Nations Unies

CCPR/C/132/D/2976/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 février 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2976/2017 * , ** , ***

Communication soumise par :

Garri Maui Isherwood (représenté par un conseil, Tony Ellis)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Nouvelle-Zélande

Date de la communication :

24 février 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 mai 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

12 juillet 2021

Objet :

Maintien en détention après l’exécution de peines punitives

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement des griefs ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Détention arbitraire ; conditions d’incarcération ; réadaptation sociale ; finalité de la privation de liberté

Article(s) du Pacte :

2, 9, 10 et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Garry Maui Isherwood, né en 1977, de nationalité néo-zélandaise et pour moitié d’ethnie maorie. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 9, 10 et 14 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 26 août 1989. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 18 novembre 1999, l’auteur a été condamné à huit ans d’emprisonnement pour les infractions suivantes : a) relations sexuelles avec un enfant mineur (qui avait entre 12 et 16 ans) ; b) proxénétisme ; c) administration de morphine à un mineur. Le 1er juillet 2003, il a bénéficié d’une libération conditionnelle. Le 15 juillet 2003, il a commis cinq nouvelles infractions : a) viol d’une femme âgée de plus de 16 ans (3 chefs d’accusation) ; b) rapports sexuels illicites avec mineur de plus de 16 ans (4 chefs d’accusation) ; c) enlèvement (un chef d’accusation) ; d) et e) deux infractions liées aux drogues (2 chefs d’accusation). Le 21 mai 2004, en application de l’article 87 de la loi de 2002 sur les peines, il a été condamné à une peine de détention de sûreté d’une durée minimum de dix ans pour chacune des infractions, sans possibilité de libération conditionnelle pendant une durée minimum de dix ans.

2.2En 2004, l’auteur a fait appel de sa déclaration de culpabilité, sans faire référence aux peines prononcées. Le 14 mars 2005, il a été débouté par la Cour d’appel de Nouvelle‑Zélande. Il a ensuite fait appel de sa peine. Le 3 août 2010, la Cour d’appel a annulé la peine prononcée en première instance pour les deux infractions à la législation sur les stupéfiants au motif qu’en vertu de la loi de 2002 sur les peines la Haute Cour n’était pas compétente pour infliger une peine de détention de sûreté pour des infractions de cette nature, et l’a remplacée par des peines de durée déterminée de quatre ans d’emprisonnement pour chacune des deux infractions. La Cour d’appel a en revanche confirmé la peine de détention de sûreté qui avait été prononcée pour les infractions à caractère sexuel et l’enlèvement. Le 21 septembre 2010, la Cour suprême a rejeté la demande d’autorisation de l’auteur d’interjeter appel contre l’arrêt de la Cour d’appel. Le 7 juillet 2011, l’auteur a demandé au Gouverneur général d’exercer son droit de grâce (Royal Prerogative of Mercy), mais celle‑ci lui a été refusée le 17 septembre 2014. Le 21 avril 2014, l’auteur est devenu éligible à la libération conditionnelle. Le 30 avril 2014, la Commission des libérations conditionnelles a tenu audience pour examiner le dossier de l’auteur et refusé de le mettre en liberté conditionnelle.

2.3En janvier 2015, l’auteur a déposé une plainte auprès du Groupe de travail sur la détention arbitraire pour des griefs similaires à ceux soulevés dans la présente communication. Le Groupe de travail a conclu à l’absence de violation de ses droits.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a été détenu arbitrairement car, au moment où il a saisi le Comité de la présente communication, il avait purgé la partie punitive de sa peine et sa détention n’était pas justifiée par des raisons impérieuses. En outre, il n’avait pas bénéficié de possibilités de réadaptation et de réinsertion, sa situation n’était pas réexaminée périodiquement par un organe indépendant pour vérifier le bien-fondé de son maintien en détention, et il était détenu arbitrairement dans des conditions identiques au régime des prisonniers condamnés exécutant leur peine. Il affirme que les voies de recours internes ont été épuisées puisqu’il a porté l’affaire devant la Cour suprême et a demandé la grâce, et qu’aucun recours au titre du Pacte ne lui était ouvert dans l’État partie.

3.2L’auteur affirme qu’il y a violation de l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte parce qu’il n’existe en Nouvelle-Zélande aucun recours utile en cas de violation des droits reconnus dans le Pacte, celui-ci n’ayant pas été incorporé dans le droit interne et la loi de 1990 sur la Charte des droits ne représentant qu’une tentative partielle de promulgation du Pacte. Il en découle que les tribunaux s’appuient sur la jurisprudence de la Cour suprême plutôt que sur les dispositions du Pacte. L’auteur se réfère aux observations finales du Comité des droits de l’homme concernant la Nouvelle-Zélande ainsi qu’à l’observation générale no 31 (2004) du Comité, dans laquelle il est dit que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées peut donner lieu à une violation distincte du Pacte (par. 15). Le conseil de l’auteur affirme également qu’il a lui-même été critiqué et menacé de sanctions par les tribunaux néo-zélandais dans le cadre d’autres affaires pour avoir soulevé des arguments fondés sur le Pacte.

3.3L’auteur fait valoir qu’aucune des obligations découlant des traités internationaux s’appliquant à la détention de sûreté n’est prise en compte par les juridictions supérieures, et encore moins par la Commission des libérations conditionnelles. L’auteur affirme que dans l’État partie, il est toujours difficile de soulever des questions en relation avec le Pacte, à l’instar de la question de la surreprésentation des Maoris dans le système de justice pénale, qui a pourtant été soulevée dans les rapports du Comité des droits de l’homme et du Comité contre la torture ainsi que dans la liste de points établie par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et les réponses de l’État partie.

3.4L’auteur affirme que la Nouvelle-Zélande a violé les articles 9 (par. 4) et 14 (par. 1) du Pacte parce que la libération conditionnelle lui a été refusée par une Commission des libérations conditionnelles qui n’est pas indépendante et impartiale et parce que la Commission n’a pas justifié ce refus par des raisons impérieuses. Citant l’observation générale no 32 (2007) du Comité des droits de l’homme et la décision rendue par le Comité dans l’affaire Rameka et consorts c. Nouvelle-Zélande, l’auteur fait valoir que la Commission devrait avoir l’indépendance et l’impartialité d’un tribunal. L’auteur affirme qu’il est donc détenu arbitrairement puisqu’aucun tribunal indépendant n’est compétent pour ordonner sa libération. L’auteur soutient que l’indépendance comporte au moins trois éléments : la sécurité financière, l’inamovibilité et l’indépendance administrative, et que la Commission ne présente aucun des trois. Il souligne également que les audiences de la Commission ne sont pas publiques, puisqu’elles ont lieu en prison, et que les médias sont rarement autorisés à y assister.

3.5Dans l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle-Zélande, le conseil de l’auteur a soulevé devant les tribunaux nationaux l’argument selon lequel la Commission des libérations conditionnelles devrait avoir la même indépendance et la même impartialité qu’un tribunal, et a soutenu que les tribunaux nationaux n’avaient pas dûment tenu compte de l’obligation de garantir l’indépendance de la Commission qui incombait à l’État partie en vertu du Pacte. L’auteur indique que son conseil n’a pas soulevé cet argument en l’espèce car cela aurait été qualifié d’« argument politique ».

