que les autorités iraniennes étaient au courant de sa conversion puisqu’il en avait informé les représentants de l’ambassade d’Iran. Il a également déclaré avoir participé à de nombreuses activités chrétiennes depuis 2015, dont des cafés bibliques, des dîners du vendredi et des offices religieux. Le 22 mai 2018, le conseil de l’auteur a envoyé la copie d’un rapport établi par le Centre national opérationnel pour les étrangers de la police de Seeland du Nord concernant une possible convocation de l’auteur à l’ambassade d’Iran, dont il ressortait que, selon les informations fournies par l’auteur, celui‑ci s’était converti et voulait devenir pasteur au Danemark. Selon lui, il ne faisait donc aucun doute que les autorités iraniennes avaient pleinement connaissance de l’apostasie de l’auteur. Le 8 novembre 2018, l’auteur a soumis une note qui a été versée au dossier.

2.14Le 12 septembre 2018, la Commission de recours des réfugiés a décidé de rouvrir la procédure d’asile et de tenir une nouvelle audience. Elle a également décidé de surseoir au départ de l’auteur.

2.15Le 12 novembre 2018, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration de rejeter la demande d’asile de l’auteur, ne considérant toujours pas comme établi que la conversion de l’auteur au christianisme était sincère. Elle a fait référence à la déclaration de l’auteur selon laquelle s’il était « chrétien à 40 % ou 50 % » en 2015, il était désormais « chrétien à 99 % », et a estimé que cette déclaration avait nui à la crédibilité de l’auteur, qui avait déjà affirmé en 2015, lors de l’audience devant la Commission, que sa conversion était sincère. La Commission a également fait observer que l’auteur n’avait pas été en mesure d’expliquer de manière convaincante pourquoi il avait choisi le protestantisme, puisqu’il avait déclaré qu’il avait accompagné des amis dans une église apostolique et que c’était la raison pour laquelle il avait choisi cette branche. L’auteur avait fait ce choix alors qu’il avait déclaré déjà connaître les différentes branches du christianisme dans son pays d’origine, raison pour laquelle il aurait dû faire un choix réfléchi.

2.16En outre, la Commission a tenu compte du fait que l’auteur semblait avoir appris par cœur ce qu’il savait du christianisme et donnait l’impression de ne pas bien connaître certains des aspects du christianisme dont on lui avait demandé de parler. À cela s’ajoutait le fait que l’auteur avait déclaré à la Commission que, dans le centre de préparation au départ où il était hébergé, « il y avait des personnes qui devaient apprendre à répondre aux questions que la Commission pose à ceux qui disent s’être convertis ». L’auteur a également déclaré qu’il souhaitait devenir pasteur, ce qui expliquait qu’on attende de lui qu’il soit en mesure d’exprimer ses réflexions et ses convictions personnelles. Les activités chrétiennes que menait l’auteur ne pouvaient pas conduire à une conclusion différente, la Commission ayant considéré comme un fait établi que l’intéressé voyait dans ces activités de simples occasions de rencontres et un motif justifiant l’octroi d’un titre de séjour au Danemark.

2.17Ne pouvant pas considérer comme établi que la conversion de l’auteur était sincère, la Commission de recours des réfugiés ne pouvait pas non plus considérer comme établi que l’auteur avait l’intention de mener des activités chrétiennes s’il retournait en République islamique d’Iran. En outre, l’auteur n’avait pas démontré que les autorités iraniennes s’intéressaient à lui avant son départ. La Commission devait déterminer si l’auteur avait montré qu’il était probable que, du fait de ses activités chrétiennes au Danemark, il risquait d’être persécuté ou maltraité s’il retournait en République islamique d’Iran.

2.18En ce qui concerne la publication du nom et de la photo de l’auteur dans plusieurs articles de presse et son interview dans une émission de radio, la Commission a fait observer que les articles de presse et l’émission de radio ne portaient pas sur la conversion présumée de l’auteur, mais sur la situation générale des demandeurs d’asile déboutés, les activités d’entraîneur de boxe de l’auteur et les règles régissant le droit des demandeurs d’asile déboutés de posséder un téléphone portable. Par conséquent, la Commission n’a pas considéré que l’auteur avait attiré l’attention des autorités iraniennes en apparaissant dans les médias danois.

