Nations Unies

CCPR/C/134/D/2965/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 avril 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2965/2017 * , **

Communication soumise par :

M. R. et L. J. (représentés par un conseil, Lennar Binder)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et leurs enfants, M. R., T. R., T. L. R. et H. R.

État partie :

Autriche

Date de la communication :

27 février 2017 (lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er mars 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

25 mars 2022

Objet :

Expulsion vers la Bulgarie

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3) et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont M. R. et L. J., tous deux de nationalité iraquienne, nés en 1984 et en 1983, respectivement. Ils soumettent la communication en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs, M. R., T. R., T. L. R. et H. R., nés en 2005, 2006, 2009 et 2010, respectivement. Ils affirment qu’en les expulsant vers la Bulgarie, l’État partie violerait les droits qu’eux et leurs enfants tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 mars 1988. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 1er mars 2017, conformément à l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs vers la Bulgarie tant que la communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs ont fui l’Iraq à une date non précisée en 2016 car ils craignaient d’être persécutés dans ce pays et ils sont entrés en Bulgarie en mai 2016. Ils affirment qu’à leur arrivée en Bulgarie, eux-mêmes et leurs enfants ont été frappés à coups de bâton par des policiers bulgares qui voulaient les forcer à coopérer avec la police et à fournir leurs empreintes digitales. Ils affirment également que leur logement en Bulgarie n’était pas adapté aux jeunes enfants.

2.2Après avoir quitté la Bulgarie, les auteurs ont demandé l’asile en Autriche. Leur demande a été rejetée par le Tribunal administratif fédéral le 1er février 2017 en vertu du Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (Règlement Dublin III). Les auteurs font observer qu’en droit interne, l’appel d’une décision du Tribunal administratif fédéral n’a pas d’effet suspensif automatique, mais doit être autorisé par la Cour administrative suprême ou la Cour constitutionnelle. Ils expliquent qu’au moment de la soumission de leur communication, la demande qu’ils avaient introduite afin d’obtenir l’assistance juridique nécessaire pour porter leur affaire devant la Cour administrative suprême ou la Cour constitutionnelle était en cours d’examen mais que, leur expulsion étant imminente, aucun recours utile n’était disponible.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que leur expulsion vers la Bulgarie les exposerait à un risque réel de traitement contraire à l’article 7 du Pacte car les mauvaises conditions d’accueil en Bulgarie constitueraient un traitement inhumain et dégradant. Ils renvoient à un rapport de pays publié dans la base de données sur l’asile, dans lequel il est noté que le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a continué d’exprimer des préoccupations concernant les conditions d’accueil inadéquates en Bulgarie, l’absence d’identification systématique des demandeurs d’asile vulnérables et de système permettant de répondre à leurs besoins, la qualité des décisions sur les demandes d’asile et des procédures, et l’absence de programme d’intégration pour ceux qui ont obtenu le statut de personne protégée. Ils affirment que les conditions dans les centres d’accueil et les centres de détention en Bulgarie sont constitutives de mauvais traitements. Ils se réfèrent aux rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dans lesquels des préoccupations ont été exprimées concernant les mauvaises conditions d’hygiène, la surpopulation, la malnutrition, l’absence d’accès à l’éducationpour les enfants, les mauvaises conditions matérielles ainsi que l’absence de soins médicaux, de services d’interprétation et d’informations sur la procédure d’asile dans les centres d’accueil et les centres de détention en Bulgarie. Il y est également signalé que des plaintes pour mauvais traitements et violences de la part de gardiens ont été enregistrées. Les auteurs affirment qu’il n’existe en Bulgarie aucun instrument permettant d’identifier les demandeurs d’asile vulnérables, et que même si une personne est identifiée comme une personne vulnérable, le système d’accueil ne prévoit pas de soins spéciaux ou d’autres mesures de protection.

3.2Les auteurs affirment également que les demandeurs d’asile sont souvent placés en détention en Bulgarie et que le système d’asile présente des défaillances structurelles. Ils renvoient à un rapport de pays selon lequel lorsqu’un demandeur d’asile est renvoyé en Bulgarie en vertu du Règlement Dublin III, il est probable que les autorités bulgares aient mis fin à la procédure de demande d’asile le concernant ou qu’une décision négative ait été rendue en son absence, ce qui signifie que les personnes transférées sont susceptibles d’être placées dans un centre de détention en Bulgarie à leur retour. Même si une personne n’est pas détenue, dans le cas d’un transfert en application du Règlement Dublin III, il est probable qu’elle aura perdu son droit au logement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 28 avril 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication. Il y affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées et que les griefs des auteurs ne sont pas suffisamment étayés. Il fait observer que les auteurs ont soumis leur communication et une demande de mesures provisoires au Comité le 27 février 2017 et qu’ils ont été transférés en Bulgarie le 28 février 2017. La demande du Comité tendant à ce que les auteurs ne soient pas transférés en Bulgarie lui a été transmise le 1er mars 2017. Il s’ensuit que, même si ses autorités avaient agi immédiatement, il lui était impossible de donner suite à la demande de mesures provisoires.

