Nations Unies

CCPR/C/135/D/3256/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 février 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3256/2018 * , ** , ***

Communication soumise par :

Dewradj Jaddoe (représenté par un conseil, Sjoerd Tom Van Berge Henegouwen)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Royaume des Pays-Bas

Date de la communication :

12 juin 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 octobre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

26 juillet 2022

Objet :

Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité − non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à l’égalité devant les tribunaux et droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation

Article(s) du Pacte :

14 (par. 5)

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Dewradj Jaddoe, de nationalité surinamaise, né le 18 mars 1961. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte au motif que la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui par la cour d’appel n’ont pas été examinées par une « juridiction de troisième instance ». Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 11 mars 1979. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a été poursuivi pour les meurtres de R. M. N. Karamatali et B. A. Stein, tués en 2008. Le 6 mai 2010, le tribunal de disctrict de Zwolle-Lelystad l’a condamné en première instance à dix-huit années d’emprisonnement pour le meurtre de M. Karamatali et l’a acquitté du meurtre de M. Stein.

2.2Après que le ministère public a interjeté appel de la décision d’acquittement prononcée en première instance, la cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden a procédé à un nouvel examen des faits. L’auteur a lui aussi interjeté appel, mais a uniquement pu contester la déclaration de culpabilité prononcée contre lui pour le meurtre de la première victime.

2.3Le 26 avril 2013, la cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’auteur pour le meurtre de M. Karamatali et a de surcroît reconnu l’intéressé coupable du meurtre de M. Stein, dont il avait été acquitté en première instance. L’auteur a été condamné à une peine de vingt-neuf ans et six mois d’emprisonnement.

2.4Le 31 décembre 2014, l’auteur s’est pourvu en cassation devant la Cour suprême, arguant que la loi avait été incorrectement appliquée car la cour d’appel avait rendu sa décision en méconnaissance des notions de complicité (qu’elle interprétée comme signifiant « de concert et en association avec d’autres ») et de préméditation, avait utilisé des déclarations de témoins au préjudice de l’auteur et avait fait des constations qui n’étaient étayées ni par les moyens ni par les éléments à charge.

2.5Le 29 septembre 2015, la Cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur, estimant que rien ne justifiait de revenir sur l’arrêt attaqué. Elle a toutefois décidé de ramener la peine d’emprisonnement de l’intéressé de vingt-neuf ans et six mois à vingt-neuf ans et a rectifié les décisions de la cour d’appel concernant les dommages-intérêts accordés aux parties.

2.6L’auteur soutient qu’aucune voie de recours ne lui permet de contester la décision de la Cour suprême et signale que la question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient qu’il a été privé de la possibilité prévue par la loi de faire réexaminer par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui par la cour d’appel pour le meurtre de M. Stein, dont il avait été acquitté en première instance, et que les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte ont donc été violés.

3.2L’auteur avance qu’il n’y a, dans le système juridique néerlandais, aucune instance habilitée à réexaminer les faits lorsque la première déclaration de culpabilité a été prononcée en appel. Le tribunal de première instance et la cour d’appel sont les deux seules juridictions qui connaissent des faits.

3.3Si l’auteur s’est pourvu en cassation auprès de la Cour suprême pour contester l’arrêt de la cour d’appel, la Cour suprême n’a néanmoins pas réexaminé les faits. Le rôle de la cour statuant en cassation est d’unifier la jurisprudence, de guider le développement du droit et de garantir les protections offertes par la loi. La procédure de cassation entraîne un contrôle de la qualité des arrêts rendus par les cours d’appel en ce qui concerne tant l’application de la loi que la rigueur du raisonnement suivi. La Cour suprême a rejeté le pourvoi de l’auteur.

3.4Selon la jurisprudence du Comité, tout réexamen utile suppose qu’une juridiction supérieure se penche sur les faits de la cause. L’auteur soutient que l’article 14 (par. 5) du Pacte lui confère le droit de faire réexaminer les faits relatifs au meurtre de M. Stein. Toutefois, le système juridique néerlandais ne permet pas le réexamen des faits lorsque la première déclaration de culpabilité a été prononcée par la cour d’appel. L’auteur n’a donc pas eu véritablement accès à une instance d’appel.

3.5La gravité des crimes dont l’auteur a été reconnu coupable est aussi une considération. En droit néerlandais, le meurtre est passible de la réclusion à perpétuité. Face à une peine aussi sévère, il est particulièrement important de bénéficier du droit de faire appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation devant une juridiction supérieure.

3.6L’auteur demande au Comité de conclure que l’État partie a violé les obligations mises à sa charge par l’article 14 (par. 5) du Pacte et de recommander au Royaume des Pays-Bas de prendre toutes les mesures nécessaires pour lui donner accès à des recours adéquats conformément aux dispositions de l’article 2 (par. 3) du Pacte, notamment lui permettre de faire réexaminer sa cause par les autorités nationales.

Renseignements complémentaires communiqués par l’auteur

4.1Dans une note du 2 novembre 2018, l’auteur déclare qu’il souhaite que sa cause soit réexaminée par une juridiction supérieure, conformément à l’article 14 (par. 5) du Pacte, faisant valoir que le réexamen devrait aussi porter sur les faits de l’affaire. L’auteur souhaite également que l’État partie lui accorde réparation intégrale pour la violation de ses droits.

4.2L’auteur souhaiterait en outre avoir la possibilité de faire réexaminer sa cause par la Haute Cour au cas où le Comité conclurait à une violation du Pacte, sachant qu’une constatation de violation par la Cour européenne des droits de l’homme justifie la révision du jugement rendu par les autorités nationales. De surcroît, il demande que l’infraction qui fait l’objet de la communication soit effacée de son casier judiciaire, que toutes les données correspondantes soient supprimées des fichiers de police et qu’une indemnité lui soit versée à titre de réparation pour sa détention illégale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans une note du 18 avril 2019, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication et rappelle les principaux faits de l’affaire.

5.2L’auteur a été poursuivi en justice pour sa participation présumée à deux meurtres commis en octobre 2008. Par un jugement du 6 mai 2010, le tribunal de district deZwolle‑Lelystad l’a condamné à dix-huit années d’emprisonnement pour meurtre en réunion avec recel de cadavre, recel de cadavre en réunion et tentative d’instigation au meurtre. Le tribunal a estimé qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments pour établir la culpabilité de l’auteur pour un autre meurtre commis en réunion et a décidé de l’acquitter de ce crime. L’auteur et le ministère public ont fait appel du jugement du tribunal de district. Par un arrêt du 26 avril 2013 rendu à l’issue de plusieurs audiences (tenues les 7 novembre 2012, 9 janvier 2013 et 8, 9, 10 et 12 avril 2013), la cour d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée par le tribunal de première instance et a en outre reconnu l’auteur coupable du meurtre dont il avait été acquitté en première instance, et a condamné l’intéressé à une peine de vingt-neuf ans et six mois d’emprisonnement.

