Nations Unies

CCPR/C/131/D/2944/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 décembre 2021

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant lacommunication no 2944/2017*,**

Communication présentée par :

J. Y.(représentée par un conseil, Vincent Berger)

Victime(s) présumée(s):

L’auteure et T. N., son fils

État partie :

France

Date de la communication :

31 octobre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 février 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

5 mars 2021

Objet :

Protection de la famille ; intérêt supérieur de l’enfant

Question(s) de procédure :

Examen de la même question par une autre instance internationale ; griefs non étayés

Question(s) de fond :

Droit d’être protégé contre toute immixtion arbitraire ou illégale dans la famille ; droit des enfants à la protection ; protection de la famille

Article(s) du Pacte :

17, 23(par. 1) et 24(par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a))

1.1L’auteure de la communication est J. Y., de nationalité franco-israélienne, née en 1982. Elle présente la communication en son nom propre et au nom de son fils mineur, T. N., né en 2012. L’auteure allègue une violation par l’État partie des droits qu’elle-même et son fils tiennent des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte. La France a adhéré au Protocole facultatif le 17 février 1984. L’auteure est représentée par un conseil, Vincent Berger.

1.2Le 3 juillet 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie tendant à ce que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure indique qu’en juin 2008, dans le cadre professionnel, elle s’est installée en République de Corée. C’est là qu’elle a rencontré son compagnon, de nationalité israélo‑britannique. En 2009, grâce à un congé professionnel, elle s’est établie en Israël en vue de suivre son compagnon. La même année, elle a acquis la nationalité israélienne, sans renoncer à sa nationalité française. Elle a épousé son compagnon en 2011. Le 11novembre 2011, alors que l’auteure était enceinte de quatre mois, son mari a eu un grave accident de voiture. Le 5avril 2012, elle a donné naissance à un enfant, T.N., qui a acquis la nationalité française le 30novembre 2012.

2.2Par suite de son accident, le mari de l’auteure a été plongé dans un coma artificiel et placé sous assistance respiratoire pendant au moins trois semaines dans le service des soins intensifs de neurochirurgie, après avoir subi une longue opération, le 6décembre 2011. Du 21décembre 2011 au 27mars 2012, il a été soigné pour des traumatismes crâniens résultant de l’accident. À partir de la mi-janvier 2012, le mari de l’auteure a été autorisé à sortir le week-end, notamment pour aller chez ses parents, à Tel-Aviv. De début mars au 27mars 2012, il a été autorisé à sortir de 13 heures à 20heures et a pu rendre visite à son épouse. À compter du 1ermai 2012, il a bénéficié d’une hospitalisation de jour.

2.3En mai 2013, le mari de l’auteure a commencé un traitement à Tel-Aviv. Par suite d’un examen subi en juillet 2013, il lui a été recommandé de poursuivre des soins cognitifs et psychologiques. Il a été reconnu atteint d’une incapacité définitive de travail à cent pour cent. Il a perdu son emploi et a été dispensé du service militaire. Son permis de conduire lui a également été retiré.

2.4Le 5août 2012, quatre jours après avoir obtenu son master, l’auteure s’est rendue chez ses parents, à Marseille, en compagnie de son enfant et avec l’accord de son mari, qui n’avait pas souhaité se rendre en France. Par ce voyage, l’auteure voulait se reposer après les épreuves endurées en raison de l’accident de son mari, la naissance de son fils, l’achèvement de son master ainsi que trois déménagements successifs. II était prévu que le séjour de l’auteure et de son fils en France dure dix jours. Toutefois, sur recommandation de ses médecins, qui ont diagnostiqué une fatigue généralisée due à une anémie ainsi qu’une infection virale avec forte fièvre et des symptômes grippaux, imposant une radiographie des poumons, l’auteure,qui allaitait son fils, alors âgé de quatre mois, a dû reporter d’un mois son départ pour Israël. L’auteure souffrait également d’une lymphangite aux seins due à l’allaitement de son enfant. Ces complications de santé ont contraint l’auteure à repousser à nouveau son départ au 14septembre 2012. Le 5septembre 2012, elle a envoyé une copie des nouveaux billets d’avion à son époux.

2.5Le 13septembre 2012, à la veille de son départ pour Israël, l’auteure a appris que son mari avait obtenu d’un juge israélien une ordonnance lui interdisant de quitter le territoire israélien avec son enfant jusqu’à la majorité de ce dernier. Plus exactement, le mari de l’auteure a déposé une demande de retour de l’enfant auprès de l’autorité centrale israélienne en application de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. L’auteure a alors décidé de rester en France en attendant que la situation s’éclaircisse. Le 4novembre 2012, l’autorité centrale israélienne a saisi l’autorité centrale française.

