Nations Unies

CCPR/C/136/D/2774/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 novembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2774/2016 * , **

Communication soumise par :Y. (représenté par un conseil, Eddie Khawaja)

Victime(s) présumée(s) :L’auteur

État partie :Danemark

Date de la communication :28 août 2015 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 juin 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :4 novembre 2022

Objet :Refus d’accéder à la demande d’entendre l’épouse en qualité de témoin à l’audience de recours en matière d’asile

Question(s) de procédure :Recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond :Droit des étrangers ; droits des étrangers − expulsion

Article(s) du Pacte :13

Article(s) du Protocole facultatif :2

1.L’auteur de la communication est Y., de nationalité iranienne, né en 1985. Sa demande d’asile au Danemark a été rejetée et il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur, qui se trouve toujours au Danemark, est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1La femme de l’auteur, W., de nationalité iraquienne, est née le 1er janvier 1993. Son père biologique est décédé alors qu’elle avait un an et demi. Par la suite, sa mère s’est remariée. W. vit au Danemark depuis 1998, c’est-à-dire depuis qu’elle a 5 ans. Le 30 juin 1999, alors qu’elle était âgée 6 ans, elle s’est vu accorder le droit de séjour au Danemark, quand sa mère y a reçu le statut de réfugié.

2.2L’auteur explique que W. et lui se sont mariés religieusement en février 2007, alors qu’ils étaient âgés de 14 et 21 ans respectivement, après une première rencontre en personne en République islamique d’Iran. L’auteur affirme qu’ils s’étaient rencontrés en ligne auparavant. Entre 2007 et 2010, W. a rendu visite occasionnellement à l’auteur en République islamique d’Iran. Le 26 août 2010, l’auteur et W. se sont mariés civilement. En mars et en octobre 2012, l’auteur est allé rendre visite à W. au Danemark avec un visa de tourisme. Le 23 décembre 2012, l’enfant du couple est né alors que l’auteur se trouvait encore au Danemark et, de ce fait, le visa permettant à ce dernier de rester dans le pays a été prolongé de trois mois.

2.3Le 5 avril 2013, l’auteur a déposé une demande de regroupement familial auprès du Service danois de l’immigration. En vertu de l’article 9 (par. 1 i)) de la loi sur les étrangers, il est possible d’accorder un permis de séjour au demandeur et à son/sa conjoint(e) (qui doit être résident(e) permanent(e) du Danemark) sous réserve qu’ils soient tous deux âgés d’au moins 24 ans. À l’époque où l’auteur a déposé sa demande de regroupement familial, W. avait 20 ans et n’avait donc pas atteint l’âge minimum requis. L’auteur a demandé au Service de l’immigration de déroger à l’exigence d’âge minimum car lui et son épouse craignaient de vivre ensemble en République islamique d’Iran en raison des menaces que W. et sa mère avaient reçues de la part des membres de la famille du défunt père biologique de W., dont certains vivaient en République islamique d’Iran et d’autres en Iraq. Les menaces avaient été proférées par courriel, par lettre et par téléphone. Les lettres étaient principalement rédigées en arabe, langue que l’auteur ne comprend pas (mais que W. comprend).

2.4Le 3 mai 2013, compte tenu des allégations de l’auteur concernant les menaces dont W. et la mère de celle-ci auraient été l’objet, le Service de l’immigration a demandé l’avis de la première Division chargée des questions d’asile sur la question de savoir si W. pouvait prétendre à l’asile au motif qu’elle risquait d’être persécutée en Iraq. Le 11 juillet 2013, la Division a rendu un avis dans lequel elle a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de croire que, si elle retournait en Iraq, W. serait exposée à des persécutions qui justifieraient de lui accorder l’asile. Le 16 juillet 2013, le Service de l’immigration s’est entretenu avec le conseil de l’auteur au sujet de l’avis formulé par la première Division de l’asile. Le 23 juillet 2013, le conseil de l’auteur a contesté par écrit les conclusions de la Division.

