Nations Unies

CCPR/C/130/D/2866/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2866/2016 * , **

Communication présentée par :

Banyusha Khalykovna Rezazade (représentée par un conseil, Rysbek Adamaliyev, de l’organisation de protection des droits de l’homme Kylym Shamy)

Victime(s) présumée(s) :

Firuzkhan Fiziyev (décédé)

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

23 juin 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

6 novembre 2020

Objet :

Torture et décès en garde à vue

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; interdiction de la torture ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6 (par. 1) et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteure est Banyusha Khalykovna Rezazade, sœur du défunt Firuzkhan Fiziyev, née en 1976. Elle affirme que le Kirghizistan a violé les droits que son frère tenait des articles 6 et 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 29 juillet 2011, M. Fiziyev, son ami U. I. et le fils de celui-ci, U. T., ont été arrêtés par des agents du Comité d’État chargé de la sécurité nationale alors qu’ils tentaient de s’échapper pendant qu’une perquisition était menée dans le bureau de M. Fiziyev. U. I. et U. T. ont été conduits au bureau du Comité d’État à Bichkek vers minuit, le 30 juillet 2011. Ils affirment avoir été battus par des agents du Comité d’État et avoir vu M. Fiziyev être amené dans les locaux vers 0 h 20. Ils soutiennent que M. Fiziyev a été battu par des agents alors qu’ils le faisait sortir de la camionnette, puis qu’il a marché jusqu’au bâtiment. Ils ont ensuite entendu ses cris de douleurs venant de l’un des bureaux. Au matin, à un moment donné, les cris ont cessé. Lorsque l’ambulance est arrivée au bureau du Comité d’État le matin du 30 juillet 2011, M. Fiziyev était mort.

2.2Le 30 juillet 2011, la police municipale a ordonné l’examen médico-légal du corps de M. Fiziyev. Il ressort de l’examen, conclu par un rapport le 9 septembre 2011, que la victime est morte d’un traumatisme dû à de multiples blessures et à des fractures des côtes et d’autres os.

2.3Le 31 juillet 2011, l’auteure a déposé plainte auprès du bureau du procureur de la ville de Bichkek, demandant l’ouverture d’une enquête pénale. Le 9 août 2011, une enquête a été ouverte. Le 14 décembre 2011, les agents K. et B. du Comité d’État chargé de la sécurité nationale, qui avaient arrêté M. Fiziyev et l’avaient conduit au bureau du Comité d’État, ont été inculpés au titre de l’article 104 (par. 4) (atteinte grave et intentionnelle à la santé de la personne, ayant entraîné la mort sans intention de la donner), de l’article 305 (par. 2) (excès de pouvoir avec utilisation d’une arme ou de moyens spéciaux ayant entraîné des conséquences graves) et de l’article 305-1 (torture) du Code pénal. L’enquête a révélé que les agents qui avaient procédé à l’arrestation avaient fait un usage excessif de la force et battu M. Fiziyev lors de son appréhension et que c’est cela qui avait entraîné sa mort. Le 20 novembre 2013, les agents ont été acquittés de tous les chefs d’accusation par le Tribunal militaire de Bichkek. Celui-ci s’est appuyé sur le rapport médico-légal du 9 septembre 2011, dans lequel il était indiqué que, compte tenu des blessures que présentait M. Fiziyev, il lui aurait été impossible de se mouvoir de manière autonome, y compris de marcher, ainsi que sur les témoignages d’U. I. et d’U. T., qui avaient vu M. Fiziyev marcher seul lors de son arrivée dans les locaux du Comité d’État. Le Tribunal militaire a jugé que les éléments de preuve ne suffisaient pas à établir la culpabilité des deux agents et a renvoyé l’affaire pénale au bureau du Procureur général pour qu’une enquête plus approfondie soit menée et que le responsable soit identifié.

2.4Le 23 décembre 2013, l’auteure a saisi le bureau du Procureur général d’une demande d’enquête complémentaire. Elle a indiqué qu’elle ne ferait pas appel de la décision d’acquittement rendue par le Tribunal militaire, car elle ne croyait pas que les agents K. et B. étaient coupables. Les témoins, U. I. et U. T., ont dit avoir été battus par une quinzaine de personnes, dont aucune n’a été identifiée par l’enquête. Le 22 janvier 2014, l’organisation non gouvernementale Kylym Shamy a elle aussi saisi le bureau du Procureur général d’une demande d’enquête. Le 17 février 2014, l’auteure et Kylym Shamy ont été informés que, le 25 novembre 2013, le bureau du Procureur général avait introduit un recours devant le Tribunal militaire du Kirghizistan et que la culpabilité des agents K. et B. n’avait pas encore été établie.