2.6Par suite de la réception de la demande de l’autorité centrale israélienne, l’auteure a été entendue par un officier de police judiciaire de Marseille le 9 janvier 2013. Le 15 janvier 2013, le Procureur de la République de Marseille a assigné l’auteure devant le tribunal de grande instance de cette ville afin que le juge des affaires familiales ordonne le retour immédiat de l’enfant en Israël. Par jugement en date du 11 avril 2013, le tribunal de grande instance de Marseille a considéré que l’auteure retenait l’enfant illégalement en France et a ordonné son retour immédiat à sa résidence habituelle, en Israël. Le 14 mai 2013, l’auteure a interjeté appel de cette décision. Le 29 mai 2013, elle a été entendue à nouveau par un officier de police judiciaire du commissariat de Marseille. Le 26 septembre 2013, dans un arrêt avant dire droit, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a ordonné au mari de l’auteure de produire des justificatifs officiels d’engagements pris lors d’une audience tenue le 10 septembre 2013. Ces engagements incluent : la justification écrite de la mainlevée de la décision d’interdiction de sortie du territoire israélien pour l’enfant, la renonciation écrite à demander « pour le futur »une interdiction de sortie du territoire pour l’enfant et sa mère, la renonciation écrite à toute procédure coercitive pénale ou civile à l’encontre de l’auteure relative à la procédure de déplacement illicite et, enfin, la justification écrite de l’engagement de fournir pendant au moins quatre mois un logement et une aide financière pour l’auteure et l’enfant à leur retour en Israël. Par un arrêt rendu au fond le 30 janvier 2014, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé pour l’essentiel le jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 11 avril 2013.

2.7Le 15 octobre 2013, le mari de l’auteure a fait une déclaration sous serment pour se conformer à l’arrêt avant dire droit de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 26 septembre 2013. Le 12 novembre 2013, le tribunal aux affaires familiales de Petah-Tikva a annulé l’ordonnance d’interdiction de sortie du territoire concernant l’enfant du couple. Le 8 décembre 2014, le mari de l’auteure a demandé au tribunal de lui accorder la garde de l’enfant une fois ce dernier rentré en Israël. Par un jugement du 15 décembre 2014, le tribunal a décidé que la garde de l’enfant serait partagée entre ses deux parents.

2.8Entre-temps, le 4 juillet 2013, le juge aux affaires familiales de Marseille avait rejeté la demande du mari de l’auteure tendant à ce que soit prononcée l’interdiction de sortie du territoire français de l’enfant. Le 14 mars 2014, l’auteure a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt au fond de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Par un arrêt du 4 mars 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Le 14 septembre 2015, l’auteure a introduit devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence un recours en révision de l’arrêt au fond du 30 janvier 2014. L’auteure a allégué que son mari n’avait toujours pas soumis le rapport d’expertise médicale qu’a nécessairement demandé la compagnie d’assurance israélienne pour couvrir les préjudices qu’il a subis du fait de son accident de la route, cachant ainsi le fait qu’il n’avait pas la capacité physique d’exercer la garde effective de l’enfant lors du départ de ce dernier pour la France. L’auteure a produit à cet effet un rapport d’enquête d’un cabinet de détectives israéliens, daté du 21 février 2015, relatif à l’état de santé de son mari. Par un arrêt du 4 mai 2016, la cour d’appel a déclaré irrecevable le recours en révision.

2.9Le 12 août 2015, l’auteure et son enfant ont adressé à la Cour européenne des droits de l’homme une requête invoquant la violation de leurs droits protégés par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Le 15 octobre 2015, l’auteure et son fils ont reçu une lettre les informant de ce qu’un juge unique avait déclaré leur requête irrecevable « au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies ». L’auteure souligne que la lettre n’indiquait en rien les raisons pour lesquelles ces conditions n’étaient pas remplies et que rien dans la lettre ne laissait présager de ce que le juge unique avait examiné l’affaire au fond.