5.3Un pourvoi en cassation a été formé au nom de l’auteur. À l’audience du 19 mai 2015, le Procureur général près la Cour suprême a recommandé l’annulation de l’arrêt attaqué pour ce qui concernait la peine d’emprisonnement et diverses décisions indemnitaires. Le 29 septembre 2015, la Cour suprême a annulé l’arrêt attaqué, mais uniquement dans sa partie concernant la durée de la peine d’emprisonnement. Elle a suivi l’avis du Procureur général et a réduit la peine de six mois, la ramenant à vingt-neuf ans d’emprisonnement. Elle a rejeté le pourvoi en cassation pour le surplus, et l’arrêt de la cour d’appel est ainsi devenu exécutoire.

5.4L’État partie soutient que la communication est irrecevable au motif que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, contrairement à ce qu’exige l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, car les griefs dont l’auteur a saisi le Comité n’ont pas été soulevés devant la Cour suprême. En particulier, l’auteur ne s’est pas plaint devant la Cour que le Code de procédure pénale était lacunaire en ce qu’il ne prévoyait pas la possibilité de faire réexaminer les faits par une deuxième instance d’appel.

5.5En ce qui concerne le fond, l’État partie soutient qu’il n’a pas été porté atteinte à l’article 14 (par. 5) du Pacte. Cette disposition ne consacre pas un quelconque droit de faire réexaminer les faits de la cause par une deuxième instance d’appel lorsque se produit une situation telle celle qui s’est produite en l’espèce. Après chaque déclaration de culpabilité, l’auteur a eu accès à une voie de recours comme prévu à l’article 14 (par. 5) du Pacte. Les travaux préparatoires de cet article montrent que l’intention était de poser le principe général que les déclarations de culpabilité doivent pouvoir faire l’objet d’un recours. En règle générale, toute personne reconnue coupable d’un crime a le droit de faire appel. Il a néanmoins été décidé de ne pas donner de précisions au sujet du recours envisagé et les États ont donc toute discrétion sur ce point. De surcroît, rien n’indique qu’il existe un droit d’accéder à plusieurs instances d’appel après une déclaration de culpabilité. L’État partie soutient que l’article 14 (par. 5) du Pacte exige seulement qu’il soit donné accès à une instance d’appel habilitée à réexaminer les faits.

5.6L’auteur soutient que, dans une situation comme la sienne, il doit toujours être possible de former un recours devant une juridiction qui réexamine les faits. L’État partie n’est pas d’accord ; à son avis, cette interprétation est incompatible avec l’intention de l’ensemble des États parties au Pacte et va à l’encontre des autres instruments relatifs aux droits de l’homme, notamment le Protocole no 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Si le Comité retenait la thèse de l’auteur, l’article 14 (par. 5) devrait être interprété de telle sorte que lorsqu’une juridiction de première instance parvient à une conclusion donnée sur la base des faits, puis la juridiction d’appel à une conclusion différente sur la base des mêmes faits, ceux-ci devraient être de nouveau examinés par une deuxième instance d’appel. Cela pourrait conduire à des procédures sans fin et viendrait complètement perturber les systèmes judiciaires des pays de tradition romano-germanique, dans lesquels une personne peut être reconnue coupable en appel après avoir été acquittée en première instance (ce qui n’est pas le cas dans les pays de common law). Il est peu probable qu’interpréter l’article 14 (par. 5) du Pacte comme s’il excluait cette possibilité à moins qu’une seconde instance d’appel soit disponible reflète l’intention de tous les États parties à la Convention (en particulier ceux dans lesquels une déclaration de culpabilité peut être prononcée après un acquittement). C’est d’ailleurs ce qui ressort des réserves que plusieurs États parties ont formulées à l’égard de l’article 14 (par. 5) du Pacte. Les États réservataires interprètent cette disposition de manière à ce que leur législation interne, qui prévoit que les déclarations de culpabilité prononcées en appel après un acquittement en première instance sont insusceptibles de recours, ne soit pas incompatible avec la Convention. Le Royaume des Pays-Bas n’a pas fait de déclaration en ce sens, mais estime qu’il n’est pas nécessaire de le faire, car il considère les réserves susmentionnées comme des déclarations interprétatives. Une « réserve » qui ne fait que traduire l’interprétation faite par tel ou tel État de la disposition à laquelle elle se rapporte sans exclure l’applicabilité de cette disposition à l’égard de l’État en question ni en modifier la portée n’est pas véritablement une réserve. Les autres États parties n’ont pas formulé d’objection à l’égard de ces déclarations interprétatives.

5.7Le fait que 44 États parties ont ratifié le Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme montre aussi que l’interprétation de l’article 14 (par. 5) faite par l’auteur ne correspond pas à l’intention des États parties. L’article 2 (par. 2) du Protocole no 7 dispose que le droit d’une personne de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité peut faire l’objet d’exceptions lorsque l’intéressé a été déclaré coupable à la suite d’un recours contre son acquittement en première instance. Il est donc probable que cette disposition doive être interprétée comme n’établissant pas un quelconque droit à voir une déclaration de culpabilité prononcée en appel réexaminée par une juridiction de troisième instance.

5.8En l’espèce, l’auteur a eu accès à un recours au sens envisagé à l’article 14 (par. 5) du Pacte après chaque déclaration de culpabilité. L’État partie rappelle qu’un examen qui ne porte que sur des points de droit n’est pas un recours au sens envisagé à l’article 14 (par. 5) du Pacte et qu’« [u]ne révision qui concerne uniquement les aspects formels ou juridiques du verdict sans tenir aucun compte des faits n’est pas suffisante en vertu du Pacte ». Toutefois, lorsqu’« une juridiction supérieure examine avec attention les allégations portées contre une personne déclarée coupable, [...] analyse les éléments de preuve qui ont été produits en première instance et dont il a été tenu compte en appel et [...] considère qu’il y avait suffisamment de preuves à charge pour justifier une décision de culpabilité [...], il n’y a pas de violation du Pacte ». En outre, il ressort de la jurisprudence du Comité qu’il est important qu’une cour suprême puisse contrôler l’appréciation de la suffisance des preuves faite par la cour d’appel. Comme le Comité l’a fait observer, l’expression « conformément à la loi » doit être comprise comme renvoyant aux modalités suivant lesquelles le réexamen doit être effectué.

