Nations Unies

CCPR/C/131/D/2652/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 juin 2022

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2652/2015 * , **

Communication soumise par :

Carlos José Correa Barros et consorts

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication :

2 mars 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er octobre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

18 mars 2021

Objet :

Accès à l’information relative aux allégations d’irrégularités dans l’achat, le stockage et la distribution de médicaments par l’État partie

Question(s) de fond :

Droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations ; droit de prendre part à la direction des affaires publiques ; droit à un recours utile

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 14, 19 et 25

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5

1.Les auteurs de la communication, présentée le 2 mars 2015, sont Carlos José Correa Barros, né le 2 octobre 1964, Directeur exécutif de l’organisation non gouvernementale (ONG) Asociación Civil Espacio Público ; Feliciano Reyna, né le 2 décembre 1955, Président de l’ONG Asociación Civil Acción Solidaria ; María de las Mercedes de Freitas, née le 11 avril 1961, Directrice exécutive de l’ONG Asociación Civil Transparencia Venezuela ; Rafael Leonardo Uzcategui Montes, Coordonnateur général de l’ONG Programa Venezolano de Educación-Acción en Derechos Humanos ; et Marino Alvarado Betancourt, né le 10 janvier 1958, avocat. Les auteurs, tous de nationalité vénézuélienne, affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 2) et 19 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 1), de l’article 25, lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 19, et de l’article 14, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 août 1978. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

Exposé des faits

2.1Dans son rapport annuel de gestion pour 2010, le Bureau du contrôleur général de la République a relevé plusieurs irrégularités dans l’achat, le stockage et la distribution de médicaments. Le Bureau du contrôleur faisait référence à 30 contrats d’achat de médicaments qui avaient été conclus avec des laboratoires cubains entre 2005 et 2010 par l’intermédiaire du Ministère du pouvoir populaire pour la santé et du Service autonome des préparations pharmaceutiques (SEFAR), rattaché au Ministère. L’exécution de ces contrats faisait apparaître plusieurs irrégularités, à savoir : a) la fourniture et la réception de médicaments ne correspondant pas aux besoins de la population ; b) des retards de livraison pouvant aller jusqu’à deux ans ; c) la fourniture de médicaments périmant dans un délai de moins de neuf mois, inférieur au délai légal ; d) l’absence de centres de stockage garantissant la conservation des médicaments dans des conditions adéquates ; e) la livraison de produits dont la qualité a été compromise, notamment par une rupture de la chaîne du froid ; f) des médicaments stockés par le SEFAR pendant deux ans environ avant d’être distribués ; g) des livraisons de médicaments non prévues dans les contrats.

2.2Le Bureau du contrôleur général a conclu que certains marchés avaient été passés sans planification aucune, que les autorités n’avaient pas contrôlé la bonne exécution des contrats et qu’une quantité considérable de médicaments avait dû être incinérée à cause de procédures de stockage et de distribution inadéquates. Il a formulé plusieurs recommandations à l’intention du Ministère, à qui il a notamment conseillé : a) de planifier les achats de médicaments pour qu’ils répondent aux besoins de la population, en veillant à ce que les dates de péremption soient suffisamment lointaines pour que l’État ne coure aucun risque de préjudice financier ; b) d’exercer un contrôle sur toutes les activités liées à l’exécution des contrats internationaux d’achat de médicaments ; c) de créer un groupe de travail chargé de planifier l’achat de médicaments à l’international, qui sera composé de représentants de tous les acteurs concernés et aura pour mission de veiller à ce que les produits soient judicieusement sélectionnés et soient stockés dans des entrepôts permettant leur bonne conservation ainsi que de faire des recherches pour déterminer les besoins de la population ; d) d’adopter et de mettre en œuvre des mécanismes de conservation de la documentation relative à la passation des marchés concernant les médicaments afin de garantir la transparence ; e) d’engager la direction du SEFAR à établir des directives relatives au stockage des médicaments et des protocoles de contrôle de la qualité.

2.3Le 29 août 2011, les auteurs et les ONG susmentionnées ont déposé une pétition auprès du Ministère du pouvoir populaire pour la santé en vue d’obtenir des informations sur les mesures prises pour mettre en œuvre chacune des cinq recommandations formulées par le Bureau du contrôleur général. Les intéressés souhaitaient aussi savoir si le Ministère avait ouvert une enquête administrative comme l’exigeait la loi sur la fonction publique. Ils faisaient valoir que, en leur qualité de militants des droits de l’homme soucieux de la transparence de la gestion des affaires publiques et de membres d’ONG elles aussi concernées par la question, il leur paraissait important d’être informés des mesures prises pour faire en sorte que les irrégularités constatées par le Bureau du contrôleur général ne se reproduisent pas, sachant que ces irrégularités entravaient le droit de la population à la santé et portaient préjudice aux biens publics. Ils signalaient que les informations qui leur seraient communiquées seraient incorporées dans les rapports annuels des organisations dont ils faisaient partie, qui les publieraient sur leurs sites Web, l’objectif étant de suivre l’application des recommandations formulées dans le rapport.