2.5Le 29 août 2013, le Service de l’immigration a rejeté la demande de regroupement familial introduite par l’auteur, au motif que l’âge minimum requis n’avait pas été atteint par les deux époux. Dans sa décision, le Service a déclaré qu’il avait également examiné la question de savoir si l’auteur était éligible à un permis de séjour pour motif exceptionnel, en application d’une disposition distincte de la législation nationale (art. 9.c (par. 1) de la loi sur les étrangers). Il a considéré que l’auteur n’avait pas prouvé l’existence d’un quelconque motif exceptionnel susceptible de justifier l’octroi d’un permis de séjour dans les circonstances prévues par la loi. Le Service de l’immigration a notamment estimé que l’existence des menaces alléguées n’avait pas été établie, étant donné qu’il n’était pas possible de vérifier l’identité de l’expéditeur des courriels menaçants et que les courriels soumis n’étaient pas accompagnés d’une traduction assermentée. Il a également considéré que le couple pouvait demander l’aide des autorités iraniennes ou iraquiennes s’il se sentait menacé par les membres de la famille de W. Il a considéré en outre que l’enfant du couple n’avait pas noué de liens individuels avec le Danemark au vu de son jeune âge et du peu de temps qu’il avait vécu au Danemark. À cet égard, le Service de l’immigration a rappelé sa pratique selon laquelle, dans le cadre des demandes de regroupement familial, les enfants étaient considérés comme ayant noué des liens individuels avec le Danemark à partir du moment où ils avaient vécu environ six ou sept ans dans le pays. Le 7 septembre 2013, avec l’aide d’un conseil, l’auteur a formé recours devant la Commission des recours en matière d’immigration pour contester la décision du Service de l’immigration.

2.6Le 17 septembre 2013, l’auteur a engagé plusieurs procédures parallèles pour demander l’asile au Danemark auprès du Service de l’immigration. Le 22 octobre 2013, le Service de l’immigration a procédé à un entretien préliminaire avec l’auteur. Au cours de cet entretien, l’auteur a déclaré qu’il était venu au Danemark parce que sa femme était enceinte mais qu’après son arrivée dans le pays, on lui avait dit que sa vie serait en danger s’il retournait en République islamique d’Iran. S’agissant de sa demande d’asile, l’auteur a formulé les allégations suivantes : a) il serait emprisonné et exécuté s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, en raison de son opposition au régime en place et des activités politiques qu’il menait contre ce régime ; b) sur son précédent lieu de travail, il avait eu un différend avec trois collègues membres du Corps des gardiens de la révolution islamique, qui voulaient qu’il aide à créer un site Web qui servirait à recruter des miliciens volontaires prêts à combattre dans le cadre de la guerre civile en République arabe syrienne ; c) immédiatement après l’arrivée de l’auteur au Danemark, sa mère l’avait appelé pour lui dire que certains membres de la fondation pour laquelle il avait travaillé en République islamique d’Iran étaient venus chez elle pour le trouver car il ne s’était pas présenté au travail ; d) environ dix à quatorze jours après l’arrivée de l’auteur au Danemark, l’un de ses anciens collègues de travail l’avait appelé et lui avait dit que le Corps des gardiens de la révolution islamique le recherchait ; e) alors qu’il se trouvait en République islamique d’Iran, il avait utilisé Facebook, ce qui était illégal ; f) il était très actif politiquement au Danemark, d’où il avait critiqué les autorités iraniennes sur les médias sociaux, ce qui était également illégal.

2.7Le 1er novembre 2013, le Service de l’immigration a procédé à un entretien approfondi avec l’auteur concernant le fond de sa demande d’asile. Au cours de cet entretien, l’auteur a déclaré que, avant son arrivée au Danemark, il n’avait jamais participé à des activités politiques et qu’il ne demandait pas l’asile pour des motifs politiques. S’agissant de sa demande d’asile, l’auteur a formulé les allégations suivantes : a) il craignait trois de ses anciens collègues de travail en République islamique d’Iran, qui lui avaient demandé, dans le cadre de son emploi pour une fondation, de créer un site Web destiné aux volontaires qui souhaitaient soutenir le Gouvernement syrien dans le cadre de la guerre civile (l’un de ces collègues était un haut représentant de l’État) ; b) alors qu’il se trouvait en République islamique d’Iran, l’auteur avait accédé, dans le cadre de ses fonctions de concepteur de site Web, au site Web de médias occidentaux et à des sites Web antigouvernementaux ; c) il allait à l’église et prévoyait de se convertir au christianisme ; d) il avait publié des contenus prochrétiens sur sa page Facebook. À la question de savoir pour quelle raison, après son arrivée au Danemark, il avait attendu avant de demander l’asile, l’auteur a répondu qu’il avait décidé de rester dans le pays après avoir appris qu’il était recherché par les autorités iraniennes. Il a, en outre, affirmé que les membres de sa famille qui se trouvaient en République islamique d’Iran n’avaient pas eu de problèmes avec les autorités du fait de ses propres conflits. Il n’a pas parlé des menaces qui auraient été proférées par les proches du défunt père biologique de W. contre lui, W. ou la mère de celle-ci.

