Nations Unies

CCPR/C/131/D/2433/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 mai 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2433/2014 * , **

Communication présentée par:

V. S. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication:

9 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 20 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

25 mars 2021

Objet :

Procès inéquitable ; extorsion d’aveux

Question(s) de procédure :

Abus du droit de présenter des communications

Question(s) de fond :

Garanties d’un procès équitable ; aveux sous la contrainte

Article(s) du Pacte :

7, 9 (par. 1), 10 et 14 (par. 1 et 3 a), d), e) et g))

Article(s) du Protocole facultatif :

3

1.L’auteur de la communication est V. S., de nationalité russe, né en 1959. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9 (par. 1), 10 et 14 (par. 1 et 3 a), d), e) et g)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était propriétaire d’un appartement qu’il louait à deux étudiantes. Le 8 novembre 2005, il a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir commis, en deux occasions distinctes, une tentative de viol sur ses locataires. Il a été emmené au poste de police et interrogé par un enquêteur, qui lui a enfoncé un trombone dans les mains pour lui extorquer des aveux. L’auteur a toutefois refusé de s’avouer coupable. Selon lui, les locataires s’étaient entendues avec l’enquêteur pour l’accuser à tort, car elles ne voulaient pas payer le loyer, tandis que l’enquêteur voulait le déposséder de son appartement.

2.2Le 14 mars 2006, l’enquêteur a de nouveau emmené l’auteur au poste de police et, usant de menaces et de violence physique, l’a forcé à signer une procuration autorisant deux agents immobiliers qu’il ne connaissait pas à vendre son appartement au prix qu’ils auraient fixé. Plus tard, au centre de détention, l’auteur a été battu et forcé, sans qu’un avocat soit présent, à avouer les deux crimes dont il avait initialement été accusé.

2.3Le 14 mai 2007, le tribunal du district central de Chita a déclaré l’auteur coupable de tentatives de viol et l’a condamné à neuf ans d’emprisonnement. L’auteur a soutenu qu’on l’avait forcé à reconnaître sa culpabilité et qu’il s’agissait d’un coup monté par l’enquêteur, qui voulait prendre possession de son appartement par des moyens frauduleux. Il a affirmé qu’il n’aurait pas eu la force physique de commettre ces tentatives de viol parce qu’à l’époque des faits, il avait des côtes cassées. Le tribunal a rejeté les arguments de l’auteur, estimant qu’il tentait de « s’exonérer de sa responsabilité pénale ». Pendant le procès, l’auteur a demandé au tribunal d’autoriser P., une défenseuse des droits de l’homme, à le représenter, en plus de son avocat M. Le tribunal de première instance n’a cependant pas fait droit à cette demande, au motif que P. n’était pas une avocate agréée.

2.4Le 29 octobre 2007, le tribunal régional de Chita a débouté l’auteur de son pourvoi en cassation et confirmé le jugement rendu contre lui. Le 5 mai 2008, la Cour suprême a rejeté la demande de réexamen introduite par l’auteur au titre de la procédure de contrôle juridictionnel. En 2013, l’auteur a déposé une nouvelle demande de réexamen, qui a été rejetée le 18 avril 2013 par le Vice-Président de la Cour suprême.

2.5Le 8 février 2010, l’auteur a porté plainte contre l’enquêteur devant le département du Comité d’enquête pour le district central, l’accusant de l’avoir torturé dans le but de s’approprier son appartement par des moyens frauduleux. Entre 2010 et 2013, le département a rendu un certain nombre de décisions par lesquelles il a refusé d’engager des poursuites pénales contre l’enquêteur. Ces décisions ont toutes été annulées par les instances de contrôle en raison du caractère incomplet ou de la durée excessive de l’enquête. Le dernier refus d’engager des poursuites, qui date du 24 juillet 2013, a été signé par le chef adjoint du département du Comité d’enquête pour le district central et était motivé par le fait que les allégations de l’auteur n’avaient pu être ni vérifiées ni réfutées dans le cadre de l’enquête préliminaire menée par le département. Le 16 septembre 2013, cette décision de refus a été annulée par le chef du département, qui a ordonné que l’on retrouve et entende un certain nombre de témoins supplémentaires. Il semble qu’au moment où l’auteur a soumis la présente communication, sa plainte était toujours en cours d’instruction.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme, sans donner de détail ou de certificat médical au sujet de ses blessures, qu’il a été torturé et maltraité par l’enquêteur, et qu’on l’a forcé à reconnaître sa culpabilité, ce qui constitue une violation des articles 7 et 14 (par. 3 g)) du Pacte.

3.2L’auteur soutient que les poursuites pénales engagées contre lui constituaient une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Il conteste l’issue de la procédure et l’appréciation des preuves par les juridictions internes. Il soutient que sa plainte concernant les aveux qui lui ont été extorqués en l’absence d’un avocat n’a jamais été examinée en bonne et due forme. Il affirme avoir été déclaré coupable en raison de sa précédente condamnation pour viol, ce qui constitue une violation de son droit à la présomption d’innocence. Il avance qu’un certain nombre de témoins n’ont pas été entendus et qu’il n’a pas eu la possibilité de prendre connaissance de l’acte d’accusation dans sa version intégrale.