3.6L’auteur affirme qu’en violation des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte, l’État partie ne lui a pas offert suffisamment de possibilités de réadaptation avant la fin de la partie de sa peine d’emprisonnement durant laquelle il n’était pas éligible à la libération conditionnelle, que sa détention s’est ensuite poursuivie dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles il a exécuté la partie punitive de sa peine. Il affirme que son maintien en prison après l’exécution de la partie de sa peine durant laquelle il ne pouvait pas prétendre à la libération conditionnelle n’est pas fondé sur de nouvelles preuves ni sur une nouvelle déclaration de culpabilité et est donc arbitraire.

3.7L’auteur soutient, eu égard au fait qu’il n’a bénéficié d’aucun traitement psychologique ni d’aucune mesure de réadaptation en tant que délinquant sexuel ayant des problèmes de drogue et d’alcool, que l’État partie n’a pas été, et n’est pas, en mesure de démontrer que sa réadaptation n’aurait pas pu être obtenue par des moyens moins intrusifs que son maintien en détention. Alors qu’il aurait dû recevoir un traitement dès le début de sa peine, l’auteur n’a reçu un traitement de l’Unité de traitement spécial qu’après la première audience de la Commission des libérations conditionnelles, ce qui a empêché sa libération, puisque la Commission n’avait aucune raison de conclure qu’il ne représentait pas un danger excessif pour le public. En outre, au cours des dix premières années de son emprisonnement, l’auteur n’a bénéficié d’aucun accompagnement spécifique visant à remédier aux effets négatifs d’un emprisonnement de longue durée. Il n’existe actuellement, dans les prisons de l’État partie, aucun programme de traitement spécialisé visant à pallier les effets potentiellement néfastes des longues peines.

3.8L’auteur affirme que la Commission des libérations conditionnelles n’a pas analysé la légalité de son maintien en détention mais s’est fiée exclusivement aux conclusions du rapport psychologique rédigé par un expert, qui estimait qu’il représentait un trop grand danger pour être mis en liberté conditionnelle. L’auteur soutient que ni le psychologue ni la Commission n’ont analysé le « risque très élevé de récidive de violences sexuelles » qu’il aurait présenté. En se basant sur une vague évaluation des risques et sur le soupçon d’une possible récidive de l’auteur, la Commission a montré qu’elle n’avait pas réellement l’intention de libérer les détenus placés en détention de sûreté. L’auteur fait valoir que l’évaluation du risque réalisée par la Commission n’était pas conforme aux normes internationales.

3.9L’auteur fait valoir que les prisonniers condamnés à une peine de détention de sûreté devraient recevoir un traitement dès le début de l’exécution de leur peine et devraient être placés dans un milieu thérapeutique afin d’améliorer leurs chances de réadaptation, et non être maintenus dans une prison ordinaire. L’auteur fait valoir qu’une fois terminée la partie de sa peine durant laquelle il n’était pas éligible à la libération conditionnelle, il n’a été maintenu en détention qu’à des fins de protection du public. Il n’aurait donc pas dû être détenu dans des conditions identiques au régime des prisonniers condamnés qui purgent la partie punitive de leur peine.

3.10L’auteur affirme que le régime actuel de la détention de sûreté dans l’État partie et la politique relative à la réadaptation des délinquants condamnés à une peine de détention de sûreté ont pour effet de soumettre tous les délinquants condamnés à titre préventif à une détention arbitraire apparemment sans fin. L’auteur a été mis dans une position dont il est impossible de s’extraire, en violation de ses droits au titre des articles 10 (par. 3) et 9 (par. 1) du Pacte.

3.11L’auteur affirme également qu’il y a eu violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte parce que son premier avocat ne l’a pas défendu convenablement tout au long du procès. L’auteur affirme que le droit à un procès équitable qu’il tient de l’article 14 (par. 1) a été violé parce qu’il n’a pas pu assurer sa défense en dénonçant le comportement fautif de la victime de l’agression sexuelle qu’il a commise sans que ses condamnations antérieures soient mises en avant. L’auteur affirme qu’en première instance comme devant la cour d’appel, il n’a pas bénéficié des garanties d’un procès équitable car son avocat n’a pas assuré convenablement sa défense (il n’a pas convoqué de témoins sauf lorsque leur témoignage était absolument nécessaire et a délégué tous les contacts avec les témoins à son adjoint). Ces griefs ont été rejetés par la Cour suprême.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 14 mai 2019, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond. Il affirme que la communication devrait être rejetée car il n’y a pas eu violation des articles 2, 9, 10 ni 14 du Pacte. L’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication.

4.2L’État partie rappelle les faits en cause. Il indique que la partie de la peine de l’auteur durant laquelle il n’était pas éligible à une libération conditionnelle s’est achevée en avril 2014. En janvier 2013, l’auteur a entamé un programme de l’unité de traitement de la toxicomanie. En avril 2013, l’auteur a été exclu de ce programme, un test de dépistage ayant révélé qu’il avait pris un médicament interdit. Il a de nouveau intégré le programme en février 2014. La direction a signalé qu’il s’autosabotait. L’auteur a reconnu que son comportement et sa santé l’empêchaient de s’engager dans le programme et il a quitté celui-ci de lui-même en mars 2014.

4.3Le 30 avril 2014, l’auteur s’est vu refuser la libération conditionnelle à l’issue de sa première audience devant la Commission des libérations conditionnelles. La Commission a relevé que : a) l’auteur présentait toujours un risque très élevé de récidive d’infractions de violence sexuelle ; b) il reconnaissait avoir beaucoup à faire pour remédier aux causes de son comportement délictueux, lié à sa consommation excessive de drogues ; c) il souhaitait réintégrer le programme de l’unité de traitement de la toxicomanie, ce à quoi la Commission a répondu que cette décision relevait des autorités pénitentiaires. En septembre 2014, une équipe pluridisciplinaire composée de huit membres du personnel de l’administration pénitentiaire a déterminé qu’il était dans l’intérêt de l’auteur et des autres prisonniers qu’il ne suive pas le programme de l’unité de traitement de la toxicomanie de novembre. En octobre 2014, l’auteur a suivi une thérapie de quatre séances contre l’alcoolisme et la toxicomanie.

4.4Le 21 avril 2015, la Commission des libérations conditionnelles a tenu une deuxième audience, sur la base du rapport d’évaluation établi aux fins de la libération conditionnelle et d’une nouvelle évaluation psychologique. Elle a noté que le risque que l’auteur commette des infractions de violence sexuelle demeurait très élevé, et a refusé de le libérer.

