Nations Unies

CCPR/C/137/D/2806/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 mai 2023

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant lacommunication no 2806/2016*,**

Communication présentée par:

Abdelkader Mahjouba (représenté par un conseil, William Woll)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie:

Belgique

Date de la communication:

20 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 26 avril 2023 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

17 mars 2023

Objet:

Droit à un procès équitable

Question(s) de procédure:

Néant

Question(s) de fond:

Caractère disproportionné et discriminatoire de la peine infligée ; absence de traduction des décisions de justice rendues

Article(s) du Pacte:

2 (par. 1 et 3), 9, 10, 14 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Abdelkader Mahjouba, de nationalité française, né le 7 mars 1990. Il prétend que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 1 et 3), 10, 14 et 26 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 17 août 1994. L’auteur est représenté par un conseil, William Woll.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1De mars à septembre 2012, une série de vols suivant le même mode opératoire se sont produits en Belgique. Dans le cadre d’une enquête, le 16 mars 2012, la police française a retrouvé l’une des voitures qui avaient été volées, dans un garage, à Villeneuve-d’Ascq. Dans le coffre de la voiture en question, la police a trouvé un arrache-clou sur lequel, à la suite d’une expertise, l’ADN de l’auteur a été identifié.

2.2Le 27 septembre 2012, l’auteur, remis à la police belge dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen, a été interrogé par le juge d’instruction belge sur la présence de son ADN sur l’arrache-clou. L’auteur a alors expliqué que l’arrache-clou provenait du magasin de son frère, dans lequel il avait travaillé et qui avait fait l’objet de cambriolages à plusieurs reprises.

2.3Par suite d’un rapport du 28 septembre 2012 comparant le profil de référence d’ADN de l’auteur avec la trace d’ADN trouvée sur l’arrache-clou, l’auteur a été condamné le 25 mars 2013 par le tribunal de grande instance d’Ypres à une peine de onze ans d’emprisonnement. L’auteur indique que le jugement en question a été rédigé en néerlandais, une langue qu’il ne comprend pas.

2.4L’auteur a fait appel devant la cour d’appel de Gand le 14 juin 2013, avançant entre autres les moyens selon lesquels, pour certaines infractions qui lui avaient été imputées, le mandat d’arrêt européen n’était pas recevable. L’auteur avançait également l’absence de contre-expertise d’ADN, l’absence de copie du rapport du test d’ADN effectué en France sur l’arrache-clou et le fait que la police française n’avait pas transmis l’échantillon prélevé sur l’arrache-clou aux autorités belges, et demandait l’irrecevabilité de la confrontation au travers d’une glace sans tain à laquelle il avait été soumis. Enfin, l’auteur demandait l’exclusion de l’arrache-clou comme élément de preuve, car il n’avait pas pu avoir accès à cette pièce malgré sa demande au juge d’instruction, le 28 septembre 2012, qui avait affirmé que l’ADN de l’auteur se trouvait sur l’objet en question. L’auteur indique que son droit à un procès équitable a été violé du fait que l’arrache-clou contesté n’a pas été déposé au greffe.

2.5Le 27 juin 2013, la cour d’appel a ordonné au ministère public belge de mettre l’arrache-clou à sa disposition pour permettre à la défense de procéder à une contre-expertise. Le 18 septembre 2013, l’auteur a été informé que l’arrache-clou, le rapport du test d’ADN ainsi que le premier échantillon prélevé étaient parvenus au greffe de la cour d’appel. Ledit rapport indiquait que seul l’un des deux échantillons retrouvés sur l’arrache-clou contenait l’ADN de l’auteur.

2.6Le 2 octobre 2013, l’auteur a adressé une requête au juge fédéral compétent demandant une contre-expertise à partir d’un nouveau matériau cellulaire d’un autre endroit de l’arrache-clou. Le 21 octobre 2013, dans une lettre adressée à la défense par le magistrat fédéral, « une note d’audience supplémentaire » indiquait que la demande de la défense d’effectuer une contre-expertise n’avait pas été prise en considération « car on ne peut que décider que le profil ADN pur sur la tête de l’arrache-clou est celui de M. Mahjouba ». L’auteur a donc pris note du refus. Or, le magistrat fédéral s’est référé à un autre rapport d’expertise établi par le professeur Deforce après une réclamation de sa part effectuée le 24 septembre 2013. Cependant, ce rapport n’a pas été joint à la lettre adressée à la défense le 21 octobre 2013. Le 22 octobre 2013, le greffe de la cour d’appel a porté à la connaissance de la défense, par télécopie, plusieurs documents qui avaient été déposés au dossier, y compris le nouveau rapport d’expertise. Courant octobre 2013, le juge fédéral a fait procéder à une nouvelle expertise de sa propre initiative, sans en informer la défense de l’auteur ni prélever chez ce dernier un nouvel échantillon d’ADN.

2.7Le 20 décembre 2013, la cour d’appel de Gand a constaté que l’auteur n’avait pas pu procéder à une contre-expertise réelle de l’arrache-clou, et ajouté qu’il était peu probable qu’il existe encore une quantité suffisante de matériel génétique humain qui soit restée sur le frottis afin de permettre une contre-expertise. Dans tous les cas, cette incapacité à effectuer une contre-expertise sur cet échantillon ne signifiait pas, selon elle, que le droit à un procès équitable de l’accusé avait été violé, désormais qu’il était en mesure d’effectuer une contre‑expertise de la trace trouvée et qui avait été établie par le premier expert. L’auteur était en mesure d’effectuer une telle contre-expertise depuis au moins la fin de septembre 2013, et qui pouvait être achevée avant l’audience. La cour a estimé que les droits de la défense et le droit à un procès équitable n’avaient donc pas été violés, et a condamné l’auteur à une peine de treize ans de prison ferme dans une décision rédigée en néerlandais.