2.8Alors que la demande d’asile de l’auteur était pendante, le 11 février 2014, la Commission des recours en matière d’immigration a rejeté le recours de l’auteur concernant sa demande de regroupement familial. Elle a rappelé qu’il existait des conditions d’âge minimum légal à remplir pour le regroupement familial et a examiné la question de savoir si l’auteur pouvait prétendre à un permis de séjour pour motif exceptionnel. S’agissant de ce dernier point, la Commission a examiné, entre autres, les arguments de l’auteur concernant les besoins de W. en matière de santé mentale, besoins qui n’avaient été mis en évidence qu’après le rejet de la demande de regroupement familial, et concernant le droit du couple à une vie de famille, droit consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). La Commission a pris acte des documents que l’auteur avait fournis pour attester de l’anxiété dont souffrait W., mais a fait remarquer que celle-ci ne présentait pas une maladie ou un handicap qui serait grave au point de rendre la vie pénible pour le couple s’il résidait en République islamique d’Iran ou en Iraq. La Commission a considéré que les informations fournies par le couple ne permettaient pas de conclure que W. présentait des problèmes de santé l’empêchant d’aller vivre en Iraq ou en République islamique d’Iran, où le couple pourrait exercer son droit à la vie de famille. Elle a rappelé la conclusion du Service de l’immigration concernant le fait que l’enfant du couple n’avait pas noué de liens individuels avec le Danemark, conclusion fondée sur la pratique établie selon laquelle de tels liens sont réputés exister après un séjour de six ou sept ans dans le pays. Pour ce qui est des éléments du recours relatifs au risque de persécution auquel le couple serait exposé en République islamique d’Iran ou en Iraq, la Commission a estimé que ce risque serait de nouveau examiné par le Service de l’immigration dans le cadre de la demande d’asile de l’auteur, alors pendante. Par conséquent, elle n’a pas examiné ce risque dans le cadre de la demande de regroupement familial.

2.9Le 26 mars 2014, le Service de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur. Il n’a pas examiné les craintes de l’auteur concernant les persécutions auxquelles il serait exposé en cas de retour en République islamique d’Iran (craintes qui reposaient sur des menaces émanant des membres de la famille du père biologique de son épouse), étant donné que l’auteur n’avait pas soulevé cette question au cours de l’entretien qu’il avait eu en 2013 avec le Service de l’immigration concernant le fond de sa demande d’asile.

2.10L’auteur a formé un recours contre le rejet de sa demande d’asile devant la Commission des recours en matière d’immigration. Le 4 juin 2014, la Commission a renvoyé le dossier au Service de l’immigration, en lui demandant d’examiner les allégations de l’auteur concernant les craintes de persécution en République islamique d’Iran, fondées sur les menaces émanant de proches du père biologique de W.

2.11Le 1er décembre 2014, le Service de l’immigration a procédé à un deuxième entretien avec l’auteur concernant le fond de sa demande d’asile. Au cours de cet entretien, l’auteur a fait plusieurs déclarations, notamment les suivantes : en 2010, il avait été menacé par téléphone par un cousin du père biologique de W ; il ne savait pas comment le cousin en question avait obtenu son numéro de téléphone ; le cousin avait dit qu’il voulait le tuer et lui avait interdit de rester avec W ; l’auteur n’avait parlé à ce cousin qu’à cette occasion, mais ce dernier avait, semble-t-il, rappelé à trois ou quatre reprises par la suite mais l’auteur n’avait pas répondu à ces appels ; l’auteur avait informé la police iranienne des menaces proférées par le cousin, mais la police n’était pas intervenue ; par la suite, la mère de W. avait reçu des lettres de menace, dans lesquelles il était dit que W. appartenait à la famille de son père biologique, qui voulait la contrôler ; l’épouse de l’auteur avait ensuite reçu des courriels contenant des menaces dirigées contre l’auteur ; le fils du couple avait lui aussi fait l’objet de menaces dans des correspondances plus récentes ; l’auteur avait commencé à se convertir au christianisme après être arrivé au Danemark ; il était un membre actif d’un groupe Facebook destiné aux Chrétiens iraniens au Danemark et prenait des cours de préparation au baptême ; il était conscient des risques qu’il prenait en s’exprimant sur le christianisme sur les médias sociaux mais estimait que sa pratique de la foi chrétienne était plus importante que sa sécurité.