5.9Compte tenu de ce qui précède, l’État partie soutient que la procédure d’appel et la procédure de cassation doivent toutes deux être considérées comme des voies de recours envisagées à l’article 14 (par. 5) du Pacte et ouvertes à l’auteur. Les dispositions de loi régissant la procédure d’appel imposent à la cour d’appel de délibérer et de se prononcer sur la base des conclusions de la première instance et de l’appel. En 2007, le système a été modifié par l’adoption de la loi sur la procédure d’appel en matière pénale, qui permet à la cour d’appel de se concentrer sur les exceptions soulevées par l’appelant ou le ministère public. Néanmoins, la procédure d’appel reste une procédure de deuxième instance au cours de laquelle le juge tranche des questions de fait. Lorsqu’un acquittement total est prononcé en première instance, il ne sera plus question de l’infraction en appel, sauf si le ministère public forme un recours contre l’acquittement. La cour d’appel doit dans tous les cas se prononcer à nouveau sur la question de savoir si les faits reprochés dans l’acte d’accusation ont été prouvés de manière régulière et convaincante. Le pourvoi en cassation vise notamment à déterminer si la décision de la cour d’appel est conforme à la loi et si les règles de procédure ont été respectées. Le demandeur doit soulever un grief précis concernant la violation, par la cour, d’une règle de droit ou d’une règle de procédure applicable.

5.10La violation peut être une erreur dans le raisonnement suivi pour établir telle ou telle accusation, par exemple une violation de l’article 359 (par. 3) du Code de procédure pénale. Cette disposition permet à la Cour suprême d’examiner les faits et de se pencher sur l’appréciation des éléments de preuve. Si le pourvoi en cassation est recevable et a été déposé dans les délais, les moyens de cassation sont examinés par l’avocat général du parquet général près la Cour suprême, qui rend au nom du parquet un avis consultatif écrit.

5.11Si, par exemple, l’avocat général examine dans le détail les objections soulevées par la défense concernant les éléments de preuve, explique pourquoi elles ne sont pas fondées et recommande l’application de l’article 81 de la loi sur l’appareil judiciaire, puis la Cour suprême rend une décision allant dans ce sens − ce qu’elle fait généralement sans fournir davantage d’explications −, on peut en déduire qu’elle fait sien l’avis consultatif. Un pourvoi en cassation est toujours tranché par une formation de trois membres (au moins) de la Cour suprême, qui a préalablement apprécié en plénière les moyens du demandeur. Dans la majorité des cas où, ces dernières années, le Comité a constaté une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte, le fond de l’affaire n’avait été examiné qu’une seule fois du fait des restrictions que le droit interne impose au droit de recours.

5.12La cause de l’auteur a été examinée par trois niveaux de juridiction. Le tribunal de district et la cour d’appel ont tous deux apprécié les faits dans le détail. La cour d’appel a estimé qu’il existait suffisamment d’éléments à charge pour justifier une déclaration de culpabilité. Le conseil de l’appelant s’est pourvu en cassation en présentant divers moyens concernant, notamment, les décisions prises au sujet des éléments de preuve à charge et les motifs de ces décisions. L’avocat général a examiné ces arguments de manière très détaillée dans son avis consultatif, exposant les raisons pour lesquelles le pourvoi ne pouvait pas prospérer et devait être rejeté par application de l’article 81 de la loi sur l’appareil judiciaire. La Cour suprême a apprécié les moyens de l’auteur, puis a suivi la recommandation de l’avocat général. Le Gouvernement estime que le pourvoi en cassation est une procédure dans le cadre de laquelle une juridiction supérieure examine de manière approfondie les allégations portées contre la personne déclarée coupable, prend en considération les éléments de preuve présentés au procès et contestés en appel et vérifie si les éléments à charge suffisaient ou non à justifier la déclaration de culpabilité.

5.13L’État partie ajoute que l’affaire S. Y. c. Pays-Bas, à laquelle l’auteur fait référence, concerne des circonstances différentes, à savoir l’autorisation d’interjeter appel. En l’espèce, il ressort clairement des décisions rendues par le tribunal de première instance, la cour d’appel et la Cour suprême que la cause de l’auteur a fait l’objet d’un examen approfondi. Rien n’indique qu’il a été porté atteinte aux droits de la défense de quelque manière que ce soit. Une proposition de règlement faite dans une autre affaire ne saurait servir de référence aux fins de la réparation à accorder en l’espèce, d’autant que l’affaire en question et l’espèce sont très différentes sur le fond. L’État partie réaffirme que rien ne donne à penser que plusieurs instances de recours doivent être disponibles. Dans le cas de l’auteur, il serait déraisonnable d’exiger que soit ouverte une autre voie de recours devant une instance chargée de réexaminer les faits.

5.14L’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés ou de dire que la déclaration de culpabilité de l’auteur ne constitue pas une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

Observations complémentaires de l’auteur

6.1Dans une note du 4 octobre 2019, l’auteur fait valoir que la communication devrait être déclarée recevable car il a épuisé tous les recours internes.

6.2L’auteur et le ministère public ont tous deux interjeté appel du jugement de première instance. L’auteur a saisi la Cour suprême d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. En cassation, il n’a pas pu dénoncer les déficiences du Code de procédure pénale néerlandais étant donné que ce texte ne prévoit pas de deuxième instance d’appel chargée de réexaminer les faits, la cassation n’emportant pas un nouvel examen des faits. De fait, l’auteur ne saurait se plaindre du fait qu’une instance n’existe pas auprès d’une instance qui n’existe pas. En droit néerlandais, aucun recours n’est plus possible après la cassation.

6.3L’auteur conteste l’argument concernant l’intention de tous les États parties à la Convention de ne pas appliquer l’article 14 (par. 5) aux situations dans lesquelles il n’existe pas de deuxième instance d’appel. Les réserves formulées ne reflètent pas pareille intention et le Royaume des Pays-Bas n’a pas fait de déclaration à l’égard de cette disposition. En ce qui concerne l’argument selon lequel l’interprétation que l’auteur fait de l’article 14 (par. 5) ne reflète pas l’intention des États parties étant donné que 44 d’entre eux ont ratifié le Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, l’intéressé soutient que la Convention consacre le droit à deux degrés de juridiction et non, comme le Pacte, le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité. La disposition concernée du Pacte garantit expressément le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation. En outre, les dispositions du Pacte sont directement applicables en droit néerlandais. Puisqu’un individu peut se plaindre d’une violation du Pacte après s’être adressé à la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur néerlandais voit une différence entre le Pacte et la Convention et reconnaît que le Pacte peut offrir une plus large protection juridique. L’auteur conclut que l’article 14 (par. 5) du Pacte offre au justiciable une protection plus large que le Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’il ne limite pas le droit de recours au droit de saisir deux instances juridiques.