2.19Enfin, la Commission a noté que, le 18 avril 2018, l’auteur avait informé spontanément les représentants de l’ambassade d’Iran au Danemark de sa conversion et de sa volonté de devenir pasteur au Danemark. En communiquant volontairement cette information, l’auteur avait fait savoir aux autorités iraniennes qu’il avait invoqué sa conversion comme motif d’asile au Danemark mais, dans le même temps, les autorités iraniennes avait été informées du fait que le Danemark ne considérait pas cette conversion comme sincère. Dans ce contexte, et compte tenu des informations générales, la Commission de recours des réfugiés a estimé que, bienqu’il ait communiqué volontairement l’information en question, l’auteur n’avait pas attiré l’attention des autorités iraniennes d’une manière qui l’exposerait à une persécution ou à des mauvais traitements s’il devait retourner en République islamique d’Iran. Le fait que l’auteur ait quitté le pays illégalement et se soit fait faire de nouveaux tatouages ne pouvait pas non plus conduire à une conclusion différente.

2.20Depuis le 21 novembre 2018, l’auteur est enregistré comme personne disparue par la police danoise.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue une violation des articles 7, 18 et 19 du Pacte. Il soutient que les États parties ont l’obligation de ne pas expulser les personnes qui risquent d’être privées de leurs droits humains, en l’espèce le droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce. Cela comprend également la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui inclut la liberté de manifester ses convictions religieuses.

3.2L’auteur affirme que son intérêt pour le christianisme se manifeste par un tatouage bien distinct sur son bras. Il craint d’être persécuté par les autorités iraniennes si elles découvrent ce tatouage. Compte tenu de ses opinions critiques à l’égard du régime iranien, il a maintenant formulé une demande d’asile pour motif apparu « sur place ». Son expulsion entraînerait donc une violation de ses droits civils protégés par l’article 19 du Pacte et le mettrait en grand danger de subir des peines ou traitements inhumains ou dégradants, interdits par l’article 7 du Pacte.

3.3Enfin, l’auteur souligne qu’il sera renvoyé en République islamique d’Iran alors même qu’il n’est pas en possession d’un passeport iranien valide et que, de ce fait, il risque d’être interrogé par les autorités à son arrivée à l’aéroport. Selon lui, on ne peut donc exclure qu’il risque de faire l’objet d’une enquête sur son passé de membre de la milice bassidj.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 23 août 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable. Dans l’hypothèse où le Comité la déclarerait recevable au regard de l’article 7, l’État partie affirme que le Pacte ne serait pas violé si l’auteur était renvoyé en République islamique d’Iran.

4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés, ainsi que la législation applicable aux procédures d’asile. Il affirme ensuite que l’auteur n’a pas établi qu’à première vue sa communication était recevable au regard de l’article 7 du Pacte, car il n’a pas montré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il courrait le risque d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Cette partie de la communication est donc manifestement sans fondement et devrait être déclarée irrecevable.

4.3Pour ce qui est des allégations que l’auteur formule au titre des articles 18 et 19 du Pacte, l’État partie affirme que l’intéressé cherche à faire appliquer ces articles de manière extraterritoriale dans sa communication. L’auteur ne formule aucune allégation de violation de ces articles fondée sur la manière dont il a été traité au Danemark ou en un lieu sur lequel les autorités danoises exercent un contrôle effectif, ou fondée sur le comportement des autorités danoises. Le Comité n’est donc pas compétent pour se prononcer sur de telles violations en ce qui concerne l’État partie; dès lors, cette partie de la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte. L’État partie ne saurait être tenu responsable de violations des articles 18 et 19 du Pacte que pourrait commettre un autre État en dehors de son territoire et de sa juridiction.