2.12Au cours du même entretien, le Service de l’immigration a demandé à l’auteur des éclaircissements concernant certaines de ses déclarations. Par exemple, l’auteur avait tour à tour affirmé que les lettres que la mère de W. avait reçues avaient été envoyées par la grand‑mère paternelle de W. et par son oncle paternel. Interrogé sur cette contradiction, l’auteur a répondu qu’il ne savait pas qui avait envoyé les lettres. À la question de savoir en quoi les lettres constituaient une menace contre lui, il a répondu qu’elles ne contenaient pas véritablement de menaces dirigées contre lui. Lorsqu’il lui a été demandé de confirmer ces propos, il a alors déclaré que lui et sa femme avaient également fait l’objet de menaces dans les lettres. Il a alors été demandé à l’auteur de s’expliquer sur cette dernière contradiction. L’auteur a répondu qu’il avait fait l’objet de menaces dans les lettres. À la question de savoir combien de lettres de menace la mère de W. avait reçues, il a dans un premier temps été incapable de répondre. Puis il a répondu qu’il y avait peut-être eu quatre lettres de ce type et qu’elles étaient toutes écrites en arabe, langue qu’il ne comprenait pas. Puis il a déclaré qu’il n’avait eu connaissance que de deux lettres de menace de ce type. Lorsqu’il lui a été demandé de s’expliquer sur cette contradiction, il a répondu qu’il n’avait eu connaissance que de deux lettres de menace. Il a déclaré qu’il avait vu les lettres, dont des résumés lui avaient été traduits, et qu’il n’avait lui-même pas reçu de lettres de menace sous forme papier. Interrogé sur la date à laquelle il avait reçu des menaces dans des courriels adressés à W., l’auteur a répondu qu’il l’ignorait. Il lui a été demandé pourquoi il ne se souvenait pas d’un élément aussi important. L’auteur a alors dit qu’il supposait que les premiers courriels étaient arrivés en 2011 et qu’il y en avait eu jusqu’en novembre 2014. Il a déclaré que les menaces étaient envoyées par courriel par des membres de la famille du père biologique de W. Interrogé sur l’endroit où vivaient ces proches du père biologique, l’auteur a répondu qu’il l’ignorait. De nouveau interrogé sur cette question, il a répondu que certains membres de la famille résidaient en République islamique d’Iran, puis qu’ils résidaient en Iraq. L’auteur a été interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas mentionné ces menaces au cours de l’entretien préliminaire relatif à la demande d’asile, le 22 octobre 2013, ou de l’entretien concernant le fond de sa demande d’asile, le1er novembre 2013. Il a répondu qu’il ne s’était pas rendu compte que cette information serait utile dans le cadre de sa demande d’asile et qu’il l’avait mentionnée dans sa demande de regroupement familial.

2.13Le 16 mars 2015, après avoir réexaminé le dossier, le Service de l’immigration a de nouveau rejeté la demande d’asile de l’auteur. Il a considéré que les menaces de persécution alléguées par l’auteur n’étaient pas crédibles et semblaient avoir été inventées aux fins de sa demande d’asile. Le Service de l’immigration n’a pas interrogé W.