4.5Le 30 juin 2016, la Commission a tenu une autre audience et a conclu que l’auteur continuerait de représenter une menace excessive tant qu’il n’aurait pas été jusqu’au terme de son traitement psychologique, fait la preuve d’un changement durable et accepté de se soumettre à un séjour dans un environnement d’autogestion à faible sécurité, après quoi il pourrait être évalué afin d’intégrer le programme de traitement des délinquants sexuels adultes. La Commission a également noté que l’auteur n’avait pas de lui-même demandé à être mis en liberté conditionnelle et que, conformément au cycle de réexamen de deux ans prévu par l’article 21 (par. 2) de la loi sur la libération conditionnelle de 2002, sa prochaine audience à cette fin aurait lieu le 5 mars 2018. Le 26 août 2016, l’auteur a demandé à la Commission de revoir sa décision du 30 juin 2016 au motif qu’une fois achevée la période durant laquelle il n’était pas éligible à la libération conditionnelle, il avait été détenu arbitrairement car ses conditions de détention demeuraient identiques à celles des prisonniers purgeant leur peine et il s’était vu refuser un traitement en temps voulu, de sorte que l’évaluation du danger qu’il présentait ne justifiait pas sa détention. Le 16 septembre 2016, la Commission a estimé qu’aucune erreur n’avait été commise dans l’application du droit et a noté que la législation néo-zélandaise ne prévoyait pas de conditions de détention différentes selon que la détention avait un but punitif ou préventif mais déterminait plutôt les conditions de la détention selon le degré de dangerosité de l’individu concerné. La Commission a également noté que l’auteur participait à des programmes en vue de sa libération et qu’il appartenait aux tribunaux de l’État partie, et non à elle-même, de déterminer si un détenu était soumis à une détention arbitraire.

4.6Le 17 août 2017, l’auteur a pu être transféré au quartier à faible niveau de sécurité de la prison de Christchurch. Le 24 octobre 2017, il a été transféré à l’unité de traitement de la toxicomanie afin d’y intégrer le programme, qui devait démarrer fin novembre 2017. Une fois le programme achevé, l’auteur serait orienté vers le programme de traitement des délinquants sexuels adultes.

4.7En ce qui concerne les violations alléguées de l’article 2 du Pacte, l’État partie rejette en premier lieu les allégations selon lesquelles le conseil de l’auteur a été menacé de sanctions et critiqué par la Cour pour avoir soulevé des arguments fondés sur le Pacte. L’État partie affirme que ces allégations reposent sur des extraits du jugement sortis de leur contexte et qu’elles sont infondées. En second lieu, pour ce qui est de l’incorporation des dispositions du Pacte dans la législation de l’État partie, celui-ci affirme que la Nouvelle-Zélande a incorporé le Pacte dans son droit interne en prenant diverses mesures, notamment en adoptant la loi sur la Charte des droits, la loi de 2002 sur la libération conditionnelle, la loi de 2004 sur l’administration pénitentiaire ainsi que des mesures d’ordre administratif. Enfin, en ce qui concerne la disponibilité de recours utiles, l’État partie fait valoir qu’en plus des mécanismes judiciaires tels que l’appel et le contrôle judiciaire, l’État partie dispose d’autres mécanismes, de nature administrative, qui peuvent enquêter sur les allégations de violations, comme l’Ombudsman et une série d’autres organes indépendants. La situation particulière de l’auteur s’agissant des allégations de violation du Pacte tenant à l’accès aux voies de recours est exposée dans les paragraphes ci-dessous.

4.8En ce qui concerne l’allégation de violation des articles 9 (par. 4) et 14 (par. 1) du Pacte selon laquelle la Commission des libérations conditionnelles n’est pas un tribunal indépendant et impartial et l’auteur a donc été détenu arbitrairement, l’État partie affirme qu’elle doit être rejetée. L’État partie note que l’auteur fait référence à l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle-Zélande et souligne que, depuis cette communication, la loi de 2002 sur la libération conditionnelle est entrée en vigueur, remplaçant la loi de 1985 sur la justice pénale, et qu’il y a donc eu un changement dans le régime de la libération conditionnelle.

4.9L’État partie explique que la Commission des libérations conditionnelles est un organe indépendant créé en vertu de la loi de 2002 sur la libération conditionnelle, chargé d’examiner « la situation des délinquants en vue d’une libération conditionnelle et, le cas échéant, d’ordonner leur mise en liberté conditionnelle » et de fixer ensuite les conditions de leur libération et de contrôler le respect de ces conditions. Dans son évaluation, la Commission doit mettre en balance la sécurité de la collectivité et la détention du délinquant, en s’appuyant sur toutes les informations pertinentes dont elle dispose.

4.10L’État partie soutient que les dispositions de l’article 14 (par. 1) du Pacte ne s’appliquent pas à la Commission des libérations conditionnelles, car celle-ci n’a pas statué sur le bien-fondé des accusations pénales contre l’auteur. En Nouvelle-Zélande, cette fonction appartient aux tribunaux. La comparution de l’auteur devant la Commission n’avait pas pour but de déterminer ses « droits et obligations de caractère civil ». Étant détenu à titre préventif, l’auteur n’a aucun droit à la libération conditionnelle qui puisse être revendiqué devant la Commission. L’auteur peut néanmoins contester les décisions relatives à sa demande de libération conditionnelle en saisissant la Haute Cour. L’État partie renvoie aux paragraphes 16 et 17 de l’observation générale no 31 (2004) du Comité et fait valoir que la procédure aux fins de la libération conditionnelle n’implique pas elle non plus la détermination d’un « droit quelconque de la personne concernée », ainsi que le Comité en a décidé au sujet des procédures disciplinaires engagées contre les détenus. Néanmoins, si la partie civile s’appliquait à la procédure de libération conditionnelle, dans l’affaire Y. L. c. Canada, le Comité a noté qu’il importe d’examiner les procédures de manière globale, y compris s’agissant de l’existence d’un droit de demander un contrôle judiciaire des décisions administratives par les tribunaux. Si le contrôle juridictionnel était finalement possible, le recours à cette voie de droit satisferait l’exigence relative au droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial. En tout état de cause, le droit de demander un contrôle juridictionnel de la décision de la Commission en vertu du droit néo‑zélandais répond aux critères de l’article 14 (par. 1).

4.11L’État partie soutient que la Commission des libérations conditionnelles est suffisamment indépendante et impartiale et a les procédures voulues pour être considérée comme un tribunal au sens de l’article 9 (par. 4) même si elle n’a pas tous les attributs d’un tribunal, et que le Comité l’a admis. Il est impossible, pour l’Exécutif comme pour toute autre personne ou tout autre organisme extérieur à la Commission, d’orienter ou d’influencer les décisions en matière de libération conditionnelle. En outre, les procédures d’évaluation aux fins de la libération conditionnelle sont conformes à l’article 9 (par. 4) car les décisions de la Commission sont susceptibles de contrôle juridictionnel, sans restriction (aucune demande d’autorisation à cette fin n’est exigée). La situation de l’auteur est examinée régulièrement par un organisme indépendant, conformément aux exigences de l’observation générale no 35 (2014) du Comité, et l’auteur n’est pas détenu arbitrairement. En outre, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a estimé que la Commission des libérations conditionnelles de la Nouvelle-Zélande était suffisamment indépendante.