2.8L’auteur s’est pourvu en cassation et, le 6 mai 2014, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’auteur dans un arrêt rédigé en néerlandais.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur estime que l’État partie a violé le principe de l’égalité des armes défini par l’article 14 du Pacte, déplore le caractère disproportionné et discriminatoire de la peine qui lui a été infligée et dénonce l’absence de traduction des décisions rendues contre lui.

3.2L’impossibilité pour l’auteur de pouvoir faire une contre-expertise de l’arrache-clou, qui est le seul et unique élément de preuve le rattachant aux vols, constitue selon l’auteur une violation du principe de l’égalité des armes.

3.3L’auteur indique avoir été condamné injustement à treize ans de prison ferme alors qu’il n’avait jamais été condamné auparavant en Belgique ou ailleurs. Eu égard au crime que l’auteur considère comme mineur, car il n’y a eu aucun mort ni blessé grave, il estime que la peine qui lui a été infligée est sévère, disproportionnée et discriminatoire, entraînant une violation de l’article 14 (par. 1) lu conjointement avec les articles 10 (par. 3) et 26 du Pacte.

3.4Le fait que les procès en première et seconde instances se sont déroulés en néerlandais et que les décisions rendues ont été rédigées en néerlandais, une langue que l’auteur ne comprend pas, constitue une discrimination déraisonnable et incompatible avec le droit à un procès équitable défini par l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. L’auteur argue du fait que le droit à un procès équitable impose la présence d’un interprète dans le cadre d’un procès pénal, pour que le prévenu soit capable de se défendre. Cette imposition s’étend à l’ensemble du procès. Ainsi, l’auteur allègue que la limitation de la présence d’un interprète seulement pendant le procès et l’absence de traduction des décisions rendues constituent une violation de l’article 14 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.5En conséquence, l’auteur demande au Comité de constater une violation des dispositions du Pacte et requiert de l’État partie une juste réparation sous la forme d’une libération immédiate, d’une indemnisation adéquate pour les années de prison effectuées, du remboursement des frais liés à la traduction des décisions de justice et, subsidiairement, de l’organisation d’un nouveau procès respectant les obligations résultant du droit à un procès équitable, défini par l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 14 mars 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond. Il affirme n’avoir pas violé l’article 14 (par. 1 et 3) du Pacte en ce qu’il n’a pas violé le principe de l’égalité des armes entre la défense et les autorités de poursuite dans le cadre d’un procès pénal. Il soutient que ce principe implique uniquement que chaque partie au procès puisse utiliser les mêmes moyens procéduraux et prendre connaissance dans les mêmes conditions de pièces et d’éléments soumis à l’appréciation du juge saisi, et les contredire librement. Il ne s’ensuit pas que des parties ayant des qualités et des intérêts distincts doivent toujours se trouver dans des circonstances identiques pour jouir de ces possibilités.

4.2L’auteur affirme n’avoir pas eu la possibilité de faire procéder à une contre-expertise de l’arrache-clou. Or, cet outil serait, selon lui, le seul et unique élément de preuve qui pourrait le rattacher aux vols et sur lequel les juges de première et de seconde instances se sont appuyés à l’exclusion de tout autre élément de preuve pour le condamner. L’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, il appartient aux tribunaux d’appel des États parties, et non au Comité, d’évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée, à moins qu’il soit possible de prouver que les juridictions nationales ont été nettement arbitraires. Comme cela est mentionné dans l’arrêt du 20 décembre 2013 de la cour d’appel de Gand, le magistrat fédéral a joint au dossier l’arrache-clou et une copie certifiée conforme du rapport de l’analyse d’ADN effectuée en France sur, entre autres, l’arrache-clou, conformément à la demande de l’arrêt interlocutoire du 27 juin 2013. Selon le rapport officiel no 1820/2013 de la police judiciaire fédérale à Ypres, daté du 9 septembre 2013, le rapport d’analyse susmentionné a été reçu le 6 septembre 2013, et l’arrache-clou a été déposé auprès du greffe du tribunal correctionnel à Ypres le même jour, sous le numéro OS 851/13.

4.3Le magistrat fédéral a démontré que l’avocat de l’auteur avait bien été informé, le 1er septembre 2013, par courriel, que l’arrache-clou avait été déposé auprès du greffe et que le rapport d’analyse de l’ADN avait été joint au dossier. La cour d’appel de Gand a relevé que la demande d’ajout de ces documents n’ayant été faite que dans l’arrêt interlocutoire du 27 juin 2013, la période pendant laquelle les documents avaient été transférés, en tenant compte des vacances, était acceptable. Rien ne permet de conclure que le magistrat fédéral avait pu auparavant disposer des pièces. Aucun acte déloyal quant aux preuves à fournir ne peut être valablement présumé. L’auteur avait par cet avis également suffisamment de temps pour étudier ces questions ou les faire examiner.