6.4Bien que l’article 14 (par. 5) du Pacte n’exige pas des États parties qu’ils prévoient plusieurs instances d’appel, la personne qui a été acquittée en première instance, mais déclarée coupable en appel doit avoir la possibilité de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure. Si la juridiction supérieure confirme la déclaration de culpabilité sur la base des mêmes faits, alors l’intéressé a eu la possibilité de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure et la déclaration de culpabilité devient définitive. Il n’y a donc pas lieu de craindre que les mêmes faits donnent lieu à des procédures sans fin.

6.5L’auteur conteste l’argument selon lequel, après chaque déclaration de culpabilité, il a bénéficié d’un recours au sens de l’article 14 (par. 5) du Pacte. Ainsi qu’il ressort de la décision rendue dans l’affaire H. K. c. Norvège, cette disposition exige qu’un tribunal réexamine les faits de la cause. Manifestement, la procédure de cassation ne suffit pas et ne répond pas à cette exigence. En effet, ce n’est pas une procédure qui permet au demandeur de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par un juge. La Cour suprême du Royaume des Pays-Bas ne connaît pas des faits et n’apprécie pas les éléments de preuve.

6.6Le Comité a à plusieurs reprises estimé qu’il y avait eu violation du droit au réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure après qu’un acquittement prononcé en première instance a été infirmé en appel. Même lorsque la personne a été reconnue coupable en première instance d’une partie seulement des infractions reprochées, puis reconnue coupable en appel des infractions dont elle avait initialement été acquittée, il a constaté une violation dès lors qu’il n’y avait pas eu de véritable possibilité de faire appel des déclarations de culpabilité prononcées en première instance. Les affaires auxquels l’auteur fait référence concernent des situations similaires, sinon identiques, à la sienne.

6.7Au Royaume des Pays-Bas, il n’existe que deux juges du fait : le tribunal de première instance et la cour d’appel. Après avoir été déclaré coupable par la cour d’appel, l’auteur n’avait plus aucune possibilité de saisir une juridiction supérieure habilitée à examiner les faits. Il est donc faux de dire que, après chaque déclaration de culpabilité, l’intéressé a eu accès à une voie de recours, comme prévu à l’article 14 (par. 5) du Pacte.

Observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans une note du 9 décembre 2019, l’État partie déclare que les commentaires que l’auteur a soumis le 4 octobre 2019 ne lui donnent aucune raison de revenir sur ses observations initiales.

7.2L’État partie maintient que la communication devait être déclarée irrecevable. Se référant à deux affaires dans lesquelles l’article 14 (par. 5) du Pacte a été invoqué devant la Cour suprême, il soutient que la procédure de cassation est un deuxième degré de recours qui emporte le réexamen des faits.

7.3Sur le fond, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas été porté atteinte à l’article 14 (par. 5) du Pacte car cette disposition n’établit pas un droit à une deuxième instance de recours habilitée à réexaminer les faits de la cause. Il ajoute que, après chaque déclaration de culpabilité, l’auteur a eu accès à une voie de recours.

7.4L’État partie n’est pas d’accord que les affaires H. K. c. Norvège et Gomaríz Valera c. Espagne concernaient une situation similaire, voire identique à celle de l’auteur. L’affaire H. K. c. Norvège concernait une décision par laquelle la cour d’appel avait refusé d’autoriser un condamné à former un recours contre la déclaration de culpabilité prononcée par le tribunal de district. L’intéressé se plaignait uniquement du fait que la décision n’était pas dûment motivée. Le Comité a estimé qu’il n’avait pas été porté atteinte à l’article 14 (par. 5) du Pacte.

7.5L’affaire Valera c. Espagne concernait un condamné privé de toute possibilité légale de contester devant le Tribunal suprême espagnol une déclaration de culpabilité prononcée par l’audience provinciale. En l’espèce, comme l’État partie l’a expliqué, la cause de l’auteur a été examinée par le tribunal de district, par la cour d’appel et par la Cour suprême, dans le respect de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une note du 9 juillet 2020, l’État partie demande l’autorisation de rendre compte de l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême relative à la question de la portée de l’article 14 (par. 5) du Pacte telle qu’elle a été soulevée dans la communication.

8.2Le 18 février 2020, la Cour suprême a rendu un arrêt portant sur une situation comparable à celle de l’auteur.

8.3L’arrêt concerne un affaire dans laquelle l’accusé avait été acquitté par le tribunal de district avant d’être reconnu coupable de diverses infractions par la cour d’appel et le conseil de la défense a fait valoir en appel que dans les situations de ce type, à savoir un recours formé par le ministère public contre un acquittement prononcé en première instance, le Code de procédure pénale ne répondait pas aux exigences internationales, en particulier celles fixées à l’article 14 (par. 5) du Pacte, et qu’étant donné les restrictions inhérentes à la cassation, celle-ci ne pouvait être considérée comme un « [examen] par une juridiction supérieure » au sens de l’article 14 (par. 5) du Pacte. Faute d’avoir obtenu gain de cause en appel, le conseil s’est pourvu en cassation. Le 3 décembre 2019, l’avocat général du parquet général près la Cour suprême a soumis un avis consultatif sur cette affaire, dans lequel il a estimé que l’article 14 (par. 5) ne faisait pas obstacle à la procédure de cassation, dans le cadre de laquelle la Cour suprême est aussi habilitée à examiner l’appréciation que la cour d’appel a faite des éléments de preuve.

8.4La communication Gomaríz Valera c. Espagne, à laquelle l’auteur se réfère, concerne les modalités de recours qui existaient en Espagne avant qu’une « transformation » de la jurisprudence vienne élargir le champ de la cassation telle qu’elle était envisagée par le Tribunal suprême. Les seules questions de fait qui sont exclues du champ de la cassation en Espagne sont à présent celles qui exigeraient que des éléments de preuve soient de nouveau présentés pour être de nouveau appréciés. Le Comité a pris note du fait que, compte tenu de cette « transformation », le Tribunal suprême avait procédé à un examen approfondi de chacun des motifs de recours invoqués par l’auteur avant de déclarer irrecevable le grief tiré de l’article 14 (par. 5) du Pacte. Depuis lors, le Comité a estimé dans bon nombre d’autres affaires que les procédures de recours espagnoles ne soulevaient aucune question au regard de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

8.5Il ressort clairement de la communication V. S. c. Lituanie que la Cour de cassation lituanienne ne procède pas à une nouvelle appréciation des éléments de preuve ni ne recueille de nouveaux éléments de preuve. Elle examine les moyens du demandeur. Le Gouvernement lituanien a souligné que la Cour de cassation avait examiné les arguments du demandeur dans l’affaire en question en parallèle avec les éléments de preuve sur lesquels la cour d’appel avait fondé son arrêt et n’avait pas constaté de violation. Dans le cas contraire, elle aurait renvoyé l’affaire devant une cour d’appel pour un nouvel examen. Le Comité a estimé que, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, l’auteur n’avait pas étayé l’argument selon lequel la compétence de la Cour suprême lituanienne en matière de cassation le privait du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation le concernant, conformément à la loi, et a donc déclaré ce grief irrecevable.