2.10L’auteure considère que leur cause n’a pas été « examinée » par la Cour européenne des droits de l’homme. Elle considère en outre que le Comité n’est pas en mesure de savoir si le juge unique a examiné le fond de la requête, ne serait-ce que sommairement. Elle se réfère à l’affaire Achabal Puertas c. Espagne,dans laquelle le Comité a écarté une exception préliminaire du Gouvernement espagnol qui se prévalait de la réserve formulée par l’Espagne dans les mêmes termes que la réserve de la France. L’auteure estime que le nouveau régime instauré par le Protocole no 14 à la Convention européenne des droits de l’homme depuis le 1er juin 2010 offre encore moins de garanties que celui considéré par le Comité dans l’affaire Achabal Puertas c. Espagne et que, de ce fait, le Protocole no 14 habilite le juge unique à déclarer une requête irrecevable « lorsqu’une telle décision peut être prise sans examen complémentaire ». L’auteure rappelle qu’à la date d’envoi de la présente communication, le nouveau système n’avait cependant pas encore vu le jour. Bien plus, sa mise en œuvre s’avère extrêmement difficile et incertaine.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure soutient qu’elle et son fils sont victimes d’une atteinte à leurs droits garantis par les articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte. Elle estime que le non-retour de son fils en Israël est licite au regard de l’article 3 de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, en se basant sur l’ineffectivité du droit de garde de son mari. L’auteure fait valoir qu’à l’époque des faits, son mari était hospitalisé et ne passait que quelques heures par jour avec son épouse et son fils, lequel était un nourrisson. Elle fait valoir également que deux raisons l’ont empêchée de retourner en Israël avec l’enfant : d’une part, l’état de santé du père, et d’autre part, la démarche de ce dernier, qui a sollicité d’une juridiction israélienne une interdiction de sortie du territoire israélien pour l’enfant avant même le retour de ce dernier en Israël, prévu le 14 septembre 2012, sans aucune tentative de conciliation ou de médiation préalable. L’auteure soutient que la prolongation de son séjour en France avec son fils était également motivée par son état de santé, qui s’est détérioré en raison des épreuves dues à l’hospitalisation de son mari, de ses études de master, de sa grossesse et de trois déménagements successifs ; elle soutient également que, bien que les juridictions nationales n’aient pas contesté les certificats médicaux soumis à cet effet, elles n’ont pas cherché à examiner le bien-fondé de ce motif. L’auteure fait valoir que les juridictions françaises ont méconnu l’interdiction d’immixtion arbitraire dans sa famille et le droit de cette famille à la protection de l’État, au mépris des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteure affirme que les juridictions françaises n’ont pas tenu compte des exceptions prévues par la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants pour exiger le retour immédiat d’un enfant. Elle estime qu’elle n’a pas bénéficié d’un examen effectif de ses allégations au titre de l’article13 (al. b)) de laditeconvention et de décisions spécialement motivées. L’auteure considère de ce fait que les juridictions françaises ne se sont assurées ni de l’état de santé de son mari à la suite de son accident ni des conséquences du retour de l’enfant en Israël. Ce faisant, les juridictions françaises ont méconnu le droit de l’enfant à la protection de l’État, pourtant garanti par l’article24 (par. 1) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 3avril 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication. Il estime que le Comité doit déclarer la communication irrecevable au regard de l’article5 (par. 2) du Protocole facultatif. L’État partie fait valoir qu’en l’espèce, une requête a déjà été présentée par l’auteure devant la Cour européenne des droits de l’homme sur les mêmes faits que ceux présentés devant le Comité. Devant la Cour, l’auteure a invoqué la violation de l’article8 de la Convention européenne des droits de l’homme, lu conjointement avec les articles3 et 13 (al. b)) de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, en faisant valoir que les décisions des juridictions françaises avaient porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale. Devant le Comité, l’auteure allègue une violation de l’interdiction d’immixtions arbitraires dans la famille (art. 17, par. 1, du Pacte), du droit de la famille à la protection de l’État (art. 23, par. 1) et du droit de l’enfant à la protection de l’État (art. 24, par. 1), au motif que les juridictions françaises auraient ordonné le retour de l’enfant en Israël en violation des articles3 et 13 (al. b)) de la Conventionsur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

4.2Concernant l’irrecevabilité de la requête en application des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’État partie rappelle la réserve qu’il a émise, lors de la ratification du Protocole facultatif, concernant l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Il rappelle la pratique du Comité selon laquelle une question ne peut être qualifiée d’« examinée » par une autre instance internationale lorsque l’affaire a été rejetée pour des motifs uniquement procéduraux. À l’inverse, une décision d’irrecevabilité fondée sur un examen même limité du fond constitue un examen au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif.

4.3L’État partie souligne qu’en l’espèce, la décision de la Cour européenne des droits de l’homme adressée à l’auteure et déclarant sa requête irrecevable ne mentionne pas le motif d’irrecevabilité retenu. Toutefois, on peut relever que les motifs d’irrecevabilité établis par l’article35 de la Convention européenne des droits de l’homme sont au nombre de six, à savoir: a)dépassement du délai de six mois pour présenter la requête à partir de la date de décision interne définitive; b)caractère anonyme de la requête; c)requête déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; d)non-épuisement des voies de recours internes; e)requête manifestement mal fondée ou abusive; et f)absence de préjudice important subi par le requérant.

4.4Eu égard au fait que la requête a été soumise dans le délai de six mois, non anonymement, à la Cour européenne des droits de l’homme uniquement, et que le préjudice allégué était important au sens de l’article35 de la Convention, l’État partie estime que, implicitement mais nécessairement, la requête n’a pu être rejetée par la Cour que pour non‑épuisement des voies de recours internes, ou parce qu’elle a été considérée comme manifestement mal fondée ou abusive. Or, le rejet par la Cour d’une requête en raison de son caractère manifestement mal fondé nécessite de sa part un examen des griefs invoqués par les requérants, c’est-à-dire un examen au fond.

4.5En ce qui concerne les allégations de l’auteure selon lesquelles l’examen opéré par la Cour européenne des droits de l’homme ne peut pas être compris comme ayant été considéré au fond, en se référant à l’affaire Achabal Puertas c. Espagne, l’État partie constate que dans ladite affaire, le Comité a rendu ses constatations au regard des circonstances particulières de l’espèce et qu’il n’a pas réitéré cette position dans des affaires ultérieures. Ainsi, dans des constatations adoptées en 2014, le Comité a estimé que la lettre du greffe de la Cour européenne des droits de l’homme informant le requérant qu’une formation de juge unique avait déclaré sa requête irrecevable au motif qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des droits et libertés garantis par la Conventioneuropéenne des droits de l’homme était de nature à révéler un examen au fond de l’affaire par la Cour. En conséquence, l’État partie est d’avis que le courrier adressé par le greffe de la Cour démontre nécessairement que cette juridiction a déjà procédé à un examen au fond de la question soumise par l’auteure au Comité, et lui demande de déclarer la communication irrecevable sur le fondement de l’article5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif en raison de la réserve formulée par la France.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 12juin 2017, l’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication. Elle réitère ses arguments et rappelle que la lettre de la Cour européenne des droits de l’homme datée du 15octobre 2015 ne donnait aucune explication de la décision d’irrecevabilité, ce que d’ailleurs l’État partie a reconnu. L’auteure soutient que l’absence d’explication sur cette décision ne permet pas de conclure que la question a été déjà examinée.