4.12En ce qui concerne l’absence de réadaptation, l’État partie fait valoir que dans le droit néo-zélandais, il n’est pas fait de distinction entre les parties « punitive » et « non punitive » des peines. Toutes les peines sont administrées conformément à l’objet de la loi sur l’administration pénitentiaire de 2004, et les délinquants condamnés à la détention de sûreté sont classés en fonction de leur dangerosité. Les délinquants se voient offrir des possibilités de réadaptation et de réinsertion, auxquelles il est porté une attention croissante à mesure que la date de libération de l’intéressé approche. Comme il est indiqué aux paragraphes 4.2 à 4.6 ci-dessus, l’État partie soutient que l’auteur a bénéficié d’une série de possibilités et de services destinés à contribuer à sa réadaptation. L’État partie réfute les allégations selon lesquelles la situation de l’auteur n’a pas été évaluée et qu’il n’a pas été intégré à un programme de soins spécialisé. Dans sa lettre initiale, l’auteur fait lui-même référence à un rapport établi par des psychologues aux fins de son évaluation. L’État partie affirme qu’il a offert à l’auteur d’importantes possibilités de réduire le risque qu’il représente, mais que son comportement ainsi que ses décisions l’empêchent de progresser. Les conclusions du Groupe de travail sur la détention arbitraire confirment cette affirmation. Le Groupe de travail a également noté qu’au moment où il a rendu son avis, la réadaptation de l’auteur ne pouvait être assurée que moyennant sa détention de sûreté.

4.13En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la Commission des libérations conditionnelles s’est appuyée exclusivement sur le rapport psychologique pour évaluer le risque, l’État partie soutient que la Commission utilise une méthode d’évaluation fiable, qui tient compte des meilleures pratiques internationales, pour déterminer si le délinquant continue de présenter un danger excessif pour la sécurité publique. L’auteur n’a pas contesté l’évaluation du risque effectuée à son sujet avant sa dernière audience devant la Commission en 2016 (voir par. 4.5 ci-dessus). Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a également estimé que les outils utilisés par la Commission pour estimer le risque offraient des garanties suffisantes pour s’assurer qu’il n’y ait pas de violation des droits de l’auteur.

4.14En ce qui concerne les allégations selon lesquelles le maintien de l’auteur en détention après la fin de la période durant laquelle il ne pouvait pas prétendre à la libération conditionnelle n’était pas justifié par de nouveaux éléments de preuve ni par une nouvelle déclaration de culpabilité, l’État partie répond qu’une nouvelle condamnation n’est pas nécessaire, puisque la peine de détention de sûreté a été imposée légalement à l’auteur après qu’il a été déclaré coupable. L’auteur a fait appel de sa condamnation, sans succès. L’État partie renvoie aux conclusions du Groupe de travail sur la détention arbitraire, dans lesquelles il est dit que l’auteur continue de purger la peine qui lui a été infligée en 2004 après qu’il a été déclaré coupable, et que cette peine comporte un volet préventif.

4.15L’État partie renvoie à Rameka et consorts c. Nouvelle-Zélande et rappelle que dans cette affaire le Comité a conclu à une violation de l’article 9 (par. 4) du Pacte parce que la durée de la période de détention durant laquelle il ne pouvait pas être obtenu de libération conditionnelle excédait celle de la période d’emprisonnement de durée limitée fixée antérieurement. Il est toutefois important de noter que le Comité a conclu que le régime néo-zélandais de la détention de sûreté n’était pas arbitraire et n’était pas incompatible avec les normes garantissant un traitement humain énoncées à l’article 10 du Pacte.

4.16Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a estimé qu’il existait des raisons impérieuses « touchant à la gravité des infractions commises et au risque de récidive du détenu » qui justifiaient le maintien en détention de sûreté. Il a analysé la décision de la Haute Cour d’ordonner la détention de sûreté et les décisions par lesquelles la Commission des libérations conditionnelles, en 2014 et 2015, avait refusé d’accorder la libération conditionnelle à l’auteur, et a estimé qu’elles étaient justifiées. Le Groupe de travail a considéré également que même si l’auteur ne vivait pas dans des conditions matérielles différentes de celles des détenus exécutant des peines de durée déterminée, les conditions de sa détention se distinguaient cependant largement de celles d’une incarcération à but répressif, dans la mesure où il pouvait bénéficier de soins d’ordre psychologique ou autres visant à sa réadaptation et à sa remise en liberté.

4.17Concernant l’argument de l’auteur selon lequel les procès en première instance et en appel ont constitué une injustice manifeste et l’allégation selon laquelle plusieurs erreurs ont été commises en première instance, en appel et dans le cadre de la demande en grâce, l’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur ne permettent pas d’établir une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. L’État partie affirme que la protection du droit à un procès équitable prévue à l’article 14 (par. 1) ne s’applique pas à l’évaluation faite par le Gouverneur général dans le cadre de l’examen de la demande de grâce, car cette évaluation n’a pas un caractère civil et n’intervient pas dans la détermination du bien-fondé d’une accusation pénale. L’État partie ajoute que l’auteur a pu faire appel de sa déclaration de culpabilité devant la Cour d’appel et devant la Cour suprême, et a pu faire appel séparément de sa peine devant la Cour d’appel et devant la Cour suprême. Sa cause a également été examinée par le Gouverneur général dans le cadre de la procédure de grâce. L’État partie rappelle que le Comité rejette habituellement les plaintes générales pour procès inéquitable fondées sur l’article 14 (par. 1).

4.18En ce qui concerne le grief tiré de l’article 14 (par. 1) au motif que l’auteur n’a pas pu attaquer la moralité de la victime de l’agression sexuelle qu’il avait commise sans que ses condamnations antérieures soient mises en avant, l’État partie renvoie au rapport du Ministère de la justice et rappelle qu’attaquer la personnalité du plaignant n’aurait pas conduit à ce qu’il soit donné moins de poids aux éléments de preuve à charge concernant les faits ou la propension de l’accusé que celui qui leur aurait été accordé autrement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 31 décembre 2019, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2L’auteur affirme que depuis plus de trente ans, il n’a pas été donné pleinement effet au Pacte dans le droit interne de l’État partie, et qu’aucun tribunal néo-zélandais n’a jamais fait droit à aucun recours en vertu du Pacte. L’auteur fait référence au quatrième rapport périodique soumis par la Nouvelle-Zélande au Comité et à d’autres rapports périodiques pour étayer son argument.

5.3L’auteur renvoie aux observations ou commentaires que le Comité a adressés à un certain nombre de pays au sujet de l’article 2. L’auteur note que dans l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle-Zélande, le Comité a conclu que les dispositions de l’article 2 ne pouvaient pas être invoquées isolément, mais souligne les conclusions auxquelles il est parvenu dans Tshidika c. République démocratique du Congo et fait valoir que dans ce cas, les autres violations du Pacte soulevées au titre des articles 9, 10 et 14 sont liées à l’article 2 et relèvent donc de cette exception. L’auteur déplore également qu’il n’ait pas été donné effet aux constatations du Comité dans les quatre affaires concernant l’État partie dans lesquelles le Comité a conclu à une violation à ce jour. Considérés conjointement à la présente communication, ces faits suffisent à étayer son affirmation selon laquelle les articles sont inextricablement liés, au sens des constatations du Comité dans Tshidika c. République démocratique du Congo, en violation de l’article 2. L’auteur affirme donc qu’il y a eu violation de l’article 2 (par. 2 et 3) car il n’existe en Nouvelle-Zélande aucune voie de recours pour faire reconnaître une violation du Pacte, que cela constitue une violation continue, et que, étant donné que la Cour d’appel s’appuie sur la jurisprudence de la Cour suprême plutôt que d’invoquer les observations formulées par le Comité au sujet des violations du Pacte, ces questions devraient être portées devant le Comité et non devant les juridictions néo‑zélandaises.