4.4Devant la cour d’appel de Gand, l’auteur a déjà fait valoir que le fait qu’il n’avait pas pu procéder à une contre-expertise sur l’échantillon prélevé sur l’arrache-clou en France et sur lequel, selon le test d’ADN effectué en France, son propre profil ADN se trouvait, impliquait que cette preuve n’aurait pas dû être utilisée dans le cadre d’une procédure pénale menée en Belgique. Il invoque à cet égard l’article 13 de la loi du 9 décembre 2004 sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale. Le juge correctionnel doit évaluer à cet égard la légalité de la preuve obtenue à l’étranger en examinant si le droit étranger reconnaît l’élément de preuve utilisé et s’il n’est pas contraire à l’ordre public belge, et si la preuve a été obtenue en conformité avec la loi étrangère. Pour ce faire, le juge peut utiliser toutes les données qui lui sont soumises conformément à la procédure en vigueur et que les parties ont été en mesure de contredire.

4.5L’auteur n’invoque pas l’obtention illégale de l’arrache-clou. De plus, plusieurs tests d’ADN ont été effectués sur l’arrache-clou à la demande de l’officier de police judiciaire avec l’autorisation du Procureur de la République française à Lille, le 18 mars 2012. Ces tests ont été effectués par un expert qualifié du laboratoire scientifique de Lille.

4.6Par ailleurs, la cour d’appel de Gand a constaté, à raison, que « s’il est peu probable qu’il existe encore une quantité suffisante de matériel génétique humain suite au frottis afin de permettre une contre-expertise, l’auteur est, en tous cas, en mesure d’effectuer une contre-expertise sur la base du profil ADN du premier échantillon de la trace trouvée établi par le premier expert, et ce, avant l’audience du 14 novembre 2013 ».

4.7Contrairement à ce que l’auteur affirme, il ne ressort pas du rapport de l’expert qualifié du laboratoire de Lille que l’échantillon d’ADN est en réalité un mélange de profils. Cela ne peut également être déduit du rapport du professeur Deforce daté du 14 octobre 2013, qui déclare explicitement qu’« il y a eu un prélèvement et on a procédé à des tests ADN sur la tête de l’arrache-clou par le laboratoire de police scientifique de Lille. Ainsi, on a pu obtenir un profil ADN masculin pur ».

4.8La cour d’appel de Gand a conclu à juste titre qu’il n’y avait aucune raison de rejeter le rapport d’analyse de l’ADN comme preuve obtenue de la France et qu’à partir de cette preuve, il était clair que le profil ADN de l’auteur avait été trouvé sur l’arrache-clou.

4.9Après un nouvel examen approfondi des pièces du dossier et les débats lors des audiences, la cour d’appel de Gand a conclu qu’étaient établis, à charge de l’auteur, les faits des actes d’accusation A à M et O, cette dernière accusation concernant seulement la période antérieure au 8 mars 2012, et à l’exception des faits de Courtrai et de Langemark-Poelkapelle.

4.10Par ailleurs, les éléments de preuve à la base de cette conclusion défavorable à l’auteur ne se résument pas, comme il le prétend, à l’analyse qui a permis de conclure que son ADN était sur l’arrache-clou retrouvé dans la voiture volée. La cour d’appel de Gand a en effet relevé une série d’éléments conduisant à une conclusion défavorable à l’auteur : a) lors d’une perquisition au domicile de l’auteur ont été retrouvés des vêtements volés provenant d’un cambriolage commis le 25 février 2012 à 5 h 20 dans un magasin de vêtements de Bergues ; b) lorsque l’auteur a été interrogé sur ce cambriolage, il a d’abord nié, puis avoué qu’il en était l’un des auteurs, par suite du fait que son ADN avait été retrouvé sur les lieux ; c) l’auteur a partagé le butin provenant du cambriolage ; d) au moins l’une des quatre empreintes de chaussures trouvées à Bergues a également été retrouvée sur le lieu du cambriolage commis à Wevelgem le 1er mars 2012, et l’auteur a reconnu qu’il portait entre autres des chaussures de cette marque ; e) dans la voiture volée le 1er mars 2012 lors du cambriolage de Zulte et retrouvée le 16 mars 2012 dans un garage à Villeneuve-d’Ascq, on a trouvé d’autres vêtements provenant du cambriolage de Bergues ; f) la déclaration écrite d’un voisin de l’entreprise où l’auteur aurait travaillé pour son frère et où l’outil aurait été volé en février 2012 n’est pas fiable, parce qu’il n’y a pas de dépôt de plainte officiel, sauf plainte en mai 2012, soit postérieure aux faits reprochés, et que la cour d’appel de Gand ne peut se convaincre du pur hasard qui consisterait à retrouver dans un véhicule dans lequel l’auteur prétend n’être jamais monté un marteau avec son ADN et des vêtements issus du cambriolage de Bergues auquel il reconnaît avoir participé ; g) un arrache-clou similaire a été utilisé dans les faits commis les 7 et 8 mars 2012, comme le montre une vidéo des faits à Roulers ; et h) la voiture volée le 1er mars 2012 a aussi été utilisée dans les faits commis les 7 et 8 mars 2012.

4.11La Cour de cassation a noté par ailleurs que l’alinéa 2 du paragraphe 4 de l’article 90 undecies du Code d’instruction criminelle prévoyait que, si le rapport de l’enquête initiale révélait que la quantité récupérée des traces de cellules humaines était insuffisante pour établir un nouveau profil ADN, une contre-expertise était alors effectuée sur la base de nouvelles cellules humaines prélevées sur la personne concernée et du profil ADN de la trace détectée établi par le premier expert.