2.4Le délai de réponse fixé par la loi organique sur les procédures administratives (20 jours) a expiré sans que les auteurs aient reçu de réponse à leur pétition. En conséquence, le 19 mars 2012, les intéressés ont saisi la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice d’un recours en amparo visant la Ministre du pouvoir populaire pour la santé. Ils dénonçaient des violations de leur droit d’accéder à l’information, de leur droit de soumettre une pétition et de leur droit d’obtenir une réponse rapide et adéquate de l’administration publique et de leur droit à la liberté d’expression. Selon eux, le respect de ces droits emportait l’obligation pour l’État partie de garantir non seulement le droit d’exprimer ses propres opinions, mais aussi le droit de rechercher, de recevoir et de communiquer des idées de toute espèce, y compris le droit d’obtenir des informations détenues par l’État. Les auteurs signalaient en outre que la demande d’informations adressée au Ministère du pouvoir populaire pour la santé avait pour but de permettre aux citoyens d’exercer leur droit constitutionnel de contrôler l’action des organismes publics, de défendre le droit à la santé et de promouvoir le bon fonctionnement de l’administration publique. Ils avançaient en outre qu’ils avaient respecté l’injonction qui leur était faite par le Tribunal suprême d’expliquer comment ils entendaient utiliser les informations demandées, mais n’avaient pas à démontrer un intérêt personnel pour ces informations, rappelant que la Cour interaméricaine des droits de l’homme avait jugé que, sauf dans les cas où une restriction était légitime, l’obligation de communication d’informations mise à la charge des autorités publiques s’appliquait indépendamment de la question de savoir si le demandeur avait un intérêt direct à connaître les informations demandées.

2.5Les auteurs soutenaient que le recours en amparo était le seul recours pouvant leur permettre d’obtenir rapidement une réparation effective pour les violations subies, sachant qu’il était urgent qu’ils obtiennent du Ministère du pouvoir populaire pour la santé les informations demandées concernant l’application des recommandations du Bureau du contrôleur général. Selon eux, le recours administratif en carence n’était pas un recours efficace en l’espèce, car la procédure pouvait durer très longtemps alors que les informations demandées devaient être communiquées immédiatement étant donné qu’elles concernaient directement le droit de la population à la santé et à la vie. De fait, les recommandations formulées par le Bureau du Contrôleur général devaient permettre d’éviter la répétition de situations dangereuses pour la santé de la population, notamment la pénurie de médicaments, l’achat de médicaments dont la date de péremption était trop proche, la conservation de médicaments dans des conditions inadéquates et la distribution inefficace des stocks.

2.6Le 18 juin 2012, la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême a statué sur le recours en amparoformé par les auteurs, le déclarant irrecevable au motif que l’action en amparon’était pas le seul moyen efficace que les intéressés avaient à leur disposition pour obtenir rapidement réparation pour les violations alléguées. Le Tribunal a déclaré qu’il ressortait de sa jurisprudence que le recours approprié pour dénoncer l’inaction des pouvoirs publics était le recours ordinaire en carence, y compris lorsque l’inaction consistait en l’absence de réponse adéquate et rapide à une demande administrative. Il a de surcroît estimé que si, dans d’autres affaires dans lesquelles les pouvoirs publics avaient été mis en cause pour leur inaction, il avait jugé que la présentation d’un recours en carence n’excluait pas en soi la possibilité de former un recours en amparo, il fallait néanmoins, pour se prévaloir de cette possibilité, que l’inaction ait emporté la violation de droits fondamentaux et que la carence ne permette pas au demandeur d’obtenir réparation effective. Or, en l’espèce, rien ne venait démontrer que les auteurs subiraient un préjudice inévitable ou irréparable s’ils utilisaient le recours en carence, ni que ce recours ne leur permettrait pas d’obtenir réparation. Le Tribunal a rappelé que, selon sa jurisprudence pertinente, le recours en amparo était recevable à condition : a) que les recours ordinaires aient été épuisés sans que les griefs soulevés aient été tranchés de manière satisfaisante ; ou b) qu’il ait été démontré que les recours ordinaires ne permettraient pas de trancher les griefs soulevés de manière satisfaisante ; or, les auteurs n’avaient rempli ni l’une ni l’autre de ces conditions.

2.7Les auteurs déclarent que, comme la décision du 18 juin 2012 n’était pas susceptible d’appel, le 22 octobre 2012, ils ont présenté une seconde pétition au Ministère du pouvoir populaire pour la santé, identique sur le fond à la première. Le 26 décembre 2012, après que le délai de réponse de 20 jours a expiré sans que le Ministère ait donné suite à leur demande, les auteurs ont adressé une nouvelle communication à la Ministre, réitérant une nouvelle fois leur demande d’informations et faisant observer que leur pétition du 22 octobre 2012 était restée lettre morte. Le 6 février 2013, n’ayant toujours pas obtenu de réponse, les auteurs ont de nouveau adressé un courrier au Ministère, insistant pour qu’il soit fait droit à leurs demandes, y compris celles des 22 octobre et 26 décembre 2012.

2.8Face au silence du Ministère du pouvoir populaire pour la santé, le 23 mai 2013, les auteurs ont déposé auprès de la chambre des affaires politiques et administratives du Tribunal suprême un recours en carence dans lequel ils reprenaient la thèse avancée dans leurs recours en amparo, à savoir qu’ils avaient été victimes d’une violation de leurs droits constitutionnels d’accéder à l’information, de présenter une pétition aux pouvoirs publics et d’obtenir une réponse rapide et adéquate, et d’exercer leur liberté d’expression. Les auteurs soutenaient que la chambre des affaires politiques et administratives était l’instance compétente car le recours en carence servait à dénoncer tout manquement des pouvoirs publics, y compris des ministres, à leur obligation d’accomplir un acte prévu par la loi, y compris lorsque ce manquement résultait d’une omission, comme c’était le cas en l’espèce puisque la Ministre concernée n’avait jamais répondu à leur pétition du 22 octobre 2012, et ce, bien qu’ils aient insisté à deux reprises. Les auteurs ont demandé au Tribunal d’appliquer au recours en carence les délais prévus pour le recours en amparo, faisant valoir que les violations dénoncées concernaient des droits garantis par la Constitution et qu’il fallait y mettre fin rapidement, comme prévu par la loi sur les droits et garanties constitutionnels (loi sur l’amparo) et conformément à la jurisprudence de la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême.