5.2L’auteure rejette l’argument développé par l’État partie selon lequel, au vu des motifs d’irrecevabilité établis par les articles34 et 35 de la Convention européennedes droits de l’homme, le juge aurait nécessairement rejeté la requête parce qu’elle était manifestement mal fondée ou abusive. L’auteure qualifie le raisonnement de spéculatif et reposant sur la présomption de ce que la Cour ne commet jamais d’erreurs. Se fondant sur l’affaireAchabal Puertas c. Espagne, l’auteure rappelle que le Comité avait indiqué que la Cour pouvait quelquefois errer dans l’évaluation des faits. L’auteure soutient qu’il est difficile de connaître les raisons pour lesquelles la Cour n’a pas indiqué les motifs pour lesquels elle a jugé la communication irrecevable, ou de savoir si le juge avait entrepris une considération même limitée du fond. L’auteure soutient que la référence générale aux articles34 et 35 de la Conventioneuropéennedes droits de l’homme par l’État partie, sans aucune explication, ne donne aucune base au Comité pour conclure que la communication a été considérée au fond. Tout en soulignant que la transparence du raisonnement juridique est cruciale pour la crédibilité de la justice, l’auteure rappelle que cette affaire soulève de sérieuses difficultés légales en ce qui concerne son droit au respect de la vie familiale, en particulier la manière dont l’État partie doit concilier ses obligations découlant du Pacte avec celles qu’il a contractées dans le cadre de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Elle soutient que le juge unique de la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas examiné la requête au sens de la réserve formulée par l’État partie et que la communication doit être considérée comme recevable.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 24 juillet 2017, l’État partie fait valoir que l’application de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants vise par elle‑même à atteindre les buts et objectifs du Pacte. Il soutient que lorsqu’elles sont saisies d’un cas d’enlèvement par un parent résidant à l’étranger, les autorités françaises sont tenues d’appliquer la Convention pour faire cesser le plus rapidement possible toute atteinte à un droit de garde dans l’État de résidence habituelle de l’enfant. L’État partie soutient que l’application de la Convention va dans le sens des objectifs des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte, qui visent la protection effective des liens familiaux et des enfants, comme l’a reconnu implicitement le Comité dans l’affaire Asensi Mart í nez c. Paraguay . L’État partie rappelle que, de manière générale, les articles 17 et 23 du Pacte garantissent une protection effective du droit de tout parent d’avoir des relations régulières avec ses enfants mineurs, aussi bien à la dissolution du mariage, sauf circonstances exceptionnelles, qu’en l’absence d’une telle dissolution.

6.2L’État partie fait valoir que le Comité devrait, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, s’attacher à vérifier que les juridictions nationales ont examiné les griefs invoqués par l’auteure pour faire obstacle à l’applicabilité en l’espèce de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, et que leurs décisions sont suffisamment motivées à cet égard, notamment en établissant que les autorités ont établi un juste équilibre entre les intérêts concurrents présents : ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public, en tenant compte de ce que l’intérêt de l’enfant soit considéré en priorité. Cet examen n’implique pas un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale, vu qu’il s’agit d’une procédure d’urgence non destinée à trancher au fond la question du droit de garde.

6.3L’État partie soutient qu’en l’espèce, la mise en œuvre par les juridictions nationales de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants a été conforme aux stipulations du Pacte. Il estime à cet égard qu’en appliquant cette convention, les juridictions nationales ont respecté les stipulations des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte. L’État partie souligne que, selon l’observation générale no 16 (1988) du Comité relative à l’article 17 du Pacte, une immixtion dans la vie familiale d’une personne est conforme aux stipulations du Pacte si elle est prévue par la loi, si sa mise en œuvre est conforme aux buts et aux objectifs du Pacte et si elle est raisonnable eu égard aux circonstances particulières. L’État partie estime qu’en l’espèce, toutes ces conditions sont réunies, dans la mesure où la mise en œuvre de la décision de retour, qui était prévue par la loi, était conforme aux buts et aux objectifs du Pacte, et visait non pas à éloigner l’enfant de sa mère, mais à protéger les droits et libertés de l’enfant et du père. L’État partie estime également que la décision était raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce. À cet égard, il fait valoir que le non-retour de l’enfant en Israël était illicite au sens de l’article 3 de la Conventionsur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, vu que l’auteure avait modifié unilatéralement le lieu de résidence habituelle de l’enfant, fixé dans le pays d’origine. L’État partie rappelle que le tribunal de grande instance de Marseille a retenu dans son jugement du 11 avril 2013, que « les débats ont pu démontrer que la résidence habituelle de l’enfant était bien située en Israël où il résidait avec son père et sa mère depuis sa naissance » et qu’en Israël, « conformément aux articles 14 et 15 de la loi israélienne sur la capacité juridique et la tutelle de 1962, les parents sont les tuteurs communs de leurs enfants mineurs, ce qui inclut le droit de garde et de déterminer le lieu de résidence de l’enfant ». L’État partie maintient que, contrairement à ce que soutient l’auteure, le simple fait que le père était hospitalisé depuis la naissance de l’enfant et ne pouvait pas s’en occuper autant que sa femme n’était pas de nature à rendre ineffectif son droit de garde.