4.12La raison pour laquelle il doit apparaître du rapport en question que la quantité de cellules humaines était insuffisante pour élaborer un nouveau profil ADN réside dans le fait d’informer les parties sur la façon dont la contre-expertise peut être effectuée. Ce rapport ne lie pas le juge. L’article du Code d’instruction criminelle détermine la méthode de contre-expertise au cas où le matériel génétique s’avérerait insuffisant afin de pouvoir établir un nouveau profil ADN. Le fait que l’auteur puisse procéder à une contre-expertise dans cette hypothèse prouve que ses droits ne sont pas méconnus.

4.13Comme il apparaît dans l’arrêt de la Cour de cassation, en considérant que le demandeur n’a pas effectué la contre-expertise qu’il pouvait effectuer sur la base du profil ADN de la trace détectée établi par le premier expert, à défaut de quantité suffisante de matériel génétique humain resté sur le prélèvement pour faire l’objet d’une contre-expertise, l’arrêt de la cour d’appel de Gand répond aux moyens de défense relevés par l’auteur, et la décision est régulièrement motivée et juridiquement fondée.

4.14L’État partie ne peut suivre l’auteur dans le raisonnement selon lequel, pour que soit envisagée la seconde possibilité de contre-expertise visée par l’article du Code d’instruction criminelle, l’arrêt aurait dû constater qu’il ressortait du rapport de l’enquête initiale que la quantité de matériel génétique humain retrouvée était insuffisante pour établir un nouveau profil ADN. En effet, si l’auteur, après le dépôt de l’arrache-clou au greffe à sa demande, avait logiquement fait usage de la possibilité qu’il avait de faire procéder à une contre-expertise, la situation aurait été la suivante : soit il restait, contrairement à ce que supputait le juge d’appel, une quantité suffisante de matériel génétique humain sur le prélèvement pour permettre la contre-expertise, soit, à défaut, la contre-expertise pouvait être effectuée sur la base du profil ADN de la trace détectée établi par le premier expert. L’incapacité de l’auteur à effectuer une contre-expertise sur la base d’un nouveau profil ADN ne signifie pas que son droit à un procès équitable et son droit à la défense ont été méconnus, puisqu’il disposait encore de la seconde possibilité de contre-expertise offerte par le Code d’instruction criminelle. Dès lors, le principe de l’égalité des armes nécessaire au respect du droit à un procès équitable a, en l’espèce, été pleinement respecté.

4.15En ce qui concerne le caractère proportionné et non discriminatoire de la peine, l’auteur a été condamné à treize ans de prison ferme. Invoquant les articles 2 (par. 1), 10 (par. 3), 14 et 26 du Pacte, l’auteur fait valoir que cette peine serait disproportionnée et discriminatoire compte tenu du fait qu’il n’avait jamais été condamné auparavant, que les faits qui lui ont été reprochés dans cette affaire étaient essentiellement des vols de voitures, qu’il n’y avait eu aucun mort ni blessé grave et qu’une peine de prison aussi longue pour de tels faits n’avait pas vocation à l’amendement ou au reclassement social de l’auteur.

4.16Le premier juge relevait déjà que l’arrestation de l’auteur pour les quatre attaques violentes en bande commises début mars 2012, ayant donné lieu à confrontation des malfaiteurs armés d’arrache-clous et de barres de fer avec les victimes − dont certaines ont reçu des coups −, n’avait pas entraîné chez l’auteur de coopération avec les autorités de poursuite, ni reconnaissance de culpabilité ou de regret.

4.17Pour sa part, la cour d’appel de Gand relevait que l’auteur avait été acquitté de certains actes d’accusation et n’était poursuivi ni pour les faits commis à Courtrai ni pour la période postérieure au 8 mars 2012, à Courtrai et à Langemark-Poelkapelle. La cour, dans sa recherche de n’imputer à l’auteur que les charges qui avaient fait l’objet de preuves solides, l’a en effet acquitté de certains chefs d’accusation. L’identification de l’auteur par une victime dans le cadre d’une confrontation au travers d’une glace sans tain n’a pas été acceptée comme preuve, vu qu’un dossier de photos contenant entre autres le visage de l’auteur avait déjà été montré à la victime. Il ne pouvait en effet être exclu que la reconnaissance lors de la confrontation ait été entraînée par la consultation par la victime du dossier de photos.

4.18L’auteur faisait partie d’une association qui visait à commettre des atteintes à des personnes ou à des biens. Il s’agissait clairement d’un groupe organisé dont la principale motivation était de commettre des vols avec effraction et violence ou menaces, principalement pendant la nuit, à l’aide des véhicules nécessaires au transport d’une grande quantité de butin. Les lieux où les biens devaient être volés étaient choisis à l’avance, et les malfaiteurs savaient exactement qu’il y avait une voiture de luxe dans un garage fermé. Vu la culpabilité de l’auteur concernant les faits des 1er, 6, 7 et 8 mars 2012, il est clair que celui‑ci avait la volonté de faire partie de cette association.