4.4Pour ce qui est du fond de la communication, l’auteur n’a pas suffisamment établi que son renvoi en République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Conformément à la jurisprudence du Comité, les États parties sont tenus de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne de leur territoire ou la transférer par d’autres moyens si cette mesure a pour conséquence nécessaire et prévisible d’exposer la personne concernée à un risque réel de préjudice irréparable, tel que les traitements visés à l’article 7 du Pacte, que ce soit dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout autre pays vers lequel la personne pourrait être renvoyée par la suite. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Les obligations mises à la charge de l’État partie par l’article 7 du Pacte sont consacrées par l’article 7 (par. 1 et 2) de la loi relative aux étrangers, qui dispose qu’un permis de séjour est accordé à un étranger si celui-ci risque d’être condamné à mort ou soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas de renvoi dans son pays d’origine.

4.5L’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés a évalué, dans cette affaire, si les déclarations de l’auteur semblaient crédibles et convaincantes, notamment si elles étaient considérées comme probables, cohérentes et concordantes. L’auteur a fait des déclarations contradictoires sur la raison de son départ, sur ses activités pour la milice bassidj et sur ce qu’il savait des actes de torture, sur la question de savoir si les personnes de son entourage savaient qu’il faisait partie de cette milice et sur ses contacts avec sa famille après son départ.

4.6En ce qui concerne la conversion de l’auteur au christianisme, l’État partie fait observer que l’intéressé n’a pas informé les autorités danoises de l’immigration de cette conversion avant d’avoir présenté sa deuxième demande de réouverture de son dossier, le 20 avril 2015. L’auteur n’a déclaré à aucun moment de la procédure d’asile qu’il s’intéressait au christianisme pour des motifs religieux. Il n’a pas non plus mentionné avoir assisté à des offices religieux, que ce soit au Danemark ou ailleurs, ou s’être éloigné de l’islam, et il n’a pas manifesté d’intérêt pour la religion en général. L’auteur n’a donc révélé cet intérêt ni à la police ni au Service danois de l’immigration. Au contraire, il a déclaré dans sa demande d’asile du 17 janvier 2014, lors de l’entretien préliminaire du 14 février 2014 et lors de l’entretien sur le fond mené par le Service danois de l’immigration le 4 mars 2014, qu’il était de confession musulmane, sans exprimer aucune sorte de doute ou de réserve ni laisser entendre que son appartenance à l’islam était un problème. Dans le mémoire du 19 août 2014 soumis par le conseil de l’auteur avant l’audience du 27 août 2014 devant la Commission de recours des réfugiés, l’appartenance de l’auteur à l’islam n’était pas non plus présentée comme posant un problème. Les commentaires du conseil portaient uniquement sur les motifs initiaux de la demande d’asile de l’auteur. Il ressort en outre du mémoire du 19 août 2014 que le soutien de l’auteur à l’église chrétienne était uniquement motivé par les actes commis par le régime iranien au nom de l’islam et non par l’intérêt personnel de l’auteur pour le christianisme.

4.7L’État partie fait valoir que c’est seulement dans la demande de réexamen qu’il a soumise le 3 décembre 2014 que l’auteur a informé la Commission de recours des réfugiés de ce qui pouvait être perçu comme un intérêt pour le christianisme, à savoir le fait qu’il avait un ange et d’autres symboles tatoués sur le corps. Il était indiqué dans la demande de réouverture de la procédure que les tatouages étaient contraires aux enseignements de l’islam. L’auteur n’a pas mentionné dans cette demande ses activités potentiellement motivées par la religion, comme sa participation à des offices religieux, son implication dans la communauté chrétienne ou sa participation à des cours de préparation au baptême.

4.8En conséquence, l’État partie fait observer que l’auteur n’a commencé à manifester un intérêt particulier pour la foi chrétienne qu’après le rejet de sa demande d’asile, le 27 août 2014, et celui de sa demande de réouverture de la procédure, le 12 décembre 2014. L’auteur a été baptisé le 16 avril 2015, soit quatre mois après le rejet de sa demande de réouverture de la procédure par la Commission de recours des réfugiés. En outre, les photos des tatouages de l’auteur et son certificat de baptême daté du 16 avril 2015 n’ont été soumis à la Commission de recours des réfugiés que le 3 décembre 2014 et le 20 avril 2015, respectivement, alors que l’auteur était déjà privé de liberté aux fins de son expulsion du Danemark.