2.14Avec l’aide d’un conseil, l’auteur a formé recours contre cette décision devant la Commission de recours des réfugiés. Le 29 mai 2015, il a demandé à la Commission de reporter l’examen du dossier et de renvoyer celui-ci, pour la deuxième fois, au Service de l’immigration, afin que W. soit interrogée au sujet des menaces de persécution que les membres de sa famille auraient proférées. Le 1er juin 2015, la Commission a rejeté cette demande. Le 17 juin 2015, elle a tenu une audience. Elle a rejeté la demande de l’auteur tendant à ce que W. puisse déposer à l’audience, au motif que sa déposition ne serait pas pertinente. Le même jour, la Commission a rejeté la demande d’asile de l’auteur. Dans sa décision, elle a tout d’abord fait remarquer que l’auteur avait déclaré, au cours de l’audience, qu’il ne craignait plus d’être persécuté par ses anciens collègues de travail en République islamique d’Iran. L’auteur a expliqué que les raisons qui expliquaient ces craintes s’étaient dissipées avec le temps ; la famille de l’auteur en République islamique d’Iran n’avait pas connu de problèmes liés aux événements qui s’étaient déroulés sur son ancien lieu de travail et les autorités n’avaient pas recherché l’auteur depuis qu’il avait quitté le pays. La Commission a ensuite fait observer que les déclarations de l’auteur concernant les circonstances et la date de la rencontre avec son épouse et la mère de celle-ci étaient contradictoires et ne correspondaient pas aux informations figurant dans l’acte de mariage et dans sa demande de regroupement familial. Par exemple, l’auteur avait déclaré, lors de l’entretien relatif à sa demande d’asile, que lui et W. s’étaient rencontrés pour la première fois par hasard dans un parc situé près de chez lui ; ils étaient restés discuter dans la rue pendant environ une heure, puis avaient échangé leurs coordonnées. Or l’auteur avait indiqué, dans sa demande de regroupement familial, qu’ils s’étaient d’abord connus en ligne, puis qu’ils s’étaient rencontrés en personne lorsque l’auteur était allé la chercher à l’aéroport. De plus, l’auteur a tour à tour affirmé qu’il avait rencontré la mère de W. en 2007, puis en 2009 ou en 2010. La Commission a fait remarquer que l’auteur avait prétendu qu’un membre de la famille de son épouse était venu le voir sur son lieu de travail en République islamique d’Iran et l’avait menacé, mais a relevé qu’il n’avait, à aucun moment, formulé ce grief préalablement à l’audience devant la Commission. Elle a considéré que l’auteur avait étoffé ses allégations concernant les menaces faites par les membres de la famille de W. au cours de l’audience. Elle a fait remarquer que l’auteur n’avait pas déposé de demande d’asile lors de sa visite au Danemark en mars 2012. Elle a considéré que, même si les menaces alléguées par l’auteur avaient véritablement été proférées, elles ne justifiaient pas l’octroi de l’asile. Elle a argué que l’auteur était resté vivre en République islamique d’Iran pendant plusieurs années après l’envoi des premières menaces alléguées et que son épouse avait séjourné à plusieurs reprises dans le pays sans avoir de problèmes. Elle n’a pas reconnu comme un fait établi que l’auteur s’était converti au christianisme. L’intérêt de l’auteur pour le christianisme n’était apparu qu’en septembre 2013, après le rejet de sa demande de regroupement familial. De plus, la déclaration qu’il a faite à la Commission au sujet de son intérêt pour le christianisme ne prouvait pas que sa conversion était authentique. L’auteur avait arrêté d’assister aux cours de préparation au baptême et ne prévoyait pas, à l’époque, de les reprendre. Il n’avait pas parlé de sa conversion à la famille de W. au Danemark. Le fait qu’il avait utilisé Facebook pour transmettre des messages chrétiens et entrer en contact avec d’autres Chrétiens ne permettrait pas de conduire à une conclusion différente, étant donné qu’il n’utilisait pas son vrai nom sur Facebook. Par conséquent, il n’y avait aucune raison de croire que les autorités iraniennes avaient connaissance de son intérêt pour le christianisme.

2.15L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles puisque la décision de la Commission de recours des réfugiés concernant la demande d’asile n’est pas susceptible de recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte en ne permettant pas que son épouse soit entendue dans le cadre de sa procédure de demande d’asile. Après que la Commission de recours des réfugiés lui a renvoyé l’affaire afin qu’il examine le grief de l’auteur concernant les menaces proférées par les proches du père biologique de W., le Service de l’immigration n’a pas interrogé W. Lors de l’examen du nouveau recours déposé par l’auteur, la Commission de recours des réfugiés a refusé, sans motiver sa décision, la demande de l’auteur tendant à ce que l’examen du dossier soit reporté ou que le dossier soit renvoyé une deuxième fois au Service l’immigration afin que W. soit interrogée. Dans le courrier informant l’auteur du rejet de sa demande, la Commission a reconnu que celui-ci avait le droit de lui demander d’autoriser W. à déposer à l’audience. Lorsque l’auteur a demandé cette autorisation par l’intermédiaire de son conseil, celle-ci a été rejetée au motif que la déposition ne serait pas pertinente. Pour qu’une procédure d’asile soit efficace, tous les éléments de preuve présentés par le demandeur doivent être pris en compte et examinés, sauf s’il existe des motifs concrets, spécifiques et raisonnables qui justifient le rejet de ces éléments. La Commission de recours des réfugiés a conclu au manque de crédibilité de l’auteur sans permettre à l’épouse de celui-ci d’apporter un témoignage qui aurait pu appuyer et éclairer ses déclarations, ce qui a eu des conséquences préjudiciables sur l’issue de la procédure de recours en matière d’asile.