3.3L’auteur affirme que le tribunal de première instance a violé les droits qui lui sont reconnus par l’article 14 (par. 3 d)) en n’autorisant pas P. à le représenter lors du procès.

3.4L’auteur affirme également qu’il y a eu violation des articles 9, 10 et 14 (par. 3 a) et e)) du Pacte, sans toutefois donner de précision à ce sujet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale du 6 octobre 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité. Il relève que, le 14 mai 2007, l’auteur a été reconnu coupable de tentative de viol sur L. et M., et condamné à une peine de neuf années d’emprisonnement par le tribunal du district central de Chita. Le 29 octobre 2007, le jugement a été confirmé par le tribunal régional de Chita. Le 5 mai 2008, la Cour suprême a rejeté la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle juridictionnel qui avait été introduite par l’auteur. Une nouvelle demande de réexamen a été rejetée le 18 avril 2013 par le Vice-Président de la Cour suprême.

4.2Selon l’État partie, les droits de l’auteur et le principe général de l’égalité des moyens ont été dûment respectés pendant le procès. L’auteur et son avocat ont activement participé à la procédure ; ils ont été en mesure de présenter tous leurs éléments de preuve et de contester les arguments de l’accusation. Toutes les requêtes présentées par la défense ont été examinées par le tribunal, qui a fait droit à plusieurs d’entre elles, notamment celles tendant à faire remplacer l’avocat de la défense, examiner des preuves, procéder au contre-interrogatoire de témoins à charge et faire réaliser une expertise médico-légale. L’État partie relève que les allégations de l’auteur concernant des actes répréhensibles et la violation de ses droits par les autorités chargées de l’enquête ont été examinées par les tribunaux et jugées sans fondement.

4.3L’État partie soutient que la communication de l’auteur ne contient aucun argument ou élément de preuve objectif démontrant une violation des articles du Pacte qu’il a invoqués. L’insatisfaction de l’auteur quant à l’issue du procès, qui a été mené conformément au droit interne et aux obligations internationales de l’État partie, ne constitue pas une violation du Pacte. En conséquence, l’État partie considère que la présente communication relève d’un abus du droit de présenter des communications et qu’elle devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.Le 8 décembre 2015, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il fait observer que l’État partie n’a pas répondu à ses griefs et il maintient que la peine qu’il a purgée était illégale. Il ajoute qu’il a été libéré après avoir purgé sa peine.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Par une note verbale du 6 mai 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond. Il réaffirme que les griefs de l’auteur, y compris ses allégations de torture et d’extorsion d’aveux, sont dénués de fondement et ont été examinés de manière approfondie par les juridictions internes.

6.2En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation de son droit à la défense, l’État partie affirme que, conformément à la demande de l’auteur, son premier avocat Z. a été dessaisi de l’affaire et remplacé par un autre avocat, M. Pendant le procès, l’auteur a demandé au tribunal d’autoriser P. à rejoindre l’équipe chargée de sa défense, mais le tribunal n’a reçu aucun document attestant que P. était une avocate agréée. P. n’étant pas présente dans la salle d’audience, l’auteur, après avoir consulté son avocat M., a accepté que le procès se poursuive sachant qu’il ne serait assisté que par celui-ci. C’est ce même avocat qui a représenté l’auteur lors de la procédure de cassation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Aux termes de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, le Comité n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité constate que l’auteur a soumis la présente communication le 9 janvier 2014, soit plus de six ans après que la décision, par laquelle la cour de cassation confirmait le jugement de première instance le condamnant à neuf années d’emprisonnement, eut acquis force de chose jugée, et cinq ans et huit mois après le rejet, par la Cour suprême le 5 mai 2008, de sa première demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle juridictionnel. Même si l’auteur a déposé, en 2013, une nouvelle demande de réexamen qui a été rejetée le 18 avril 2013 par le Vice-Président de la Cour suprême, la présente communication ne semble pas contenir d’éléments nouveaux qui soient distincts des irrégularités de procédure que l’auteur avait déjà soulevées dans le cadre de sa première demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Le Comité observe que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour soumettre des communications et qu’un simple retard dans la présentation ne saurait constituer en soi un abus du droit de présenter une communication. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Le Comité relève que rien dans la communication soumise par l’auteur ne justifie un retard de plus de cinq ans. Rien dans les observations de l’auteur ne permet de penser que ses contacts avec le monde extérieur étaient limités lorsqu’il était en prison, d’autant plus qu’il a été en mesure de porter plainte contre l’enquêteur en 2010. Faute d’explication pertinente, le Comité considère en l’espèce que la présentation de la communication après un délai aussi long constitue un abus du droit de présenter une communication. Il déclare donc la communication irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 (al. c)) de son règlement intérieur.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.