4.9Enfin, ce n’est que dans la déclaration du pasteur datée du 7 juin 2015 qu’a été mentionné le fait que l’auteur avait assisté régulièrement à des offices religieux pendant les dix mois de sa détention au centre d’Ellebæk, soit pendant une période ayant débuté plus de huit mois avant l’introduction de la demande de réouverture le 20 avril 2015. De même, il ressort de la lettre en date du 31 octobre 2014 émanant de l’église Bethania, que la Commission de recours des réfugiés a également reçue peu avant l’audience du 1er juillet 2015, que l’auteur avait régulièrement assisté aux offices dans cette église jusqu’au 12 octobre 2014. L’auteur n’a donné ces informations à aucun moment de la procédure d’asile, ni lors de l’audience tenue par la Commission le 27 août 2014 ni dans aucune de ses deux demandes de réouverture.

4.10Par conséquent, l’État partie considère que le fait que l’auteur ait exprimé son intérêt pour le christianisme à un stade aussi avancé de la procédure nuit en soi à la crédibilité de ses nouveaux motifs de demande d’asile présentés le plus récemment. Il fait également observer que la nouvelle foi dont se réclame l’auteur ne s’est pas traduite par des actes visibles autres que son baptême.

4.11En ce qui concerne les tatouages de l’auteur, l’État partie considère qu’ils ne sont pas l’expression de la foi chrétienne de l’auteur puisque, selon les informations fournies, ces tatouages ont été réalisés en République islamique d’Iran alors que l’auteur était encore de confession musulmane. Lors de l’audience du 1er juillet 2015 devant la Commission de recours des réfugiés, l’auteur a déclaré qu’il s’était fait faire ses tatouages alors qu’il vivait en République islamique d’Iran et qu’il ne les considérait pas à l’origine comme des symboles chrétiens. L’auteur a en outre déclaré qu’il n’avait pas mentionné ses tatouages au Service danois de l’immigration parce qu’il avait pensé qu’ils n’avaient aucune importance pour sa demande d’asile. L’État partie fait en outre observer que l’auteur a déclaré le 14 février 2014 au Service danois de l’immigration qu’il n’avait jamais eu de conflits avec des groupes religieux ou autres et qu’il n’avait pas d’autres questions importantes − politiques ou religieuses − à signaler.

4.12L’État partie affirme que lorsqu’un demandeur d’asile fonde sa demande sur une conversion qui a eu lieu après son départ de son pays d’origine − il arrive dans certains cas que cette conversion ait lieu à un stade assez avancé de la procédure d’asile − cette conversion peut être considérée comme pertinente aux fins de l’évaluation de la crédibilité à laquelle doit procéder la Commission de recours des réfugiés. Selon le guide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, lorsque des personnes se convertissent après leur départ de leur pays d’origine, cela peut donner lieu à une demande de protection pour motif apparu « sur place ». Dans de telles situations, des préoccupations particulières en termes de crédibilité ont tendance à émerger et un examen rigoureux et approfondi des circonstances et de la sincérité de la conversion sera nécessaire ». En outre, il est à noter que des activités « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution pour un motif prévu par la Convention dans le pays d’origine du demandeur si la nature opportuniste de ces activités est évidente pour tous, y compris pour les autorités du pays, et que le renvoi de l’intéressé n’aurait pas de graves conséquences pour celui-ci.