5.4L’auteur répète son grief selon lequel la Commission des libérations conditionnelles n’est pas suffisamment indépendante et renvoie à l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle ‑ Zélande, dans laquelle le Comité a conclu que l’État partie n’avait pas démontré que les auteurs avaient accès à un contrôle juridictionnel de la légalité de leur détention leur permettant de contester leur maintien en détention, conformément à l’article 9 (par. 4) du Pacte. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’article 14 (par. 1) ne s’applique pas à la Commission des libérations conditionnelles, l’auteur maintient qu’il a été emprisonné par une juridiction de jugement à l’issue d’une procédure de détermination de la peine et que le reste de sa peine est inextricablement lié à cette condamnation pénale, comme il ressort de la loi néo-zélandaise sur les peines. Sachant que la Commission tient une audience aux fins de libération conditionnelle d’un détenu tous les deux ans, c’est la Commission qui, effectivement, décide si la détention se poursuivra ou non pendant deux années supplémentaires, ce qui relève du droit pénal.

5.5L’auteur fait valoir qu’en août 2019, la Commission des libérations conditionnelles a conclu qu’il était temps pour lui de passer à la phase de réinsertion en milieu carcéral et qu’il serait procédé à nouvelle évaluation au début d’août 2020. L’auteur soutient qu’il n’a été donné aucune explication quant au risque excessif qu’il représenterait, et que cette décision avait trop tardé, puisqu’il était en prison depuis vingt ans. L’auteur dit que, dans la mesure où la Commission indiquait dans sa décision qu’il serait maintenu en détention pour une nouvelle période de douze mois, l’article 14 (par. 1) s’applique et a été violé, compte tenu des constatations du Comité dans l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle ‑Zélande.

5.6L’auteur affirme que ses conditions de détention et le traitement dont il fait l’objet sont équivalents à ceux des auteurs dans l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle-Zélande, et que même si la durée de la détention est moindre, ils sont néanmoins à prendre en considération. L’auteur estime que lui demander de prendre part à une thérapie de groupe peut être considéré comme indigne et dénotant un manque de respect, ou présenter un danger (physiquement et psychologiquement) car il est maori et considéré comme étant au bas de l’échelle sociale de la prison en raison de l’infraction qu’il a commise, compte tenu en particulier du fait que le programme ne tient pas compte des Maoris, comme l’a reconnu le Ministre chargé de l’administration pénitentiaire. L’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas expliqué ou justifié en quoi il était impossible de trouver une solution à son refus de participer à une thérapie de groupe en lui proposant une thérapie individuelle dans un établissement carcéral de sa région d’origine, et soutient qu’il n’a jamais été soumis à une évaluation aux fins du programme de traitement des délinquants sexuels adultes ni été jugé inapte à le suivre, contrairement à ce qu’a prétendu l’État partie. En outre, l’auteur dit avoir particulièrement souffert de l’interruption brutale de son traitement analgésique, qu’il prenait depuis dix ans et dont il était dépendant.

5.7Selon l’auteur, les raisons avancées par la Commission des libérations conditionnelles pour justifier son maintien en détention ne sont pas des raisons impérieuses et le maintien en détention est de nature à entraîner un état psychologique pathologique. L’auteur soutient également que les évaluations auxquelles procède la Commission ne sont pas adaptées aux Maoris, qui sont surreprésentés et victimes de discrimination dans le système de justice pénale. Selon certaines études, plus de la moitié de la population carcérale est d’origine ethnique maorie, tandis que 21 % seulement du personnel pénitentiaire et 7,3 % des psychologues sont des Maoris. L’auteur soutient qu’il a été prouvé que l’origine ethnique des thérapeutes est importante : elle est susceptible de favoriser l’investissement des prisonniers maoris dans la thérapie, et donc la réussite de celle-ci. L’auteur souligne également que l’État partie n’a pas donné suite à la recommandation que le Comité a faite dans ses observations finales concernant la Nouvelle-Zélande d’éliminer la discrimination exercée contre les Maoris dans l’administration de la justice, notamment en dispensant des programmes de formation au personnel pénitentiaire.

5.8L’auteur répète ses arguments concernant la violation de l’article 14 (par. 1) et souligne qu’en soumettant la présente communication, il ne cherche pas à exercer un nouveau droit d’appel. Il soutient que l’article 14 (par. 1) s’applique à la procédure de grâce, et renvoie, à ce sujet, à l’affaire Yash v. Legal Services Agency, dans laquelle la Haute Cour a estimé que la demande de grâce était l’une des issues possibles de la procédure pénale et pouvait donner lieu à l’aide juridictionnelle. Enfin, l’auteur souligne que la création de la Commission de révision des affaires criminelles, en application de la loi de 2019 sur cette Commission montre bien que le système auquel l’auteur a été soumis au niveau national était défaillant.

Observations complémentaires de l’auteur

6.Le 16 septembre 2020, l’auteur a informé le Comité qu’il avait finalement été mis en liberté conditionnelle le 1er septembre 2020 et que sa libération était révocable, à vie, en cas de non‑respect des conditions dont elle était assortie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie aurait manqué à ses obligations au titre de l’article 2 (par. 2), le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il répète que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif en conjonction avec d’autres articles du Pacte, sauf lorsque le manquement par l’État partie à ses obligations au titre de l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit lésée. Le Comité note toutefois que l’auteur a déjà allégué une violation des droits qu’il tient des articles 9 et 14 qui résulterait de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et estime que l’examen d’un éventuel manquement de l’État partie à ses obligations générales découlant de l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 9 et 14, ne diffère pas de l’examen d’une violation des droits de l’auteur au titre des articles 9 et 14 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que les griefs soulevés par les auteurs à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et sont donc irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité note que l’auteur affirme qu’il n’a pas eu accès à un recours utile, en violation de l’article 2 (par. 3), parce que le Pacte n’a pas été incorporé dans le droit interne et que les tribunaux s’appuient sur la jurisprudence de la Cour suprême plutôt que sur les dispositions du Pacte. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la Nouvelle-Zélande a incorporé le Pacte au moyen d’une série de mesures, notamment l’adoption de la loi sur la Charte des droits, de la loi de 2002 sur la libération conditionnelle, de la loi de 2004 sur l’administration pénitentiaire, et d’autres mesures d’ordre administratif. Le Comité note également que l’État partie affirme qu’en plus des recours judiciaires tels que l’appel et le contrôle judiciaire, il existe en Nouvelle-Zélande d’autres mécanismes, de nature administrative, qui peuvent enquêter sur les allégations de violations, comme l’Ombudsman et d’autres organismes indépendants. Au vu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité, et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie a violé son droit à un procès équitable, reconnu à l’article 14 (par. 1) du Pacte, car son premier avocat n’a pas assuré convenablement sa défense et, de ce fait, les garanties d’un procès équitable n’ont été respectées ni en première instance ni devant la cour d’appel. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur a pu faire appel de sa déclaration de culpabilité devant la Cour d’appel et devant la Cour suprême et faire appel séparément de sa peine devant la Cour d’appel et devant la Cour suprême, et son cas a été réexaminé par le Gouverneur général dans le cadre de la procédure de grâce. Le Comité note que l’auteur n’a pas étayé son grief de violation du droit à un procès équitable et n’a pas non plus montré en quoi la défense assurée par son premier avocat devant les tribunaux avait donné lieu à une violation de son droit d’être entendu par un tribunal compétent, indépendant et impartial, sachant, en particulier, qu’il a pu faire appel de ces décisions devant les tribunaux et dans le cadre de la procédure de grâce. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité et les déclare donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend note des allégations formulées par l’auteur en relation avec les articles 9 (par. 4) et 14 (par. 1) du Pacte, à savoir que la Commission des libérations conditionnelles de la Nouvelle-Zélande n’est ni indépendante ni impartiale, qu’aucun tribunal indépendant n’a le pouvoir de le libérer, et qu’il est par conséquent détenu arbitrairement. Le Comité prend note en outre de l’observation de l’État partie selon laquelle, comme l’ont affirmé les tribunaux nationaux, l’article 14 (par. 1) ne s’applique pas à la Commission des libérations conditionnelles. Le Comité prend note également des informations communiquées par l’État partie selon lesquelles, depuis l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle-Zélande, la loi sur la justice pénale de 1985 a été remplacée par la loi sur la libération conditionnelle de 2002, qui a entraîné un changement dans le régime de la libération conditionnelle. Le Comité note en outre que la Commission n’agissait pas dans l’exercice de pouvoirs judiciaires puisqu’elle examinait le caractère approprié (et non la légalité) de la détention de l’auteur.