3.2L’auteur souligne qu’il a promptement signalé les menaces proférées par les proches du père biologique de W. aux autorités locales, dès le début de son séjour au Danemark.

3.3La Commission de recours des réfugiés a décidé de renvoyer le dossier au Service de l’immigration car elle a considéré que ce dernier n’avait pas examiné les menaces que les proches de W. auraient proférées. Elle a reconnu que le Service de l’immigration avait commis une erreur à cet égard et qu’il n’avait pas suffisamment vérifié les faits relatifs au dossier.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 15 décembre 2016, l’État partie indique qu’il considère que la communication est irrecevable car elle est manifestement dénuée de fondement. Il reprend largement le raisonnement adopté par la Commission de recours des réfugiés dans ses décisions concernant le recours de l’auteur en matière d’asile, et décrit dans le détail l’organisation et les procédures de la Commission. Selon lui, l’auteur n’a pas démontré qu’il existait des motifs sérieux démontrant que ses droits avaient été violés dans le cadre de la procédure de demande d’asile.

4.2L’État partie considère que la communication est dénuée de fondement pour les mêmes raisons. Le 1er juin 2015, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la deuxième demande de réexamen de l’affaire déposée par l’auteur, au motif qu’il revenait aux experts chargés d’examiner le recours de décider, au jour de l’audience prévue, de reporter ou non l’examen de l’affaire. Cette décision a été prise conformément à la pratique établie de la Commission, selon laquelle les décisions relatives au réexamen ou au report d’une affaire sont prises par un groupe d’experts au sein de la Commission et non par le secrétariat de celle-ci, lorsqu’une audience a déjà été programmée. Cette pratique permet à tous les membres du groupe de discuter de la procédure et des considérations procédurales de l’espèce.

4.3En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel la Commission de recours des réfugiés a rejeté de manière non justifiée sa demande de faire déposer sa femme comme témoin à l’audience relative à son recours le 17 juin 2015, l’État partie soutient que, en vertu de l’article 54 (par. 1) de la loi sur les étrangers, la Commission a toute latitude pour ce qui est d’interroger ou non le demandeur d’asile et tel ou tel témoin et d’admettre ou non des éléments de preuve. Si les déclarations d’un demandeur d’asile semblent cohérentes et exemptes de contradictions, la Commission les acceptera généralement comme des faits. Selon sa pratique établie, la Commission permet généralement à un demandeur d’asile de faire déposer un témoin lorsque ce dernier est directement concerné par les motifs d’asile invoqués par le demandeur. Toutefois, elle peut rejeter cette déposition dès lors que, après appréciation globale des circonstances de l’affaire, il apparaît que cette déposition n’influerait pas sur l’issue du dossier. En l’espèce, la Commission a conclu que l’auteur n’était pas crédible. Par conséquent, elle a décidé que le témoignage de W. n’aurait aucune incidence sur l’issue du dossier. De plus, l’auteur n’a soulevé, au cours de la procédure relative au regroupement familial ou de la procédure de demande d’asile, aucun problème que W. aurait rencontré et qui aurait été de nature à justifier que l’on accorde une protection internationale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires du 29 mai 2017, l’auteur soutient que l’État partie a reconnu que la Commission de recours des réfugiés n’avait pas motivé son refus d’entendre la déposition de W. à l’audience de recours concernant la demande d’asile de l’auteur. L’État partie a également reconnu que les demandes de déposition d’un témoin étaient normalement acceptées si le témoignage était directement lié à la demande de protection déposée par le demandeur d’asile. L’auteur est conscient qu’une telle demande peut être refusée lorsqu’il peut être établi avec un degré élevé de certitude que le témoignage ne serait pas pertinent pour l’issue du dossier. Toutefois, il a déclaré à la Commission que W. avait reçu des menaces incessantes, dont il ignorait la teneur car elles étaient rédigées dans une langue qu’il ne comprenait pas. La Commission n’a pas conclu que les menaces étaient sans pertinence pour l’examen de la demande de protection présentée par l’auteur, mais elle a conclu que les menaces alléguées, quand bien même elles seraient avérées, n’étaient pas d’une intensité suffisamment élevée pour justifier l’octroi d’une protection à l’auteur.