6.4L’État partie soutient que la situation exposée par l’auteure devant les juridictions nationales ne révélait aucune exception prévue par l’article13 de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Il rejette l’allégation de l’auteure selon laquelle, en raison des capacités intellectuelles et physiques réduites de son mari depuis l’accident, et des crises de violence auxquelles il est sujet, l’enfant encourrait un risque grave en cas de retour en Israël. L’État partie soutient que, si l’auteure dénonce le fait que le tribunal de grande instance de Marseille n’a pas procédé à des investigations complémentaires concernant l’état de santé de son mari, c’est néanmoins en parfaite application de la Convention qui exige, en son article13, que ce soit le parent qui s’oppose au retour qui établisse l’existence d’un risque grave. L’État partie fait valoir également que si la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne s’est effectivement pas prononcée quant à elle, dans l’arrêt du 30janvier 2014, sur l’allégation spécifique de risque grave, c’est parce que l’auteure ne l’avait pas renouvelée devant elle. La Cour de cassation, saisie de l’arrêt de la cour d’appel, n’avait pas non plus à examiner une telle allégation. En conséquence, l’État partie estime que la première allégation de l’auteure, invoquée au titre de l’article13 (al. b)) de la Convention, a fait l’objet d’un examen effectif par les juridictions nationales.

6.5L’État partie rejette l’allégation de l’auteure selon laquelle le retour de l’enfant en Israël placerait ce dernier dans une situation intolérable, dans la mesure où il serait ainsi séparé de sa mère, avec qui il vit seul depuis son plus jeune âge, et confié à un parent qui n’avait jamais pris soin de lui. L’État partie note toutefois que l’auteure présuppose de façon inexacte que les autorités françaises voulaient séparer l’enfant de sa mère, alors qu’elles visent à assurer la garde qu’elle exerçait conjointement avec le père et à en préserver le caractère effectif pour le père, en faisant retourner l’enfant dans sa résidence antérieure en Israël. L’État partie note que l’auteure indique elle-même que, par un jugement du 15décembre 2014, le tribunal aux affaires familiales de Petah-Tikva, saisi par le père, a décidé que la garde de l’enfant serait partagée entre les deux parents. L’État partie souligne que dans son arrêt au fond du 30janvier 2014, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a motivé sa décision en constatant que les engagements demandés au mari de l’auteure dans l’arrêt avant dire droit du 26septembre 2013 avaient été respectés. À cet effet, l’État partie rappelle que les instances judiciaires françaises ont constaté, à partir d’informations obtenues auprès des autorités israéliennes, que l’auteure, qui a également la nationalité israélienne, ne faisait l’objet d’aucune plainte pénale eu égard au retour de l’enfant et que la décision d’interdiction de sortie du territoire de l’enfant avait été annulée.

6.6L’État partie rejette également l’argument de l’auteure selon lequel les autorités françaises n’ont pas respecté les articles7 et 10 de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, qui prévoient que l’autorité centrale de l’État où se trouve l’enfant doit faire en sorte d’assurer la remise volontaire de l’enfant ou de faciliter une solution à l’amiable. L’État partie estime que l’auteure est mal venue d’évoquer ce moyen dans la mesure où elle ne s’est jamais associée aux démarches visant la remise volontaire de l’enfant, et qu’en plus, elle continue de faire obstacle à la décision de la courd’appel d’Aix‑en-Provence.

6.7L’État partie estime que l’argument de l’auteure qui justifie le non-retour de l’enfant par son état de santé n’est pas une circonstance prévue par les articles3 et 13 de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Il rappelle qu’indépendamment des critères fixés par cette convention, l’état de santé de l’auteure n’est guère susceptible d’entraîner une violation des articles17 et 23 (par. 1) du Pacte. L’État partie souligne que l’auteure n’a pas su démontrer qu’elle était dans l’incapacité totale de voyager, puis de se reposer et de se faire soigner en Israël, ni que son état pouvait justifier un éloignement prolongé de l’enfant malgré la demande du père. Enfin, l’État partie demande au Comité, à titre principal, de déclarer la communication irrecevable et, à titre subsidiaire, de la rejeter comme étant infondée.

Commentaires de l’auteure sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans ses commentaires du 13septembre 2018, l’auteure demande au Comité de se pencher sur la pleine réparation de la violation qu’elle et son fils ont subie, dans le cadre de la procédure devant le Comité. Elle déclare maintenir ses arguments énumérés précédemment quant à la recevabilité et au fond de la communication. Elle continue de soutenir qu’elle et son fils sont victimes d’une atteinte à leurs droits garantis par les articles17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte, en raison des décisions des juridictions françaises ordonnant le retour de son fils en Israël.

