Nations Unies

CCPR/C/134/D/2943/2017CCPR/C/134/D/2953/2017CCPR/C/134/D/2954/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 août 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant les communications nos 2943/2017, 2953/2017 et 2954/2017 * , **

Communications présentées par :

Nikolai Alekseev, Kirill Nepomnyashchiy, Sofia Mikhailova et Yaroslav Yevtushenko (non représentés par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Fédération de Russie

Date des communications :

21 mars 2015 (communication no 2953/2017), 25 mars 2015 (communication no 2943/2017) et 28 mars 2015 (communication no 2954/2017) (dates des lettres initiales)

Références :

Décisions prises en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquées à l’État partie les 1er février 2017 (communication no 2943/2017) et 15 février 2017 (communications nos 2953/2017 et 2954/2017) (non publiées sous forme de document)

Date des constatations :

14 mars 2022

Objet :

Droit de réunion pacifique ; non-discrimination

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus de procédure

Question(s) de fond :

Restrictions injustifiées du droit de réunion pacifique ; discrimination à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres

Article(s) du Pacte :

21 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs des communications sont Nikolai Alekseev, né en 1977, Kirill Nepomnyashchiy, né en 1981, Sofia Mikhailova, née en 1986, et Yaroslav Yevtushenko, né en 1994. Tous sont de nationalité russe. Ils affirment que la Fédération de Russie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 21 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le ler janvier 1992.

1.2Les 4 juillet (communication no 2943/2017), 22 septembre (communication no 2954/2017) et 11 décembre 2017 (communication no 2953/2017), le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé, comme suite aux demandes formulées par l’État partie les 5 avril (communication no 2943/2017) et 26 avril 2017 (communications nos 2953/2017 et 2954/2017), d’examiner la recevabilité des communications séparément du fond.

1.3Le 4 avril 2018, conformément à l’article 97 (par. 3) de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner conjointement les trois communications au motif qu’elles présentaient de fortes similarités sur les plans tant des faits que du droit.

Exposé des faits

2.1Les auteurs sont des militants des droits de l’homme et de la cause des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (personnes LGBT). En 2013 et en 2014, avec d’autres militants, ils ont tenté d’organiser à Moscou plusieurs rassemblements qui ont tous été interdits par les autorités municipales.

Faits relatifs à la communication no 2953/2017, concernant Nikolai Alekseev, Kirill Nepomnyashchiy et Sofia Mikhailova

2.2Le 7 octobre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser un rassemblement à l’occasion du troisième anniversaire de la décision par laquelle la Cour européenne des droits de l’homme avait déclarée illégitime l’interdiction des défilés de la Gay Pride par la ville de Moscou. La manifestation, à laquelle une cinquantaine de personnes étaient attendues, devait avoir lieu le 21 octobre 2013, de 13 heures à 14 heures, dans le centre de Moscou. Toutefois, le 9 octobre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption a fait savoir aux auteurs que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 14 octobre 2013, ils ont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï à Moscou, contestant le refus du département susmentionné d’autoriser la tenue d’un événement public. Le 19 décembre 2013, le tribunal les a déboutés. Il a conclu, notamment, que par l’organisation d’un rassemblement en centre-ville dans un lieu fréquenté par des familles avec enfants, les auteurs avaient l’intention de promouvoir la culture gay auprès du grand public, y compris les mineurs, en violation de la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Il a donc a jugé que la décision du Département régional de la sécurité et de la lutte contre la corruption était légitime et justifiée. Le 25 janvier 2014, les auteurs ont interjeté appel auprès du tribunal municipal de Moscou. Le 24 mars 2014, le tribunal municipal les a déboutés et a confirmé la décision rendue en première instance.

2.3Le 9 octobre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 22 octobre 2013, un rassemblement en faveur de l’interdiction de la discrimination à l’égard des LGBT en Fédération de Russie. Le 14 octobre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 16 octobre 2013, ils ont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 19 décembre 2013. Le 25 janvier 2014, ils ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 24 mars 2014.

2.4Le 15 octobre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 28 octobre 2013, un autre rassemblement d’une quarantaine de personnes visant à protester contre l’interdiction de l’adoption d’enfants russes par des couples étrangers du même sexe. Le 18 octobre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 7 novembre 2013, ils ont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 19 décembre 2013. Le 25 janvier 2014, ils ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 24 mars 2014.