4.13L’État partie appelle aussi l’attention du Comité sur le fait qu’au Danemark, la question de l’importance d’une conversion, notamment de l’islam au christianisme, pour l’issue d’une procédure d’asile a donné lieu à un débat au sein du grand public et plus particulièrement parmi les demandeurs d’asile. Il est donc de notoriété publique chez les demandeurs d’asile et les autres parties intéressées œuvrant dans ce domaine qu’une conversion peut motiver une demande d’asile. Pour cette raison également, on ne peut pas considérer comme établi que l’auteur n’avait pas conscience de l’importance de cette information pour l’issue de sa procédure d’asile lorsqu’il a demandé le réexamen de celle-ci le 3 décembre 2014.

4.14L’État partie estime que les tatouages de l’auteur ne permettent pas à eux seuls de conclure que l’auteur risque d’être persécuté ou de subir des mauvais traitements s’il devait retourner en République islamique d’Iran. L’examen des photos de ces tatouages montre qu’aucun d’entre eux ne comporte de symboles chrétiens distincts et clairement définis et qu’ils sont tous placés sur des endroits du corps qui sont normalement couverts. En outre, l’auteur n’a pas indiqué avoir rencontré de problèmes dus à ses tatouages. Ce n’est qu’à un stade assez avancé de sa procédure d’asile qu’il a présenté ses tatouages comme des motifs d’asile pertinents.

4.15Quant aux allégations de l’auteur concernant ses critiques à l’égard du régime iranien, l’État partie fait observer que l’intéressé n’a jamais formulé cet argument au cours de la procédure d’asile. L’auteur n’a pas non plus invoqué ses activités politiques comme motif d’asile dans ses demandes de réouverture de la procédure du 3 décembre 2014 et du 20 avril 2015.

4.16En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel il existe un risque important que les autorités iraniennes enquêtent sur son passé de membre de la milice bassidj s’il entre en République islamique d’Iran sans passeport et est interrogé dans ce contexte, l’État partie réaffirme que les autorités danoises n’ont pas estimé que l’auteur risquait d’être persécuté ou de subir des mauvais traitements en cas de renvoi. Selon l’État partie, l’auteur présente très peu d’intérêt pour les autorités iraniennes.

4.17En conclusion, l’État partie affirme que, lorsqu’elle a rendu sa décision, la Commission danoise de recours des réfugiés a pris en considération toutes les informations pertinentes. La communication que l’auteur a soumise au Comité ne contient pas de nouveaux arguments à l’appui de son allégation selon laquelle il risque d’être persécuté ou de subir des mauvais traitements justifiant l’octroi de l’asile s’il est renvoyé en République islamique d’Iran. Au cours de la procédure interne, l’auteur a bénéficié d’une décision de réouverture de la procédure d’asile et son affaire a été examinée le 1er juillet 2015 lors d’une audience devant une commission à la composition différente de celle qui avait rendu la première décision. À cette occasion, l’auteur a été autorisé à faire une nouvelle déclaration sur ses motifs de demande d’asile, mais la nouvelle commission a également estimé que ces motifs manquaient de crédibilité. L’auteur n’a pas mis en évidence une quelconque irrégularité dans le processus décisionnel ni démontré l’existence de facteurs de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. Il essaie d’utiliser le Comité comme une juridiction d’appel pour obtenir un réexamen des éléments de fait invoqués à l’appui de sa demande d’asile. Or, le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission, qui est mieux à même d’apprécier les faits de l’espèce. Il n’y a pas de raison de mettre en doute, et encore moins d’écarter, l’appréciation de la Commission de recours des réfugiés selon laquelle l’auteur n’a pas démontré qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être persécuté ou de subir des mauvais traitements justifiant l’octroi de l’asile au cas où il serait renvoyé en République islamique d’Iran. Au vu de ce qui précède, l’État partie conclut que le renvoi de l’auteur vers la République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

4.18Le 4 janvier 2019, l’État partie a transmis une copie de la décision rendue le 12 novembre 2018 par la Commission de recours des réfugiés, sans autres commentaires.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires du 5 décembre 2019, l’auteur soutient que la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés le 12 novembre 2018 va à l’encontre des constatations adoptées par le Comité dans l’affaire K . H . c . Danemark. Il rappelle qu’il a été conduit à l’ambassade de la République islamique d’Iran au Danemark et que, pendant la réunion qui s’y est tenue, il a ouvertement exprimé ses convictions chrétiennes. Il l’avait également fait auparavant dans les médias danois. Il s’ensuit que sa conversion était bien connue des autorités de la République islamique d’Iran lorsque la Commission de recours des réfugiés a rendu sa décision du 12 novembre 2018.