2.9Les auteurs ont rappelé que, bien que le droit international des droits de l’homme n’exigeait pas que l’auteur d’une pétition démontre un intérêt personnel à connaître les informations demandées, ils avaient néanmoins précisé que les informations recherchées seraient reproduites dans les rapports établis par les organisations dont ils sont membres, l’objectif étant de suivre l’application des recommandations formulées par le Bureau du contrôleur général pour mettre fin aux irrégularités constatées dans l’achat, le stockage et la distribution de médicaments. À l’appui de leurs prétentions, ils ont fourni des copies de plusieurs articles de journaux faisant état de la pénurie de médicaments dans l’État partie. Enfin, ils ont demandé, à titre de mesure provisoire, qu’il soit ordonné à la Ministre du pouvoir populaire pour la santé de répondre immédiatement à la pétition, faisant valoir qu’il y avait urgence étant donné que la pénurie concernait aussi les médicaments permettant de traiter des pathologies graves telles que le sida, l’hypertension, la maladie d’Alzheimer et le diabète, comme le confirmaient les articles de journaux versés au dossier.

2.10À plusieurs reprises, les auteurs ont demandé à la chambre des affaires politiques et administratives du Tribunal suprême de déclarer leur recours recevable et de le trancher rapidement. Le 6 août 2014, le Tribunal a néanmoins déclaré le recours irrecevable, se référant à la jurisprudence de la chambre constitutionnelle selon laquelle le droit à l’information est soumis à certaines limites, à savoir que : a) la personne qui demande des informations aux pouvoirs publics doit préciser pourquoi elle a besoin des informations en question ; et b) la demande doit être proportionnée à l’objectif recherché.

2.11Le Tribunal suprême a estimé que les auteurs n’avaient pas dûment expliqué pourquoi ils avaient besoin des informations demandées au Ministère du pouvoir populaire pour la santé, car les éléments qu’ils avaient fournis à l’appui de leurs prétentions ne permettaient pas de conclure à l’existence d’irrégularités dans l’achat, la distribution et le stockage de médicaments. Selon le Tribunal, le rapport établi en 2010 par le Bureau du Contrôleur général de la République ne constituait pas une preuve des irrégularités alléguées. Le Tribunal a également estimé que les auteurs n’avaient pas expliqué dans quelle mesure la publication des informations demandées dans les rapports annuels et sur les sites Web des organisations concernées pourrait leur être utile, ni comment elle pourrait conduire à une amélioration des procédures d’achat de médicaments, et que la demande n’était donc pas proportionnée à l’objectif recherché. En conséquence, il a jugé que le recours des auteurs ne remplissait pas les conditions fixées dans la jurisprudence susmentionnée. De surcroît, il a dit que, si chacun avait le droit de demander des informations aux pouvoirs publics et de recevoir une réponse adéquate et rapide, l’exercice de ce droit ne pouvait entraver le bon fonctionnement de l’administration, sachant que celle-ci devait assumer une charge de travail supplémentaire injustifiée lorsqu’elle devait consacrer des ressources humaines et financières à l’examen de demandes comme celle des auteurs. Enfin, le Tribunal a fait observer que les informations du type de celles demandées par les auteurs figuraient dans les rapports annuels publics que les différents ministères soumettaient à l’Assemblée nationale.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé le droit à la liberté d’expression qu’ils tiennent de l’article 19 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 1), en particulier en ce qui concerne la liberté d’accéder à l’information ; le droit de prendre part à la direction des affaires publiques qu’ils tiennent de l’article 25, lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 19 ; et le droit à un recours judiciaire utile et à une procédure régulière qu’ils tiennent de l’article 14, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3). Ils affirment également que l’État partie a porté atteinte à l’article 2 (par. 2) du Pacte, qui consacre l’obligation d’adopter toutes mesures législatives ou autres propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte.

3.2Les auteurs se réfèrent à l’observation générale no 34 (2011), dans laquelle le Comité a dit que l’article 19 (par. 2) du Pacte consacrait le droit d’accéder à l’information détenue par l’État et que les États parties devaient protéger ce droit en établissant des procédures permettant d’obtenir facilement, rapidement et effectivement les informations demandées en temps voulu, conformément aux règles établies par le Pacte. Ils soulignent que le Comité a dit que les droits reconnus à l’article 25 du Pacte emportaient la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations, y compris les informations concernant les affaires publiques. À cet égard, ils se réfèrent aux constatations adoptées dans l’affaire Toktakunov c. Kirghizistan, dans laquelle le Comité a estimé que l’article 19 (par. 2) du Pacte garantissait le droit de chacun de recevoir des informations détenues par l’État, étant entendu que des restrictions pouvaient être imposées pour les motifs prévus par le Pacte. Ils soulignent que, dans ces constatations, le Comité a déclaré que « les informations devraient être obtenues sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve d’un intérêt direct ou d’une implication personnelle, sauf dans les cas où une restriction légitime est appliquée », et que le droit d’accéder à l’information publique n’est pas l’apanage des médias et peut aussi être exercé par des associations publiques ou des particuliers.