4.2L’État partie indique que les auteurs lui ont demandé l’asile le 20 août 2016. Une consultation du fichier Eurodac a montré qu’ils avaient déjà présenté une demande d’asile en Bulgarie le 27 juillet 2016. Le 22 août 2016, l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile a déposé une demande de transfert des auteurs vers la Bulgarie en application du Règlement Dublin III, que la Bulgarie a acceptée le 31 août 2016.

4.3Le 28 décembre 2016, l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile a rejeté la demande d’asile des auteurs. Considérant que la Bulgarie était responsable de l’examen de leur demande en vertu du Règlement Dublin III, il a ordonné le transfert des auteurs vers la Bulgarie. Le 12 janvier 2017, les auteurs ont fait appel de cette décision devant le Tribunal administratif fédéral. Ils ont fait valoir que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Bulgarie n’étaient pas conformes aux normes de l’Union européenne et qu’ils seraient amenés à vivre dans des conditions déplorables pour ce qui était de l’alimentation, de l’hébergement et du traitement qui leur serait réservé. Le 1er février 2017, le Tribunal a rejeté leur appel pour défaut de fondement. Il a fait valoir qu’un demandeur d’asile était tenu de présenter des raisons suffisamment concrètes pour expliquer pourquoi un transfert vers un autre État membre de l’Union européenne entraînerait un défaut de protection contre la persécution, et en particulier une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Il a noté que les auteurs avaient affirmé qu’ils manqueraient de nourriture et de soins en Bulgarie et qu’ils pourraient être exposés à des risques supplémentaires, comme le risque d’enlèvement d’enfants. Il a estimé que les auteurs avaient fait des déclarations imprécises et vagues et qu’ils n’avaient pas démontré l’existence d’un risque réel de violation des droits énoncés à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en cas de transfert vers la Bulgarie. Il a fait observer qu’après avoir constaté des améliorations en ce qui concernait l’enregistrement des demandeurs d’asile en Bulgarie, le traitement des demandes d’asile et les conditions de vie dans les centres d’accueil, le HCR avait conclu qu’une suspension générale des transferts vers la Bulgarie n’était plus justifiée, mais qu’il pouvait y avoir des raisons de ne pas procéder à un transfert dans le cas de certaines personnes vulnérables. Il a également fait observer qu’aucune décision n’avait été rendue sur le fond de la demande d’asile des auteurs en Bulgarie et que si la procédure avait été clôturée après le départ des auteurs, ceux-ci auraient la possibilité de demander la réouverture de leur dossier. Il a en outre souligné que les demandeurs d’asile en Bulgarie avaient droit à un hébergement et à des soins pendant toute la durée de la procédure d’asile et que plusieurs organisations non gouvernementales apportaient une assistance aux demandeurs, qui pouvaient se tourner vers elles en cas de problème. Il a estimé que les auteurs n’avaient pas décrit en termes suffisamment concrets les défaillances structurelles dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil en Bulgarie, ni démontré qu’ils avaient subi dans ce pays un quelconque traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il a également estimé que l’allégation générale des auteurs selon laquelle un transfert vers la Bulgarie porterait atteinte aux droits qu’ils tiennent de l’article 3 était beaucoup trop vague et insuffisamment étayée pour permettre de conclure à un risque réel de violation de leurs droits fondamentaux. Il a en outre relevé que les auteurs ne présentaient pas de graves problèmes de santé et qu’en tout état de cause, les soins de santé étaient garantis en Bulgarie. Qui plus est, aucun autre élément de risque n’avait été avancé par les auteurs dans leur demande d’asile en Autriche.