2.5Le 11 juin 2014, le Tribunal militaire du Kirghizistan a confirmé la décision d’acquittement rendue par le Tribunal militaire de Bichkek. Le bureau du Procureur général a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Le26 août 2014, la Cour suprême a annulé les décisions des juridictions inférieures et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal militaire pour qu’elle soit jugée par un autre collège de juges. Étant donné que tous les juges du Tribunal militaire avaient déjà pris part à l’examen de l’affaire, celle-ci a été renvoyée devant le tribunal régional de Chuysk. Le 13 mai 2015, le tribunal régional a confirmé la décision du Tribunal militaire de Bichkek et acquitté K. etB. Le recours déposé par le Procureur général devant la Cour suprême a été rejeté le17 août 2015.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que la mort de son frère en détention alors qu’il était sous le contrôle d’agents du Comité d’État chargé de la sécurité nationale constitue une violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte. Elle soutient que les auteurs des faits n’ont pas été identifiés et que personne n’a été tenu pour responsable, en violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

3.2L’auteure affirme que son frère est mort des coups et blessures que lui ont infligés plus de 10 agents du Comité d’État chargé de la sécurité nationale, ce qui constitue une violation de l’article 7 du Pacte. L’État partie n’a pas empêché que des actes de torture soient commis et n’a pas veillé à ce qu’ils fassent l’objet d’une enquête approfondie, effective et indépendante, en violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

3.3L’auteure demande au Comité :

a)De constater la violation des articles susmentionnés ;

b)De demander instamment à l’État partie de procéder sans délai à une enquête approfondie et effective sur les actes de torture subis par M. Fiziyev et le décès qui en a résulté, et à poursuivre les responsables ;

c)D’accorder à la famille de la victime une indemnisation adéquate ;

d)De demander instamment à l’État partie de faire en sorte que des violations analogues ne se reproduisent pas et de mettre en place un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les faits de torture.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 19 octobre 2018, l’État partie a présenté ses observations. Il affirme que M. Fiziyev a été arrêté le 29 juillet 2011 alors qu’il essayait d’échapper au Comité d’État chargé de la sécurité nationale qui effectuait une perquisition dans son bureau dans le cadre d’une enquête pénale ouverte pour infraction à l’article 241 (par. 2) du Code pénal (acquisition, transfert, vente, stockage, transport ou port illégal d’armes à feu, de munitions, d’explosifs et d’engins explosifs). Quand les agents K. et B. l’ont retrouvé, M. Fiziyev a sauté du toit d’une grange et a été rattrapé par un chien d’intervention, qui l’a mordu à la jambe gauche. Il a été arrêté et conduit au bureau du Comité d’État le 30 juillet 2011 vers 4 h 30. Il y a été interrogé par les agents Ch. et S., ainsi que par d’autres agents dont l’identité n’est pas connue. Il a fait un malaise pendant l’interrogatoire. Une ambulance a été appelée ; le décès de M. Fiziyev a été constaté aux alentours de 5 h 30.

4.2L’État partie énumère les blessures de M. Fiziyev, qui ont été consignées dans le rapport médico-légal, et donne des renseignements sur les poursuites engagées contre les agents K. et B. (enquête pénale no 150-11-72) et sur leur procès.

4.3L’État partie affirme que, le 27 décembre 2011, une enquête pénale distincte (no 150‑11-127) a été ouverte au sujet des points suivants : la découverte de la prothèse dentaire de M. Fiziyev dans le bureau no 2 du Comité d’État ; la légalité de la détention d’U. I. et U. T., qui ont été forcés de faire de fausses déclarations, et les blessures que leur ont infligées des agents du Comité d’État ; les allégations selon lesquelles M. Fiziyev a été torturé. Le 27 février 2012, aucun suspect ne pouvant être identifié, l’enquête a été suspendue.

4.4Le 2 octobre 2015, au terme de la procédure engagée dans l’affaire no 150-11-72, les enquêtes ont été rouvertes dans les deux affaires et transmises au parquet militaire pour identification des responsables. Les 2 et 19 décembre 2015, les deux enquêtes ont été suspendues faute de suspect. Le 21 février 2017, le bureau du Procureur général a ordonné leur réouverture. Les enquêtes sont actuellement menées par le parquet militaire. Les agents K. et B. ont été poursuivis et acquittés devant les tribunaux. De ce fait, l’allégation de l’auteure selon laquelle personne n’a eu à répondre de la mort de son frère est infondée.