8.6En ce qui concerne le Royaume des Pays-Bas, l’État partie souligne que l’article 79 de la loi sur l’appareil judiciaire habilite la Cour suprême statuant en cassation à déterminer si telle ou telle décision rendue en appel est conforme à la loi et si les règles de procédure ont été respectées. Si la Cour suprême estime que les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que les accusations étaient établies, elle peut renvoyer l’affaire devant une cour d’appel, comme elle l’a réaffirmé dans son arrêt du 18 février 2020. Dans un arrêt du 16 octobre 2018, elle a dit que la cour d’appel était tenue de motiver dans le détail toute déclaration de culpabilité prononcée pour la première fois en appel sur la base, en partie, de témoignages à charge.

8.7La Cour suprême a estimé que l’obligation de motiver les décisions lui permettait d’examiner de manière plus approfondie encore la manière dont les éléments de preuve étaient utilisés par la cour d’appel dans des situations comme celles de l’auteur.

Nouveaux commentaires de l’auteur

9.1Dans une note du 9 octobre 2020, l’auteur a présenté de nouveaux commentaires.

9.2L’auteur conteste l’argument selon lequel le pourvoi en cassation n’emporte pas un examen de la suffisance des éléments de preuve et des motifs des décisions relatives à ces éléments. Le champ du contrôle est déterminé par les moyens présentés. La gravité du crime est un facteur déterminant. À partir d’un certain degré de gravité, le réexamen par une juridiction supérieure prévu à l’article 14 (par. 5) du Pacte est obligatoire.

9.3La Cour suprême ne connaît pas des faits ; elle se contente de vérifier la légalité des éléments de preuve utilisés. Or, elle devrait juger les faits au lieu de seulement procéder à un contrôle de légalité. Le fait que la Cour suprême apprécie la légalité de l’administration de la preuve ne suffit pas à dire qu’elle juge les faits.

9.4L’examen auquel procède la Cour suprême pour déterminer la légalité et la suffisance des preuves (c’est-à-dire l’existence de preuves suffisant à justifier une déclaration de culpabilité) n’équivaut pas à un examen complet et factuel par une juridiction supérieure. Même dans les cas où il existe des preuves légales et suffisantes justifiant une déclaration de culpabilité, le juge néerlandais peut acquitter si les preuves n’emportent pas sa conviction ou si d’autres scénarios sont possibles.

9.5Le 18 février 2020, la Cour suprême a jugé que la procédure de cassation n’enfreignait pas l’article 14 (par. 5) du Pacte. La Cour a déclaré à plusieurs reprises que le tribunal de première instance et la cour d’appel étaient les deux seules juridictions qui procédaient à des examens factuels et qu’elle-même se basait sur les faits tels qu’ils avaient été établis par la cour d’appel. L’auteur conclut qu’il y a donc eu violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

9.6Le 5 novembre 2020, l’auteur a demandé que l’interprétation de la nouvelle jurisprudence néerlandaise exposée dans ses commentaires du 9 octobre 2020 soit considérée sur un pied d’égalité avec celle exposée dans les observations complémentaires de l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que les auteurs doivent exercer tous les recours judiciaires internes pour satisfaire à la condition énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour autant que ces recours puissent leur être utiles et leur soient véritablement ouverts. Il prend note de l’objection de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes étant donné que les griefs dont il est saisi n’ont pas été soulevés dans le cadre de la procédure de cassation devant la Cour suprême et que l’auteur ne s’est pas plaint que le Code de procédure pénale néerlandais ne prévoyait pas de deuxième instance d’appel habilitée à réexaminer les faits. Il prend note également de l’argument de l’auteur, qui dit avoir fait appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le tribunal de première instance pour le premier crime et s’être pourvu en cassation contre la déclaration de culpabilité prononcée par la cour d’appel pour le second. Les deux juridictions ont examiné les faits. Le Comité note de surcroît que l’auteur soutient que comme la Cour suprême, lorsqu’elle statue en cassation, vérifie uniquement la correcte application de la loi, il n’a pas bénéficié d’un recours effectif contre la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui en appel pour le meurtre de M. Stein. Enfin, le Comité note que l’auteur avance que, en cassation, il ne lui a pas été possible de dénoncer les lacunes du Code de procédure pénale, car le droit néerlandais ne prévoit pas la saisine d’une deuxième instance d’appel habilitée à réexaminer les faits et la cassation n’emporte pas le réexamen des faits. Le Comité constate que, en cassation, l’auteur n’a pas pu dénoncer l’absence de seconde instance d’appel et que, selon le droit néerlandais, les décisions rendues par la Cour suprême statuant en cassation ne sont pas susceptibles de recours. Il estime donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner les griefs de l’auteur.

10.4Le Comité estime que les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 14 (par. 5) du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité note que l’auteur argue d’une violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte au motif que, le 26 avril 2013, la cour d’appel l’a déclaré coupable du meurtre de M. Stein dont il avait été acquitté en première instance et qu’il n’a pas pu faire effectivement réexaminer sa déclaration de culpabilité et de sa condamnation par une juridiction supérieure, conformément à la loi.

11.3Le Comité rappelle que, si les États parties ont toute latitude pour fixer les modalités des recours, ils sont néanmoins tenus par l’article 14 (par. 5) du Pacte de faire en sorte que les déclarations de culpabilité et les condamnations soient réexaminées au fond. Il rappelle également que le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure emporte pour eux l’obligation de procéder à un examen au fond consistant à sanctionner la suffisance des éléments de preuve et la conformité à la loi, de sorte que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire, et qu’un réexamen qui porte uniquement sur le fond ou la forme du verdict et ne tient aucun compte des faits n’est pas suffisant au regard du Pacte. Selon sa jurisprudence, l’article 14 (par. 5) n’exige ni nouveau procès ni nouvelle audience, pour autant que le tribunal qui procède au réexamen puisse se pencher sur les faits. Le Comité rappelle en outre que le droit à un recours s’applique aussi lorsque la cour d’appel alourdit la peine prononcée en première instance et que l’impossibilité de faire réexaminer la condamnation prononcée par une cour d’appel après un acquittement par une juridiction inférieure constitue une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

11.4Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a fait appel de chaque déclaration de culpabilité (celle prononcée par le tribunal de première instance et celle prononcée par la cour d’appel) et a bénéficié d’un recours effectif à deux reprises (devant la cour d’appel et devant la Cour suprême). Il note également que l’État partie soutient que, dans son arrêt de cassation, la Cour suprême a examiné l’application de la loi à la lumière des faits et de la suffisance des preuves ainsi que du raisonnement sous-tendant les décisions relatives à celles-ci, notamment, et que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur ont donc été réexaminées par une juridiction supérieure habilitée à connaître des faits. Il note en outre que l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas formulé de réserve à l’égard de l’article 14 (par. 5) du Pacte, que le champ du réexamen effectué par la Cour suprême est déterminé par les moyens de cassation et que la gravité du crime est un facteur déterminant aux fins du réexamen par une juridiction supérieure. Enfin, il constate que l’auteur soutient que la Cour suprême ne connaît pas des faits en soi en ce qu’elle se penche uniquement sur la légalité des éléments de preuve et que la cassation est un contrôle de la qualité des jugements rendus par les cours d’appel qui porte sur l’application de la loi et la rigueur du raisonnement juridique suivi, ce qui ne suffit pas à conclure que la Cour suprême examine les faits.