Faits relatifs à la communication no 2943/2017, concernant Nikolai Alekseev, Kirill Nepomnyashchiy et Sofia Mikhailova

2.5Le 11 octobre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser un rassemblement visant à protester contre la loi fédérale de juin 2013 interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. La manifestation, à laquelle une trentaine de personnes étaient attendues, devait avoir lieu le 25 octobre 2013, de 13 heures à 14 heures, dans le centre de Moscou. Le 16 octobre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption a fait savoir aux auteurs que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 26 octobre 2013, ils ont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 28 janvier 2014. Le 18 février 2014, ils ont interjeté appel auprès du tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 4 avril 2014.

2.6Le 18 octobre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 29 octobre 2013, un rassemblement d’une vingtaine de personnes pour protester contre les licenciements fondés sur l’orientation sexuelle. Le 24 octobre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 7 novembre 2013, ils dont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 20 décembre 2013. Le 5 février 2014, ils ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 12 mars 2014.

2.7Le 22 octobre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 2 novembre 2013, un rassemblement d’une vingtaine de personnes pour exprimer leur soutien aux policiers monténégrins blessés le 20 octobre 2013 alors qu’ils assuraient la protection d’un défilé de la Gay Pride à Podgorica. Le 25 octobre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 13 novembre 2013, ils dont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 20 décembre 2013. Le 5 février 2014, ils ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 12 mars 2014.

2.8Le 22 octobre 2013, les auteurs ont aussi informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 3 novembre 2013, un rassemblement d’une dizaine de personnes en faveur de l’égalité de traitement des gays enrôlés dans l’armée russe. Le 25 octobre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 13 novembre 2013, ils dont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 29 janvier 2014. Le 28 février 2014, ils ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 4 avril 2014.

Faits relatifs à la communication no 2954/2017, concernant Nikolai Alekseev, Kirill Nepomnyashchiy et Yaroslav Yevtushenko

2.9Le 21 novembre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 6 décembre 2013, un rassemblement de 20 personnes visant à faire interdire l’entrée sur le territoire de la Fédération de Russie à un Américain homophobe, Scott Lively. Le 25 novembre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement constituerait une violation de la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 29 novembre 2013, ils ont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou. qui les a déboutés le 19 décembre 2013. Le 25 janvier 2014, ils ont interjeté appel auprès du tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 24 mars 2014.

2.10Le 29 novembre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 10 décembre 2013, un rassemblement d’une vingtaine de personnes sous le slogan « Gay sain de corps et d’esprit ». Le 2 décembre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 9 décembre 2013, ils ont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 29 janvier 2014. Le 28 février 2014, ils ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 4 avril 2014.

2.11Le 29 novembre 2013, les auteurs ont informé la mairie de Moscou de leur intention d’organiser, le 11 décembre 2013, un rassemblement d’une trentaine de personnes sous le slogan « Lesbiennes et fières de l’être ». Le 2 décembre 2013, le Département de la sécurité régionale et de la lutte contre la corruption leur a fait savoir que le rassemblement porterait atteinte à la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Les auteurs l’ont donc annulé. Le 9 décembre 2013, ils ont déposé plainte auprès du tribunal du district Tverskoï, à Moscou, qui les a déboutés le 20 décembre 2013. Le 5 février 2014, ils ont interjeté appel devant le tribunal municipal de Moscou, qui les a déboutés également, le 12 mars 2014.

2.12Les auteurs indiquent qu’ils n’ont formé de recours en cassation contre aucune des décisions du tribunal municipal de Moscou sur lesquelles portent les trois communications. Ils maintiennent que ce recours est inefficace pour les raisons exposées ci-après.

2.13Premièrement, les auteurs avancent que les juridictions de cassation ne sont pas en mesure de modifier la date d’une manifestation publique. Quand bien même une juridiction, fût-elle la Cour suprême, aurait annulé les décisions des autorités municipales d’interdire les rassemblements, les dates fixées pour ces derniers auraient été dépassées et les auteurs auraient dû refaire les démarches nécessaires.