7.7Le Comité rappelle ses constatations dans l’affaire Rameka et consorts c. Nouvelle ‑ Zélande, dans laquelle il a examiné la question de savoir si la Commission des libérations conditionnelles « devrait être considérée comme n’étant pas assez indépendante ou impartiale ou comme déficiente sur le plan de la procédure », et avait conclu qu’aucun argument ne permettait de l’affirmer, sachant notamment que les décisions de la Commission étaient susceptibles de contrôle juridictionnel. Le Comité note que le Groupe de travail sur la détention arbitraire est parvenu à une conclusion similaire lorsqu’il a analysé l’indépendance de la Commission en l’espèce. Il note en outre qu’à la différence de l’affaire Miller et Carroll c. Nouvelle-Zélande, en l’espèce l’auteur n’a pas contesté l’indépendance de la Commission devant les tribunaux nationaux et ne s’est pas non plus vu refuser la libération conditionnelle de la même manière que dans l’affaire Miller et Carroll. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur a failli à son obligation d’épuiser les recours internes et constate que les griefs de violation des articles 9 (par. 1) et 14 (par. 1), concernant le manque d’indépendance allégué de la Commission et la détention arbitraire qui en aurait découlé sont irrecevables au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.8Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3), à savoir qu’il a épuisé « tous les recours internes raisonnables » qui lui étaient ouverts. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

7.9Considérant que les autres griefs de l’auteur sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, le Comité les déclare recevables en ce qu’ils soulèvent des questions au regard des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte, et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte, à savoir que l’État partie ne lui a pas offert suffisamment de possibilités de réadaptation avant sa première audience devant la Commission des libérations conditionnelles, ce qui a entraîné une détention arbitraire. Le Comité rappelle qu’il est du devoir de l’État partie, dans les cas de condamnation à une peine de détention de sûreté, d’apporter au détenu l’assistance nécessaire pour lui permettre d’être remis en liberté dès que possible sans représenter un danger pour la collectivité. Le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur s’est vu offrir une série de possibilités et de services destinés à contribuer à sa réadaptation (voir par. 4.12 ci-dessus). Le Comité relève en particulier que l’auteur s’est vu proposer de participer à un programme de l’unité de traitement de la toxicomanie en janvier 2013, soit un an et trois mois avant sa première audience devant la Commission, et qu’il lui a été offert à nouveau de suivre ce programme en février 2014 (voir par. 4.2 ci‑dessus). Le Comité note également qu’il a ensuite été proposé à l’auteur de suivre un programme de soutien contre l’alcool et les drogues en octobre 2014 (voir par. 4.3 ci-dessus), et que, lorsque l’auteur aurait suivi le programme de l’unité de traitement de la toxicomanie, il serait considéré comme apte à suivre le programme de traitement des délinquants sexuels adultes (voir par. 4.5 et 4.6 ci-dessus). Le Comité prend note en outre de l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui a estimé que l’auteur s’était vu offrir une chance équitable de suivre un traitement afin d’obtenir sa libération avant que la Commission des libérations conditionnelles examine pour la première fois la possibilité de le mettre en liberté conditionnelle, en avril 2014, et qu’il continuait de recevoir un traitement approprié. Le Comité considère donc que, dans les circonstances particulières de l’espèce, il n’est pas en mesure de conclure que l’État partie n’a pas fourni en temps voulu un traitement de réadaptation à l’auteur, avant sa première comparution devant la Commission des libérations conditionnelles et qu’il aurait ainsi violé les droits que l’auteur tient des articles 9 (par. 1) ou 10 (par. 3) du Pacte.

8.3Le Comité note également que l’auteur affirme que sa réadaptation n’était pas adaptée aux Maoris et que ceux-ci sont surreprésentés et victimes de discrimination dans le système de justice pénale. Faute de précisions sur cette allégation et sur la façon dont elle concernerait personnellement l’auteur, le Comité n’est pas en mesure de constater l’existence d’une violation sur ce point.

8.4Le Comité note en outre que l’auteur affirme que sa détention s’est poursuivie après la fin de la période durant laquelle il ne pouvait pas prétendre à la libération conditionnelle et que les conditions de sa détention de sûreté étaient identiques à celles de la partie punitive de sa peine. Le Comité rappelle son observation générale no 35 (2014), dans laquelle il est dit ce qui suit : « Une arrestation ou une détention peut être autorisée par la législation interne et être néanmoins arbitraire. La notion d’“arbitraire” ne doit pas être confondue avec celle de “contraire à la loi”, mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant les éléments relatifs au caractère inapproprié, injuste et imprévisible et au principe de légalité tout comme ceux concernant le caractère raisonnable, nécessaire et proportionné ». Dans la même observation générale, le Comité a souligné que la détention ordonnée à des fins de prévention devait faire l’objet de certaines restrictions pour satisfaire aux prescriptions de l’article 9 du Pacte. Précisément, quand une condamnation pénale fixe une période punitive suivie d’une période de sûreté, la détention à titre préventif doit, pour ne pas être arbitraire, être justifiée par des raisons impérieuses, et des réexamens périodiques réguliers doivent être assurés par un organisme indépendant afin de déterminer si le maintien en détention est justifié. Les États ne doivent appliquer cette détention qu’en dernier ressort, et faire preuve de circonspection et offrir les garanties voulues dans l’évaluation d’un danger futur. En outre, les conditions de la détention de sûreté doivent « être différentes du régime des prisonniers condamnés exécutant leur peine, et doivent viser à assurer la réadaptation et la réinsertion sociale du détenu ». Le Comité note que le Groupe de travail sur la détention arbitraire a conclu qu’en l’espèce, les conditions de la détention de sûreté de l’auteur se distinguaient suffisamment de celles d’une incarcération à but répressif dans la mesure où il pouvait bénéficier de soins d’ordre psychologique et autres visant à sa réadaptation et à sa remise en liberté et qu’il y avait des raisons impérieuses « touchant à la gravité des infractions commises et au risque de récidive du détenu » qui justifiaient son maintien en détention à titre préventif. Le Comité doit néanmoins procéder à sa propre évaluation, sur la base de sa jurisprudence et du développement ultérieur de l’affaire après l’évaluation du Groupe de travail sur la détention arbitraire, pour déterminer si par ses conditions, sa nature et sa durée, la détention de sûreté de l’auteur était conforme aux principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité, du caractère justifié du maintien en détention et du réexamen indépendant énoncés dans son observation générale no 35 (2014).