5.2L’État partie semble demander au Comité d’agir comme une juridiction de recours et d’évaluer la crédibilité de l’auteur et les éléments de preuve soumis au cours des procédures internes. Une telle demande constitue un usage inapproprié du mécanisme de plainte prévu par le Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de la position de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il note que l’auteur affirme que la Commission de recours des réfugiés a violé les droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte en rejetant sa demande tendant à renvoyer le dossier une deuxième fois au Service de l’immigration afin que son épouse puisse être interrogée au sujet des menaces qu’auraient proférées des proches de son père biologique. Le Comité rappelle que, selon l’article 13 du Pacte, « un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un État partie au Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s’y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin ». Il rappelle également son observation générale no 15 (1986), dans laquelle il mentionne l’obligation incombant aux États parties d’accorder aux étrangers tous les moyens d’exercer leur recours contre l’expulsion, de manière à ce qu’ils soient en toutes circonstances à même d’exercer effectivement leur droit (par. 10). Comme indiqué dans l’observation générale, l’article 13 du Pacte ne porte directement que sur la procédure, et non sur les motifs de fond de l’expulsion (par. 10).

6.4En l’espèce, le Comité relève que l’auteur, qui est entré légalement au Danemark, risquait d’être expulsé du pays après le rejet de sa demande de regroupement familial, puis de la demande d’asile et des recours connexes. Le Comité note que l’auteur vit toujours au Danemark et que le Service de l’immigration a refusé sa demande de regroupement familial sur le fondement d’un critère applicable de la même manière à tous les demandeurs, à savoir que, à l’époque, W. n’avait pas atteint l’âge minimum légal requis, condition à laquelle elle satisfait depuis le 1er janvier 2017. Il relève que l’auteur a eu la possibilité de former recours contre la décision du Service de l’immigration et de soumettre des arguments pour contester son expulsion à la Commission des recours en matière d’immigration, ce qu’il a fait. Le Comité note que le Service de l’immigration et la Commission ne se sont pas contentés d’examiner les motifs ordinaires relatifs au regroupement familial mais ont également cherché à savoir si l’auteur était éligible à un permis de séjour pour motif exceptionnel. Après un examen individualisé, la Commission a rejeté le recours de l’auteur dans une décision écrite motivée, en présumant toutefois que les allégations de persécution qu’il avait formulées en lien avec les menaces proférées par les proches du défunt père biologique de W. en Iraq et en République islamique d’Iran seraient réexaminées au cours de la procédure de demande d’asile, alors pendante. Or l’auteur n’avait pas parlé de ces menaces au cours de l’entretien détaillé qu’il avait eu avec le Service de l’immigration en 2013 sur le fond de sa demande d’asile. Le Comité note que, lorsque l’auteur a effectivement parlé de ces menaces dans le cadre du recours formé contre le rejet de sa demande d’asile, la Commission de recours des réfugiés a renvoyé le dossier au Service de l’immigration en vue d’un nouvel examen complet. Le Service de l’immigration a alors procédé à un deuxième entretien détaillé sur le fond avec l’auteur concernant ses griefs modifiés relatifs à sa demande d’asile. Le Comité a noté que, d’après les transcriptions des deux entretiens qui avaient eu lieu, le 1er novembre 2013 et le 1er décembre 2014, entre l’auteur et le Service de l’immigration sur le fond de la demande d’asile, l’auteur avait pu expliquer dans le détail ses griefs initiaux et modifiés et répondre aux questions visant à faire la lumière sur les lacunes et les incohérences relevées dans ses déclarations. Les deux entretiens se sont déroulés dans la langue maternelle de l’auteur avec l’appui d’interprètes que celui-ci comprenait, et l’auteur a eu la possibilité de revoir et de commenter les transcriptions écrites des entretiens. Lors du réexamen de l’affaire dans le cadre du second recours que l’auteur avait formé concernant sa demande d’asile, la Commission de recours des réfugiés a tenu une audience au cours de laquelle l’auteur a de nouveau eu l’occasion d’expliquer et de clarifier les motifs pour lesquels il demandait l’asile. Le Comité note que la Commission de recours des réfugiés a, par la suite, rejeté le recours de l’auteur par une décision écrite motivée, dans laquelle elle a expliqué ses conclusions concernant chacun des motifs que l’auteur avait avancés pour sa demande d’asile, et mentionné diverses incohérences dans le récit de l’auteur. Au vu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur a disposé de suffisamment de moyens de procédure pour faire valoir ses arguments contre son expulsion et pour que ces arguments soient examinés de manière individualisée par des organes de décision au niveau national.