2.14Deuxièmement, les auteurs soutiennent que, avant l’introduction de la nouvelle procédure de cassation dans le Code de procédure civile, le Comité estimait que les procédures de cassation et de contrôle n’étaient pas des recours efficaces. S’inspirant de la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kocherov et Sergeyeva c. Russie, ils soutiennent également que, comme ils ont saisi le Comité avant que la Cour décide dans l’affaire Abramyan et autres c. Russie que la nouvelle procédure de cassation était un recours utile, ils n’étaient pas tenus de se prévaloir de cette procédure pour que leurs communications soient jugées recevables devant le Comité, surtout si l’on tient compte du fait que le délai de six mois pour ce faire était expiré.

2.15Troisièmement, les auteurs avancent qu’ils connaissent des cas similaires au leur (dont ils ne donnent toutefois pas les références), dans lesquels les procédures de cassation et de contrôle ont été engagées, sans succès toutefois. Ils précisent que, à ce jour, la Cour suprême n’a jamais annulé une décision administrative interdisant la tenue d’une manifestation publique rassemblant des LGBT.

2.16Enfin, les auteurs font valoir que, le 22 janvier 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a communiqué à l’État partie deux requêtes déposées par M. Alekseev et d’autres personnes au sujet de nombreux refus des autorités russes d’autoriser des rassemblements consacrés à la cause des LGBT. Dans sa réponse à la Cour, l’État partie n’a pas soulevé l’argument du non-épuisement des recours internes, alors que dans bon nombre de cas les auteurs n’avaient pas engagé de procédure en cassation.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que le refus systématique des autorités moscovites d’autoriser la tenue des rassemblements qu’ils proposaient d’organiser a constitué une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 21 du Pacte.

3.2Les auteurs soutiennent également que le refus des autorités moscovites d’autoriser la tenue de rassemblements organisés par des personnes appartenant à des minorités sexuelles sous le prétexte de protéger les mineurs et d’éviter les protestations éventuelles de la majorité de la société a constitué une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 26 du Pacte.

3.3À titre de réparation, les auteurs demandent au Comité de conclure à la violation des droits qu’ils tiennent du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans des notes verbales datées des 5 avril 2017 (communication no 2943/2017) et 26 avril 2017 (communications nos 2953/2017 et 2954/2017), l’État partie soutient que les communications sont irrecevables au regard des articles 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il avance que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles étant donné qu’ils n’ont pas formé de recours en cassation contre les décisions du tribunal municipal de Moscou auprès du présidium du tribunal municipal et de la Cour suprême. L’État partie renvoie à la décision concernant Abramyan et autres c. Russie, dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a dit que la procédure de cassation introduite dans le Code de procédure civile par la loi fédérale no 353 était un recours utile devant être épuisé aux fins de la recevabilité d’une requête présentée devant elle.

4.2L’État partie répond à chacun des arguments avancés par les auteurs pour démontrer l’inefficacité de la procédure de cassation en ce qui les concerne. Il soutient que la nouvelle procédure habilite la juridiction de cassation à casser ou modifier une décision rendue en première instance, en appel ou en cassation et à rendre une nouvelle décision sans renvoyer l’affaire à une juridiction inférieure pour réexamen. Les juridictions de cassation peuvent donc rétablir les droits et libertés qui ont été violés. C’est ce qu’a établi la Cour européenne des droits de l’homme dans ses conclusions relatives à l’efficacité de la procédure de cassation, y compris dans des affaires dans lesquelles il était question du refus d’autoriser un rassemblement.

4.3L’État partie avance que la version révisée du Code de procédure civile permet aux tribunaux de prolonger le délai de six mois prévu pour engager une procédure en cassation. Il cite plusieurs décisions de la Cour suprême concernant l’extension du délai de recours en cassation administrative alors que la date limite pour ce faire était passée.

4.4L’État partie avance également que ce n’est pas parce que, à ce jour, aucune décision administrative interdisant un rassemblement consacré à la cause des personnes LGBT n’a encore été annulée que la nouvelle procédure de cassation est inefficace. Une juridiction de cassation pourrait, en théorie, déclarer que les décisions prises concernant les auteurs sont illégitimes ou injustifiées.

4.5En ce qui concerne l’argument des auteurs selon lequel le Comité a estimé, dans l’affaire Alekseev c. Russie, que les procédures de cassation et de contrôle en vigueur dans l’État partie n’étaient pas des recours utiles, celui-ci avance que cette conclusion concernait uniquement la procédure de contrôle, et non la procédure de cassation.