3.3Les auteurs signalent que les États parties doivent garantir le droit d’accéder à l’information dans ses deux dimensions, à savoir la dimension individuelle et la dimension sociale. La première concerne le droit qu’a toute personne de rechercher des informations détenues par l’État, qui emporte pour celui-ci l’obligation de fournir les informations demandées ; la seconde concerne le droit qu’a le public de connaître les informations détenues par l’État. Les auteurs soutiennent que, si le droit d’accéder à l’information n’est pas absolu, les restrictions qui lui sont apportées doivent néanmoins satisfaire aux conditions fixées par le Pacte, c’est-à-dire être nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

3.4Les auteurs citent divers instruments relatifs à la liberté d’expression, ainsi que la jurisprudence pertinente d’organismes régionaux de protection des droits de l’homme. Ils tirent argument de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression, adoptée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme en 2000, selon laquelle l’accès à l’information détenue par l’État est un droit fondamental qu’a toute personne et que les États sont tenus de garantir. Ils se réfèrent aussi à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Társaság A Szabadságjogok é rt c. Hongrie, dans lequel la Cour a dit que les obstacles dressés pour restreindre l’accès aux informations d’intérêt public risquaient de décourager ceux qui travaillent dans les médias ou dans des domaines connexes de surveiller la conduite des affaires publiques, et donc de les empêcher de jouer leur indispensable rôle de surveillance publique et d’entraver leur aptitude à fournir des informations précises et fiables. Par ailleurs, les auteurs signalent que l’État partie a enfreint plusieurs dispositions de droit interne, à savoir les articles 51 (droit de pétition), 57 et 58(liberté d’expression) et 143 (accès à l’information) de la Constitution, les articles 2 et 5 (droit de pétition) de la loi organique sur les procédures administratives et l’article 9 (obligation de répondre aux pétitions des citoyens) de la loi organique sur l’administration publique.

3.5Les auteurs indiquent que, comme l’a déclaré le Comité, les associations civiles ont le droit de diffuser toutes informations utiles à la promotion et à la protection des droits de l’homme dès lors que cela ne trouble pas l’ordre public et ne porte pas atteinte à la sécurité nationale ou à un autre intérêt dont la sauvegarde justifie selon le Pacte l’imposition d’une restriction à la liberté d’expression. Les associations qui ont adressé la pétition au Ministère du pouvoir populaire pour la santé n’ont fait que se prévaloir de ce droit et tenter d’exercer une « surveillance sociale » sur l’action des pouvoirs publics. Les auteurs rappellent que ni eux ni les associations en question n’étaient tenus de démontrer un intérêt personnel ou direct à connaître les informations demandées, d’autant qu’il s’agissait d’informations de santé publique. En outre, ils soutiennent que la communication d’informations concernant des irrégularités dans l’achat de médicaments ne saurait être restreinte étant donné qu’aucune restriction n’est prévue par la loi ni nécessaire dans une société démocratique ou pour protéger un intérêt supérieur visé dans le Pacte. De surcroît, les informations demandées ne sont pas de nature personnelle, et leur divulgation ne risque donc pas de porter atteinte au droit à la vie privée ou à la réputation d’autrui ni de menacer la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques. Au contraire, ces informations doivent être publiques, car il est nécessaire de savoir comment se passent l’achat, de la distribution et du stockage des médicaments et ce qui a été fait pour résoudre les problèmes constatés à cet égard si l’on veut engager un débat public sur les moyens d’améliorer la situation et permettre à la population de voter aux futures élections en toute connaissance de cause.

3.6Les auteurs estiment que l’autorité qui refuse de communiquer des informations doit en expliquer la raison et démontrer que son refus s’inscrit dans la poursuite d’un objectif légitime, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

3.7Les auteurs signalent que le droit d’accéder à l’information et le droit à la santé sont liés et que, dans des cas comme l’espèce, il peut être porté atteinte à l’un et à l’autre. Renvoyant à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ils soutiennent que le droit à la santé consacré par cette disposition emporte l’obligation pour l’État de garantir à la population l’accès à des médicaments sûrs et disponibles en quantité suffisante. Ils fournissent à cet égard un rapport intitulé « Contexto venezolano : acceso a la información pública y disponibilidad de medicinas », dont il ressort que, au Venezuela, plusieurs obstacles juridiques et pratiques limitent l’accès à l’information concernant la disponibilité des médicaments. Du point de vue juridique, il est impossible, par exemple, d’utiliser le recours en amparo pour faire valoir le droit d’accéder à cette information, et, du point de vue pratique, une étude a révélé que 87 % des demandes d’informations adressées aux autorités publiques en 2013 étaient restées lettre morte. En ce qui concerne la disponibilité des médicaments, il apparaît que le Bureau du contrôleur général a mis en évidence des irrégularités dans l’achat, le stockage et la distribution des médicaments dans ses rapports de 2010, 2011 et 2013. Dans le rapport de 2013, par exemple, il est indiqué que, en septembre 2013, au lieu d’avoir reçu comme prévu 74 % des médicaments achetés, les autorités n’en avaient reçu que 0,84 %. En août 2014, l’association vénézuélienne des distributeurs de produits médicaux, dentaires, pharmaceutiques, de laboratoire et autres produits de santé a publié une déclaration dans laquelle elle exprimait sa préoccupation face à l’absence totale ou partielle de certaines fournitures médicales. L’association signalait que la pénurie était devenue à ce point grave que le pays se trouvait dans une situation de crise sanitaire et humanitaire, notamment à cause de la négligence du Ministère du pouvoir populaire pour la santé, qui n’avait pas renouvelé des centaines d’autorisations d’importation de fournitures médicales, et du fait que l’État avait accumulé 350 millions de dollars des États-Unis de dette envers des sociétés pharmaceutiques étrangères.

3.8En ce qui concerne l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les auteurs signalent que, comme le Comité l’a dit dans son observation générale no 25 (1996), la libre circulation, entre les citoyens, des informations et des idées portant sur des questions publiques et politiques est indispensable au plein exercice des droits protégés par l’article 25, et suppose l’existence de médias libres pouvant commenter toute question publique sans censure ni restriction et capables d’informer l’opinion publique. Les États parties sont donc tenus de fournir au public le plus d’informations possible de manière informelle, en particulier lorsque les informations demandées concernent des politiques qui, comme en l’espèce, ont trait au droit à la santé, garanti tant par la Constitution que par les traités internationaux auxquels l’État est partie. En conséquence, les auteurs estiment que, en ne répondant pas aux pétitions qui font l’objet de la présente communication, l’État partie a porté atteinte aux dispositions de l’article 25 du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 2 (par. 1).