11.5Le Comité observe que, dans la déclaration de pourvoi du 31 décembre 2014, l’auteur faisait valoir que la loi avait été incorrectement appliquée et que l’arrêt attaqué devait être annulé au motif que la cour d’appel avait rendu sa décision en méconnaissance des notions de complicité (interprétée comme signifiant « de concert et en association avec d’autres ») et de préméditation, avait utilisé des déclarations de témoins au préjudice de l’auteur, avait prononcé une peine excessivement longue et avait fait des constatations qui n’étaient étayées ni par les moyens ni par les éléments à charge. Il observe également que, le 29 septembre 2015, la Cour suprême a annulé l’arrêt attaqué pour ce qui concernait les dommages-intérêts accordés aux parties lésées et la peine d’emprisonnement imposée, dont elle a ramené la durée à vingt-neuf ans, mais a rejeté le pourvoi pour le surplus, jugeant que les moyens invoqués ne justifiaient pas la cassation et que, conformément à l’article 81.1 de la loi sur l’appareil judiciaire, elle n’était pas tenue d’examiner la question plus avant étant donné que les moyens présentés ne soulevaient pas de questions relatives à l’unité de la loi ou au développement du droit. À cet égard, il constate que, dans sa décision, la Cour n’apprécie pas les faits et les éléments de preuve sur lesquels la cour d’appel s’est appuyée pour reconnaître l’auteur coupable du meurtre de M. Stein et n’y fait pas référence ; au contraire, elle indique expressément qu’elle n’est pas tenue de se pencher davantage sur ces points et que les moyens présentés n’en appellent pas d’examen de sa part.

11.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que la Cour suprême n’a pas suffisamment expliqué comment elle avait apprécié la suffisance des faits et la légalité et la suffisance des éléments de preuve utilisés ni motivé le raisonnement sous-tendant son réexamen. En conséquence, il est d’avis que, en l’espèce, la Cour n’a pas dûment apprécié la suffisance des faits et des éléments de preuve à charge sur la base desquels l’auteur a été reconnu coupable du second meurtre en appel, car elle a rejeté le pourvoi principalement pour des motifs juridiques, compte tenu notamment de la nature de la procédure de cassation et du fait que rien ne justifiait de rejeter le raisonnement de la cour d’appel, au lieu de réexaminer les faits comme l’exige la jurisprudence du Comité. Dans ces circonstances, il estime donc que, étant donné qu’il n’est pas établi que la Cour suprême a suffisamment examiné les faits et les éléments de preuve, l’auteur a été privé de l’exercice effectif du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation qu’il tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

12.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits tels qu’il les a établis font apparaître une violation par l’État partie de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

13.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres : a) de permettre un réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure en ce qui concerne le meurtre de M. Stein ; b) d’accorder à l’auteur une indemnisation suffisante. L’État partie est également tenu de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. Dans ce contexte, le Comité rappelle que, conformément à l’obligation qui lui est faite à l’article 2 (par. 2) du Pacte, l’État partie devrait mettre le cadre juridique applicable en conformité avec les dispositions de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Marcia V. J. Kran

1.Je suis parvenue à une conclusion différente de celle de la majorité, à savoir que la procédure suivant laquelle la Cour suprême du Royaume des Pays-Bas a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’auteur n’a pas porté atteinte aux droits garantis à l’intéressé par l’article 14 (par. 5) du Pacte.

2.L’auteur soutient qu’il a été victime d’une violation du droit d’interjeter appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation garanti à l’article 14 (par. 5) du Pacte parce qu’il a initialement été acquitté d’un crime dont il a ensuite été reconnu coupable par la cour d’appel et la Cour suprême statuant en cassation n’a pas dûment examiné les faits de sa cause.

3.L’État partie soutient au contraire que les tribunaux néerlandais ont apprécié les faits et les éléments de preuve relatifs à l’affaire à plusieurs reprises et que l’auteur a donc eu accès aux voies de recours envisagées à l’article 14 (par. 5) du Pacte.

4.Partant, la question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’auteur a suffisamment étayé le grief selon lequel il a été victime d’une violation du droit garanti à l’article 14 (par. 5) du Pacte au motif que la Cour suprême n’a pas dûment examiné les faits de sa cause.

5.Il ressort de la jurisprudence du Comité et des travaux préparatoires de l’article 14 (par. 5) du Pacte que, si les États parties ont toute latitude pour fixer les modalités des appels, ils sont tenus par l’article 14 (par. 5) du Pacte d’examiner quant au fond la déclaration de culpabilité et la condamnation. L’observation générale no 32 (2007) du Comité prévoit qu’il doit être procédé à un réexamen au fond, y compris en ce qui concerne les faits, mais n’exige pas la tenue d’un nouveau procès.

6.En l’espèce, les faits ont été examinés à la fois par la juridiction de première instance et par la juridiction d’appel, puis la Cour suprême a examiné les moyens d’appel. En appel, l’auteur n’a pas tiré grief du fait que le droit pénal néerlandais était non-conforme à l’article 14 (par. 5) du Pacte, ni d’ailleurs autrement déficient. Selon lui, il lui était impossible de le faire parce que la procédure de cassation n’emporte qu’un contrôle de la qualité de l’arrêt contesté en ce qui concerne l’application de la loi et le raisonnement suivi par les juges. L’État partie a réfuté cet argument, expliquant que la Cour suprême statuant en cassation examinait les éléments de preuve et avait en l’espèce apprécié les faits de manière à satisfaire aux dispositions de l’article 14 (par. 5) du Pacte, point sur lequel je reviendrai plus loin. L’État partie renvoie à l’article 359 (par. 3) du Code de procédure pénale, qui permet aux tribunaux d’examiner les faits et, plus largement, l’interprétation qui a été faite des éléments de preuve. Il indique que, lorsque la Cour suprême examine les éléments de preuve sur lesquels la juridiction inférieure s’est appuyée et détermine qu’ils ne peuvent justifier telle ou telle conclusion, elle peut renvoyer l’affaire à la juridiction inférieure. En outre, il cite des arrêts venant étayer l’argument selon lequel la cour d’appel est tenue de motiver l’annulation d’un jugement d’acquittement.