8.5Le Comité prend note des arguments soulevés par l’auteur en relation avec l’article 9 du Pacte, à savoir qu’une fois terminée la période obligatoire durant laquelle il ne pouvait pas prétendre à une libération conditionnelle, il a été détenu de façon arbitraire car il n’existait pas de nouveaux éléments de preuve contre lui, qu’il n’a pas été déclaré coupable de nouvelles infractions pouvant justifier son maintien en détention à titre préventif, et que ses conditions de détention sont les mêmes que celles auxquelles il était soumis pendant la période punitive de sa peine. Le Comité prend note en outre de l’explication de l’État partie qui précise qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait une nouvelle condamnation, puisque la peine de détention de sûreté a été imposée légalement à l’auteur après qu’il a été déclaré coupable, en mai 2004, de cinq infractions, notamment de viol et d’atteintes sexuelles sur un mineur, que toutes les peines ont été administrées conformément à l’objet de la loi sur l’administration pénitentiaire de 2004 et que les délinquants condamnés à la détention de sûreté sont classés selon leur degré de dangerosité. Le Comité note aussi que l’auteur s’est vu offrir diverses formes de conseils et d’accompagnement psychologique dans le cadre d’un programme de l’unité de traitement de la toxicomanie, qui a débuté en janvier 2013, avant qu’il puisse prétendre à une libération conditionnelle. Le Comité prend note en outre de l’information fournie par l’État partie selon laquelle l’auteur a dû renoncer au traitement en mars 2014 car il a reconnu que son comportement et sa santé l’empêchaient de s’engager dans le programme (voir par. 4.2 ci-dessus). Le Comité note aussi qu’il est devenu possible pour l’auteur de prétendre à une libération conditionnelle le 21 avril 2014 et que la première audience devant la Commission des libérations conditionnelles a eu lieu le 30 avril 2014 (voir par. 4.3 ci‑dessus) ; que la Commission a tenu d’autres audiences, le 21 avril 2015 (voir par. 4.4 ci‑dessus) et le 30 juin 2016 (voir par. 4.5 ci-dessus) et a conclu, après une évaluation des risques, que l’auteur, en tant que délinquant sexuel violent, continuait de représenter une menace considérable ; et que la Commission avait autorisé le transfert de l’auteur au quartier à faible niveau de sécurité de la prison de Christchurch le 17 août 2017 (voir par. 4.6 ci‑dessus). Le Comité note aussi que l’auteur a, ultérieurement, bénéficié d’une libération conditionnelle, le 1er septembre 2020, après avoir suivi jusqu’à leur terme le programme pour délinquants à haut risque et le programme de l’unité de traitement de la toxicomanie en 2018, et avoir suivi avec succès le programme de traitement des délinquants sexuels adultes en mai 2019. Le Comité estime par conséquent que l’État partie a suffisamment montré que les conditions, la nature et la durée de la détention de sûreté de l’auteur, ainsi que le risque qu’il commette une infraction sexuelle violente ont été dûment évalués, conformément aux principes du caractère raisonnable, de la nécessité, de la proportionnalité et du caractère justifié du maintien en détention énoncés dans son observation générale no 35 (2014).

8.6Le Comité rappelle que l’article 9 du Pacte exige que les conditions de la détention de sûreté soient différentes du régime des prisonniers condamnés exécutant leur peine et qu’elles visent à assurer la réadaptation et la réinsertion sociale du détenu. À cet égard, le Comité prend note de la position de l’État partie, qui estime que la finalité de la détention demeure la même. Il note aussi que, si la détention demeure officiellement punitive, le régime de la détention de sûreté de l’auteur a été suffisamment distinct du régime de détention pendant la partie punitive de la peine (avant qu’il puisse prétendre à une libération conditionnelle) car il avait pour finalité sa réadaptation et sa réinsertion dans la société, comme l’exigent les articles 9 et 10 (par. 3) du Pacte. Au vu des informations dont il dispose, le Comité ne peut pas conclure que l’État partie n’a pas montré que la détention de sûreté de l’auteur était suffisamment distincte de la partie punitive de la peine.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Gentian Zyberi

1.Je partage l’évaluation du Comité concernant les mesures de réadaptation qui ont été offertes à l’auteur avant sa première audience devant la Commission des libérations conditionnelles le 30 avril 2014, mais j’estime que les mesures de réadaptation et de réinsertion inadéquates proposées pendant sa détention de sûreté prolongée, qui a duré près de six ans et demi, ont constitué une violation des droits que l’auteur tenait des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte.

2.Si le Groupe de travail sur la détention arbitraire a conclu, fin août 2016, qu’en l’espèce il ne s’agissait pas d’un cas de détention arbitraire, il convient de noter qu’il a rendu son avis peu de temps après que se soit achevée la période durant laquelle l’auteur ne pouvait pas prétendre à une libération conditionnelle. Pour l’essentiel, le Comité devait déterminer si par ses conditions, sa nature et sa durée, la détention de sûreté qui a été imposée à l’auteur d’avril 2014 à septembre 2020 était conforme aux principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité, du caractère justifié du maintien en détention et du réexamen indépendant énoncés dans les observations générales no 35 (2014) et no 21 (1992) du Comité. Dans l’observation générale no35 (2014), il est écrit ce qui suit : « Une arrestation ou une détention peut être autorisée par la législation interne et être néanmoins arbitraire ». Le Comité a insisté sur le fait que quand une condamnation pénale fixait une période punitive suivie d’une période de sûreté, la détention à titre préventif devait, pour ne pas être arbitraire, être justifiée par des raisons impérieuses et que la situation devait être réexaminée périodiquement par un organe indépendant afin de décider si la détention était toujours justifiée. Les États ne doivent avoir recours à cette détention qu’en dernier ressort et doivent faire preuve de circonspection et offrir les garanties voulues dans l’évaluation d’un danger futur.De plus, les conditions de cette détention doivent être « différentes du régime des prisonniers condamnés exécutant leur peine et doivent viser à assurer la réadaptation et la réinsertion sociale du détenu ».