3.9En ce qui concerne les griefs tirés des articles 14 et 2 (par. 3) du Pacte, les auteurs font valoir que ces dispositions exigent que les États parties garantissent à tous les individus dont les droits ont été violés et qui se trouvent sur leur territoire et relèvent de leur juridiction la possibilité d’accéder à un recours utile dans le cadre duquel une autorité compétente statuera sur les violations alléguées. Or, ils estiment avoir été privés de l’accès à un recours judiciaire simple, rapide et efficace à deux reprises : lorsque leur recours en amparo, déposé le 19 mars 2012, a été déclaré irrecevable, et lorsque leur recours en carence, déposé le 23 mai 2013, a lui aussi été déclaré irrecevable.

3.10Les auteurs avancent que le Tribunal suprême a rejeté le recours en amparo sans avoir dûment étayé sa décision et pour des motifs contraires tant à la législation interne qu’au droit international. En ce qui concerne la législation interne, les auteurs font valoir que la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême a dit que l’amparo était la voie de recours appropriée pour dénoncer les violations du droit à l’information, et renvoient à une opinion dissidente (individuelle) allant dans ce sens exprimée dans une autre affaire ainsi qu’à des articles académiques et à des décisions de la chambre des affaires politiques et administratives du Tribunal suprême rendues préalablement à l’adoption de la Constitution de 1999. En ce qui concerne le droit international, ils réaffirment que le rejet de leur recours en amparo a porté atteinte aux articles 2 (par. 3) et 14 du Pacte et que ce recours était le seul recours utile à leur disposition étant donné que le recours en carence a été examiné tardivement et sans de surcroît que le Tribunal motive sa décision.

3.11Les auteurs font observer que le Tribunal a mis très longtemps − un an et deux mois − à se prononcer sur leur recours en carence, alors pourtant qu’ils avaient demandé qu’il soit traité dans les délais applicables au recours en amparo. Ils soutiennent qu’ils n’avaient pas besoin d’apporter la preuve des irrégularités constatées par le Bureau du contrôleur général, car d’une part la loi ne l’exigeait pas, et d’autre part les rapports du Bureau du contrôleur général sont publics. Ils soutiennent également qu’ils n’avaient pas besoin de justifier leur demande, ni d’expliquer en quoi l’obtention des informations recherchées permettrait de corriger les irrégularités constatées. Ils rappellent que, sauf restriction légitime, les justiciables ont le droit d’obtenir toutes informations détenues par l’État sans avoir à prouver qu’ils ont un intérêt direct ou personnel à les connaître, et soutiennent que, comme l’a dit la chambre des affaires politiques et administratives dans sa décision du 6 août 2014, les demandes tendant à obtenir des informations détenues par l’État ne sauraient être considérées comme entravant le bon fonctionnement de l’administration publique. De fait, les considérer comme telles irait à l’encontre du droit d’accéder à l’information, les États étant tenus de garantir la transparence de leurs actions et de répondre avec toute la diligence voulue aux pétitions des particuliers. Les auteurs avancent en outre que, contrairement à ce qu’a dit le Tribunal suprême, les informations demandées ne figurent dans aucun des rapports annuels de gestion du Ministère du pouvoir populaire pour la santé, qui ne prend guère l’initiative lorsqu’il s’agit de communiquer des renseignements sur ses activités. D’ailleurs, au moment de la présentation de la communication, seuls les rapports de 2002 à 2008 étaient disponibles sur son site Web. Enfin, les informations accessibles au public ne répondent pas aux questions posées par les auteurs concernant l’achat et la distribution de médicaments.

3.12En ce qui concerne la violation de l’article 2 (par. 2) du Pacte, les auteurs affirment que, si le droit à l’information est consacré par la Constitution et divers textes de loi, l’État partie ne s’est toutefois pas doté d’un règlement expressément destiné à faciliter l’exercice de ce droit en apportant des réponses aux questions laissées en suspens dans la législation et la jurisprudence. Ils avancent que l’État partie devrait adopter une loi fondée sur le modèle de loi relative à l’accès à l’information publique adopté par l’Organisation des États américains, ce qui permettrait de combler les lacunes actuelles, parmi lesquelles le fait qu’aucune procédure judiciaire n’est véritablement adaptée aux affaires concernant des demandes d’informations détenues par l’État et le fait que les fonctionnaires qui refusent de fournir les informations demandées ne sont passibles d’aucune sanction. Les auteurs estiment que les lacunes de la législation nationale sur le droit d’accéder à l’information ont entraîné une violation de l’article 2 (par. 2) du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Le 23 août 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la communication. Commençant par commenter les faits rapportés par les auteurs, il nie avoir refusé de fournir des informations sur le système de santé, et renvoie à cet égard à sa réponse à l’appel urgent que le Rapporteur spécial sur le droit à la santé et le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains lui avaient lancé en juillet 2015 concernant la pénurie de fournitures médicales et de médicaments. Dans cette réponse, il informa le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme des mesures prises pour renforcer la planification au sein du système de santé publique ainsi que des politiques adoptées aux fins de la promotion, du rétablissement et de la consolidation de la santé.