7.2L’auteure réitère son argument quant à l’ineffectivité de l’exercice du droit de garde de son mari. Elle fait valoir que la cour d’appel d’Aix-en-Provence ainsi que le tribunal de grande instance de Marseille ont conclu à tort que son mari exerçait effectivement son droit de garde, un droit qui reçoit une définition autonome à l’article5 (al. a)) de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, comme portant sur les soins de la personne de l’enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence. L’auteure affirme qu’une telle conclusion se heurte à la réalité des faits, vu que son mari, en raison des séquelles de son accident, n’a jamais eu la possibilité de prendre soin de l’enfant. L’auteure précise que, contrairement à ce que veut faire comprendre l’État partie, elle ne cherchait pas à priver son mari de son droit de garde, mais seulement à montrer que le droit en question n’était pas effectivement exercé par son mari à l’époque de son départ.

7.3L’auteure soutient que son état de santé était la cause directe de la prolongation de son séjour en France avec l’enfant jusqu’au 14septembre 2012. Elle insiste sur le fait que celui‑ci était dûment certifié par des médecins, qui ont attesté une fatigue généralisée due à une anémie, une infection virale avec forte fièvre et des symptômes grippaux, imposant une radiographie des poumons, ainsi qu’une lymphangite. L’auteure fait remarquer que les deux juridictions en cause n’ont à aucun moment évoqué ses problèmes de santé, qui lui imposaient de se reposer et de se soigner et qu’a fortiori, elles n’ont pas mis en doute les certificats médicaux produits à cet égard. L’auteure fait aussi remarquer que les juridictions en cause ont négligé la santé et le bien-être du nourrisson qui dépendaient pour l’essentiel de ceux de la mère.

7.4L’auteure rappelle que, sans aucun effort de conciliation ou de médiation, la démarche de son mari était particulièrement radicale puisqu’elle revenait à priver l’enfant de toute possibilité de voyager à l’étranger et de rendre visite à sa famille maternelle en France, et cela pendant près de dix-huit ans.

7.5L’auteure estime que la conclusion tirée par la cour d’appeld’Aix-en-Provence dans son arrêt de fond, selon laquelle ont été respectés les engagements exigés dans l’arrêt avant dire droit du 26septembre 2013, notamment que son mari renonce à demander «pour le futur» une interdiction de sortie du territoire à l’encontre de l’enfant et de l’auteure, est inexacte. L’auteure souligne que son mari, dans sa déclaration sous serment faite en Israël le 15octobre 2013, ne reprend pas à son compte la formule «pour le futur », laissant subsister une très grave menace sur la liberté d’aller et venir de l’auteure. Elle estime qu’à tout moment, son mari pourrait saisir à nouveau la justice israélienne afin qu’elle interdise à l’enfant et à sa mère toute sortie du territoire. L’auteure estime enfin qu’elle a été accusée à tort d’un déplacement illicite au sens de l’article3 de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, et que les juridictions françaises ne se sont pas assurées du caractère effectif de l’exercice du droit de garde de son mari et n’ont tenu aucun compte de son état de santé.

7.6L’auteure se prévaut des exceptions au retour immédiat de l’enfant prévues par l’article13 (al. b)) de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Elle réitère qu’il y a un risque grave pour l’enfant en cas de retour en Israël, car depuis son accident de la circulation, le père n’a pas retrouvé l’entièreté de ses capacités intellectuelles et physiques et est sujet à des crises de violence. Il est également domicilié chez ses parents à Tel-Aviv et n’est pas autonome.

7.7L’auteure fait valoir qu’en constatant dans son jugement du 11avril 2013 qu’aucune pièce médicale récente n’avait été produite par son mari, qui indique qu’il s’agissait d’une période de fête juive l’empêchant de pouvoir solliciter une copie de telles pièces, le tribunal de grande instance de Marseille a renoncé à exiger la production d’éléments médicaux récents. L’auteure fait remarquer que le tribunal a omis de se demander si des expertises avaient été réalisées pour le compte de la compagnie d’assurances de son mari, à la suite de l’accident. Le tribunal ne s’est pas non plus assuré de l’existence de séquelles neurologiques, en raison du traumatisme crânien subi ; ce faisant, le tribunal n’a pas cherché à savoir s’il existerait un risque grave de danger pour l’enfant en cas de retour en Israël sous la garde de son père. L’auteure avance également que la cour d’appeld’Aix-en-Provence, dans son arrêt rendu au fond le 30janvier 2014, ne comble en rien les lacunes qui entachent son arrêt avant dire droit, en restant muette sur les problèmes physiques et psychologiques dont son mari continuerait de souffrir, et n’a pris en compte aucun élément médical susceptible de constituer une exception au retour de l’enfant. L’auteure considère qu’en refusant de s’assurer de l’état neurologique et psychique de son mari en raison du traumatisme crânien subi, les juridictions françaises ont fait courir à l’enfant un «risque grave» de danger physique ou psychique au sens de l’article13 (al. b)) de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. L’auteure rejette en outre l’argument de l’État partie selon lequel la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur l’allégation de risque grave, formulée en première instance, au motif que l’auteure ne l’aurait pas renouvelée devant elle. L’auteure affirme au contraire qu’elle avait invité la cour d’appel à ordonner une expertise médico-psychologique de son mari afin justement de savoir s’il faisait courir un risque à l’enfant.