5.2L’auteur fait également valoir qu’à la suite de l’adoption par le Comité des constatations concernant l’affaire K . H . c . Danemark, K. H. s’est vu accorder une nouvelle audience par la Commission de recours des réfugiés et a obtenu l’asile, et a ainsi été protégé contre le refoulement et les risques que sa conversion aurait entraînés. Pourtant, en l’espèce, la Commission, siégeant dans une nouvelle formation, a estimé qu’il n’y avait pas lieu de protéger l’auteur contre le refoulement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de la déclaration de l’auteur qui affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité note que l’auteur a allégué une violation des articles 18 et 19 du Pacte, mais qu’il n’a pas fourni de renseignements, d’éléments de preuve ou d’explications convaincantes permettant de comprendre en quoi son renvoi en République islamique d’Iran constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient de ces articles. Il conclut donc que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note ensuite que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que le grief que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte et qui est fondé sur l’existence supposée d’une menace pour son intégrité est insuffisamment étayé. Le Comité considère néanmoins qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a expliqué de manière convaincante pourquoi il craint que son expulsion vers la République islamique d’Iran ne lui fasse courir un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte en raison de sa conversion au christianisme. Il déclare donc la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7 et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son renvoi en République islamique d’Iran l’exposerait à un risque de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte, parce qu’il serait persécuté par les autorités iraniennes pour avoir quitté la milice iranienne bassidj et avoir fui illégalement la République islamique d’Iran. Le Comité prend note également des déclarations de l’auteur concernant sa conversion de l’islam au christianisme, notamment de son intérêt pour le christianisme dont témoignerait le tatouage bien distinct qu’il a sur le bras, et le risque auquel il serait exposé si les autorités découvraient ce tatouage, s’il était renvoyé en République islamique d’Iran.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte (par. 12). Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire, manifestement erronée ou a constitué un déni de justice.

7.4Le Comité prend note de la conclusion de la Commission danoise de recours des réfugiés selon laquelle l’auteur n’a pas montré qu’il risquerait d’être persécuté ou maltraité par les autorités iraniennes en raison de son appartenance passée à la milice bassidj, de sa conversion de l’islam au christianisme, de ses tatouages et du fait qu’il n’est pas en possession d’un passeport iranien valide. Le Comité relève en outre que la Commission a considéré que, même s’il avait produit un certificat de baptême, la déclaration d’un pasteur et des lettres de soutien del’église Bethania, l’auteur n’avait pas suffisamment montré que sa conversion était sincère. À cet égard, le Comité prend note des incohérences relevées par la Commission dans les déclarations de l’auteur et du fait que ce dernier ne s’est converti qu’après le rejet de sa demande d’asile et de sa demande de réouverture du dossier, ainsi qu’après avoir fortement résisté et s’être opposé à son expulsion du Danemark. Le Comité note en outre que lorsqu’elle a été informée, à deux reprises, de nouveaux motifs de demande d’asile − fondés sur la conversion de l’auteur, sur le fait qu’il s’était fait faire de nouveaux tatouages au Danemark, sur le fait que son nom et sa photo avaient été publiés dans plusieurs articles de presse, sur sa participation à une émission de radio et sur le fait qu’il avait informé l’ambassade d’Iran de sa conversion − la Commission de recours des réfugiés a, à chaque fois, décidé de rouvrir le dossier et de tenir de nouvelles audiences, ce qui a permis à l’auteur de faire évaluer ces nouveaux motifs par la Commission, et que ces questions ont été analysées en détail dans les décisions adoptées.