4.2L’État partie signale qu’il a pris diverses mesures pour réglementer l’achat, le stockage et la distribution des médicaments, et notamment qu’il a adopté, par l’intermédiaire de la vice-présidence, un plan visant à garantir l’approvisionnement en médicaments achetés à l’étranger ; a conclu avec l’Organisation panaméricaine de la santé des accords visant à garantir l’accès gratuit aux médicaments contre le VIH et le cancer, entre autres ; a établi des unités de contrôle de l’approvisionnement, composées de médecins, chargées d’analyser les besoins de la population et de résoudre les problèmes de distribution ; et a commencé à utiliser le système global d’accès aux médicaments (SIAMED), dans lequel sont consignées les informations relatives aux demandes de médicaments pour les maladies chroniques et qui permet aux utilisateurs de se renseigner par SMS sur la disponibilité de tel ou tel médicament et aux autorités d’établir des statistiques sur la consommation de médicaments et la demande réelle.

4.3L’État partie avance que les allégations des auteurs concernant la jurisprudence de la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême sont fausses et que les intéressés savaient que le Tribunal estimait que le recours approprié pour dénoncer une inaction des pouvoirs publics était le recours en carence, comme il l’a d’ailleurs rappelé dans sa décision du 18 juin 2012. Les auteurs ont malgré tout décidé de présenter un recours en amparo, ce qui montre leur mauvaise foi. L’État partie renvoie par ailleurs à la jurisprudence de la chambre des affaires politiques et administratives, selon laquelle le droit à l’information n’est pas absolu et peut être soumis à des restrictions.

4.4L’État partie soutient que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif car les recours internes n’ont pas été épuisés. Il se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle, outre les recours judiciaires et administratifs ordinaires, les auteurs doivent exercer tous autres recours judiciaires efficaces et disponibles. En l’espèce, les auteurs ont exercé un recours inapproprié − l’amparo − alors qu’il existait un recours approprié − la carence − dont ils n’ont pas démontré qu’il était inefficace ou indisponible, ce qui va à l’encontre de la jurisprudence du Comité.

4.5L’État partie soutient que les auteurs n’ont pas présenté suffisamment d’éléments à l’appui de leurs allégations et se contentent d’affirmer que l’absence de réponse des pouvoirs publics porte atteinte à leurs droits. Ils n’ont pas non plus expliqué ni démontré en quoi l’obtention des informations demandées aurait pu ou pourrait empêcher la violation du droit qu’ils cherchent à protéger.

4.6En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie soutient que l’on peut conclure de l’observation générale no 34 (2011) et des dispositions de l’article 19 du Pacte qu’il est tenu : a) de créer des mécanismes permettant à la population d’avoir accès aux informations d’intérêt ; b) de réglementer clairement l’exercice du droit d’accéder à l’information détenue par l’État ; c) de prévoir des recours permettant de dénoncer les violations de ce droit, y compris l’absence de réponses aux demandes d’informations. En ce qui concerne la première obligation, l’État partie renvoie aux mesures de planification prises dans le cadre du Service autonome des préparations pharmaceutiques et du SIAMED. En ce qui concerne la deuxième, il signale qu’il est doté de dispositions réglementant l’exercice du droit d’accéder à l’information détenue par l’État, parmi lesquelles l’article 143 de la Constitution, et que la jurisprudence de la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême prévoit des limites à ce droit, à savoir que le demandeur doit expliquer pourquoi il a besoin des informations demandées et que la demande doit être proportionnée au but recherché. Or, comme la chambre des affaires politiques et administratives du Tribunal suprême l’a constaté dans sa décision du 5 août 2014, les auteurs n’ont rempli aucune de ces conditions. En ce qui concerne la troisième obligation, l’État partie signale que les auteurs pouvaient présenter un recours en carence. En conséquence, l’État partie estime qu’il a agi en toute conformité avec les dispositions du Pacte relatives au droit d’accéder à l’information.

4.7L’État partie estime que les auteurs interprètent mal le Pacte lorsqu’ils affirment que la communication des informations demandées ne peut pas être restreinte parce qu’aucune restriction n’est prévue par la loi ni nécessaire pour protéger un intérêt supérieur visé dans le Pacte. Cette interprétation ne tient pas compte du fait que le Pacte autorise l’imposition de restrictions au droit d’accéder à l’information et que l’État partie s’est contenté de délimiter les contours de ces restrictions sans aucunement entraver l’exercice de ce droit.

4.8En ce qui concerne les allégations relatives à l’article 25 du Pacte, l’État partie soutient que les auteurs n’ont pas expliqué en quoi leur droit de prendre part à la direction des affaires publiques avait été entravé étant donné qu’ils ne disent pas avoir été empêchés d’accéder à des fonctions exécutives ou des fonctions électives, d’exercer leur droit de vote ou de participer à des assemblées populaires.

4.9En ce qui concerne les allégations relatives à la violation du droit à un recours utile, l’État partie renvoie à l’observation générale no 34 (2011), dans laquelle il est dit que les États parties ont l’obligation de prévoir des recours permettant de contester l’absence de réponse à une demande d’informations, et réaffirme qu’il s’acquitte de cette obligation en mettant le recours en carence à la disposition des justiciables.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 5 février 2019, les auteurs ont présenté des commentaires dans lesquels ils avancent qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles dans l’État partie étant donné qu’ils ont d’abord déposé un recours en amparo, puis un recours en carence, et que tous deux ont été déclarés irrecevables.

5.2Pour ce qui est des observations de l’État partie sur le fond de la communication, les auteurs soutiennent que l’État partie aurait dû leur communiquer les informations concernant les mesures prises en matière d’achat et de distribution de médicaments au moment où ils les ont demandées au Ministère du pouvoir populaire pour la santé, et non attendre qu’ils saisissent le Comité. En outre, ils soutiennent que la communication de ces informations ne change rien au fait que l’État partie a porté atteinte à leurs droits, la violation qu’ils dénoncent tenant justement au fait que le Ministère a refusé de répondre à leurs demandes. De surcroît, les informations fournies sont incomplètes et ne répondent pas expressément aux questions soulevées dans les pétitions des auteurs en ce qu’elles ne contiennent aucune référence aux recommandations du Bureau du contrôleur général.