4.5Le 30 novembre 2018, l’État partie a une nouvelle fois soumis ses observations initiales sur la recevabilité et sur le fond, accompagnées des décisions de justice concernant les agents K. et B.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 22 octobre 2018, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle soutient que la chronologie détaillée des événements et les résultats de l’examen médico-légal auxquels l’État partie fait référence ne font que conforter ses affirmations selon lesquelles les blessures subies par M. Fiziyev lui ont été infligées dans les locaux du Comité d’État et ont provoqué sa mort. L’État partie a aussi confirmé qu’il n’y avait pas assez d’éléments pour prouver que K. et B. étaient coupables d’avoir battu M. Fiziyev. Néanmoins, depuis leur acquittement, aucune mesure n’a été prise pour identifier les responsables.

5.2Dans les informations qu’il donne sur les deux enquêtes, l’État partie ne fait pas mention des résultats obtenus. Trois années se sont écoulées depuis l’arrêt qui a acquitté les agents K. et B., mais aucun responsable n’a été identifié et n’a eu à répondre de ses actes. Alors que la victime est décédée dans les locaux du Comité d’État chargé de la sécurité nationale, pendant qu’elle était sous le contrôle d’agents de ce comité, le ministère public n’a pas entendu les responsables du Comité d’État sous l’autorité desquels les actes de torture ont été commis.

5.3Le 1er novembre 2018, l’avocat de l’auteure a déposé une nouvelle demande d’enquête complémentaire auprès du bureau du Procureur général. Dans une lettre datée du 21 novembre 2018, celui-ci a répondu que l’enquête avait été suspendue le 28 mars 2017, en raison de l’impossibilité d’identifier une personne poursuivie, et que des devoirs d’enquête étaient menés pour établir l’identité des auteurs des faits.

5.4L’auteure dit craindre que les observations de l’État partie ne fassent que confirmer le fait qu’aucune enquête effective ne sera menée concernant la mort de la victime et que les auteurs des faits ne seront pas poursuivis.

5.5Le 12 mars 2019, l’auteure a réaffirmé que les actes de torture subis par son frère et le décès de celui-ci n’avaient pas fait l’objet d’une enquête effective. Elle soutient que l’inaction de l’État partie la prive de recours utiles, étant donné qu’une action civile en dommages‑intérêts ne peut être intentée contre des fonctionnaires que dans le cadre de poursuites au pénal. L’auteure affirme avoir épuisé tous les recours utiles qui lui étaient ouverts.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteure dit avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire des articles 6 et 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). En conséquence, il déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteure affirme que M. Fiziyev est décédé le 30 juillet 2011 des suites de multiples blessures infligées par des agents du Comité d’État chargé de la sécurité nationale après son arrestation dans la nuit du 29 juillet 2011. L’État partie affirme que M. Fiziyev a été blessé au moment de son arrestation, lorsqu’il a sauté du toit, a été rattrapé par un chien d’intervention puis battu par les agents K. et B. Le Comité note que, d’après l’examen médico-légal pratiqué sur le corps de M. Fiziyev et conclu par un rapport daté du 9 septembre 2011, le décès de M. Fiziyev était dû à un traumatisme, de nombreuses blessures, des hémorragies et les fractures de plusieurs côtes, qui pouvaient avoir été causés par des objets durs et contondants. Le même rapport médico-légal indiquait que compte tenu des blessures que présentait M. Fiziyev, il lui aurait été impossible de se mouvoir de manière autonome. Le Comité constate que l’État partie ne conteste pas les conclusions dudit rapport. Toutefois, l’État partie ne répond pas, à cet égard, à l’argument de l’auteure qui affirme que son frère est entré dans les locaux du Comité d’État en marchant de manière autonome, ce qui a été confirmé par deux témoins oculaires au moins et qui semble incompatible avec la conclusion qui figure dans le rapport médico-légal et selon laquelle, dans ces conditions, il aurait été impossible à M. Fiziyev de se mouvoir de manière autonome, y compris de marcher. L’État partie n’explique pas non plus pourquoi le frère de l’auteure, s’il avait été à ce point blessé pendant son arrestation, a été emmené dans les locaux du Comité d’État chargé de la sécurité nationale et y a été interrogé, sans avoir reçu d’urgence une assistance médicale et sans qu’un procès-verbal signalant son état n’ait été établi par les agents du Comité d’État. Le Comité renvoie au paragraphe 25 de son observation générale no 36 (2018) sur le droit à la vie, selon laquelle les États parties ont un devoir accru de prendre toutes les mesures qui s’imposent raisonnablement pour protéger la vie des personnes privées de liberté par l’État, étant donné que lorsqu’ils privent une personne de sa liberté, ils ont la responsabilité de prendre soin de sa vie et de veiller à son intégrité physique.