4.6L’État partie ajoute que faire valoir tel ou tel argument devant les mécanismes internationaux de défense des droits de l’homme participe de l’exercice de ses droits souverains. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas soulevé l’argument du non-épuisement des recours internes au sujet des requêtes présentées par M. Alekseev et d’autres à la Cour européenne des droits de l’homme que la procédure de cassation est inefficace.

4.7L’État partie soutient que les communications nos 2953/2017 et 2954/2017 constituent des abus du droit de présenter des communications, au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme de griefs similaires à ceux soulevés dans ces communications, à savoir le refus des autorités d’autoriser l’organisation de rassemblements portant sur des questions intéressant les personnes LGBT. Deux affaires, concernant 139 refus de ce type, sont toujours en instance, et trois autres, concernant M. Alekseev, ont récemment été tranchées. Le Comité a pour sa part enregistré plusieurs communications concernant les auteurs. Les documents versés aux dossiers indiquent que les intéressés soumettaient chaque jour deux demandes d’autorisation d’organiser des rassemblements portant sur des questions intéressant les personnes LGBT. Certaines demandes concernaient des événements programmés à un jour d’intervalle seulement. L’État partie allègue que l’objectif des auteurs n’était pas d’organiser des rassemblements, mais bien de recevoir un refus de la part des autorités puis de s’en plaindre auprès des mécanismes internationaux.

4.8L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard des articles 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.Les 21 avril et 22 juin 2017, les auteurs ont présenté des commentaires sur les observations de l’État partie. Sur la question du non-épuisement des recours internes, ils réitèrent leurs observations précédentes. Ils avancent que l’argument de l’État partie selon lequel ils abusent du droit de présenter des communications aux mécanismes internationaux des droits de l’homme est dénué de fondement. Au cours des dix années qui ont précédé la présentation de leurs communications, les autorités de l’État partie n’ont pas autorisé un seul rassemblement consacré à la cause des personnes LGBT. Les tribunaux nationaux ont toujours pris le parti des autorités municipales et déclaré que les interdictions d’organiser des manifestations de soutien aux minorités sexuelles et aux minorités de genre étaient légitimes. À la date de la présentation de leurs commentaires, les auteurs étaient privés de la possibilité d’exercer le droit de réunion consacré à l’article 21 du Pacte. Ils étaient donc contraints de se tourner systématiquement vers les mécanismes internationaux pour faire protéger leurs droits.

Décision du Comité sur la recevabilité

Examen de la recevabilité

6.1À sa 122e session, le 4 avril 2018, le Comité a examiné la recevabilité des communications et a décidé ce qui suit.

6.2Le Comité s’était assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, même si les auteurs avaient saisi la Cour européenne des droits de l’homme de plusieurs requêtes concernant d’autres faits.

6.3Le Comité a noté que, selon l’État partie, les multiples requêtes que les auteurs avaient soumises à des mécanismes internationaux constituaient un abus du droit de présenter des communications, au regard de l’article 3 du Protocole facultatif (voir par. 4.7 ci-dessus). Il a également noté que, selon les auteurs, l’absence de protection de leurs droits au niveau national les avait contraints de se tourner vers les mécanismes internationaux pour faire protéger ces droits. Il a fait observer que rien dans son règlement intérieur ne l’empêchait d’examiner des communications présentées dans les délais et dans le respect des critères énoncés dans le Pacte et le Protocole facultatif, si répétitives puissent-elles paraître.

6.4Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes et, plus précisément, la nouvelle procédure de cassation pouvant être engagée devant le présidium du tribunal municipal de Moscou et la Cour suprême. Il a pris bonne note de la référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les changements introduits dans le Code de procédure civile par la loi fédérale no 353 et de la conclusion de la Cour quant à l’efficacité de la nouvelle procédure de cassation. Il a de surcroît noté que les auteurs affirmaient ne pas s’être prévalus de cette procédure pour plusieurs raisons (voir par. 2.13 à 2.16 ci-dessus). Sur ce point, il a renvoyé à sa jurisprudence, dont il ressort que l’auteur d’une communication doit épuiser tous les recours internes pour satisfaire à l’obligation énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif pour autant que ces recours semblent utiles dans son cas particulier et lui soient de facto ouverts. Il a également rappelé qu’il ne suffisait pas de douter de l’utilité des voies de recours internes pour être exonéré de l’obligation de les épuiser.