4.4L’État partie soutient en outre que la communication est irrecevable au motif que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il indique qu’après avoir soumis la communication au Comité, les auteurs ont déposé des demandes d’aide juridictionnelle devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle le 10 mars 2017. L’aide juridictionnelle a été accordée par la Cour constitutionnelle le 14 mars 2017 et par la Cour administrative suprême le 4 avril 2017. L’État partie indique qu’au moment où il soumet ses observations, les recours sont toujours pendants. Il précise qu’un recours contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale n’a d’effet suspensif que si le Tribunal administratif fédéral lui reconnaît expressément un tel effet. En vertu de l’article 17 de la loi sur l’Office fédéral de l’immigration et la procédure d’asile, un tel recours a un effet suspensif si le transfert du demandeur d’asile entraîne un risque réel de violation des articles 2, 3 ou 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ou de ses protocoles no 6 ou no 13, ou s’il met gravement en danger la vie de l’intéressé en tant que civil ou l’intégrité de sa personne en raison de la violence aveugle pouvant régner dans les situations de conflit international ou de conflit interne. Conformément à l’article 133 de la Loi constitutionnelle fédérale, un recours contre les décisions du Tribunal administratif fédéral peut être formé dans un délai de six semaines auprès de la Cour administrative suprême. En outre, l’article 144 de la Loi constitutionnelle fédérale prévoit la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle pour contester une décision du Tribunal administratif fédéral au motif que celle-ci viole un droit fondamental consacré par la Constitution. L’aide juridictionnelle est disponible pour les deux procédures et les recours formés peuvent dans les deux cas s’accompagner d’une demande d’effet suspensif. Si une décision de transfert est annulée en appel après que le demandeur a été transféré, l’État membre qui a procédé au transfert doit, conformément à l’article 29 (par. 3) du Règlement Dublin III, reprendre en charge sans tarder la personne concernée. L’État partie affirme que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours disponibles et utiles étant donné qu’ils ont soumis la communication au Comité avant d’introduire des recours devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle, sachant en particulier que ces recours pouvaient s’accompagner de demandes d’effet suspensif afin d’empêcher un éventuel transfert.

4.5L’État partie fait valoir qu’en l’espèce, les demandes des auteurs ont été examinées de manière approfondie par l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile et par le Tribunal administratif fédéral. Tous deux ont examiné en détail la situation générale des demandeurs d’asile en Bulgarie ainsi que la situation personnelle des auteurs et ont estimé que le transfert des intéressés vers la Bulgarie n’entraînerait pas de risque réel de violation de leurs droits. L’État partie affirme que les récits faits par les auteurs lors de l’examen de leurs demandes étaient contradictoires. Au départ, les auteurs n’ont mentionné aucun aspect négatif de leur séjour en Bulgarie. Ce n’est que lors d’un entretien ultérieur, le 17 novembre 2016, que le mari a affirmé qu’il avait été maltraité par des policiers bulgares et forcé à donner ses empreintes digitales et qu’un des enfants avait été frappé par un policier. Sa femme, en revanche, n’a mentionné aucun de ces prétendus incidents lorsqu’elle a été interrogée à la même date, se contentant de déclarer qu’elle ne voulait pas retourner en Bulgarie. Les auteurs ont également fait des déclarations contradictoires au sujet de leur hébergement en Bulgarie, le mari affirmant qu’ils n’avaient pas été logés, tandis que selon la femme ils avaient été hébergés dans un camp. L’État partie fait en outre observer que les rapports de pays mentionnés par les auteurs dans leur communication ne sont pas à jour et ne reflètent pas la situation actuelle en Bulgarie. L’État partie fait valoir que les rapports sur la situation des demandeurs d’asile en Bulgarie établis par des organisations non gouvernementales, par le HCR et par l’agent de liaison autrichien du Ministère fédéral de l’intérieur ont été dûment pris en considération dans les décisions prises par ses autorités.

4.6L’État partie rappelle que la Bulgarie s’est engagée à respecter la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) (Directive sur les conditions d’accueil) et d’autres instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il fait valoir que le HCR ne recommande pas actuellement de ne pas procéder à des transferts vers la Bulgarie au titre du Règlement Dublin III. De plus, un plan d’assistance spéciale à la Bulgarie a été élaboré en décembre 2014 par le Bureau européen d’appui en matière d’asile. L’État partie fait également référence à la Directive sur les conditions d’accueil, qui a été adoptée afin de garantir aux demandeurs d’asile un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans tous les États membres de l’Union européenne. Cette Directive a pour objet de garantir que la dignité humaine des demandeurs d’asile soit pleinement respectée et qu’il soit tenu compte des besoins spéciaux de certains d’entre eux, ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle édicte des normes minimales applicables dans tous les États membres de l’Union européenne en ce qui concerne la liberté de circulation, l’accès aux soins de santé, au marché du travail et à l’éducation, la fourniture de conditions d’hébergement adéquates et d’une alimentation suffisante et l’évaluation et la prise en compte des besoins particuliers.