4.19Les faits établis sont extrêmement graves. L’auteur faisait partie d’une bande qui venait de France en Belgique pour commettre, quatre fois dans la même nuit, des cambriolages avec ou sans violences. Les malfaiteurs agissaient très froidement et ont été cruels et agressifs envers plusieurs victimes qui ne cherchaient qu’à protéger leurs biens. En plus des vols de biens de valeur, leur intention était de semer la terreur sur leur passage. Le déploiement d’un grand nombre de policiers pendant une longue durée a été nécessaire pour faire les constats utiles, prendre les victimes en charge, faire des recherches et poursuivre les malfaiteurs. Les faits ont fortement perturbé la sécurité publique. La bande de l’auteur a attaqué le magasin d’informatique de deux des parties civiles − C. W. et M. D. V. −, qui ont été violentées. Lors de l’attaque qui a endommagé le magasin et permis la prise d’un butin considérable, C. W. a été frappé à coups de marteau, et M. D. V. a été poussée au sol, une expérience très éprouvante et traumatisante pour eux. N. W., le fils du couple, a été confronté au cambriolage immédiatement après les faits ainsi qu’à la souffrance physique et psychique de ses parents.

4.20Il faut également prendre en considération le traumatisme et la peur d’E. D., quand les malfaiteurs sont entrés dans sa chambre à coucher alors que sa fille âgée de moins de 1 an était présente.

4.21Compte tenu du danger que constitue l’auteur, et qui résulte des faits établis, ainsi que de son absence de remords, la cour d’appel de Gand a estimé que la peine de onze ans de prison imposée par le premier juge était trop légère et a jugé que la peine maximale prévue par le Code pénal, soit quinze années de prison ferme, était justifiée pour protéger de manière suffisante et prolongée la société et la sécurité publique, et empêcher la possibilité de récidive de l’auteur. Compte tenu du fait qu’il n’existait pas de preuve concluante sur le rôle exact de l’auteur dans l’association de malfaiteurs et de son absence d’antécédents judiciaires, cette peine a toutefois été portée à treize ans d’emprisonnement.

4.22L’État partie invite dès lors le Comité à conclure au caractère proportionné et non discriminatoire de la peine, puisque toute personne ayant commis les mêmes faits dont est accusé l’auteur est passible de la peine maximale.

4.23Enfin, concernant l’assistance d’un interprète lors des audiences, l’auteur reconnaît qu’il a bénéficié au cours des audiences de l’aide d’un traducteur du néerlandais vers le français. Il invoque toutefois le fait que quatre décisions de justice rendues sur son cas n’ont pas été traduites et qu’il a dû les traduire lui-même à ses frais, pour les besoins de la présente communication.

4.24La traduction des décisions de justice constituerait une discrimination à l’encontre des citoyens belges qui sont censés connaître le français et le néerlandais. L’article14 (par. 3 f)) du Pacte impose la présence d’un interprète en cas de besoin dans le cadre d’un procès pénal. Cette mesure est dictée par le souci de permettre au prévenu de se défendre correctement. Par ailleurs, l’article 2 (par. 3) du Pacte interdit toute discrimination en lien avec l’un des droits protégés par le Pacte, notamment en matière de langue.

4.25Selon l’auteur, il n’y aurait donc eu aucune raison de limiter l’obligation de traduction aux seules audiences, comme l’indique l’article 14 (par. 3) du Pacte. Même s’il est vrai que l’auteur a dû traduire lui-même et à ses frais les quatre décisions de justice qui ont été rendues dans son affaire, il est inexact d’en conclure que sa famille et lui ignoraient les raisons exactes de ses condamnations. L’auteur ne pouvait les ignorer puisque, comme il le reconnaît, il a bénéficié d’un traducteur du néerlandais vers le français à chaque audience. Il était donc bien, du fait de cette assistance par un interprète, en situation, comme le demande l’article 14 (par. 3) du Pacte, d’argumenter et de se défendre. Le fait qu’une décision le condamnant ne soit pas traduite ne lui interdisait pas de faire appel en toute connaissance de cause, puisqu’il pouvait avoir recours à un traducteur ainsi qu’à son avocat pour lui expliquer les raisons justifiant l’appel de la première décision.

4.26Quant à la supposée discrimination dont l’auteur serait l’objet par rapport aux citoyens belges, il n’en est rien. Les citoyens belges ne jouissent pas dans leur totalité d’une connaissance suffisante des deux langues pour ne pas avoir, tout comme l’auteur, recours à un interprète à l’audience ainsi qu’à un traducteur pour les jugements rendus.

4.27En effet, actuellement, l’article 22 de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire permet au prévenu qui ne comprend qu’une seule des langues nationales de demander la traduction des procès-verbaux, des déclarations de témoins ou de plaignants, et des rapports d’experts rédigés dans les autres langues nationales. Cette disposition ne permet la traduction que des pièces énumérées, à l’exclusion de toute autre pièce au dossier.

4.28Aux côtés de l’article 22 figure l’article 38 de la même loi, qui impose la traduction de tout acte de procédure, jugement ou arrêt en matière répressive (à l’exception des pourvois en cassation) rédigé dans l’une des langues nationales lorsque celui-ci doit être signifié ou notifié dans une autre région linguistique belge. L’article 38 requiert que l’acte signifié ou notifié soit accompagné d’une traduction dans la langue correspondant à la région linguistique de Belgique vers laquelle est réalisée la signification ou la notification. Cette obligation de traduction est donc indépendante des facultés linguistiques du destinataire − qui, en l’espèce, réside non dans une région linguistique belge, mais en France −, à ceci près qu’il peut y être dérogé si le destinataire a choisi ou accepté la langue de la procédure.