6.5En l’espèce, les auteurs n’ont pas dit qu’ils n’avaient pas eu accès à la nouvelle procédure de cassation, qui leur était de facto ouverte. Mais ils contestent l’utilité de cette procédure dans leurs cas particuliers, à savoir l’organisation, par la communauté LGBT, de manifestations publiques auxquelles les autorités de l’État sont dans l’ensemble opposées. Sur ce point, le Comité a pris note de l’argument des auteurs, qui soutiennent que, au cours des dix années qui ont précédé la présentation des communications, il n’ont pas pu organiser une seule manifestation publique en lien avec des questions intéressant les personnes LGBT (voir par. 5 ci-dessus) et que l’État partie lui-même reconnaît que la justice n’a, à ce jour, annulé aucune décision de refus prise par des autorités municipales à l’égard de manifestations de ce type (par. 4.4 ci‑dessus).

6.6S’agissant de l’efficacité de la nouvelle procédure de cassation en ce qui concerne la présente communication, le Comité a fait observer que cette procédure, introduite par la loi fédérale no 353 de 2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, permettait le réexamen, sur des points de droit, d’une décision judiciaire ayant force de chose. La décision de renvoyer ou non une affaire en cassation est de nature discrétionnaire et est prise par un juge unique. De ce fait, le Comité est d’avis que le recours en cassation s’apparente à certains égards à un recours extraordinaire. Partant, l’État partie doit démontrer qu’il y a des chances raisonnables que cette procédure constitue un recours utile dans les circonstances de l’affaire concernée. Le Comité a constaté que les autorités municipales et les juridictions internes avaient systématiquement refusé aux auteurs l’autorisation d’organiser des rassemblements, s’appuyant sur la législation interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. À cet égard, il a renvoyé au paragraphe 10 d) de ses observations finales sur le septième rapport périodique de la Fédération de Russie, dans lesquelles il s’était dit préoccupé par le fait que les lois concernées exacerbaient les stéréotypes négatifs à l’égard des personnes LGBT et représentaient une restriction disproportionnée de leurs droits au titre du Pacte. Il avait fait référence, en particulier, à deux arrêts (no 151-O-O, du 19 janvier 2010, et no 24-P, du 23 septembre 2014) par lesquels la Cour constitutionnelle avaient confirmé leur constitutionnalité. Le Comité a considéré que le fait que les autorités appliquent systématiquement ces lois aux rassemblements consacrés à la cause des personnes LGBT, et le fait que cette pratique soit appuyée par les tribunaux, en particulier la Cour constitutionnelle, rendent une issue favorable aux auteurs peu probable dans le cadre de la nouvelle procédure en cassation. En l’absence d’informations de la part de l’État partie concernant d’éventuels changements apportés à la législation ou à la pratique administrative pertinentes depuis 2015, lorsque les plaintes ont été déposées, ou l’efficacité potentielle de la nouvelle procédure de recours en cassation pour contester l’application de ladite législation, et étant donné que, comme l’État partie le reconnaît, la justice russe n’a jusqu’à présent annulé aucune décision interdisant l’organisation d’un rassemblement consacré à la cause des personnes LGBT (voir par. 4.4 ci-dessus), le Comité a conclu que la procédure de cassation prévue par le Code de procédure civile ne devait pas être considérée comme un recours utile que les auteurs auraient dû épuiser aux fins de la recevabilité des communications. En conséquence, il a conclu que l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchait pas d’examiner les communications. Le Comité a considéré en outre, que les faits de l’espèce soulevaient également des questions au regard de l’article 19 du Pacte.

6.7Le Comité a considéré que les griefs que les auteurs tiraient des articles 19, 21 et 26 du Pacte avaient été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Le 5 avril 2021, l’État partie a soumis ses observations sur le fond, notant que la liberté de réunion pouvait être soumise à des restrictions, selon l’interprétation du Comité et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces restrictions doivent être fondées sur la loi, servir un objectif socialement utile et être proportionnées.