7.Aux fins de sa décision, la Cour suprême a eu accès à l’ensemble des éléments factuels du dossier, y compris les éléments relatifs aux procédures menées devant les juridictions inférieures, les moyens présentés par l’auteur en cassation et les recommandations du Procureur général. Le Bureau du Procureur général fait partie de l’organisation de la Cour suprême, qu’il est chargé de conseiller. En l’espèce, dans sa décision, la Cour s’est expressément référée à la lettre du 19 mai 2015 que le Procureur général lui avait adressée et a suivi les recommandations formulées dans ce document détaillé, long de 25 pages. Dans ce document, le Procureur général examinait tous les moyens de cassation présentés par l’auteur et fournissait une analyse détaillée des éléments de preuve versés au dossier relativement à chacune des accusations, y compris les rapports pathologiques, les preuves ADN et les témoignages de divers suspects. Sur la base de tous les éléments dont elle disposait, y compris cette analyse, la Cour a rendu un arrêt succinct dans lequel elle suivait la recommandation du Procureur général de rejeter tous les motifs de cassation à l’exception du dernier, qui portait sur un point technique relatif à la soumission tardive de documents. Comme l’a déclaré un ancien membre du Comité, quoi que dans un contexte légèrement différent, les juridictions d’appel de dernière instance ne devraient pas être tenues de motiver leur décision dans le détail. Conformément à la jurisprudence du Comité, l’examen par la Cour suprême des informations disponibles satisfait donc aux exigences de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

8.Compte tenu de ce qui précède, l’auteur n’a pas étayé le grief qu’il tire de l’article 14 (par. 5) du Pacte, qui devrait donc être jugé irrecevable.

Annexe II

Opinion conjointe (dissidente) de Gentian Zyberi et Imeru Tamerat Yigezu

Introduction

1.Nous ne souscrivons pas à la conclusion du Comité selon laquelle il y a eu violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte. Le Comité a estimé qu’ « étant donné qu’il n’est pas établi que la Cour suprême a suffisamment examiné les faits et les éléments de preuve, l’auteur a été privé de l’exercice effectif du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation qu’il tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte ». Or, la communication aurait dû être déclarée irrecevable au motif que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes ou, à défaut, parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée.

Non-épuisement des recours internes

2.L’auteur fait valoir que les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte ont été violés parce qu’il a été privé du droit de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure. Selon lui, l’examen par la Cour suprême d’une condamnation prononcée par la cour d’appel n’est pas factuel car il porte uniquement sur la légalité des éléments de preuves sur lesquels la cour s’est appuyée et la qualité de la décision contestée en ce qui concerne tant l’application de la loi que le raisonnement suivi par les juges. Or, l’auteur n’a jamais argué devant un tribunal néerlandais que le Code de procédure pénale était déficient en ce qu’il ne lui avait pas permis d’interjeter appel sur le fond d’une déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction de deuxième instance. La communication aurait donc dû être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

Griefs insuffisamment étayés et application de l’article 14 (par. 5) du Pacte aux déclarations de culpabilité prononcées en appel

3.L’article 14 (par. 5) du Pacte dispose que « toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi ». Le Comité s’est employé à faire en sorte qu’il soit correctement interprété, notamment en ce qui concerne l’examen en cassation d’une déclaration de culpabilité prononcée en appel. L’article est clairement libellé et on ne saurait conclure qu’il impose des exigences juridiques qui ne découlent ni de son contenu ni de ses travaux préparatoires.

4.Si les États parties au Pacte ont toute latitude pour fixer les modalités des recours prévus par le droit interne, ils sont néanmoins tenus par l’article 14 (par. 5) du Pacte de faire en sorte que les déclarations de culpabilité et les condamnations soient réexaminées. Comme le Comité l’a expliqué, il y a violation de l’article 14 (par. 5) non seulement lorsque la décision rendue en première instance est définitive, mais aussi lorsqu’une déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction d’appel ou une juridiction statuant en dernier ressort à la suite d’un acquittement en première instance ne peut pas, selon le droit interne, être réexaminée par une juridiction supérieure. L’article 14 (par. 5) veut que les affaires pénales soient soumises à deux niveaux d’examen, et un examen qui concerne uniquement les aspects formels, ou juridiques, de la déclaration de culpabilité sans tenir aucun compte des faits n’est pas suffisant au regard du Pacte. Selon la jurisprudence du Comité, l’article 14 (par. 5) n’exige ni nouveau procès ni nouvelle audience pour autant que le tribunal qui procède au réexamen puisse se pencher sur les faits. En ce qui concerne l’observation générale no 32 (2007) du Comité, on retiendra que le paragraphe 48 concerne les garanties juridiques relatives aux recours ordinaires, les recours en cassation étant brièvement abordés au paragraphe 47.

5.L’État partie fait valoir que, conformément à l’article 79 de la loi sur l’appareil judiciaire, la Cour suprême est habilitée à déterminer si telle ou telle décision rendue en appel est conforme à la loi et si les exigences procédurales ont été respectées. Le non-respect des règles de procédure serait constitutif d’un raisonnement vicié concernant la preuve de certaines accusations, par exemple d’une violation de l’article 359 (par. 3) du Code de procédure pénale, qui dispose que la décision de considérer la culpabilité comme établie doit être étayée par les éléments de preuve sur lesquels le jugement repose et que, si la Cour suprême estime que ce n’est pas le cas, elle peut renvoyer l’affaire devant la cour d’appel. L’État partie, citant la jurisprudence pertinente, indique que la décision doit être tout particulièrement motivée lorsque l’accusé acquitté en première instance a été reconnu coupable en appel. L’auteur n’a pas réfuté ces arguments et n’a donc pas démontré que, dans sa décision du 29 septembre 2015, la Cour suprême n’avait pas apprécié les faits.

6.Il convient de retenir que le Procureur général et son bureau, la Cour suprême et le directeur des opérations forment une seule et même entité. En l’espèce, le Procureur général a rédigé un avis long de 25 pages comportant un examen détaillé des faits de l’affaire et une analyse exhaustive des questions juridiques en jeu, avis que la Cour suprême a décidé de suivre. Le Comité n’était donc pas fondé à conclure comme il l’a fait.