7.8L’auteure estime qu’en refusant de se pencher sur les conditions réelles de sa prise en charge en Israël, les juridictions françaises ont placé l’enfant dans une «situation intolérable» au sens de l’article13 (al. b)) de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

7.9L’auteure estime également que les juridictions françaises n’ont pas tenu compte du risque d’une sanction pénale qui pourrait lui être infligée en Israël, alors que ce risque est loin d’être théorique, puisque la loi pénale no5737/1977 prévoit de lourdes peines de prison en cas d’enlèvement, même en matière familiale, et a été appliquée à plusieurs reprises contre des mères.

7.10L’auteure estime enfin que, compte tenu du fait qu’elle n’a pas bénéficié d’un examen effectif de ses allégations sur le terrain de l’article13 (al. b)) de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, les juridictions françaises ne se sont assurées ni de l’état de santé de son mari ni des conséquences pour l’enfant dans le cas de son retour en Israël. De ce fait, elles ont méconnu le droit de l’enfant à la protection de l’État, garanti par l’article24 (par. 1) du Pacte.

7.11En conséquence, l’auteure demande au Comité de déclarer la communication recevable et de constater la violation des articles17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note des griefs de l’auteure, qui affirme que l’État partie viole les droits qu’elle-même et son fils tiennent des articles17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

8.4Le Comité observe que l’auteure a présenté une requête portant sur les mêmes faits devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle a été informée par lettre du 15 octobre 2015 de ce qu’un juge unique avait décidé de déclarer la requête irrecevable « au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies ». Le Comité rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, la France a émis une réserve excluant la compétence du Comité pour connaître de questions qui étaient en cours d’examen ou avaient été examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.5En référence à sa jurisprudence relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, le Comité rappelle que lorsque la Cour européenne des droits de l’homme déclare une requête irrecevable, non seulement pour vice de forme, mais aussi pour des motifs reposant, dans une certaine mesure, sur un examen au fond, il est considéré que la question a déjà été examinée au sens des réserves à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Il revient en conséquence au Comité de déterminer si, en l’espèce, la Cour est allée au-delà d’un simple examen des critères de recevabilité purement formels lorsqu’elle a déclaré la requête irrecevable « au motif que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies ».

8.6Le Comité relève que la Cour européenne des droits de l’homme a examiné la requête de l’auteure et l’a déclarée irrecevable au regard des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, le Comité relève le caractère succinct du raisonnement exposé dans la lettre de la Cour adressée à l’auteure, ladite lettre n’exposant aucune argumentation ou clarification quant au fondement de la décision d’irrecevabilité sur le fond. À la lumière de ces circonstances particulières, le Comité estime qu’il ne lui est pas possible de déterminer avec certitude que l’affaire présentée par l’auteure a déjà fait l’objet d’un examen même limité du fond au sens de la réserve formulée par l’État partie. Pour ces motifs, le Comité estime que la réserve formulée par l’État partie relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne constitue pas, en elle-même, un obstacle à l’examen au fond par le Comité.

8.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé ses griefs, au stade de la recevabilité, au titre des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte et procède à l’examen de la communication sur le fond, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure, qui soutient qu’en déclarant illégal le non-retour de son enfant, T. N., en Israël sur la base de la mise en œuvre de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, les juridictions françaises ont violé les droits qu’elle-même et son fils tiennent des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

9.3Le Comité observe que les allégations de l’auteure soulèvent la question de l’immixtion de l’État dans la vie familiale et que, dès lors, il doit déterminer si cette immixtion pourrait être considérée comme arbitraire ou illégale au titre des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte. Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel le non-retour de son fils en Israël est licite dans le cadre de l’article 3 de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, dans la mesure où le droit de garde de son mari était ineffectif, vu que ce dernier était frappé d’une incapacité physique et intellectuelle par suite d’un accident de voiture. Il prend note également de ce que l’auteure estime que la décision des juridictions françaises de déclarer illicite le non-retour de l’enfant en Israël constitue une immixtion arbitraire dans sa vie privée et familiale, en violation des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte. Le Comité prend note en outre que l’État partie fait valoir que l’application de la Convention va dans le sens des objectifs contenus aux articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte visant la protection des liens familiaux et des enfants. Le Comité relève que la mise en œuvre de la Convention peut avoir des conséquences sur l’exercice des droits consacrés par le Pacte ; ce qui ne veut pas dire que le fait d’appliquer ladite convention suppose nécessairement une violation du droit à la protection de la vie familiale. En l’espèce, le Comité observe que l’auteure n’a pas démontré en quoi l’application par les juridictions nationales de la Convention dans l’intérêt de la famille et de l’enfant n’avait pas pris en compte les droits protégés par les articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

9.4Pour ce qui concerne le grief de l’immixtion dans la vie privée et familiale de l’auteure, au titre des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte, le Comité souligne que le caractère légal de l’immixtion n’est pas discuté par l’auteure. Quant au caractère prétendument arbitraire de l’immixtion soulevée par l’auteure, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle une immixtion prévue par la loi doit être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte, et être dans tous les cas raisonnable eu égard aux circonstances particulières. La notion d’« arbitraire » intègre le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect de garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Le Comité observe qu’en l’espèce, l’auteure n’a pas démontré en quoi les décisions des autorités judiciaires nationales, en ordonnant le retour de l’enfant en Israël dans le cadre de l’application de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, n’ont pas respecté les dispositions du Pacte.