7.2En ce qui concerne la légalité des restrictions, les tribunaux nationaux ont établi que le droit de réunion pacifique était garanti par la Constitution et pouvait uniquement être limité par une loi fédérale, dans une mesure nécessaire à la protection de l’ordre constitutionnel, de la moralité, de la santé, des droits et intérêts légitimes d’autrui, de la défense de l’État et de la sécurité nationale (art. 55 (par. 3) de la Constitution). Ils ont fait référence à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme et ont fait observer que le mécanisme permettant la réalisation du droit de réunion était régi par la loi fédérale no 54 FZ du 19 juin 2004 sur les assemblées, réunions, manifestations, marches et piquets. Les restrictions appliquées aux auteurs étaient fondées sur cette loi.

7.3L’État partie présente ensuite ses observations sur le sens social des restrictions imposées aux auteurs. D’après les décisions des tribunaux nationaux, la protection des droits des enfants rendait nécessaire l’application de telles restrictions. Les objectifs des manifestations prévues par les auteurs figurent sur la liste des activités interdites incluse dans les lois fédérales sur la protection des enfants contre les informations préjudiciables pour leur santé et leur développement (art. 5 (par. 2 et 4)) et sur les garanties fondamentales en matière de droits de l’enfant dans la Fédération de Russie (art. 14 (par. 1), relatif à la promotion de relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs).

7.4Lorsqu’ils ont examiné la nécessité de restrictions, les tribunaux, ayant à l’esprit la nécessité de protéger les enfants contre des informations susceptibles de nuire à leur développement moral et spirituel et à leur santé, ont légalement conclu qu’il n’était pas possible d’autoriser la tenue des manifestations dans les lieux proposés. Ces lieux sont ouverts au public et servent traditionnellement aux loisirs des enfants et des familles. Y organiser les manifestations proposées aurait un effet préjudiciable, entre autres, sur le bien-être psychologique des enfants. Selon les tribunaux, il était impossible d’appliquer des mesures moins restrictives, qui limiteraient moins les droits des auteurs. Les tribunaux ont établi que la tenue des manifestations par les auteurs entraînerait davantage de conséquences négatives que positives et ont conclu que les restrictions imposées étaient proportionnées.

7.5L’État partie conclut que les restrictions imposées aux droits des auteurs sont conformes aux exigences de l’article 21 du Pacte et que les griefs des auteurs sont infondés.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

8.1Le 20 juillet 2021, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Ils affirment que le Comité et la Cour européenne des droits de l’homme ont conclu à de nombreuses reprises que la législation fédérale sur la protection des mineurs contre les informations préjudiciables, à laquelle l’État partie fait référence, est en contradiction avec les obligations internationales que Pacte et la Convention européenne des droits de l’homme imposent à la Fédération de Russie. La Cour européenne et le Comité, dans des affaires similaires, ont tous deux conclu à une violation du droit de réunion pacifique et à une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

8.2Au moment de la présentation des présentes communications au Comité, l’État partie avait refusé les autorisations concernant plus de 1 500 manifestations publiques en faveur des droits et libertés des minorités sexuelles et minorités de genre, dans plus de 400 villes de la Fédération de Russie. La majorité des refus étaient fondés sur la législation fédérale interdisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs. Certaines de ces manifestations concernaient la mise en œuvre des constatations du Comité concernant les violations des droits des personnes LGBT dans l’État partie.

Décision du Comité sur le fond

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité a pris note de l’affirmation des auteurs selon laquelle il y a eu violation des droits qu’il tiennent des articles 21 et 26 du Pacte. Il rappelle son observation générale no 37 (2020), dans laquelle il est écrit que le droit de réunion pacifique protège la capacité de chacun à exercer son autonomie tout en étant solidaire d’autrui. Associé à d’autres droits connexes, il forme le socle même des systèmes de gouvernance participative fondés sur la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit et le pluralisme (par. 1). De plus, les États doivent veiller à ce que leurs lois et l’interprétation et l’application qui en sont faites n’entraînent pas de discrimination dans la jouissance du droit de réunion pacifique, fondée par exemple sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre (par. 25).

9.3Dans l’observation générale no 37 (2020), le Comité a également rappelé que l’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, dans l’espace public ou dans des lieux privés (par. 6). L’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; et b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Il incombe aux États parties de justifier les restrictions imposées au droit protégé à l’article 21 du Pacte et de démontrer qu’elles ne constituent pas un obstacle disproportionné à l’exercice de ce droit (par. 36). Les autorités doivent être en mesure de démontrer que toute restriction répond à l’exigence de légalité, et qu’elle est à la fois nécessaire et proportionnée à au moins un des motifs de restriction autorisés énumérés à l’article 21. Les restrictions ne doivent pas être discriminatoires ni porter atteinte à l’essence du droit visé ; elles ne doivent pas non plus avoir pour but de décourager la participation à des réunions ni avoir un effet dissuasif. Lorsque cette preuve n’est pas faite, il y a violation de l’article 21 (ibid.).