5.3S’agissant des griefs tirés de l’article 19, les auteurs avancent que, contrairement à ce que l’État partie soutient, le Pacte n’autorise d’autres restrictions au droit d’accéder à l’information que celles qui répondent au triple critère de légalité, de légitimité et de nécessité (y compris la proportionnalité) et que la jurisprudence de la chambre des affaires politiques et administratives fait apparaître l’imposition de restrictions qui n’entrent dans aucune de ces catégories. Ils réaffirment que la communication d’informations concernant l’achat et la distribution de médicaments n’est soumise à aucune restriction fixée par la loi, nécessaire (ou proportionnelle) dans une société démocratique, ou indispensable à la poursuite d’un objectif légitime énoncé dans le Pacte. Ils réaffirment également qu’ils n’avaient pas besoin de justifier leur demande d’informations étant donné que, selon la jurisprudence du Comité, il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve d’un intérêt direct ou personnel à connaître telle ou telle information pour l’obtenir. Enfin, ils rappellent que, dans une société démocratique, les défenseurs des droits de l’homme et les associations civiles ont le droit de diffuser des informations importantes pour la protection des droits de l’homme, y compris le droit à la santé, qui est concerné en l’espèce, sachant que c’est ainsi qu’ils exercent un contrôle sur les activités des pouvoirs publics et jouent leur rôle de surveillance.

5.4Les auteurs avancent que l’interprétation que l’État partie fait de l’article 25 du Pacte est très restrictive et que le droit de participer aux affaires publiques englobe à la fois le droit d’accéder à l’information et le droit de prendre part aux affaires publiques, qui sont intimement liés. Demander des informations détenues par l’État est un moyen de prendre part aux affaires publiques, et avoir libre accès à ces informations favorise la participation à la vie politique et à la prise de décisions, ce qui permet à la société d’exercer un contrôle sur les activités des pouvoirs publics. Sans ces informations, il n’est pas possible de prendre part aux affaires publiques, ni de proposer des améliorations des politiques publiques, ce qui nuit au débat démocratique.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes car ils ont exercé un recours inapproprié − l’amparo − alors qu’il existait un recours approprié − la carence − dont ils n’ont pas démontré qu’il était inefficace ou indisponible, ce qui va à l’encontre de sa jurisprudence. Il constate que, faute de réponse du Ministère du pouvoir populaire pour la santé à leur demande d’informations du 29 août 2011, le 19 mars 2012, les auteurs ont déposé un recours en amparo devant la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême, qui a déclaré le recours irrecevable le 18 juin 2012, estimant que les auteurs auraient dû former un recours en carence. Il constate également que les auteurs ont présenté une seconde pétition au Ministère le 22 octobre 2012, qu’ils ont représenté leur demande à deux reprises encore et que, en l’absence de réponse, le 23 mai 2013, ils ont présenté un recours en carence auprès de la chambre des affaires politiques et administratives du Tribunal suprême. Il note que ce recours a été déclaré irrecevable le 6 août 2014 au motif que les pétitions des auteurs ne satisfaisaient pas les critères établis dans la jurisprudence du Tribunal. Il note également que, après que leur recours en amparo a été déclaré irrecevable, les auteurs ont introduit un recours en carence, qui est selon la chambre constitutionnelle le recours approprié pour dénoncer l’absence de réponse des pouvoirs publics à une demande d’informations, et que ce recours a également été déclaré irrecevable. De surcroît, le Comité constate que l’État partie ne mentionne aucun autre recours utile que les auteurs auraient dû épuiser. Partant, il estime qu’il est satisfait aux conditions énoncées aux paragraphes 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.3Le Comité note que les auteurs allèguent que l’État partie a porté atteinte aux droits qu’ils tiennent de l’article 2 (par. 2) du Pacte, car, si la Constitution et divers textes de loi consacrent le droit à l’information, aucun règlement ne vient clairement et expressément en faciliter l’exercice. Il rappelle que les dispositions de l’article 2 (par. 2) du Pacte énoncent une obligation générale faite aux États parties et ne peuvent donc être invoquées indépendamment dans une communication. Par conséquent, le Comité déclare que ce grief est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note des griefs que les auteurs tirent des articles 14 et 2 (par. 3) du Pacte, à savoir que les États parties sont tenus de garantir à tous les individus dont les droits ont été violés et qui se trouvent sur leur territoire ou sous leur juridiction la possibilité d’accéder à un recours utile dans le cadre duquel une autorité compétente statuera sur les violations alléguées et que, en l’espèce, l’État partie ne s’est pas acquitté de cette obligation étant donné qu’ils n’ont pas eu accès à un recours judiciaire simple, rapide et utile. Il note que les auteurs estiment que les articles susmentionnés ont été bafoués tant par la décision de déclarer irrecevable leur recours en amparo alors qu’ils n’avaient pas d’autre recours utile à leur disposition que par celle de déclarer irrecevable leur recours en carence après une procédure excessivement longue et sur le fondement de dispositions qu’ils considèrent contraires au droit d’accéder à l’information. Le Comité note également que l’État partie soutient qu’il s’est acquitté de l’obligation qui lui est faite par le Pacte d’offrir un recours aux justiciables dont les demandes d’informations restent sans réponse puisqu’il existe au Venezuela la possibilité d’introduire un recours en carence.