4.29De toutes les considérations qui précèdent, il ressort que les griefs de l’auteur sont dénués de toute apparence de fondement et que la présente communication ne contient aucun argument concret qui puisse un tant soit peu étayer ces affirmations et mettre en doute les constatations circonstanciées des juridictions internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 21 avril 2017, l’auteur apporte quelques précisions quant à l’iniquité de la procédure au terme de laquelle il a été condamné à treize ans de prison ferme, complétant ainsi sa soumission initiale en invoquant également la violation de l’article 9 du Pacte.

5.2En réponse aux observations de l’État partie, l’auteur souhaite préciser des faits à l’origine de sa communication et expliciter plus en détail en quoi ces faits ont porté atteinte à son droit à un procès équitable protégé par l’article 14 du Pacte.

5.3L’affaire a débuté en 2012 par une série de vols commis en Belgique et qui incluait le vol d’une voiture. Par la suite, la voiture volée a été retrouvée en France avec, dans son coffre, un arrache-clou sur lequel un laboratoire d’analyse français a rapidement identifié une trace d’ADN de l’auteur. Une fois extradé vers la Belgique, l’auteur a tout d’abord été jugé par le tribunal de grande instance d’Ypres, qui a considéré que la trace d’ADN était suffisante pour le relier aux vols commis en Belgique et pour l’incriminer. À cette époque, l’auteur n’avait pas eu connaissance du rapport du laboratoire français ayant procédé à l’analyse de l’arrache‑clou. L’auteur a changé d’avocat et fait appel. Il a alors demandé la communication du rapport de l’analyse effectuée par le laboratoire, et une contre-expertise de l’arrache-clou.

5.4Le rapport, mais aussi l’échantillon prélevé l’incriminant ainsi que l’arrache-clou sont parvenus en Belgique, à la cour d’appel de Gand, le 18 septembre 2013. À la lecture du rapport, l’avocat de l’auteur a découvert qu’il y avait eu, en réalité, deux échantillons prélevés par le laboratoire français sur la tête de l’outil. En revanche, l’ADN de l’auteur ne figurait pas sur l’autre échantillon qui, par ailleurs, contenait d’autres traces d’ADN (pour lesquels il n’y a pas eu de suite). Ce résultat était potentiellement de nature à remettre en question, devant les premiers juges, l’implication de l’auteur dans les vols commis, mais il n’a malheureusement pas été versé aux débats. L’auteur affirme que le parquet l’a sciemment dissimulé aux juges de première instance, sous prétexte que le rapport était resté en France.

5.5Le 2 octobre 2013, parce qu’il doutait que le prélèvement cellulaire soit bien celui de son client, l’avocat de l’auteur a demandé au juge fédéral l’autorisation officielle de faire effectuer une contre-expertise de l’arrache-clou en utilisant un nouvel échantillon cellulaire de son client. Cette demande a été rejetée par le juge au motif que l’« on ne peut que décider que le profil ADN pur sur la tête de l’arrache-clou est celui de M. Mahjouba ». Curieusement, quelques jours plus tard, le juge fédéral, sans informer l’auteur et son avocat, a ordonné une nouvelle expertise sans prélever un nouvel échantillon cellulaire sur l’auteur. Le rapport du professeur Deforce, qui a procédé à l’analyse, établit que l’ADN de l’auteur ne figurait pas sur l’arrache-clou. En revanche, il a trouvé sur cet outil la présence de l’ADN d’une dizaine de personnes inconnues. Finalement, sans tenir compte de cette seconde expertise ordonnée par le juge fédéral à l’insu de la défense, ni de l’absence de contre-expertise effectuée par la défense, la cour d’appel de Gand a confirmé la culpabilité de l’auteur et a aggravé sa peine initiale en le condamnant à treize ans de prison ferme.

5.6Contrairement aux craintes de l’État partie, l’auteur ne demande pas au Comité de se substituer aux juges belges et de se prononcer sur son innocence. Il demande seulement que soit constaté le fait qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable, dans la mesure où il n’a pas eu à sa disposition les mêmes armes que celles du parquet, et que les juges de la cour d’appel de Gand ont fait preuve d’un manque d’impartialité à son égard. Il a donc subi un déni de justice.

5.7L’auteur ajoute que l’article 14 du Pacte a fait l’objet d’une observation générale dans laquelle le Comité rappelle que l’exigence d’impartialité comprend deux aspects. Premièrement, les juges ne doivent pas laisser des partis pris ou des préjugés personnels influencer leur jugement ni nourrir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis, ni agir de manière à favoriser indûment les intérêts de l’une des parties au détriment de l’autre. Deuxièmement, le tribunal doit aussi donner une impression d’impartialité à un observateur raisonnable. Ainsi, un procès sérieusement entaché par la participation d’un juge qui, selon le droit interne, aurait dû être écarté, ne peut pas normalement être considéré comme un procès impartial.

5.8L’auteur a été condamné par le tribunal de grande instance d’Ypres et par la cour d’appel de Gand qui, pour le relier aux délits, ne disposaient que d’un élément extrêmement mince, nonobstant les dénégations de l’État partie : un rapport d’un laboratoire étranger évoquant une trace d’ADN figurant sur un seul des deux échantillons prélevés, ADN qui s’est révélé inexistant lors de la seconde expertise effectuée sur ordre d’un juge fédéral et sans que la défense en soit informée.