3.Plus la détention de sûreté dure, plus augmente, pour l’État partie, la charge de justifier le maintien en détention et de prouver qu’il est impossible de se prémunir de la menace que représente l’intéressé par d’autres mesures que la privation de liberté. Il s’ensuit qu’un niveau de risque pouvant raisonnablement justifier une détention à titre préventif de courte durée ne saurait nécessairement justifier une période de détention de sûreté plus longue. L’État partie n’a pas démontré qu’il était impossible de protéger le public du danger que représentait l’auteur par des mesures moins contraignantes que le prolongement de sa privation de liberté.

4.L’article 9 du Pacte exige que les conditions de la détention à titre préventif soient différentes du régime des condamnés exécutant leur peine et qu’elles visent à assurer la réadaptation et la réinsertion sociale du détenu. L’État partie a estimé que la finalité de la détention demeurait la même. Cependant, la détention conserve son caractère punitif, que l’intéressé exécute la partie punitive de sa peine ou reste détenu à titre préventif. Même si l’auteur s’est vu offrir pendant longtemps différentes formes de conseil et de prise en charge psychologique, il ne semble pas que son origine ethnique maori et sa situation personnelle aient été convenablement prises en considération dans les mesures visant à favoriser sa réadaptation et sa réinsertion (voir par. 3.9, note 22 et par. 5.6 et 5.7 des constatations du Comité). On notera que l’auteur est devenu éligible à la libération conditionnelle en avril 2014 mais n’a été transféré à l’unité d’auto-prise en charge qu’en août 2017 et a finalement été mis en liberté conditionnelle en septembre 2020. Selon les informations disponibles, les conditions de la détention de sûreté de l’auteur n’ont pas été suffisamment distinctes du régime de détention appliqué pendant la partie punitive de la peine (avant que l’auteur puisse prétendre à une libération conditionnelle) et n’avaient pas pour but essentiel sa réadaptation et sa réinsertion dans la société, comme l’exigent les articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte.

5.Dans ces circonstances, le Comité aurait dû constater une violation des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte.

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) d’Arif Bulkan

1.Le Pacte impose à l’égard de tous les condamnés une obligation continue, à savoir que « leur amendement et leur reclassement social » constituent le « but essentiel » de leur incarcération (art. 10 (par. 3)). En conséquence, les États parties ont l’obligation de prendre des « mesures efficaces » pour favoriser la réadaptation de tous les condamnés pendant toute la durée de leur incarcération. Cette approche avisée est d’autant plus un impératif lorsque la détention est imposée à titre préventif sur la base d’une dangerosité présumée, une notion dont le Comité a estimé qu’elle « pos[ait] en [elle]-même un problème ». Lorsqu’une détention est imposée à titre préventif, il est du devoir de l’État partie d’apporter au détenu l’assistance nécessaire pour lui permettre d’être remis en liberté dès que possible sans représenter un danger.

2.En l’espèce, les membres du Comité ont majoritairement accepté la réponse de l’État partie, qui a affirmé que l’auteur avait bénéficié d’une série de possibilités et de services destinés à contribuer à sa réadaptation (voir les paragraphes 4.2 à 4.6 des constatations du Comité). À y regarder de plus près, cependant, on s’aperçoit qu’il est exagéré de parler de « série ». Ce n’est qu’en janvier 2013, c’est-à-dire neuf ans après le début de l’exécution de sa peine, et un an seulement avant qu’il puisse prétendre à une libération conditionnelle, que l’auteur a pour la première fois été inscrit à un programme de traitement de la toxicomanie. L’auteur n’a pas suivi ce programme jusqu’à son terme et n’est pas non plus allé jusqu’au bout d’un autre programme entamé peu avant sa première audience devant la Commission des libérations conditionnelles l’année suivante. Il était donc inévitable qu’une libération conditionnelle lui soit refusée.

3.Par la suite, l’auteur a passé six ans en détention à titre préventif, ce qui fait qu’il a, au total, été incarcéré pendant seize ans. Durant cette période, l’auteur s’est vu accorder en tout et pour tout deux brefs séjours en réadaptation peu avant sa première audience, puis deux ou trois autres par la suite. À mon sens, ces offres sporadiques de services de réadaptation peuvent difficilement constituer une « série » de possibilités. Elles ne répondent pas à la norme énoncée à l’article 10 (par. 3) du Pacte, qui impose que les mesures soient efficaces, prises en temps voulu ou de façon continue pendant l’incarcération, et encore moins à l’obligation renforcée résultant du fait que l’intéressé est détenu à titre préventif.

4.En outre, la jurisprudence du Comité impose que les conditions de la détention de nature préventive soient différentes du régime appliqué aux condamnés exécutant leur peine et qu’elles visent à assurer la réadaptation et la réinsertion. En outre, il ne doit être recouru à l’incarcération qu’en dernier ressort, lorsque la réadaptation ne peut pas se faire par des mesures moins contraignantes. En l’espèce, même si l’État partie admet que sa législation ne fait pas de distinction entre les parties punitive et non punitive des peines, la majorité des membres du Comité, s’appuyant sur leur propre évaluation et sur celle du Groupe de travail, ont conclu que si la détention demeurait officiellement punitive, elle était suffisamment distincte et avait pour finalité la réadaptation. C’est une autre conclusion à laquelle il m’est difficile d’adhérer. Les informations communiquées par les deux parties montrent que l’auteur était en réalité détenu dans les mêmes conditions que celles des condamnés exécutant la partie punitive de leur peine. De surcroît, il semblerait que l’auteur n’ait bénéficié d’aucun traitement spécialisé tenant compte de ce qu’il avait subi dans son enfance et des problèmes systémiques rencontrés par les personnes d’origine ethnique maori, comme lui.

5.Même si l’auteur n’inspire pas la sympathie, au moment de sa condamnation il n’avait que 22 ans. Les expertises psychologiques dont disposent les autorités compétentes dépeignent une vie faite de tourments inimaginables. L’auteur, alors qu’il était enfant, a été victime de violences sexuelles infligées par plusieurs membres de sa famille, qui, en lui faisant prendre des médicaments pour le rendre plus docile, ont également été à l’origine de ses problèmes d’addiction. Est-il surprenant qu’un enfant qui a été drogué et abusé de façon systématique commette des actes de violence sexuelle une fois devenu adulte ? Ou qu’il s’autosabote lorsqu’il participe pour la première fois à une thérapie, après neuf ans d’emprisonnement ? L’auteur a été trahi par sa famille et délaissé par la collectivité et par l’État pendant les années déterminantes de sa jeunesse, et lorsqu’il est devenu exactement tel qu’il a été modelé, la réaction a été de l’enfermer à titre préventif.

6.Je ne doute pas que les intentions de l’État partie étaient louables, ni qu’il offre des possibilités de réadaptation aux condamnés. Néanmoins, compte tenu de la situation personnelle de l’auteur, je me permets de ne pas souscrire à l’opinion selon laquelle l’auteur a bénéficié en temps voulu de possibilités de réadaptation appropriées et la nature de son incarcération a été modifiée de manière appropriée pendant sa détention à titre préventif. Pour ces raisons, j’aurais conclu qu’il y a eu violation des articles 9 (par. 1) et 10 (par. 3) du Pacte.