9.4Le Comité note, en outre, que les États parties ont l’obligation positive de faciliter la tenue des réunions pacifiques et de permettre aux participants d’atteindre leurs objectifs . Les États doivent donc promouvoir un environnement propice à l’exercice du droit de réunion pacifique sans discrimination et mettre en place un cadre juridique et institutionnel dans lequel ce droit puisse être exercé effectivement. Dans certains cas, les autorités peuvent avoir à prendre des mesures spécifiques. Elles peuvent, par exemple, être obligées de bloquer des rues, de dévier la circulation ou de veiller à la sécurité. Lorsque cela s’impose, les États doivent aussi protéger les participants contre certains abus que pourraient commettre des acteurs non étatiques, tels que des interventions ou des actes de violence d’autres membres du public, de contre-manifestants ou de prestataires de services de sécurité privés.

9.5Dans les affaires à l’examen, le Comité observe que l’État partie et l’auteur s’accordent à considérer que le refus d’autoriser un certain nombre de fois la tenue d’une manifestation publique constituait une entrave à l’exercice par les auteurs, de leur droit de réunion, mais il observe que les parties ne sont pas du même avis quant à la licéité de cette restriction.

9.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui considère que sa décision de ne pas autoriser les manifestations ayant l’objectif annoncé, à savoir la promotion des droits et libertés des minorités sexuelles, était nécessaire et proportionnée et constituait la seule mesure susceptible d’être prise dans une société démocratique pour atteindre l’objectif social poursuivi, à savoir protéger les mineurs contre des informations préjudiciables à leur développement moral et spirituel et à leur santé (voir par. 7.4 ci-dessus).

9.7Dans son observation générale no 37 (2020), le Comité a dit que des restrictions à la tenue de réunions pacifiques ne devaient être imposées qu’exceptionnellement pour protéger la « moralité publique ». Si toutefois ce motif était invoqué, il ne devrait pas l’être dans le but de défendre une conception de la morale procédant exclusivement d’une tradition sociale, philosophique et religieuse unique, et toute restriction de cette nature doit être interprétée à la lumière de l’universalité des droits de l’homme, du pluralisme et du principe de non‑discrimination. Des restrictions fondées sur ce motif ne peuvent pas être imposées, par exemple, pour empêcher l’expression de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre (par. 46).

9.8Les restrictions imposées pour protéger « les droits et libertés d’autrui » peuvent concerner la protection des droits garantis par le Pacte ou d’autres droits de l’homme dont jouissent les personnes qui ne participent pas au rassemblement. En l’espèce, le Comité partage la position de la Cour européenne des droits de l’homme et considère que rien ne permet de penser que la « simple mention de l’homosexualité », l’expression publique d’une identité homosexuelle, ou l’appel au respect des droits des homosexuels, puisse porter atteinte aux droits et libertés des mineurs.

9.9Dans son observation générale no 37 (2020), le Comité rappelle en outre que les États doivent permettre aux participants de choisir librement l’objectif de la réunion, de mettre en avant des idées et des aspirations dans la sphère publique et de déterminer le degré de soutien ou d’opposition que celles-ci suscitent. L’exigence que les restrictions imposées au droit de réunion pacifique soient neutres quant au contenu de la réunion et ne soient donc, en principe, pas liées au message que celle-ci véhicule est un élément central de la réalisation de ce droit (par. 22 et 48). Si elle n’est pas respectée, cela empêche la réalisation de l’objet même des réunions pacifiques, qui est d’être un outil de participation politique et sociale permettant de mettre des idées à l’épreuve en les soumettant à la population et de déterminer le degré de soutien dont elles bénéficient (par. 48). Le Comité considère par conséquent que, dans les affaires à l’examen, les restrictions imposées par l’État partie au droit de réunion des auteurs étaient directement liées à l’objectif et au thème choisis de la réunion, à savoir l’affirmation de l’homosexualité et des droits des homosexuels.