7.3En l’espèce, l’État partie renvoie aux conclusions des enquêteurs selon lesquelles les blessures de M. Fiziyev lui ont été infligées lors de son arrestation. Il affirme ensuite que la culpabilité des deux agents qui ont procédé à l’arrestation n’a pas pu être prouvée devant les tribunaux nationaux. Les observations de l’État partie ne permettent donc pas de comprendre comment et par qui M. Fiziyev a été si grièvement blessé. Dans le même temps, l’État partie ne nie pas que le frère de l’auteure est mort pendant sa détention par le Comité d’État chargé de la sécurité nationale, des suites des blessures infligées par des agents de l’État non identifiés, et après avoir été interrogé par eux. À cet égard, le Comité note que l’État partie n’a pas répondu à l’affirmation de l’auteure selon laquelle au moins deux témoins dans les locaux du Comité d’État ont entendu son frère crier de douleur, depuis son arrivée vers 0 h 20 le 30 juillet 2011, jusqu’au matin. Compte tenu des informations détaillées fournies par l’auteure et en l’absence d’arguments clairs de l’État partie réfutant les affirmations de l’auteure, le Comité accepte les allégations de l’auteure selon lesquelles son frère est mort dans les locaux du Comité d’État chargé de la sécurité nationale, des suites des blessures infligées par des agents de l’État. Par conséquent, le Comité considère que les faits tels qu’ils ont été présentés font apparaître une violation des droits que M. Fiziyev tenait des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte.

7.4Le Comité note que l’auteure affirme que les actes de torture infligés à son frère et le décès de celui-ci n’ont pas fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme et que personne n’a eu à répondre de ces actes. Il renvoie à sa propre jurisprudence, dont il ressort qu’il incombe aux États parties de prendre soin de la vie des individus qu’ils arrêtent et placent en détention, et qu’il est indispensable de mener une enquête pénale suivie de poursuites judiciaires pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 6 du Pacte. Il rappelle en outre ses observations générales nos 31 et 36, dans lesquelles il a déclaré que, lorsqu’une enquête révélait la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, tels que ceux énoncés aux articles 6 et 7, les États parties devaient veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. Bien que l’obligation de traduire en justice les responsables de violations des articles 6 et 7 soit une obligation de moyens et non une obligation de résultats, les États parties doivent enquêter de bonne foi, sans délai et de manière approfondie, sur toutes les allégations de violations graves du Pacte formulées contre eux et contre leurs représentants, y compris sur les allégations de torture.

7.5Le Comité note que les autorités nationales n’ont pas nié que M. Fiziyev avait été battu et qu’il était décédé dans les locaux du Comité d’État chargé de la sécurité nationale, des suites des blessures qui lui avaient été infligées. Deux agents ont été désignés comme suspects dans le cadre de l’enquête et traduits en justice. Ils ont finalement été acquittés faute de preuves et les tribunaux ont ordonné au bureau du Procureur général de reprendre ses investigations et d’identifier les responsables. Le Comité constate que la décision finale d’acquittement des agents K. et B. date du 17 août 2015. Depuis lors, et en dépit de plusieurs demandes d’enquête, dont une que l’auteure a soumise au bureau du Procureur général, personne n’a été identifié comme auteur possible des faits. Le Comité note que l’État partie a fourni, à ce sujet, des informations très générales concernant les dates d’ouverture, de suspension et de réouverture des enquêtes et qu’il n’a donné aucune précision concernant les mesures prises dans le cadre de ces enquêtes ni expliqué pourquoi il était impossible de désigner des suspects, alors que des témoins avaient été entendus et que l’identité de certains des agents qui avaient interrogé M. Fiziyev après son arrivée dans le bureau du Comité d’État à Bichkek était connue.

7.6À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie n’a pas ouvert sans délai une enquête impartiale et effective sur les actes de torture subis par le frère de l’auteure et sur les circonstances de sa mort. Il considère que l’État partie n’a pas assuré de recours utile concernant la violation des droits que M. Fiziyev tenait des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures appropriées : a) pour qu’un mécanisme indépendant mène sans délai une enquête effective, approfondie, indépendante, impartiale et transparente sur les actes de torture subis par le frère de l’auteure et le décès de celui-ci, et pour que les responsables soient poursuivis et sanctionnés ; b) pour que l’auteure soit régulièrement tenue informée des progrès de l’enquête ; c) pour que l’auteure obtienne une réparation adéquate pour les souffrances qu’elles a endurées dans le cadre de la violation des droits de son frère. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.