6.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la Commission de recours des réfugiés aurait peut-être conclu qu’il était crédible si W. avait été interrogée par le Service de l’immigration ou si elle avait pu déposer à l’audience devant la Commission. Il rappelle que, conformément à son observation générale no 15 (1986), la jouissance effective du droit des étrangers d’accéder à tous les moyens d’exercer des recours contre l’expulsion dépend des circonstances (par. 10). Il note que, dans la communication, l’auteur ne dit pas avoir fourni au Service de l’immigration ou à la Commission une déclaration écrite pertinente de W. qui n’aurait pas été prise en considération. Il note également que l’auteur n’a pas fourni, dans sa communication, d’informations concrètes concernant les menaces qui auraient été adressées à son épouse et à la mère de celle-ci par les membres de la famille élargie de W. Il fait remarquer que l’auteur n’explique pas, dans sa communication, pour quelles raisons il croit que ces menaces étaient dirigées contre lui (question à laquelle il a donné des réponses contradictoires au cours du deuxième entretien avec le Service de l’immigration concernant le fond de sa demande d’asile, en 2014) et n’explique pas en quoi ces menaces auraient justifié l’octroi de l’asile. Par conséquent, il considère que l’auteur n’a pas suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles la Commission l’aurait jugé crédible si W. avait été interrogée par le Service de l’immigration ou si elle avait pu déposer devant la Commission. Dans ces circonstances, le Comité considère que, bien qu’il conteste la décision de la Commission de rejeter sa demande tendant à renvoyer le dossier une deuxième fois au Service de l’immigration et à entendre le témoignage de W., l’auteur n’a pas suffisamment étayé son argument selon lequel le rejet de ces demandes a constitué une irrégularité de procédure susceptible d’avoir injustement porté préjudice à l’issue des procédures relatives à demande d’asile et d’avoir ainsi eu un effet déterminant sur celles-ci, en violation des droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte.

6.6Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel la Commission de recours des réfugiés a renvoyé le dossier au Service de l’immigration parce que celui-ci avait commis une erreur, au cours de la première procédure de demande d’asile, en omettant d’examiner les menaces émanant des membres de la famille de W. Toutefois, le Comité rappelle que, selon les transcriptions de l’entretien préliminaire et des entretiens sur le fond qui ont eu lieu entre le Service de l’immigration et l’auteur en 2013, ce dernier n’avait pas formulé d’allégations concernant de telles menaces au cours de la phase initiale de la procédure en matière d’asile. En effet, au cours de la deuxième phase de la procédure (au moment du réexamen du dossier par le Service de l’immigration), il a été demandé à l’auteur d’expliquer pourquoi il n’avait pas parlé de ces menaces au cours de la phase initiale. Le Comité note que l’auteur a répondu qu’il ne s’était pas rendu compte que cette information serait utile aux fins de sa demande d’asile, et qu’il l’avait donnée dans le cadre de sa demande de regroupement familial. Étant donné que les informations dont dispose le Comité indiquent que l’auteur n’avait pas fondé sa demande d’asile initiale sur les menaces proférées par les membres de la famille de W. ni mentionné ces menaces dans sa demande d’asile ou lors des entretiens avec le Service de l’immigration concernant sa demande d’asile en 2013, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé son argument selon lequel le fait que le Service de l’immigration n’a pas examiné, au cours de la phase initiale de la procédure d’asile, les griefs liés aux menaces faites par les membres de la famille représente une erreur de procédure constitutive d’une violation des droits que l’auteur tient de l’article 13 du Pacte.

6.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 13 du Pacte n’est pas suffisamment étayé. En conséquence, il déclare la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.