9.10Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel, en refusant d’autoriser les manifestations prévues, les autorités leur ont fait subir une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Il prend note également de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le refus d’autoriser les manifestations était motivé par la seule nécessité de protéger les droits des mineurs (voir par. 7.3 et 7.4 ci-dessus). En même temps, le Comité prend note de la déclaration de l’État partie selon laquelle les objectifs des manifestations en question figurent sur la liste des activités interdites incluse dans les lois fédérales sur la protection des enfants contre les informations préjudiciables pour leur santé et leur développement (art. 5 (par. 2 et 4)) et sur les garanties fondamentales en matière de droits de l’enfant dans la Fédération de Russie (art. 14 (par. 1)) (promotion de relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs) (voir par. 7.3 ci-dessus).

9.11Le Comité rappelle avait dit, dans son observation générale no 37 (2020), que les États ne devaient pas opérer de distinction entre les rassemblements, y compris de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre (par. 25). Des efforts particuliers doivent être consentis pour garantir une protection égale et efficace du droit de réunion pacifique des personnes et des groupes qui sont ou ont été victimes de discrimination. En outre, il incombe aux États de protéger les participants contre toutes les formes d’abus et d’attaques discriminatoires.

9.12Le Comité rappelle les termes du paragraphe 1 de son observation générale no 18 (1989), à savoir que conformément à l’article 26 du Pacte, toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi, et, de plus, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que l’interdiction de toute discrimination énoncée à l’article 26 concerne aussi la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

9.13Le Comité note que les décisions des autorités nationales ne comportaient pas d’expression directe d’intolérance à l’égard des personnes ayant une orientation sexuelle non traditionnelle, et que les décisions visaient à protéger les mineurs contre des facteurs susceptibles d’influencer négativement leur développement spirituel et moral. Le Comité considère cependant que les autorités désapprouvaient l’objet, en rapport avec l’homosexualité, des manifestations proposées, établissant ainsi une distinction fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et que, de ce fait, les décisions ont constitué une différence de traitement fondée sur des motifs interdits par l’article 26.

9.14Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle toute différence de traitement fondée sur les motifs énoncés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas nécessairement une discrimination, pour autant qu’elle repose sur des critères raisonnables et objectifs et qu’elle vise un but légitime au regard du Pacte. Bien que conscient du rôle que les autorités de l’État partie ont à jouer dans la protection du bien-être des mineurs, le Comité fait observer que celui‑ci n’a non seulement pas avancé d’éléments susceptibles de justifier cette appréciation, mais n’a pas non plus montré que les restrictions imposées à la tenue des rassemblements pacifiques demandés étaient fondées sur des critères raisonnables et objectifs.

9.15Dans ces circonstances, l’État partie avait pour obligation de protéger les auteurs dans l’exercice des droits qu’ils tiennent du Pacte et non de contribuer à abolir ces droits. Le Comité rappelle qu’il a conclu par le passé que les lois qui interdisent dans l’État partie la « promotion de relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs » exacerbaient les stéréotypes négatifs à l’égard de personnes au motif de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre et représentaient une restriction disproportionnée de leurs droits au titre du Pacte, et qu’il a demandé que ces lois soient abrogées. Par conséquent, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que les restrictions imposées au droit de réunion pacifique des auteurs étaient fondées sur des critères raisonnables et objectifs et visaient un but légitime au regard du Pacte, et que, de ce fait, l’interdiction des manifestations a constitué une violation des droits que les auteurs tiennent des articles 21 et 26 du Pacte.

9.16Au vu de ce qui précède, le Comité décide de ne pas examiner séparément la question d’une possible violation de l’article 19 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des articles 21 et 26 du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. Cependant, en l’espèce, les auteurs demandent seulement au Comité de conclure que les droits qu’ils tiennent du Pacte ont été violés (par. 3.3 ci-dessus). De ce fait, le Comité considère que le fait qu’il ait conclu, dans les présentes constatations, à une violation de leurs droits constitue un remède suffisant à leurs yeux. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. Sur ce point, le Comité fait observer qu’il a déjà examiné des cas analogues concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie dans plusieurs communications antérieures et donc, que l’État partie devrait réviser son cadre normatif relatif aux manifestations publiques, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2), afin de garantir que les droits garantis par les articles 21 et 26 du Pacte puissent être pleinement exercés sur son territoire.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.