6.5Le Comité note que les auteurs n’allèguent pas un manque d’indépendance ou d’impartialité de la part du Tribunal suprême dans l’examen des recours susmentionnés et qu’ils ont eu la possibilité d’exercer les recours disponibles en droit interne pour demander la protection des droits dont ils alléguaient la violation. En outre, il constate que les auteurs n’étayent pas l’argument selon lequel le Tribunal suprême a tardé à statuer sur le recours en carence et n’expliquent pas non plus les conséquences que ce retard aurait eues sur l’exercice de leurs droits, et qu’ils se bornent à exprimer leur désaccord avec le raisonnement suivi par les tribunaux nationaux qui ont statué sur leurs recours. Le Comité rappelle que le fait qu’une décision de justice soit défavorable à l’auteur ne suffit pas à conclure qu’elle est infondée ou arbitraire. Compte tenu de ce qui précède et du fait que les auteurs n’ont pas démontré en quoi le rejet de leurs recours a en soi constitué une violation du Pacte, le Comité estime que les griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité estime que les griefs que les auteurs tirent des articles 19 (par. 2) et 25 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Partant, il les déclare recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que les auteurs soutiennent qu’ils ont été victimes d’une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 19 (par. 2) du Pacte parce que, contrairement aux règles énoncées dans cet instrument, l’État partie ne leur a pas permis d’avoir rapidement, facilement et effectivement accès à l’information, faute d’avoir établi des procédures garantissant le traitement opportun des demandes d’informations adressées à des organismes publics. Il note également que l’État partie soutient qu’il a respecté les obligations mises à sa charge par le Pacte en établissant des mécanismes permettant à la population d’avoir accès aux informations d’intérêt public ; en établissant des règles régissant clairement l’exercice du droit d’accéder à l’information, règles qui découlent en particulier de l’article 143 de la Constitution et de la jurisprudence pertinente du Tribunal suprême, dont il ressort que les demandeurs doivent démontrer qu’ils ont un intérêt à connaître les informations demandées et que leur demande est proportionnée au but recherché ; et en offrant un recours − la carence, dont les auteurs ont pu se prévaloir − permettant de dénoncer le refus de tel ou tel organisme public de communiquer des informations ou de répondre à une demande d’informations.

7.3Le Comité rappelle que le droit d’accéder à l’information comprend le droit qu’ont les médias, les associations publiques et les particuliers, lorsqu’ils remplissent certaines conditions, d’avoir accès aux informations concernant les affaires publiques, ainsi que le droit du public de recevoir les informations recueillies par les médias et les associations en question. Il rappelle également que le demandeur n’a pas besoin de prouver qu’il a un intérêt direct ou personnel à connaître les informations qu’il demande, sauf dans les cas où une restriction légitime s’applique. En l’espèce, il constate que les auteurs sont membres d’associations qui jouent un rôle de surveillance de l’action menée par les pouvoirs publics vis-à-vis de questions suscitant une légitime inquiétude parmi la population, et que leur droit d’accéder à l’information est donc protégé par le Pacte. Il réaffirme que les États parties doivent garantir le droit d’accéder à l’information dans ses deux dimensions, à savoir la dimension individuelle et la dimension sociale, la première concernant le droit qu’a toute personne de rechercher des informations détenues par l’État, et la seconde, le droit qu’a le public de connaître les informations détenues par l’État. Partant, le Comité conclut que la demande d’informations des auteurs relevait de l’article 19 du Pacte et que le refus de l’État partie de fournir les informations demandées a constitué une restriction de ce droit.

7.4Il appartient à présent au Comité de déterminer si, en l’espèce, les restrictions imposées par l’État partie sont justifiées au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte. Le Comité rappelle que cet article autorise les seules restrictions qui sont fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il note que, selon les auteurs, les restrictions imposées par l’État partie ne remplissaient pas ces conditions étant donné qu’aucune loi ne prévoit de restriction à la liberté de rechercher des informations concernant des irrégularités dans l’achat et la distribution de médicaments et que la communication de pareilles informations, qui ne sont pas de nature personnelle, ne peut pas porter atteinte à la réputation d’autrui, ni menacer la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques. Les auteurs soutiennent que, au contraire, les informations demandées doivent être rendues publiques, car la population doit savoir quelles mesures ont été prises pour mettre un terme aux irrégularités constatées dans l’achat et la distribution de médicaments, les mesures en question concernant de près le droit à la santé compte tenu de la pénurie de médicaments dans l’État partie.

7.5Le Comité rappelle, comme il l’a dit dans son observation générale no 34 (2011), que lorsqu’un État partie invoque un motif légitime pour restreindre la liberté d’expression, il doit démontrer qu’il existe une menace précise et concrète et que la restriction imposée est nécessaire et proportionnée, et notamment établir un lien direct et immédiat entre l’exercice de la liberté d’expression et la menace. Le Comité note que l’État partie soutient qu’il a respecté les conditions énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte en ce qu’il n’a fait que délimiter les contours des restrictions autorisées sans aucunement entraver l’exercice du droit d’accéder à l’information. Le Comité note également, toutefois, que l’État partie n’a pas expliqué pour quelle raison concrète il avait restreint les droits que les auteurs tiennent de l’article 19 (par. 2) du Pacte, ni démontré que les restrictions apportées étaient nécessaires. En conséquence, il estime que l’État partie n’a pas démontré que le refus de répondre aux demandes des auteurs tendant à la communication d’informations sur l’achat, le stockage et la distribution de médicaments était justifié au regard des critères énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte, et conclut qu’il a été porté atteinte aux droits que les auteurs tiennent de l’article 19 (par. 2).

7.6Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les allégations de violation de l’article 25 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent de l’article 19 (par. 2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs une réparation effective, notamment de répondre rapidement à leurs demandes d’informations concernant l’achat et la distribution de médicaments en leur fournissant des renseignements complets et à jour et de leur rembourser les frais engagés dans le cadre des procédures internes et de la saisine du Comité. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.