7.5À cet égard, le Comité considère que lorsqu’un demandeur d’asile affirme s’être converti à une autre religion après le rejet de sa demande d’asile initiale, il est raisonnable que les États parties procèdent à un examen approfondi des circonstances de la conversion. Pour le Comité, le critère reste cependant celui de savoir si, indépendamment de la sincérité de la conversion, il y a des motifs sérieux de croire que celle-ci peut avoir des conséquences négatives graves dans le pays d’origine, par exemple créer un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, même lorsqu’elles concluent que la conversion dont il est fait état n’est pas sincère, les autorités devraient évaluer si, dans les circonstances de l’affaire, le comportement du demandeur d’asile et les activités auxquelles il s’est livré dans le cadre de sa conversion ou pour la justifier, telles que fréquenter une église, se faire baptiser ou faire du prosélytisme, pourraient avoir des conséquences négatives graves dans le pays d’origine, de nature à l’exposer à un risque de préjudice irréparable.

7.6En l’espèce, le Comité observe que le baptême de l’auteur n’est pas contesté, mais que la majorité des membres de la Commission a axé son raisonnement sur la sincérité de la conversion et conclu que l’auteur n’en avait pas fait la démonstration, fondant cette conclusion sur le manque général de crédibilité de l’auteur, les incohérences dans ses déclarations, ses réponses évasives et, en particulier, le moment de sa conversion, qui est intervenue après le rejet de sa demande d’asile et de sa demande de réexamen, ainsi qu’après plusieurs tentatives infructueuses des autorités danoises pour l’expulser du pays.

7.7Le Comité constate en outre que l’auteur, tout en contestant l’appréciation et les conclusions des autorités danoises quant au risque de préjudice auquel il serait exposé en République islamique d’Iran en raison de sa conversion, n’a fourni au Comité aucune information pertinente confirmant que les autorités iraniennes sont au courant de la conversion qu’il allègue, qu’il pratiquera sa religion chrétienne en République islamique d’Iran ou que les autorités iraniennes se sont intéressées à lui en raison de sa conversion.

7.8En ce qui concerne les autres allégations de l’auteur, le Comité constate que les autorités danoises ont également examiné les activités que l’auteur avait menées pour la milice bassidj et ont considéré que l’intéressé n’avait pas démontré qu’il risquait d’être persécuté en raison de son appartenance passée à cette milice ou que les autorités iraniennes s’intéressaient à lui avant son départ. Elles ont aussi analysé les tatouages que l’auteur s’était fait faire en République islamique d’Iran, ainsi que ceux qu’il s’était fait faire au Danemark, mais ont noté que ces tatouages, qui de toute façon n’étaient pas directement visibles, n’avaient jamais causé de problèmes à l’auteur en République islamique d’Iran. Elles ont également pris en considération les apparitions de l’auteur dans différents médias danois ainsi que le fait qu’il ne possédait pas de passeport iranien valide et qu’il avait informé l’ambassade d’Iran au Danemark de sa conversion, mais elles ont néanmoins estimé que l’auteur n’avait pas démontré que ces actes et événements aient attiré sur lui l’attention des autorités iraniennes.

7.9Le Comité considère que les informations dont il dispose montrent que l’État partie a pris en considération tous les éléments disponibles lorsqu’il a évalué les risques invoqués par l’auteur et que ce dernier n’a pas relevé d’irrégularités dans le processus décisionnel. Le Comité considère également que l’auteur, tout en contestant les conclusions de fait des autorités de l’État partie, n’a pas montré que les décisions des autorités étaient arbitraires ou manifestement erronées, ni qu’elles constituaient un déni de justice. Le Comité estime dès lors que les preuves et les circonstances invoquées par l’auteur ne constituent pas des motifs suffisants de croire qu’il courrait personnellement un risque réel de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité est dans l’impossibilité de conclure que les informations dont il est saisi montrent que les droits garantis à l’auteur par l’article 7 du Pacte seraient violés si l’intéressé était renvoyé en République islamique d’Iran.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’expulsion de l’auteur vers la République islamique d’Iran, s’il y était procédé, violerait les droits garantis à l’intéressé par l’article 7 du Pacte.