4.7L’État partie renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire R. A. A. et Z. M. c. Danemark, dans lesquelles le Comité a estimé que le transfert vers la Bulgarie d’un couple et de leur nourrisson au titre du Règlement Dublin III constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il affirme toutefois que la présente espèce diffère sensiblement de l’affaire citée en ce que celle-ci avait été introduite en 2014, alors que l’état du système bulgare d’asile et d’accueil était bien pire qu’aujourd’hui, que les auteurs avaient le statut de réfugié et se trouvaient dans une situation de vulnérabilité particulière parce qu’ils avaient un nourrisson, que le mari souffrait d’une maladie cardiaque nécessitant un traitement médical d’urgence et que le Danemark n’avait pas examiné le point de savoir s’il existait un risque réel de mauvais traitements.

4.8Le 31 août 2017, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il y fournit des informations supplémentaires sur les procédures internes et indique que les auteurs ont formé des recours devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle après que celles-ci leur ont accordé une aide juridictionnelle, recours qui étaient toujours en cours d’examen au moment de la soumission des observations. Il fait observer que l’effet suspensif a été accordé par la Cour administrative suprême le 14 juin 2017. Il constate que les auteurs avaient initialement affirmé que leur demande d’aide juridictionnelle aux fins d’une action devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle était pendante au moment de la soumission de leur communication au Comité. Il réfute cette affirmation et indique que leurs demandes d’aide juridictionnelle ont été déposées le 10 mars 2017. Il réaffirme que les auteurs n’ont donc pas épuisé tous les recours internes.

4.9En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie note que les auteurs n’ont pas expliqué en quoi leur droit à un recours utile a été violé. Il renvoie à ses observations sur la recevabilité et fait valoir que son système juridique offre de multiples recours utiles contre les décisions en matière d’asile et les mesures de renvoi. En ce qui concerne les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 du Pacte, il note que les auteurs font référence aux mauvaises conditions de vie des demandeurs d’asile en Bulgarie. Il fait observer qu’une telle déclaration générale ne constitue pas un motif suffisant pour conclure à une violation du Pacte. Il renvoie à ses observations sur la recevabilité de la communication et réaffirme que les demandes des auteurs ont été examinées de manière approfondie par l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile et le Tribunal administratif fédéral.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 14 mai 2018, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils réaffirment que la communication est recevable.

5.2Les auteurs réaffirment que les recours devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle ne sont pas des recours utiles car ils n’ont pas d’effet suspensif automatique. Ils ajoutent que la possibilité d’introduire une demande d’effet suspensif devant ces juridictions ne rend pas ces recours utiles car « en pratique, l’octroi de l’effet suspensif, qui est à la discrétion de l’autorité compétente, n’a pas lieu ».

5.3Les auteurs indiquent, en ce qui concerne la procédure interne, que la Cour administrative suprême a annulé la décision du Tribunal administratif fédéral le 30 août 2017. Les auteurs et leurs enfants ne sont toutefois pas retournés en Autriche et se sont installés en Turquie.

5.4Les auteurs renvoient à leur plainte initiale et réaffirment qu’il y a eu violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

Observations complémentaires de l’État partie

6.Le 22 juin 2018, l’État partie a soumis des observations complémentaires sur la communication. Il y confirme que le 30 août 2017, la Cour administrative suprême a annulé la décision rendue par le Tribunal administratif fédéral le 1er février 2017, jugeant laconclusion « incompréhensible », et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal fédéral, devant lequel la procédure était toujours pendante au moment de la soumission. Compte tenu de la décision de la Cour administrative suprême, la Cour constitutionnelle a mis fin à la procédure engagée par les auteurs le 11 octobre 2017. L’État partie réaffirme qu’il ressort des conclusions des autorités nationales que celles-ci ont procédé à un examen attentif et approfondi des griefs des auteurs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes disponibles, étant donné que les auteurs ont soumis la communication au Comité avant d’introduire des recours devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle, compte tenu en particulier du fait que les recours devant ces deux juridictions peuvent s’accompagner de demandes d’effet suspensif. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel ce n’est qu’après avoir soumis leur communication au Comité que les auteurs, le 10 mars 2017, ont déposé des demandes d’aide juridictionnelle auprès de la Cour administrative suprême et de la Cour constitutionnelle. Il note également que les auteurs affirment que les recours devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle ne constitueraient pas des recours utiles puisqu’ils n’ont pas d’effet suspensif.

7.4Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, même s’il n’est pas obligatoire d’épuiser les recours internes si ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs de communications doivent faire preuve de la diligence voulue pour exercer les recours disponibles, et de simples doutes ou supputations quant à l’utilité de ces recours ne les dispensent pas de les épuiser.