9.5Pour ce qui est du grief tiré de l’état de santé de l’auteure, le Comité prend note de ce que celle-ci soutient qu’en raison de son état de santé, il lui était impossible de voyager en Israël avec l’enfant à la date convenue, et que cette situation fait partie des exceptions prévues aux articles 3 et 13 de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Le Comité note également que l’auteure a fait valoir que les deux juridictions en cause, soit le tribunal de grande instance de Marseille et la cour d’appel d’Aix-en-Provence, alors même qu’elles n’ont pas mis en doute les certificats produits à l’appui de ce moyen, n’en ont pas tenu compte dans leurs décisions. Le Comité note par ailleurs que l’État partie rétorque que l’argument de l’auteure fondé sur son état de santé n’est pas une circonstance prévue par les articles 3 et 13 de la Convention et que ce fait n’entraîne aucune violation des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas su démontrer qu’il lui était totalement impossible de voyager, de se reposer et de se faire soigner en Israël, ni que son état pouvait justifier un éloignement prolongé de l’enfant malgré la demande du père. Le Comité observe que l’appréciation des faits de la cause ainsi que des preuves soumises est de la compétence des juridictions nationales, à moins qu’il puisse être établi que les procédures suivies par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont représenté un déni de justice, et qu’en l’espèce, ce moyen ne peut pas être retenu vu que l’auteure n’a pas démontré en quoi les procédures suivies par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont représenté un déni de justice.

9.6Pour ce qui est du grief tiré de l’article 24 (par. 1) du Pacte, le Comité prend note de ce que l’auteure allègue que les autorités n’ont pas tenu compte des exceptions prévues à l’article 13 (al. b)) de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, en ne s’étant assuré ni de l’état de santé de son mari, ni des conséquences du retour de l’enfant en Israël. Le Comité note l’argument de l’État partie qui indique que si les juridictions nationales ne s’étaient pas appuyées sur des investigations complémentaires sur l’état de santé de son mari, c’était parce que la Convention faisait incomber la charge de la preuve de l’existence d’un risque grave au parent qui s’opposait au retour de l’enfant. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel la décision des autorités nationales de déclarer illégal le non-retour de l’enfant en Israël, loin de viser la séparation de l’enfant de sa mère, visait au contraire à préserver la garde conjointe qu’elle exerçait avec le père. Le Comité observe que l’auteure n’a pas contesté le fait qu’elle exerce conjointement avec son mari la garde de l’enfant, tant par leur situation d’époux non divorcés que par un jugement du 15 décembre 2014 du tribunal aux affaires familiales de Petah-Tikva, saisi par le père. Le Comité relève également que les autorités de l’État partie ont tenu à ce que le mari de l’auteure donne des garanties liées à la prise en charge de l’auteure lors de son retour et de celui de son enfant en Israël.

9.7Le Comité rappelle le principe selon lequel dans toute décision touchant un enfant, l’intérêt supérieur de celui-ci doit être une considération primordiale. Il considère qu’en l’espèce, l’auteure n’a pas présenté d’éléments pouvant démontrer que l’intérêt supérieur de l’enfant n’avait pas été pris en compte par les juridictions nationales, qui ont examiné les éléments liés à la jouissance de la vie familiale de l’auteure et de celle de l’enfant en s’assurant que ce dernier pourrait vivre avec ses deux parents. Le Comité relève que, par un jugement du 15 décembre 2014, le tribunal aux affaires familiales de Petah-Tikva avait déjà conclu à la garde conjointe de l’enfant par ses deux parents. Le Comité relève également que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a exigé et obtenu des garanties du mari de l’auteure pour la protection tant de l’intérêt de l’enfant que de celui de l’auteure, notamment l’arrêt de la décision d’interdiction de sortie du territoire israélien pour l’enfant, la renonciation écrite à demander « pour le futur »une interdiction de sortie du territoire pour l’enfant et sa mère, la renonciation écrite à toute procédure coercitive pénale ou civile à l’encontre de l’auteure relative au déplacement illicite et, enfin, l’engagement de fournir pendant au moins quatre mois un logement et une aide financière pour l’auteure et l’enfant lors de leur retour en Israël.

9.8Le Comité fait observer toutefois qu’il n’est concerné par la mise en œuvre de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants que pour autant que celle-ci concerne la jouissance et la mise en œuvre des droits protégés par le Pacte, en l’espèce, le droit à la protection de la vie familiale, et l’obligation de protection de l’enfant par l’État. Le Comité fait observer également que le caractère du mécanisme prévu dans le cadre de la Convention vise des situations urgentes qui ne concernent pas forcément le droit de garde permanent dont pourra se prévaloir un parent. Le Comité fait observer que l’auteure pourra toujours réclamer la garde de son enfant par-devant qui de droit, le cas échéant.

9.9Au vu de ce qui précède, le Comité estime que l’auteure n’a pas démontré en quoi les décisions des juridictions nationales déclarant illicite le non-retour de l’enfant T. N. en Israël, en application de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, ne satisfaisaient pas aux critères du caractère raisonnable, de l’objectivité et de la légitimité de l’objectif recherché. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des droits que l’auteure et son fils tiennent des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation par l’État partie des droits que l’auteure et son fils tiennent des articles 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte.