Nations Unies

CCPR/C/135/D/3142/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 octobre 2023

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 3142/2018 * , **

Communication présentée par :

M. C. I. C. (représentée par un conseil, Jaime Elías Ortega)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Espagne

Date de la communication :

23 janvier 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 mars 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision  :

27 juillet 2022

Objet :

Droit à la présomption d’innocence, droit à la liberté d’association, droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur des motifs politiques

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; défaut de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Accès à la justice, non-discrimination, droits de la victime

Article(s) du Pacte :

14 (par. 2), 22 (par. 1 et 2) et 26

Article(s) du Protocole facultatif  :

3 et 5 (par. 2)

1.L’auteure de la communication est M. C. I. C., de nationalité espagnole, née le 27 août 1942. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 14 (par. 2), 22 (par. 1 et 2) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 28 mars 1980, l’auteure et son mari ont été victimes d’un attentat terroriste au cours duquel la voiture où se trouvait son mari et dans laquelle elle s’apprêtait à prendre place a explosé. L’attentat a été revendiqué par le Bataillon basque espagnol, commando Emilio Guezala. À cause de l’explosion, le mari de l’auteure a subi une amputation traumatique de la jambe et de l’avant-bras gauches, ainsi que de graves blessures à l’abdomen et une fracture du tibia, du péroné et de l’arrière-pied droits. Quant à l’auteure, elle a subi des brûlures aux premier et deuxième degrés, des blessures au cuir chevelu et une perte d’audition due à une perforation de son tympan gauche.

2.2Le 7 septembre 1992, le mari de l’auteure est décédé et, conformément à la loi 32/1999 sur la solidarité avec les victimes du terrorisme, par décision du 4 mai 2001, le Ministère de l’intérieur a accordé à l’auteure, ainsi qu’à ses enfants − en leur qualité d’héritiers − une indemnisation pour invalidité permanente complète du conjoint.

2.3Le 22 septembre 2011 a été promulguée la loi 29/2011 relative à la reconnaissance et la protection intégrale des victimes du terrorisme, dont l’article premier dispose ce qui suit : « La présente loi vise à reconnaître les victimes du terrorisme et à établir un régime d’indemnisation, d’aide, de prestations, de garanties et de distinctions honorifiques afin de prendre en compte et d’atténuer, dans la mesure du possible, les conséquences des actes terroristes pour les victimes et leurs familles ou les personnes ayant subi un préjudice à la suite d’un acte terroriste ». L’article 3 (par. 2) de la loi prévoit que ses dispositions « s’appliquent également aux victimes d’actes commis dans la poursuite des objectifs visés au paragraphe précédent, même lorsque leurs auteurs ne sont pas membres de ces organisations ou groupes criminels ». D’autre part, après l’adoption de la loi 17/2012 du 27 décembre relative au budget général de l’État pour 2013, la loi 29/2011 a été modifiée par l’ajout de l’article 3 bis fixant les conditions requises pour l’attribution des aides et prestations prévues par la loi, qui, en son paragraphe 2, dispose ce qui suit : « L’octroi des aides et prestations prévues par la présente loi est soumis aux principes qui, en matière d’indemnisation des victimes, sont énoncés dans la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes ». Selon l’article 8 de cette Convention, « le dédommagement peut être réduit ou supprimé si la victime ou le requérant est impliqué(e) dans la criminalité organisée ou appartient à une organisation qui se livre à des infractions de violence ».

2.4Le 3 mai 2012, sur le fondement de la loi 29/2011, l’auteure a déposé devant la Direction générale d’appui aux victimes du terrorisme du Ministère de l’intérieur une demande d’indemnisation pour « lésions permanentes non invalidantes et non établies de manière définitive par une décision de justice », au titre des dommages corporels subis lors de l’attentat terroriste du 28 mars 1980. Le 25 juin 2013, le Ministère de l’intérieur a rejeté la demande de l’auteure, en s’appuyant sur les dispositions de l’article 3 bis de la loi 29/2011 pour constater que, d’après un rapport reçu le 28 mai 2013 du Secrétaire d’État à la sécurité réaffirmant l’appartenance des deux époux à Gestoras Pro Amnistía et à Herri Batasuna, ainsi que des informations tirées d’articles de presse établissant des liens entre le couple et lesdites organisations, « le critère de la participation de l’intéressée à des organisations illégales, par le soutien qu’elle a apporté à l’organisation terroriste [Euskadi Ta Askatasuna (ETA)], [était] rempli en l’espèce ». L’auteure fait observer que ces deux organisations étaient légales en 1980 et qu’elles ont été interdites par l’Audiencia Nacional dans les années 2000, après qu’on eut constaté qu’elles avaient des liens avec l’organisation terroriste ETA.

2.5L’auteure a formé, le 27 septembre 2013, un premier recours contentieux administratif contre la décision du 25 juin 2013 du Ministère de l’intérieur, puis, le 8 janvier 2014, un second recours, par lequel : a) elle réaffirmait le droit à l’indemnisation demandée en application de la loi 29/2011 ; b) elle déclarait « ne pas appartenir et n’avoir jamais appartenu à Gestoras Pro Amnistía, à Herri Batasuna ni à aucune organisation qui se livrait à des infractions violentes », joignant à sa requête des preuves documentaires, un témoignage et une expertise. Le 25 mars 2014, le ministère public s’est opposé au recours, a contesté la recevabilité du témoignage, qu’il estimait inutile, et a demandé que l’auteure soit déboutée. Il s’est appuyé pour ce faire sur trois rapports datés des 21 février, 27 février et 7 mars 2014, établis respectivement par la Sous-Direction opérationnelle de la Direction générale de la Guardia Civil, le Commissariat général de la police et le Secrétaire d’État à la sécurité, dans lesquels, selon le ministère public, étaient présentés le parcours du mari en tant que membre actif de Herri Batasuna et de Gestoras Pro Amnistía, deux entités liées à l’ETA, et celui de l’auteure, qui avait rendu visite à certains membres de l’ETA afin de leur apporter un soutien moral et matériel. Le ministère public a également fait référence à des articles de presse qui établissaient un lien entre l’auteure et son époux et les deux groupes précités.

2.6Le 3 avril 2014, après avoir accepté la demande d’autorisation de recours de l’auteure, la Section du contentieux administratif a décidé, par une ordonnance relative aux moyens de preuve, de déclarer irrecevable le témoignage produit par l’auteure, le jugeant inutile. Le 15 avril 2014, l’auteure a déposé un recours en révision de l’ordonnance du 3 avril 2014, soulignant que le témoignage en question était pertinent, en ce qu’il pouvait éclairer de manière utile l’existence ou non de liens entre elle et les organisations interdites évoquées par le Ministère de l’intérieur. Le 11 septembre 2014, la Section du contentieux administratif a rejeté le recours en révision.

2.7Le 24 juin 2015, la cinquième chambre de la Section du contentieux administratif de l’Audiencia Nacional a rejeté le recours formé par l’auteure le 27 septembre 2013, constatant que « en l’absence de jugement de nature pénale, les tribunaux ont, compte tenu des éléments de preuve disponibles, le pouvoir de déterminer les éléments factuels sur lesquels repose la décision juridique qu’ils sont amenés à faire appliquer, sans qu’il y ait une quelconque violation du principe de légalité ou de présomption d’innocence, pour autant que les effets de la décision factuelle prise par le tribunal du contentieux administratif se limitent au seul domaine de compétence de celui-ci et n’aient aucune efficacité en matière pénale ». Partant, la cinquième chambre a conclu ce qui suit : « En ce qui concerne les liens entre [M. C. I. C.] et Herri Batasuna, il convient de préciser que, selon l’article du journal ABC du 29 mars 1980, Herri Batasuna a publié, après l’attentat contre le couple, un communiqué dans lequel il a reconnu que les époux blessés dans l’attentat faisaient partie de ses membres et avaient de nombreux contacts avec les comités de la province militant en faveur de l’amnistie », et « par conséquent, compte tenu des éléments figurant dans le dossier, la participation et l’appartenance de l’auteure aux organisations déclarées illégales par les tribunaux nationaux [étaient] établies, l’intéressée ayant complété et soutenu politiquement l’action menée par l’organisation terroriste ETA dans la poursuite de ses objectifs, à savoir renverser l’ordre constitutionnel ou nuire gravement à la paix publique. ».

2.8Le 8 septembre 2015, l’auteure a déposé devant la Section du contentieux administratif de l’Audiencia Nacional une demande en nullité de la procédure, qui a été rejetée le 18 septembre 2015. Le 19 septembre 2015, elle a déposé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel pour violation du droit fondamental à la présomption d’innocence et du droit à une protection juridictionnelle effective, et pour refus d’examiner des éléments de preuve pertinents pour la défense. L’auteure affirme que la décision contestée s’appuie sur l’exception tirée de l’article 8 de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes, alors qu’elle a nié à plusieurs reprises appartenir à une organisation illégale quelle qu’elle soit et que, même si elle et son mari avaient eu des liens avec une organisation déclarée illégale par la suite, cela ne pouvait justifier qu’on la considère comme appartenant au groupe terroriste ETA. Elle affirme également qu’elle n’avait jamais fait l’objet d’une quelconque procédure judiciaire pour son appartenance présumée auxdites organisations, lesquelles étaient de toute façon légales aux dates mentionnées dans les rapports de police, et que par conséquent, son droit à la présomption d’innocence a été violé. Elle soutient que le fait qu’un témoignage ait été jugé irrecevable l’a empêchée d’exercer son droit à la défense, compte tenu, notamment, des rapports de police présentés par le ministère public. Le 30 mai 2016, le Tribunal constitutionnel a décidé de ne pas autoriser le recours en amparo formé par l’auteure au motif de « l’absence manifeste d’une violation des droits à une protection juridictionnelle effective, à l’utilisation des moyens de preuve et à la présomption d’innocence ».

2.9L’auteure fait observer qu’en une autre occasion, la même cinquième chambre avait fait droit au recours contentieux administratif formé par la veuve de l’ancien cofondateur du journal Egin et ancien membre de Gestoras Pro Amnistía, de Herri Batasuna et de Koordinadora Abertzale Sozialista (KAS) pour contester le refus du Ministère de l’intérieur de l’indemniser. Dans son arrêt, la chambre, concluant qu’il n’était pas suffisamment établi que les circonstances de l’espèce relevaient du cas de figure prévu à l’article 8 (par. 2) de la Convention, avait constaté ce qui suit : « Si le journal Egin a bien fermé et les organisations Gestoras Pro Amnistía, Herri Batasuna et KAS ont bien été déclarées illégales en vertu de deux décisions de justice selon lesquelles le journal et lesdites entités entretenaient des liens directs avec le groupe terroriste ETA, ces décisions ont été rendues plus de dix-huit ans après le décès. En d’autres termes, lorsque l’intéressé est décédé en 1980, le fait qu’il avait été un cofondateur d’Egin et un ancien membre de Gestoras Pro Amnistía ou qu’il était, à ce moment-là, membre de [Herri Batasuna] ou de KAS, ne permettait pas de conclure que la victime “aurait participé” à la criminalité organisée ou “aurait appartenu” à une organisation se livrant à des infractions violentes, de sorte que toute conclusion contraire de l’administration ne serait pas conforme au droit et qu’il est fait droit au recours contentieux administratif. ».

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 14 (par. 2) du Pacte étant donné que son droit à la présomption d’innocence n’a pas été reconnu, bien qu’elle n’ait jamais été condamnée ou poursuivie pour aucune infraction. Elle soutient que si dans son arrêt, la Section du contentieux administratif de l’Audiencia Nacional a considéré qu’elle appartenait à une organisation terroriste, cette affirmation reposait uniquement sur des rapports de la police, lesquels ne constituaient pas des preuves suffisantes pour porter atteinte à la présomption d’innocence. Selon elle, pour être privé du droit d’être indemnisé à la hauteur du préjudice subi en tant que victime d’un attentat terroriste ou voir ce droit restreint, une victime ou un requérant doit, aux termes de l’article 8 (par. 2) de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes, être impliqué dans la criminalité organisée ou appartenir à une organisation qui se livre à des infractions de violence, ce qui, selon l’auteure, suppose nécessairement, dans un cas comme dans l’autre, la commission d’une ou de plusieurs infractions pénales.

3.2L’auteure affirme que les articles 22 (par. 1 et 2) et 26 du Pacte ont été violés, au motif que Gestoras Pro Amnistía et Herri Batasuna étaient des organisations légales en mars 1980 et n’ont été interdites que dans les années 2000. En outre, étant donné que les rapports de la police portaient sur des faits survenus en 1980, même s’il était établi que l’auteure appartenait à ces organisations, les interdictions prononcées plus de deux décennies plus tard ne pouvaient en aucune manière concerner des personnes qui, des années auparavant, avaient pu participer auxdites organisations en étant convaincues de leur légalité, les interdictions en question ne pouvant avoir le moindre effet rétroactif.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 31 juillet 2019, l’État partie a transmis au Comité deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme déclarant irrecevables deux demandes d’indemnisation soumises au titre de la législation sur les victimes du terrorisme, en raison des liens que les requérants avaient avec les organisations susmentionnées. L’État partie fait de nouveau observer que, s’agissant de l’allégation d’atteinte à la présomption d’innocence, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé qu’une telle présomption s’appliquait aux personnes accusées d’infractions pénales et qu’en dehors du champ pénal, les personnes qui se voyaient imputer un acte délictueux ne pouvaient, le cas échéant, être protégées que par le droit à la vie privée et familiale.

4.2Le 25 septembre 2018, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond, dans lesquelles il soutient qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte, réaffirme les dispositions de l’observation générale no 32 (2007) du Comité, qui s’appliquent essentiellement aux personnes accusées d’une infraction pénale et ne concernent pas le contentieux administratif découlant d’un refus d’indemnisation, et estime que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, en ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte.

4.3L’État partie soutient également que, comme il ressort de la décision de l’Audiencia Nacional, la présente affaire ne concerne pas une procédure pénale, mais un contentieux administratif, et que les allégations de l’auteure relatives à l’absence de preuves contre elle et à l’appréciation des rapports de police ne retirent rien au fait qu’elle n’a présenté aucun élément contraire montrant que les preuves ont été appréciées de manière arbitraire par les juridictions nationales ou qu’il y aurait eu déni de justice.

4.4De plus, l’État partie relève que, devant les juridictions nationales, l’auteure a fondé son argumentation sur le rejet d’un témoignage et, même si elle n’allègue pas de violation du Pacte à cet égard, il affirme qu’il n’était pas compliqué pour elle de prouver qu’elle n’appartenait pas aux deux organisations interdites en raison de leur soutien au groupe terroriste ETA.

4.5L’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif pour abus manifeste du droit de présenter des communications, car elle est fondée en partie sur l’argument selon lequel même si l’appartenance de l’auteure à des organisations interdites était avérée, cela impliquerait une violation des articles 22 et 26 du Pacte, étant donné qu’en 1980, ces organisations étaient légales. À cet égard, l’État partie fait valoir que, bien qu’elles n’aient pas été interdites avant les années 2000, ces organisations avaient commencé à être rattachées à l’ETA dès les années 1960.

4.6L’État partie demande également au Comité de déclarer la communication irrecevable au regard des articles 22 et 26 du Pacte, au motif que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes. Il affirme que l’auteure n’a pas fait valoir devant les juridictions nationales une violation du droit à la liberté d’association et du droit de ne pas subir de discrimination pour des motifs politiques, et rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle même s’il n’existe pas d’obligation d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs de communications doivent faire preuve de diligence pour exercer les recours disponibles et de simples doutes ou supputations quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas l’auteur d’une communication de l’épuiser.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 2 octobre 2019, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie, réaffirmant qu’elle n’avait jamais appartenu à Herri Batasuna ou à Gestoras Pro Amnistía, que les deux organisations étaient légales à tous égards en 1980 et qu’il n’était nullement question, dans les arrêts interdisant ces organisations, d’un quelconque effet rétroactif.

5.2L’auteure rappelle que, dans son recours en amparo, elle a réaffirmé qu’elle n’avait pas d’antécédents judiciaires, n’avait jamais pris part à aucun acte criminel et n’avait jamais participé à la criminalité organisée ni appartenu à aucun groupe se livrant à des infractions violentes, et qu’aucune procédure judiciaire n’avait jamais été engagée contre elle. Elle répète également qu’elle n’a pas eu accès à une protection juridictionnelle effective, l’arrêt rendu n’ayant pas été suffisamment motivé puisqu’aucune réponse n’était apportée à la question fondamentale de savoir pourquoi, en tant que victime du terrorisme, elle avait été privée d’une indemnisation au motif qu’elle aurait participé à une organisation qui était alors légale, et que les principes de légalité et de non-rétroactivité empêcheraient que ledit arrêt lui soit appliqué de manière restrictive. L’auteure affirme que dans la décision contestée, ses demandes ont été rejetées sur le fondement de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes, même si les organisations auxquelles elle aurait supposément appartenu étaient légales, et que l’on ne pouvait déduire d’une telle appartenance qu’elle faisait également partie du groupe ETA.

5.3En ce qui concerne la violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte, l’auteure rappelle que le refus de l’indemniser reposait sur le critère énoncé à l’article 8 (par. 2) de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes, selon lequel le droit de recevoir une indemnisation en tant que victime du terrorisme peut être nié ou restreint si « la victime ou le requérant est impliqué(e) dans la criminalité organisée ou appartient à une organisation qui se livre à des infractions de violence ». L’auteure estime que la transposition de cette disposition de la Convention européenne relève du droit pénal et réaffirme que bien qu’elle n’ait été reconnue coupable d’aucune infraction, elle a été privée de l’indemnisation à laquelle elle avait droit. Or, dans son arrêt, la Section du contentieux administratif de l’Audiencia Nacional a considéré que son « appartenance » ou sa « participation » était établie, même si ces faits n’avaient jamais donné lieu à des poursuites pénales.

5.4L’auteure affirme qu’elle a épuisé les recours internes disponibles en ce qui concerne les articles 22 et 26 du Pacte et souligne que, dans sa demande en nullité comme dans son recours en amparo, qui étaient motivés par la violation présumée de son droit à une protection effective, elle a fait valoir que même si son appartenance ou sa participation, en 1980, à Herri Batasuna et à Gestoras Pro Amnistía était avérée, cela n’aurait aucune conséquence juridique, car à l’époque, ces deux organisations étaient légales.

5.5L’auteure précise qu’en ce qui concerne l’article 22 (par. 2) du Pacte, bien que l’État partie affirme lui-même que les arrêts interdisant Herri Batasuna et Gestoras Pro Amnistía ont été rendus bien après 1980, il ne se prononce pas sur les raisons pour lesquelles cette interdiction restreindrait rétroactivement les droits de certaines personnes, notamment leur droit d’association, étant donné que cela porterait atteinte au principe de non-rétroactivité des dispositions qui imposent des sanctions plus sévères ou restreignent les droits de la personne.

5.6Enfin, l’auteure fait valoir que les convictions politiques et les actes et omissions d’une personne, lorsqu’ils s’inscrivent dans un cadre légal, ne devraient pas peser, d’un point de vue juridique, dans la décision de restreindre des droits, et que prétendre le contraire équivaut à une violation de l’article 26 du Pacte pour des motifs politiques.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a été privée de son droit d’être indemnisée en tant que victime d’une attaque terroriste, sur le fondement de l’article 8 (par. 2) de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes, en raison de son appartenance supposée à une organisation terroriste ou de son implication dans la criminalité organisée, sans qu’une telle appartenance ou implication ait été prouvée ou ait donné lieu à une condamnation pénale. À cet égard, le Comité observe que divers organismes internationaux se sont prononcés sur le fait que la loi incriminant la collaboration avec des organisations terroristes dans l’État partie manquait de précision, ce qui risquait de se traduire par l’application de ces dispositions à des comportements qui ne relevaient en rien d’activités violentes.

6.4En outre, l’auteure soutient que, même dans l’hypothèse où il aurait été établi qu’elle appartenait aux organisations Herri Batasuna et Gestoras Pro Amnistía, qui étaient légales au moment des faits, cela n’aurait en aucun cas pu être assimilé à l’appartenance à une organisation terroriste ou à l’implication dans la criminalité organisée au sens de la Convention susmentionnée et au regard de la jurisprudence de l’Audiencia Nacional. Le Comité note que l’Audiencia Nacional n’a pas précisé l’étendue de la « participation » ou de l’« appartenance » de l’auteure à une organisation criminelle. Néanmoins, il considère que ces questions ont principalement trait à l’application de la loi par les juridictions nationales et au droit de l’auteure d’avoir accès à la justice dans des conditions d’égalité conformément à l’article 14 (par. 1) du Pacte, et non au droit à la présomption d’innocence, qui, selon l’article 14 (par. 2), est réservé aux personnes accusées d’infractions pénales. À cet égard, il constate que le cas de l’auteure ne relève pas de l’article 14 (par. 2) du Pacte puisqu’elle n’a été accusée d’aucune infraction pénale et que la procédure administrative d’indemnisation qu’elle a engagée ne porte pas sur sa culpabilité pénale ni ne conteste une procédure pénale dans le cadre de laquelle elle aurait été accusée d’avoir commis une infraction. Autrement dit, le Comité estime qu’en l’espèce, le recours formé par l’auteure sur la seule base de l’article 14 (par. 2) du Pacte est irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note de l’objection formulée par l’État partie, qui soutient que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et, en particulier, qu’elle n’a pas fait valoir devant les juridictions nationales une violation du droit à la liberté d’association et du droit de ne pas subir de discrimination pour des motifs politiques, qu’elle tient des articles 22 et 26 du Pacte. Il prend note également de l’argument de l’auteure qui souligne que, dans sa demande en nullité comme dans son recours en amparo, motivés par la violation présumée de son droit à une protection juridictionnelle effective, même si son appartenance ou sa participation, en 1980, à Herri Batasuna et à Gestoras Pro Amnistía était avérée, cela n’aurait aucune conséquence juridique, car, à l’époque, ces deux organisations étaient légales. De même, l’auteure a affirmé qu’en l’espèce, le Tribunal constitutionnel ne s’était pas prononcé sur les raisons pour lesquelles l’interdiction de Herri Batasuna et de Gestoras Pro Amnistía restreindrait rétroactivement les droits des personnes, tels que le droit d’association. Le Comité note qu’il ressort des informations figurant dans le dossier que l’auteure n’a pas affirmé devant les juridictions nationales, qu’il y avait eu, sur le fond ou sur la forme, violation du droit à la liberté d’association ou discrimination. Il note également que l’auteure n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle aurait été empêchée de saisir les organes nationaux compétents d’un recours pour violation des droits qu’elle tient des articles 22 et 26 du Pacte. Par conséquent, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner la communication.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 3 et 5 (par. 2) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure de la communication.