7.5Le Comité rappelle sa jurisprudence dans l’affaire B. A. et consorts c. Autriche, dans laquelle il a estimé qu’il n’était pas empêché par l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif d’examiner la communication, que les auteurs avaient soumise alors que les recours qu’ils avaient introduits contre le rejet de leurs demandes d’asile étaient encore pendants devant le Tribunal administratif fédéral, après quoi ils auraient pu se pourvoir devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle. Il rappelleaussi que, lorsqu’un recours réputé être ouvert à la victime ne la protège pas contre un événement qu’elle tente d’empêcher et qui aurait pour conséquence de lui causer un préjudice irréparable, ce recours est par définition inutile. En l’espèce, il note que l’État partie indique que, conformémentà l’article 133 de la Loi constitutionnelle fédérale, un recours contre les décisions du Tribunal administratif fédéral peut être formé dans un délai de six semaines auprès de la Cour administrative suprême. Il note également que la décision de l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile dont les auteurs ont fait appel, rejetant leur demande d’asile, a été confirmée par le Tribunal administratif fédéral par décision du 1er février 2017, et que les auteurs ont été transférés en Bulgarie le 28 février 2017, c’est-à-dire avant l’expiration du délai de recours devant la Cour administrative suprême. Il note en outre qu’une aide juridictionnelle a été accordée aux auteurs par la Cour constitutionnelle le 14 mars 2017 et par la Cour administrative suprême le 4 avril 2017, que l’effet suspensif a été accordé par la Cour administrative suprême le 14 juin 2017 et que la Cour administrative suprême a annulé la décision du Tribunal administratif fédéral le 30 août 2017 et renvoyé l’affaire devant le Tribunal fédéral pour réexamen. Il constate cependant que toutes ces procédures ont eu lieu alors que les auteurs avaient déjà été transférés en Bulgarie. Il considère donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.6Le Comité note que l’État partie affirme que la communication est irrecevable pour défaut de fondement. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les demandes des auteurs ont été examinées de manière approfondie par l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile et par le Tribunal administratif fédéral, qui ont étudié en détail la situation générale des demandeurs d’asile en Bulgarie ainsi que la situation personnelle des auteurs et ont estimé que leur transfert vers la Bulgarie n’entraînerait pas un risque réel de violation de leurs droits fondamentaux. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités migratoires ont jugé que les déclarations des auteurs concernant les mauvais traitements qu’ils auraient subis en Bulgarie et leur accès au logement dans ce pays étaient contradictoires, imprécises et vagues. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel la Bulgarie s’est engagée à respecter la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Directive sur les conditions d’accueil et les autres instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il note en outre que l’État partie fait observer que le HCR a cessé de recommander de ne pas effectuer de transferts vers la Bulgarie au titre du Règlement Dublin III.

7.7Le Comité note que les auteurs affirment qu’à leur arrivée en Bulgarie, eux-mêmes et leurs enfants ont été frappés à coups de bâton par des policiers bulgares qui voulaient les forcer à coopérer avec la police et à fournir leurs empreintes digitales, et que les logements en Bulgarie ne sont pas adaptés aux jeunes enfants. Il note également que les auteurs font référence à un certain nombre de rapports qui décrivent en détail le déroulement des procédures d’asile et les conditions d’accueil en Bulgarie.

7.8En ce qui concerne l’allégation des auteurs selon laquelle ils auraient été maltraités par les autorités bulgares, le Comité note que les auteurs n’ont fourni aucune information pour étayer celle-ci et que les déclarations qu’ils ont faites à ce sujet dans le cadre de la procédure interne étaient contradictoires. Il prend aussi note de l’argument des auteurs selon lequel les installations d’hébergement en Bulgarie ne seraient pas adaptées aux jeunes enfants. Cependant, les auteurs n’ont fourni aucune information sur leur hébergement ou leur séjour en Bulgarie, et l’État partie a signalé qu’ils avaient donné des informations contradictoires à ses autorités migratoires concernant leur hébergement en Bulgarie. Le Comité considère que les allégations des auteurs concernant l’examen de leurs griefs sont l’expression de leur désaccord avec les conclusions factuelles des autorités de l’État partie. Il fait observer toutefois que les autorités nationales ont examiné tous les griefs soulevés par les auteurs, et estime que ceux-ci n’ont pas démontré que l’appréciation faite et les conclusions rendues par les autorités nationales étaient de toute évidence arbitraires ou manifestement entachées d’erreurs ou qu’elles ont constitué un déni de justice. Compte tenu des observations relatives à la situation de l’ensemble des auteurs en Bulgarie et du fait que le HCR a cessé de recommander de ne pas renvoyer les demandeurs d’asile en Bulgarie, le Comité considère que les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il conclut donc que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.