5.9Par ailleurs, la cour d’appel de Gand n’a pas tenu compte du second rapport d’expertise, rédigé par le professeur Deforce à la demande du juge fédéral et à l’insu de l’auteur, et qui pourtant mettait en évidence la présence sur l’arrache-clou de l’ADN d’au moins 10 personnes différentes. Dans ces conditions, et sauf à considérer toutes ces personnes comme coupables, l’auteur n’aurait jamais dû être condamné, qui plus est, à treize ans de prison ferme.

5.10Ce parti pris des juridictions belges s’explique probablement par la violence des propos tenus dans les médias à l’égard de l’auteur, condamné par la presse avant tout procès. Le jugement des membres de la cour d’appel de Gand s’en sera trouvé altéré. Partant, l’auteur conclut à l’absence d’impartialité des magistrats du tribunal de grande instance d’Ypres et de la cour d’appel de Gand.

5.11Quant au déni de justice, l’auteur considère qu’il n’a pas pu faire effectuer de contre-expertise de l’échantillon de l’arrache-clou qui l’incriminait ni de l’arrache-clou lui-même. Le juge fédéral belge a ordonné une nouvelle expertise de l’arrache-clou − qui s’est révélée négative − sans l’en informer, et la cour d’appel de Gand n’a pas tenu compte de la seconde expertise qui disculpait l’auteur et s’est fondée sur le rapport établi par le laboratoire français dont rien ne prouve qu’il disposait d’un échantillon cellulaire d’ADN de l’auteur. La peine prononcée est très lourde et totalement inhabituelle pour ce type de délit, puisqu’il s’agit d’une première condamnation et qu’aucune mort n’est à déplorer.

5.12Depuis son transfert en France, l’auteur n’a cessé de clamer son innocence. Il souhaite que sa peine soit annulée ou qu’un nouveau procès soit organisé mais qui, cette fois, prendra en considération l’absence de contre-expertise et établira la vérité.

5.13Enfin, l’auteur considère que l’État partie a violé l’article 9 du Pacte. En l’espèce, l’auteur a été condamné à treize ans de prison ferme de façon totalement imprévisible, sans que la seule preuve qui l’incriminait puisse être contre-expertisée et, qui plus est, par une cour d’appel manifestement partiale qui ne remplissait pas les critères d’un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 14 du Pacte. Partant, l’auteur conclut également à la violation de l’article 9 du Pacte.

5.14L’auteur déplore le fait que dans ses observations, l’État partie n’avance aucun argument concret et prétend que la peine infligée n’est pas excessive sans, par exemple, apporter de statistiques contraires.

5.15L’auteur demande que l’État partie lui accorde une juste réparation, qui devrait consister en sa libération immédiate, une indemnisation adéquate pour les années de prison déjà effectuées, le remboursement des frais exposés pour saisir le Comité, y compris ceux occasionnés par la traduction des décisions de justice l’ayant condamné, et subsidiairement, l’organisation d’un nouveau procès qui, cette fois-ci, respectera les principes du droit à un procès équitable fixés par l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité note que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication. Il note également que l’auteur a soulevé une violation de l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte à son égard. Rappelant sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief distinct au regard du Protocole facultatif, du fait qu’elles ne peuvent être invoquées que conjointement avec d’autres articles substantiels du Pacte, le Comité considère que les griefs de l’auteur au titre de l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte, en ce que l’État partie aurait violé le principe de l’égalité des armes, en raison de l’impossibilité pour l’auteur d’avoir pu effectuer une contre‑expertise de l’arrache-clou qui, selon lui, est le seul et unique élément de preuve le rattachant aux vols. Le Comité prend note également des observations de l’État partie selon lesquelles le principe de l’égalité des armes implique uniquement que chaque partie au procès puisse utiliser les mêmes moyens procéduraux, prendre connaissance dans les mêmes conditions de pièces et d’éléments soumis à l’appréciation du juge saisi, et les contredire librement. Cela ne signifie pas que les parties ayant des qualités et des intérêts distincts doivent toujours se trouver dans des circonstances identiques pour jouir de ces possibilités. Le Comité prend note en outre des informations fournies par l’État partie selon lesquelles la condamnation de l’auteur ne se fondait pas uniquement sur l’ADN retrouvé sur l’arrache-clou, mais également sur d’autres éléments de preuve. Il ressort aussi des informations mises à disposition du Comité que l’auteur disposait d’un délai d’environ deux mois (de fin septembre au 14 novembre 2013) pour effectuer la contre-expertise de l’arrache-clou, mais que celui-ci ne l’a pourtant pas effectuée.

6.5Le Comité rappelle que les dispositions de l’article 14 du Pacte, de façon générale, visent une saine administration de la justice, et considère qu’il appartient aux tribunaux des États parties, et non au Comité, d’évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée et qu’au vu des décisions des juridictions belges, il n’est pas possible de démontrer que les juridictions nationales ont été arbitraires.