7.Enfin, le Comité a ignoré un argument important avancé par l’État partie, à savoir qu’il est peu probable que 44 États parties au Pacte aient ratifié le Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme s’ils avaient considéré que les obligations mises à leur charge par le Pacte s’en trouveraient changées. Sachant que certains pays ont émis des réserves ou fait des déclarations concernant l’application de l’article 14 (par. 5) du Pacte, le Comité devrait éviter d’interpréter cet instrument de manière à ce point large qu’un grand nombre des États parties au Protocole facultatif (environ un tiers) pourrait être amené à émettre des réserves ou à faire des déclarations concernant d’autres dispositions du Pacte qui produisent des effets similaires.

Observations finales

8.Malheureusement, la décision prise par le Comité reflète une méconnaissance du fonctionnement de l’appareil judiciaire néerlandais, notamment la Cour suprême, relativement à l’article 14 (par. 5) du Pacte. Outre qu’il n’a pas épuisé les recours internes, l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs. Le Comité aurait donc dû juger la communication irrecevable.

Annexe III

Opinion individuelle (dissidente) d’Arif Bulkan

1.Je ne souscris pas du tout à la conclusion de la majorité, qui, en estimant que la communication était recevable et que l’auteur avait été privé de l’exercice effectif du droit de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure, a non seulement passé outre au fait que l’intéressé n’a pas épuisé les recours internes ni suffisamment étayé ses griefs, mais aussi confondu les deux notions distinctes que sont la possibilité de faire réexaminer les faits et le droit à un jugement dûment motivé.

2.L’auteur tire essentiellement grief de ce que le droit néerlandais ne lui a pas permis de faire réexaminer les faits de sa cause après qu’il a été déclaré coupable pour la première fois en appel, mais n’a jamais fait valoir cette incompatibilité présumée de la procédure pénale néerlandaise avec l’article 14 (par. 5) du Pacte devant les tribunaux nationaux. Conscient de ce problème, il tente sans grand succès de se justifier en arguant qu’il ne pouvait pas se plaindre du fait qu’une instance n’existe pas auprès d’une instance qui n’existe pas. Cet argument est manifestement absurde puisque l’intéressé a saisi la Cour suprême, auprès de laquelle rien ne l’empêchait de dénoncer cette présumée lacune. Qu’il ne l’ait pas fait est d’autant moins excusable que, selon ses propres dires, la Cour suprême ne fait qu’examiner le droit. Partant, la conclusion de la majorité selon laquelle l’auteur n’a pas pu soulever ce point de procédure en cassation ne tient pas compte du fonctionnement de la Cour suprême tel que l’auteur lui-même le décrit. Étant donné que l’intéressé n’a pas réussi à démontrer comme il aurait dû le faire que le système judiciaire néerlandais est effectivement déficient, la communication est clairement irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

3.De surcroît, les allégations de l’auteur sont contredites par les arguments détaillés que l’État partie présente et auxquels l’intéressé ne répond nullement. L’État partie décrit en grand détail le fonctionnement de la procédure judiciaire néerlandaise, indiquant que l’article 359 (par. 3) du Code de procédure pénale permet à la Cour suprême siégeant en cassation d’examiner les faits et l’appréciation des éléments de preuve et de déterminer si ceux-ci justifiaient ou non la déclaration de culpabilité prononcée par la juridiction inférieure. Loin de tenir compte du fait que cette explication limpide n’est à aucun moment contredite, la majorité accepte purement et simplement les allégations dénuées de fondement de l’auteur et conclut à une violation sur la base du fait que la décision de la Cour est succincte. Or, la brièveté de la décision n’a rien à voir avec le grief soulevé et a en toute état de cause aussi été expliquée par l’État partie, dont le raisonnement se trouve ainsi rejeté sans aucune raison valable.

4.Le réexamen des éléments de preuve par la Cour suprême siégeant en cassation est d’autant plus possible que, en l’espèce, il a eu lieu. L’auteur déclare que ses moyens de cassation concernaient l’administration de la preuve et l’interprétation des faits, or, il n’y aurait pas eu de sens à soulever pareils moyens si la Cour suprême n’était pas habilitée à examiner les faits. En tout état de cause, comme l’a expliqué l’État partie, l’avocat général a répondu aux griefs de l’auteur de manière très détaillée et la Cour suprême les a examinés avant de rejeter le recours par application de l’article 81 de la loi sur le pouvoir judiciaire. Cet argument, qui vient directement réfuter les allégations de l’auteur, a été ignoré tant par l’intéressé, qui n’y a pas répondu, que par la majorité.

5.La clef de voûte du raisonnement de la majorité est la brièveté de la décision par laquelle la Cour suprême a rejeté le pourvoi. Or, même cette brièveté a été expliquée par l’État partie. L’article 81 permet à la Cour de rejeter un pourvoi sans motivation détaillée pour autant qu’elle ait préalablement examiné les arguments du demandeur et ceux de l’avocat général. Pour accorder du crédit au grief de l’auteur, il faudrait donc fermer les yeux sur les dispositions de l’article 81 et conclure que l’État partie tente délibérément d’induire le Comité en erreur, ce que je ne suis pas disposé à faire.

6.Le fait que l’auteur ait adapté ses arguments en fonction des réponses de l’État partie joue aussi en sa défaveur. L’État partie ayant objecté dans le détail au grief selon lequel le système juridique néerlandais ne comporte aucune instance habilitée à réexaminer les faits lorsque la première déclaration de culpabilité a été prononcée en appel, l’auteur a changé d’angle d’attaque et fait valoir que le réexamen prévu n’était pas suffisant. Admettant que la Cour suprême peut bel et bien examiner les faits et les éléments de preuve, il a changé de stratégie et tiré argument du fait qu’elle peut acquitter « si les preuves n’emportent pas sa conviction ou si d’autres scénarios sont possibles ». On retiendra que l’auteur finit par reconnaître que la Cour suprême statue sur la légalité et la suffisance des éléments de preuve − ce qu’il contestait de prime abord, raison pour laquelle il a saisi le Comité −, mais argue alors qu’il devrait bénéficier de garanties qui vont bien au-delà de celles prévues à l’article 14 (par. 5) du Pacte.

7.En fin de compte, la conclusion de la majorité repose sur la confusion de deux notions différentes − la possibilité de faire réexaminer les faits et le droit à un jugement dûment motivé. Or, l’auteur n’argue pas de la violation du droit à un jugement motivé et, en tout état de cause, l’État partie a expliqué pourquoi la Cour suprême n’avait pas à motiver ses décisions dans le détail. L’intéressé fait valoir que la procédure pénale néerlandaise est lacunaire, et l’État partie fait savoir à ce sujet, sans que l’auteur le contredise, que la possibilité d’appel existe bel et bien et que l’intéressé y a recouru. Outre que l’auteur n’a pas soulevé ce grief devant les tribunaux internes, il n’a pas non plus réussi à l’étayer devant le Comité. Je déclarerais donc la communication irrecevable.