6.6 Le Comité rappelle que l’article 14 du Pacte porte sur l’égalité procédurale. Il estime que les allégations de l’auteur portent essentiellement sur l’appréciation des faits et des preuves effectuée par les juridictions belges et sur l’application de la législation nationale. Le Comité rappelle qu’il n’est pas compétent en dernier ressort pour réévaluer les constatations de fait ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que la procédure devant les juridictions internes a été arbitraire ou a constitué un déni de justice, ou que les tribunaux ont par ailleurs violé leur obligation d’indépendance et d’impartialité. Au vu des informations contenues dans le dossier, le Comité n’est pas en mesure de conclure qu’il y a eu une violation du principe de l’égalité des armes par les juridictions internes, ou que les juges de la cause, étant intervenus dans trois instances distinctes, ont violé leur obligation d’indépendance et d’impartialité aussi bien en première instance que dans le cadre des recours interjetés ultérieurement. En l’espèce, le Comité n’est pas en mesure, sur la base des éléments à sa disposition, de conclure qu’en statuant sur l’affaire de l’auteur, les tribunaux nationaux ont agi de manière arbitraire ou que leur décision s’analysait en déni de justice. En conséquence, ces allégations sont irrecevables en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7 Le Comité prend également note du grief que l’auteur tire de l’article 26 du Pacte, à savoir que l’État partie l’a condamné à treize ans d’emprisonnement en seconde instance (au lieu de onze ans en première instance) et que l’auteur considère cette condamnation comme disproportionnée et discriminatoire compte tenu du fait qu’il n’avait jamais été condamné auparavant, que les faits qui lui ont été reprochés dans cette affaire sont essentiellement des vols de voitures, qu’il n’y a eu aucun mort ni blessé grave, et qu’une peine de prison aussi longue pour de tels faits n’a pas vocation à l’amendement ou au reclassement social de l’auteur. Le Comité prend note toutefois des éléments avancés par l’État partie selon lesquels les faits établis sont extrêmement graves et que l’auteur faisait partie d’une bande qui venait de France en Belgique pour commettre, quatre fois dans la même nuit, des cambriolages avec ou sans violences, et juge irrecevable ce grief. Comme cela est mentionné précédemment, le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte se réfère aux mêmes faits que ceux soulevés au titre de l’article 14 (par. 1), puisqu’il allègue que les conclusions des juridictions belges étaient partiales et arbitraires, ce qui a conduit à une peine disproportionnée. Le Comité considère, comme cela est énoncé dans le précédent paragraphe, qu’il n’est pas en mesure d’établir sur la base des éléments à sa disposition qu’en statuant sur l’affaire de l’auteur, les tribunaux nationaux ont agi de manière discriminatoire. Il rappelle également qu’il n’est pas compétent en dernier ressort pour réévaluer les constatations de fait ou l’application de la législation nationale. En conséquence, le Comité déclare les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte irrecevables en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8 Le Comité note que l’auteur soulève des griefs au titre des articles 9 et 10 du Pacte. Toutefois, l’auteur n’explique pas en quoi et de quelle manière ses droits auraient été violés. Le Comité déclare donc que ses griefs au titre des articles 9 et 10 du Pacte sont irrecevables, car non suffisamment étayés et, par conséquent, non fondés.

6.9 En revanche, le Comité considère que les griefs formulés par l’auteur concernant l’absence de traduction des décisions de justice sont suffisamment fondés, et déclare que la présente communication est recevable en ce qu’elle concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 3) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 26, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1 Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2 En ce qui concerne le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 3) du Pacte concernant l’absence de traduction des décisions de justice du néerlandais vers le français, le Comité constate que l’auteur a bénéficié de l’assistance d’un interprète et d’un avocat parlant néerlandais, lors de toutes les audiences. L’auteur a donc eu la possibilité d’argumenter et de se défendre lors de son procès, conformément aux dispositions de l’article 14 (par. 3 f)) du Pacte. Par ailleurs, l’auteur argue du caractère discriminatoire lié à l’absence de traduction des décisions de justice dans sa langue ; or, il n’explique pas en quoi il aurait été victime de discrimination au sens de l’article 26 du Pacte. En effet, l’auteur n’apporte pas d’éléments selon lesquels des personnes dans une situation identique à la sienne, soit de nationalité française ou étrangère, ne comprenant pas le néerlandais, auraient vu les décisions de justice rendues contre elles traduites dans leur langue par les autorités belges. Par ailleurs, les observations de l’État partie font clairement référence à la législation nationale selon laquelle, en application de l’article 38 de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire, la traduction de tout acte de procédure, jugement ou arrêt en matière répressive (à l’exception des pourvois en cassation) rédigé dans l’une des langues nationales est imposée lorsque celui-ci doit être signifié ou notifié dans une autre région linguistique belge. Ledit article requiert que l’acte signifié ou notifié soit accompagné d’une traduction dans la langue correspondant à la région linguistique de Belgique vers laquelle est réalisée la signification ou la notification. Cette obligation de traduction est donc indépendante des facultés linguistiques du destinataire qui, en l’espèce, résidait non dans une région linguistique belge, mais en France. Le Comité considère que ni l’auteur ni sa famille ne pouvaient ignorer les raisons exactes de ses condamnations, puisqu’il a bénéficié, comme il le reconnaît, à chaque audience, d’un traducteur et d’un avocat. Le fait qu’une décision le condamnant ne soit pas traduite ne lui interdisait pas de faire appel en toute connaissance de cause, puisqu’il pouvait avoir recours à un traducteur ainsi qu’à son avocat pour lui expliquer les raisons penchant ou non en faveur d’un appel de la première décision.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 3) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 26.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation par l’État partie de l’article 14 du Pacte.